Le Sud-Ouest en 1900

La carte elle-même n'intervient qu'en fin de chapitre, telle que vous la voyez encore au revers de votre porte de chiottes, mais ici en noir et blanc, avec les forêts, les dunes, des ombres pour le relief, des ténias pour les lignes de chemin de fer, des gros ronds pour les grosses villes, « S.P » pour « Sous-Préfecture » dans un losange (Bazas, mais pas Arcachon), les rivières avec tous leurs serpentements et leurs noms en tout petit, et chaque commune à côté de son petit rond, il ne manque plus que l'âge des garde-barrières et les mensurations du préfet pour que ce soit tout à fait illisible, et de fait, sans loupe, vous avez l'impression d'une vaste touffe de limaille de fer où l'œil tente de se frayer un chemin.


Je le fis, et j'énumérai à haute voix tous ces noms qui sont restés les mêmes, pas comme Stalingrad, car nous eûmes une histoire interne pas trop sanglante tout de même en France depuis 1870, jusqu'en 1974... Et tous ces noms me remontent à la gorge comme une goût d'éternité campagnarde, ça y est ça me reprend. Le texte ? Il recèle donc bien des surprises, car dès après le relief, on enchaîne sur le nombre de paroisses, de curés, de religieux et gieuses (ces dernières bien plus nombreuses, car la femme était soumise par nature), nombre de catholiques, nombre de protestants, nombre de juifs. Et ça s'arrêtait là, quand je vous disais que c'était le bon temps. Puis, l'armée : nombre de régiments, de casernes autour des régiments, circonscriptions, nombre de chevaux, pointure des généraux, densité des hémorroïdes dans les bureaux de l'armée, je dis n'importe quoi.
Et la justice ! Nombre d'avocats, dépendant de tel tribunal, divisions et subdivisions administratives, bref, la France et le Sud-Ouest étaient bien encadrés. Et l'enseignement ! J'allais oublier l'enseignement ! La religion, l'armée, la justice, l'école ! Filles d'un côté, pas trop loin tout de même les études, garçons de l'autre ! Et l'on s'empresse de préciser qu'il y a des écoles privées en grand nombre, à Langon, à Toulenne, plus que de publiques : nous sommes avant 1905. En ce temps-là mes braves enfants, il y avait un seul lycée à Bordeaux, plus une annexe à Caudéran. Ensuite, mais ensuite seulement, viennent les productions agricoles, à la dizaine de kilos près : blé, avoine, luzerne, betteraves (4 ou 5 pieds), vignes bien sûr mes braves, même qu'on en plantait, ah l'inconscience ! et qu'on buvait du vin donc !
Quant à l'industrie, dans nos coins, il n'y en avait pas trop, des transformations alimentaires essentiellement, quelques gisements et carrières, je n'ai pas tout retenu, et s 'il n'y avait pas trop d'industries, ça faisait toujours des ouvriers en moins, donc moins d'alcoolisme, moins de tuberculose et moins de prostitution, salauds de pue-la-sueur... Des tonneliers, çà oui, des marins, des tanneurs tout de même, et des vignerons comme s'il en pleuvait, des paysans à ne plus pouvoir les distinguer de leurs bestiaux, dont tout est ici compté à la vingtaine de têtes près. On apprend des tas de choses, et la rubrique du département s'achève sur un inventaire des richesses architecturales, châteaux, bâtiments ecclésiastiques, magnifiquement photographiés ou dessinés par les artistes de l'époque, qui faisaient ressemblant. Ah c'est pas bien de se moquer, mais je ne suis pas méchant, juste attendri et dérapant entre deux ou trois partis pris de facilité... vous croyez que c'est facile, vous, de rendre compte d'un livre essentiellement appréciable pour ses qualités plastiques, impossibles à mettre en valeur radiophoniquement ?
Vous voulez peut-être que je verse un ou deux torrents de larmes sur cette belle France agricole qui se retrouvera dépeuplée, saignée à mort par les ravages de 14/18 qu'on ne finit pas d'énumérer sur nos monuments aux morts ? Il fallait négocier avec Guillaume II ? Vous vous croyez quand ? En 2006 peut-être ? Non, c'était 1900, avec sa stabilité, son immobilité, ses grouillements intestinaux et sa bêtise antimauriacienne. Vous n'auriez pas voulu y vivre, vous n'auriez pas tenu. C'était Koh-Lanta tous les jours en ce temps-là, et sans prix à la fin de la série. Mais vain Dieu c'qu'y pouvait y avoir comme belles églises. Et Bordeaux, c'était bien beau, quand on était bourgeois avec tout le temps de flâner.

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