Un sonnet pour la route

La paix romaine était devenue l'oppression romaine. Mais déjà du temps de César et Pompée l'on vit se battre Romains contre Romains. Et cette lutte fratricide, sans compter celles qui l'ont suivie, d'Antoine et d'Octave par exemple, et celles qui l'avaient précédée, comme celle de Marius et de Sylla, continue de hanter les admirateurs de Rome. Elle fut surtout romaine du temps où les dictateurs, après six mois d'exercice du pouvoir, donnaient d'eux-mêmes leur démission. Au temps où le consul Curius Dentatus, mangeant sous sa tente avec des couverts en bois, et se voyant proposer par les ennemis de traiter avec eux à des conditions avantageuses, pourvu qu'il se retirât, leur répondit : « Plutôt que d'accepter des couverts en argent, je préfère commander à ceux qui ont des couverts en argent. » Non. L'artisan de la ruine de Rome, c'est le Destin, le Fatum (« ce qui est dit »), l'Anankè (« ce qui est nécessaire »), auxquels les dieux morts eux-mêmes ne pouvaient échapper. Cette nécessité reposait pour Du Bellay sur des fondements de justice divine. Il y a dans les Antiquités de Rome l'idée inexprimée d'une éthique suprême, à laquelle ont manqué les hommes. Un orgueil auquel jamais ils n'eussent dû céder. Le péché que les dieux et la nécessité ne pardonnaient jamais, c'était l'hybris, la démesure. « Ceux que Jupiter veut perdre, il les rend fous » - à moins qu'il ne leur fasse oublier les lois de l'humanité. Pompée fut le gendre de César: ce n'était là qu'un arrangement politique. Il attendit d'ailleurs d'être veuf – les femmes mouraient jeunes et vite – pour décréter son beau-père hors la loi – d'ailleurs, il l'était. Mais César franchit le Rubicon, et vous connaissez la suite, la fuite de Pompée, sa mort ignominieuse, je suis inépuisable, et pour ne pas parler des Antiquités de Rome, bien solennelles et plus émouvantes en leur lamento que je n'ai su dire, j'ai préféré vous parler de l'histoire de Rome, fasciné que je fus moi aussi. Pour vous ramener plus solennellement au sujet, je vous demande d'écouter le sonnet 31 et avant-dernier de la série : De ce qu'on ne voit plus qu'une vague campagne Où tout l'orgueil du monde on a vu quelquefois, Tu n'en es pas coupable, ô quiconque tu sois Que le Tigre et le Nil, Gange et Euphrate baigne : Coupables n'en sont pas l'Afrique ni l'Espagne, Ni ce peuple qui tient les rivages anglais, Ni ce brave soldat qui boit le Rhin gaulois, Ni cet autre guerrier, nourrisson d'Allemagne.
Tu en es seule cause,ô civile fureur, Qui semant par les champs l'émathienne horreur, Armas le propre gendre encontre son beau-père ; Afin qu'étant venue à son degré plus haut, La Romaine grandeur, trop longuement

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