Passe-moi un flingue...

Sieurs Dames, chers membres du jury, c'est avec une joie profonde, intense et hiomètre que je vous annonce un étrillage en bonnet de forme, dont M. Ké fera l'effraie, à l'occasion de ses "Réflexions pour un adolescent". Ce livre fut édité Allah "Pensée Universelle" pour la modique somme de trois briques anciennes comme on dit à Evreux et sans diffusion. Ca w'appelle le "compte d'auteur", il y en a encore qui aiment jeter leur argent par les fenêtres, la prochaine fois que tu auras trois briques à brûler Ké tu me les files, j'ai mes pneus avant à changer.
L'ouvrage se présente sous forme claire, en barres, dans un langage accessible à un garçon, sous des rubriques nettement classées. Voici le titre de quelques chapitres :
- Le principe du bien
- Le raisonnement
- Le bien et le mal ; vues générales
- ...vues particulières
- Le travail
- L'intelligence
- Des modes
- Egalité et diversité
- De quelques institutions
- Du bonheur
- De l'éducation

Il y manque un chapitre sur l'humour. Mais quand on refait le monde et Dieus ait combien j'en recevais d'opuscules qui refont le monde sur le mode du Café du Commerce et des Couilles Réunies ! Ké ne refait pas le monde : vomissons-lui cette justice. Il se contente d'en exposer les problèmes, ce qui est déjà énorme, et nous apprenons des choses toujours sues, mais qu'il faut toujours réapprendre, en vertu du principe selon lequel les portes ouvertes possèdent de solides chambranles ("On...") - ainsi de la pollution, du surarmement, contre lesquels on ne tempêtera jamais assez - il est bon qu'un fils entende cela de la plume de son père.
Cependant, lorsque M. Ké nous informe que le délit le plus important au regard de l'opinion occidentale est le vol de voiture, loin devant la drogue ou la prostitution, je me demande à quelles sources - à quels sondages - il se réfère. Bien sûr, c'est tellement aberrant, c'est tellement ahurissant, apoplectique, en un mot caractéristiquement con et bien d'cheux nous que ça doit être vrai, mais nous aimerions vérifier.
Là où l'ouvrage pèche, et nous attendons tous, haletants, ce tournant de la critique, c'est quand il se mêle de proposer sinon des remèdes, du moins des attitudes de vie. Non pas qu'il soit pédant, mein Gott, pas du tout, Ké fait tout ce qu'il peut pour n'être point pédant, mais comme la Duchesse de Guermantes essayant d'être simple ou Moncul jouant au modeste : c'est discret comme le menuet d'un éléphant dans un magasin de détonateurs. Mais passons ! défaut inhérent au genre. Remède (moi aussi j'y succombe) : l'humour. Or pour cela il ne faut pas être sûr d'avoir toujours raison. Et si l'on doute, pourquoi écrire ce livre ?
Ké a toujours raison. Savez-vous quelle base de raisonnement stable et infaillible il propose à son fils ? LA PHYSIQUE.
...Quand je pense que je n'y ai jamais rien compris - d'accord, j'ai l'esprit fumeux, mais quand même : qu'on n'ait jamais réussi à me faire comprendre qu'en faisant passer une canalisation d'eau à 10° dans une pièce à 15° on pouvait prendre 5° à la canalisation pour chauffer la pièce à 15 + 5 = 20°, alors que j'ai toujours appris qu'en mettant de l'eau froide dans ma soupe je la refroidissais ; que je prends le courant dans le camembert ; que la physique repose sur un tas de lois qui se contredisent toujours juste à point ; que des avions de 100 t et plus se maintiennent en l'air en dépit justement des lois de la physique les plus élémentaires qui veulent que si je lance un caillou au-dessus de moi ça me retombe sur la gueule même avec un moteur ; que rien ne m'a paru si ennuyeux que cette terne science, je me demande quelle exaltation, quel goût de vivre subsisteront chez cet adolescent si dûment conseillé. Justement, il faut se méfier de l'exaltation.
