Laon prononcer Lan

LAON
Ce que ça fait du bien... C'est fou... Seul très loin dans une chambre d'hôtel... Je me retrouve dans cette ville d'enfance que je n'ai jamais vraiment connue, hors deux ou trois itinéraires... Les remparts, le vent, le ciel chargé... Le Lycée de Garçons, massif et rouge... Reprenons... Nuit agitée, prise de bus à Bordeaux-la-Glu, 7 h 25... Je n'en pouvais plus. D'être enfermé à vie sans issue, sans perspective – je me fous de ma perspective. Dans le bus, je m'inquiète. Dévorant des yeux à la dérobée tout ce qui est femme, sans être l'objet du sondage (« Prenez-vous souvent cette ligne ? » ) - la sondeuse m'évite ?
Arrivée dix minutes avant le départ, et couru pour la voiture seize, au-delà des deux motrices centrales. Et là, horreur : une fois de plus places de salle, entendez quatre mecs face à face, dans moins de 2m², à touche-coudes, à touche-genoux, à touche-gueule. Chacun des quatre gentil, indifférent, mais l'un dans l'autre, à ne pouvoir mouvoir un pied. Alternativement, je lis Valerius Flaccus, regarde le paysage, puis feins de somnoler. Impossible d'échapper au sandwich de l'Agenais d'en face, tout comme j'espère bien que le jeune 15-25 ans de biais aura pu voir ma carte de visite de Chevènement qui me sert de remarque... le maire de Belfort m'a-t-il lu ? juste une partie (astuce connue), pour me répondre sur un point précis ?
Valerius Flaccus toujours en proie à Liberman, commentateur, cuistre de renom dans son cercle de cuistres... Enfin Paris, le métro, les innombrables femmes croisées... J'oubliais qu'en train, n'ayant que cela à faire, je découvris seul comment éliminer des photos sur mon portable, et suis tombé sur deux gros plans de Terzieff, pris par Anne elle-même en direct. Gare du Nord je m'embarquais pour un peu vers Londres, j'attends une demi-heure la rame de Laon – je repousse deux mendigotes organisées, ne sachant plus du coup moi-même ni français ni anglais – voulez-vous bien me laisser mes Twixies ? merde alors... Départ quai 20. Une vieille machine déglinguée, un contrôleur polonais titubant dans la ferraille et, à l'entrée du tunnel de Verzy, une inscription en lettres dorées, tombales, pour bien rappeler la mémoire des dizaines de morts sous son effondrement (juillet 77).
Jean-Pierre L. y périt, sa sœur Annick en demeura paralysée. Une autre femme expira au petit matin, plongeant les pompiers qui découpaient autour d'elle depuis des heures dans les larmes. Personne ne peut déchiffrer l'inscription : le train va déjà trop vite. Et le tunnel n'a pas été détruit comme on l'a dit. Les villages se succèdent, Margival, Anizy-Pinon. Enfant, je les entendais prononcer, terres lointaines en ces temps-là où la circulation n'existait pas, confiné que l'on était à ses pieds ou à sa paire de pédales ; seuls Monsieur le Maire et les riches possédaient une automobile. Je vois enfin la cathédrale de Laon, qui se détachait jadis sur l'aube depuis le tan-sad du scooter paternel. Une fois le ciel était vert. Quand un prof m'avait collé, mon père devait se farcir un aller-retour supplémentaire : puni comme moi. En sortant du train, je ne me souviens plus si la gare se trouve au nord ou au sud de la ville... « Sortie ». « Avenue Carnot ». A l'hôtel Welcome, un gros ivrogne me reçoit, me loge au n° 3 (tout est en réfection), puis, se ravisant : “Prenez la douze !” Sa femme est slave, il l'appelle « la Russe » ou « Magdalena », elle gazouille avec un accent merveilleux qui donne une irrésistible envie de vieille galanterie. Elle avale ses mots, chante, roucoule, je lui parle en russe, elle s'évente de la main : « Je ne peux vous rrrrépondrrre... Je suis choquée » - (« émue » ?) Je ne recommencerai plus. Le mari se met à me tutoyer. Certains hommes choisissent leur partenaire sur catalogue de femmes de l'Est, ensuite, peut-être, corvéées à merci - prêtes à tout pour fuir la misère ?
Est-elle battue ? je ne suis pas à l'intérieur de ces femmes-là. Je m'installe, télé, frigo, 30 euros par jour et repos. La première chose à faire est de repérer un cybercafé. « Au centre, sur le plateau », me dit un passant – c'est vrai, je m'en souviens, on dit « le Plateau » de Laon. Montée coupe-souffle de l'escalier municipal, station à chaque volée de 20 marches, de plus en plus longue, atteinte enfin de la vieille ville – vagues réminiscences d'il y a 50 ans – ou 30, mais 76 a sombré dans l'oubli. Je trouve ce cybercafé. Un jeune homme charmant, j'entends qui me charme, au point de me faire minauder (je me retiens de justesse, craignant de passer pour une vieille tante) m'ouvre une boîte de dialogue, et dès 18 h je peux envoyer Marine Le Pen à l'éditeur.
Je ne suis pas venu ici me délecter comem à l'accoutumée : je dois travailler deux heures par jour à ce fameux répertoriage des femmes politiques. Je me souviens à présent des circonstances où j'entendis un accent si chantant : c'était celui de la Koleva ; ma Russe est une Bulgare. Les Bulgares comprennent le russe, mais utilisent une langue à eux. Après le téléphonage d'Annie, après les informations, après Trois mariages et un enterrement, je suis allé me promener de nuit, sous la bruine, et suis redescendu par l'escalier : dans les 300 marches. Puis j'ai allumé la télé, pour voir la fin de Thelma et Louise...
COLLIGNON HARDT VANDEKEEN « PETITES ERRANCES »
LA CIOTAT - « LE MANIERISME » 10 03 2056 1



Cette fois-ci Choske a fait mon tour. Il ignore s'il pourra me voir « l'année prochaine » (exit la revoyure de septembre) et pourra donc, en mars 2057, prétexter sa santé (sciatique ? surdité ? cécité ?) pour ne pas me recevoir. Maudit maniérisme ! Car ayant peur de montrer mon indifférence totale à tous ceux qui ne sont pas moi – mon égotisme, ma ronchonnerie, la paranoïa, la tête à suggérer toujours un petit pois qui n'a pas voulu cuire , et cette impression que je donne toujours d'être profondément offensé que l'on ne reconnaisse pas Ma Supériorité – j'en rajoute, dans l'intérêt affiché, dans le sourire, l'intonation forcée (avec un sourd, n'est-ce pas...).

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