Gobry : Louis VI le Gros

    Gobry rédige (ou fait rédiger) Louis VI le Gros, souverain du film les Visiteurs, mort en 1138. Ce sont de ces époques systématiquement négligées par les cours d'histoire, qui veulent à tout prix substituer les musulmans aux Français, et les bonnes femmes aux hommes. Certes, ces dernières et ces derniers jouèrent un rôle important, pas toujours occulte, et c'est bien une Italienne qui força l'empereur d'Allemagne à s'agenouiller dans la neige aux pieds du Pape. Certes encore, l'histoire n'est que celle des vainqueurs, et il n'est que de renverser la perspective pour bouleverser nos connaissances historiques. Certes enfin, l'histoire, science humaine et malléable, a toujours plus ou moins flatté ou servi les régimes en place, propagande morale et politique.    Elle est, en tout cas, tributaire d'une certaine tradition, attachée au pays précis où elle est enseignée. Nous n'allons pas ressusciter l'Histoire de France, où notre pays brandit toujours l'étendard du bon droit et de la justice. Mais il semblerait incongru de raconter l'histoire à partir du Salvador ou de la Guyane hollandaise. Nous sommes en France, il ne semble pas absurde de privilégier, dans un premier temps, l'histoire de nos premiers souverains, toujours en friction avec leurs voisins : ceux d'Allemagne et d'Angleterre, assurément, mais aussi leurs vassaux franco-français, plus puissants qu'eux-mêmes. La frontière des territoires nommément gouvernés par les premiers capétiens, en l'occurrence Louis VI le Gros héritier de son père Philippe Ier, ne dépassait pas au sud-ouest le comté de Meulan, près de Pontoise.
    Sur la Loire, il avait Orléans, mais Blois, déjà, n'était plus à lui. Ne parlons pas de Nevers, en amont, ni de Moulins. Donc, il fallait naviguer entre la force armée, la ruse armée, les mariages armés. Cela ne concernait pas le bas peuple, pas plus que maintenant, où le bas peuple est prié de payer et de fermer sa gueule entre deux votes – pourquoi, vous croyez au progrès, vous ? Le règne de Louis VI dit l'Eveillé, puis le Batailleur, puis le Gros vu son embonpoint, a maintenu sa famille, sa dynastie, sur le trône. Il ne fut ni meilleur ni pire que les autres en fonction de la morale du temps. Il montra beaucoup de courage physique : à l'époque, le roi chargeait en tête et pilotait lui-même les avions au-dessus de Tripoli.
    Il empêcha souvent les seigneurs de se liver à leurs activités seigneuriales, consistant à piller leurs propres paysans avec une rare intelligence, ou à faire payer des taxes aux marchandises qui passaient par chez eux, finissant souvent par confisquer lesdistes marchandises pour aller plus vite. L'abbé Suger a raconté sa vie en latin médiéval, en le couvrant de louanges parce qu'il aimait bien l'Eglise et lui donnait beaucoup. Mais l'Eglise en ce temps-là possédait une grande influence morale ; certes elle excommuniait les princes qui se mariaient dans la débauche, elle envoyait des remontrances aux souverains qui ne se comportaient pas bien (adultères, massacres et autres bagatelles), mais sans l'approbation de l'Eglise, un prince régnant perdait toute autorité, ses frontaliers en profitant pour l'attaquer avec la bénédiction des papes. Lorsque Louis VI partit pour la croisade, qui n'était pas plus stupide que la conversion forcée de l'Afghanistan à la démocratie, ce fut l'abbé de St-Denis alias Suger qui tint entre ses mains les rênes du royaume. Le règne de Louis VI consista essentiellement à contenir les appétits de ses voisins, et à rallier autour de lui ses vaillants vassaux.