Repousser l'emploi des mots "justice", "liberté" - désignant des notions vagues. Evidemment, M. Ké, lorsqu'on entend Ben Ali parler de justice, Pinochet de liberté et Le Pen de démocratie, ça fait mal. Mais est-ce une raison pour proscrire ces mots du discours ? C'est jeter le bébé avec l'eau du bain et faire bien de l'honneur aux Pinochet, Le Pen et Ben Ali (tyranneau tunisien). [obscurs trublions de la fin du XXe s., bien oubliés aujourd'hui]. Les idéologues étaient les ennemis de Napoléon ; ils le sont apparemment aussi de M. Ké - les idéologues, ce sont ceux qui prétendent aller contre les lois (il y a donc des lois ? ) - de la société, contre l'infériorité féminine par exemple, et c'est pourquoi je parle d'un garçon comme destinataire de cet ouvrage, et non d'une fille. Ces messieurs produisent de la testostérone, hormone mâle, active et dominatrice ; ces dames de la progestérone, hormone femelle, induisant à la soumission, je cite, et je me torche, car je suis propre.
Et quand cela serait, M. Ké ? Et quand cela serait ? Nous devons lutter contre la nature, sans cesse lutter, et c'est là notre honneur, c'est là notre échec, et si les femmes sont malheureuses paraît-il de sortir de leur rôle maman-gnan-gnan, tant mieux pour elles. Le bonheur, disait le regretté Jean-Louis Bory, c'est la connerie. Et l'être humain, disait B.C., n'est pas sur terre pour avoir le droit d'être heureux, mais le devoir d'être digne. M. Ké, réduire notre cerveau à une machinerie chimique est indigne. Ravaler la psychanalyse à une mode est indigne. Une mode qui dure depuis 80 ans n'est plus une mode, c'est une découverte flamboyante, qui a sauvé, qui a régénéré les esprits. Prétendre que la religion en revanche, qui dure, n'est pas une mode, et doit être réhabilitée, c'est la prime à l'obscurantisme. C'est la religion qui nous coupe le zizi.
Il n'y a jamais eu trop de sexe, M. Ké. On a simplement oublié d'y fourrer de l'amour, après nous avoir bassinés tant de siècles depuis les troubadours avec l'amour sans sexe. Le bébé avec l'eau du bain, deuxième version : plus de sexe !
Allez rrran ! C'est la religion qui fait Khomeiny, qui fait les guerres, qui fait les morts-vivants qu'on appelle bouddhistes, qui ont tellement peur de la mort qu'ils se mettent à vivre sans désir pour être déjà crevés et qui vous disent :
- Vous voyez bien que ce n'est pas si terrible, y a qu'à s'y mettre tout de suite". Mais revenons à Freud.
On ne présente pas la psychanalyse comme une caricature. Les veinards bourrés de chimie et de maths qui ont réussi à résoudre leurs problèmes tout seul en refusant de réfléchir, tant mieux pour eux. Mais tous les névrosés qui ont trouvé secours auprès des psys parce qu'aucun parent, aucun ami, aucun physicien, n'avaient su les aider, doivent à Freud et à ses suiveurs une reconnaissance éternelle. Il faut ne rien avoir compris à Freud, il faut en être resté aux préjugés des mémés de 1920 pour oser soutenir que "Freud base tout sur l'instinct sexuel".
T'as tout faux, Ké. C'est plus subtil que ça, ce n'est pas
(a + b)² = a² + 2 ab + b² .
C'est tout dans la nuance, ça t'échappe. La preuve, c'est que tu condamnes les névrosés aux médicaments qui paraît-il modifient les sécrétions chimiques du cerveau en vous rendant tout optimistes. Le pinard, je ne dis pas. Mais ces médicaments, j'en ai pris, Ké, j'en ai vu prendre, par établissements hospitaltiers tout entiers, et je te peux garantir que ça fait roupiller, que ça te scie la nouille, que ça te délubrifie le vagin en moins de deux, mais que ça n'a jamais guéri personne : voir les crevoirs où je n'ai jamais vu personne dehors, et où la sieste dure de 14 h. à 18 h., volets mi-clos en toute saison, grâce aux médicaments des chimico-matheux de ton espèce.
Quand on souffre, on se confie à un ami ; si on n'en a pas, le psy est là pour ça, même s'il faut le payer, parce qu'il en voit, des larmoyants, le psy. Il craque aussi.
Ne laisser à un adolescent que la physique, la chimie et tout de même une petite place à la littérature, près du rayon "poudres à laver" - le castrer de tout ce qui pourrait l'exalter - rogner les ailes de la jeunesse à coups de raison et de bon sens terre-à-terre, c'est vouloir s'attirer de la part du jeune homme la réponse suivante :
- C'est ça la vie, papa ? Passe-moi un flingue."

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