    S'il n'avait pas été là, nous n'en subirions aucune conséquence de nos jours, nous serions bourguignons, allemands, anglais, francs-comtois, vous avez raison. Mais quand on règne, quand on gouverne, quand on fait de la politique, on se conforme aux circonstances de son temps présent, là tout de suite, dans l'urgence, et non pas de ce qu'il en sera dans cinq ou six cents ans. Louis VI passa la moitié de sa vie à servir son père Philippe Ier, lequel se préoccupait bien plus de flatter l'Eglise et de prendre parti dans les conflits entre seigneurs, alors qu'il aurait dû les arbitrer. On envoyait donc le prince héritier, futur Louis VI, se battre à cheval sans chauffage central.  Il est d'abord co-régnant, égal en droit au roi de France qui l'a désigné comme son successeur avant sa mort. Les ennemis sont nombreux et proches. « Hugues de Crécy […] possédait, entre autres châteaux, celui de Gournay-sur-Marne, entre Paris et son domaine de Pomponne. » Ces localités excèdent à peine aujourd'hui l'étendue de la banlieue.
    «Il aimait à séjourner dans celui-là [Gournay] pour y pratiquer ses talents de pirate » : c'était le bon temps pour les forts, et certains ne pourront s'empêcher de regretter ces temps de l'arbitraire physique des brutes. Pas les gringalets. « Il arrêtait les bateaux chargés de marchandises qui descendaient la rivière vers Paris, les vidait et entreposait ses rapines dans sa demeure. » Ce règne des forts par les armes existe encore, largement représenté par la mafia : il suffit d'une arme, et l'on ne vit pas vieux. Cependant, les fauves entre eux obéissent à plus de règles que les mafieux. Un roi s'est donc toujours très tôt imposé, du moins proposé, physiquement, pour que règne l'équité, du moins son semblant, son symbole.
    Et les vaincus, impressionnés, au moins momentanément, se soumettaient, rongeant leur frein dans les grondements. La religion enveloppait le tout, permettant de dégager en touche, vers le haut : ainsi Bertrade de Montfort se fit-elle moniale, renonçant à son rôle de Jézabel. Car les Grands se sentaient comptables de leurs actions devant Dieu, ce qui vaut bien BHL, Sartre ou Cons-Sponville, à chaque temps ses références. « Mais il ne s'en tenait pas, » ce seigneur de Crécy et Gournay, « au pillage fluvial », terme plus juste en effet que piratage. « Il aimait aussi rançonner les voyageurs qui empruntaient la route », chose commune depuis Procuste, et jusqu'en Chine. Alors le Prince royal est arrivé. Mais « en cette année 1107 », dont nous fêterons le millénaire d'ici 93 ans, ledit seigneur brigand « apprit que des marchands de chevaux transitaient sur son territoire : aubaine inespérée ».
    Ce sont les automobiles d'aujourd'hui, où l'on repique aux attaques de diligence. « Avec ses hommes d'armes, il investit le convoi et s'empara du troupeau », car les chevaux aussi forment un troupeau. Nous devrions plus lire de l'Histoire ; nous verrions à quel point tout se répète, et combien peu la somme de nos histoires à nous diffère de la vie des animaux, s'ils savaient écrire.  « Mais Louis, qui surveillait maintenant le personnage, fut aussitôt averti : il réunit son ost, inemployé depuis trois ans, et s'en fut assiéger le château de Gournay » : bien vu l'artiste. Ce qui tend à prouver que ce personnage n'était pas, auparavant, surveillé, mais ils sont si nombreux ! Il appartenait pourtant à la famille qui avait fourni au Prince royal sa fiancée, laquelle s'était vu écarter pour mésalliance : le prince héritier ne faisait pas ce qu'il voulait, ne se mariait pas avec n'importe qui  !
    S'il favorisait, par exemple, une catégorie de nobles, l'autre catégorie le trouvait indécent, voire contraire aux intérêts du royaume ! « Expédition quelque peu précipitée, car, n'ayant pas traîné jusque là les engins et les machines de guerre, il tenta d'emporter la place d'assaut en passant par la Marne. » Carrément. Il avait le tempérament bouillant. Louis VI avait même jadis réinstallé en son château tel autre seigneur injuste  que ses vassaux avaient chassé, s'imaginant , les imbéciles ! faire bonne justice... On appelait « le Batailleur » ce redresseur de torts. Il gardait le teint pâle après sa tentative d'empoisonnement. « Tandis qu'un certain nombre de ses hommes d'armes, laissant leurs armures sur la berge » et non pas sur la verge « se jetaient dans le courant à la nage, lui-même le franchissait à cheval sous les traits de l'ennemi », qui visait très mal.

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