Contes populaires russes

    Dobrüi viètcher ! Ce soir, nous allons écorcher du russe, et sans qu'il soit un instant question de Poutine ; ce dernier cependant, aussi bizarre que cela puisse paraître, a bien dû lui aussi, étant petit garçon, se délecter des contes murmurés par sa maman, ses grands-mères ou qui vous voudrez, de ces histoires loufoques inventées au cours des siècles par la fantaisie et la tendresse de Russie. Nous avons ici un tout petit livre aux dimensions de 105 x 137 mm, cartonné, maniable, remarquablement illustré, totalement écrit en russe et sans traduction, atterri Lénine sait comment sur feu notre beau marché de St-Michel. Or ma connaissance du russe ne dépasse pas le déchiffrement de l'alphabet cyrillique et le piochage effréné dans le dictionnaire.
  
    Nous aurons donc par exemple l'histoire de Sniégourotchka, la jeune fille en neige qui fond au printemps, de la souffre-douleur d'une vieille femme qui envoie sa petite-fille ramasser du bois dans le froid glacial et qui épousera le Roi du Gel ; du petit hippopotame qui ne voulait pas se faire vacciner, de la tache échappée au stylo d'un dessinateur (nous y reviendrons), du petit lapin de Boniface, de la Petite Locomotive de Romachkovo qui arrivait toujours en retard. Pétia transforme le destin du Petit Chaperon Rouge « Krasnaïa Chapotchka ». N'oublions pas le merveilleux petit lion qui fait ses adieux au cirque pour explorer le vaste monde. En tout, 15 contes, si attachants, si attendrissants, hélas si imparfaitement compris, à travers l'esprit d'une langue entrevue voire survolée.
    Mais l'intérêt de ce petit volume, ce sont les dessins, vivement coloriés, si expressifs, si plaisants, si humoristiques, de tous les enfants et de tous leurs amis les animaux, hérissons, loups pitoyables, veaux empotés, oursons, chevreuils tous logés dans la même maison de l'amitié, locomotives avec des yeux, une bouche et un petit nez rouge, extraterrestres, monstres affectueux, dessinés avec épaisseur charnelle par la même Soutiéïova, ou Trépénok, ou Kaïoukova, Kastrvinoï, Zapichotnaï, tous aussi parfaitement inconnus que plaisants, compétents, tendres, souples, attachants, sans être le moins du monde niais ni bâclés : répandant la joie de vivre et l'envie de serrer les peluches correspondantes, si elles existent, dans ses bras. Les parents, les adultes, redeviennent affectueux, généreux, serviables, naïfs et grands cœurs. Les dessins n'ont pas le brillant et la vivacité humoristique d'un Walt Disney disons seconde manière (voire subversif à sezs débuts), ils n'ont pas le tracé linéaire des albums de Tintin, ce n'est ni charbonné, ni zigzaguant, mais nous pourrions rapprocher ce graphisme de celui d'un Benjamin Rabier, divin illustrateur des Fables de La Fontaine, avec les couleurs plus vives.    
    En harmonie totale, illustrations et texte n'usent pas de second degré, ne versent pas dans la
remise en cause moralisatrice vous savez les enfants c'est pas du tout comme ça la vie vous verrez plus tard comme il y a des salopards – non, les méchants sont toujours perdus par leur balourdise, leur bêtise, et finalement, ils nous attendrissent. Nous sommes très loin des cruautés de Cendrillon ou de Blanche-Neige où les méchants périssent dans les pires supplices parce que c'est bien fait pour leur gueule. Très loin donc des vertus psychanalytico-formatrices des interprétations par ailleurs remarquables de Bruno Bettelheim. Ces quinze contes sont sous le signe de la gentillesse, de l'entraide, de la joyeuse camaraderie, du désintéressement, et le second degré, l'enfant l'introduit lui-même quand il grandit et que l'envie lui prend de relire ces histoires sans meurtres ni dragons qui font peur - l'un d'eux, à trois têtes bien mordantes, se fait chasser par un moustachu armé d'un balai.
    Ces petits contes ne m'ont pas semblé chargés d'idéologie soviétique, et la bonne humeur, la récompense des souffrances passées, l'émerveillement devant les animaux qui parlent, les uns stupides, les autres supérieurement rusés, sont de toutes les civilisations, de toutes les enfances. Une douceur protectrice, maternelle, invincible et sans la moindre mièvrerie, sans la moindre amertume, dans ce monde de brutes. Plus intellectuel peut-être sera cette histoire de la tache d'encre, tombée d'un encrier contemporain sur un dessin par une fille et un garçon touche-à-tout : alors, le dessinateur, au lieu de les gronder, les dessine et les entraîne, à la poursuite de l'indestructible tache, de page en page dans des aventures insoupçonnées : sorcière coincée dans un baquet tournant, terreurs nocturnes en forêt, naufrage agrémenté de requins, lion féroce dont le crayon referme in extremis la cage, approche accessible des problématiques de l'œuvre et de son créateur, du créateur et de ses lecteurs : les voici dans un scaphandre serrant la louche de martiens vert-jaune très rigolos, qui leur parlent dans leur langue, dont les mots ne figuraient évidemment ni dans notre dictionnaire ni sur quelque site internet que ce fût : les revoici, nos petits explorateurs, chez Tonton Fédia : «Et je sais », leur dit-il en rêve, « qui, ici, fait du scandale ! » (ma traduction est sous toute réserve!) « Ce n'est pas nous, « diadia Fédia », Tonton Fédia, c'est la tache d'encre ! » L'artiste peintre voulait sauver les enfants de Tonton Fédia, mais à cette page-là, ils se retrouvèrent directement sur le dos d'un horrible serpent Dragon. » Il a trois têtes, exprimant la plus extrême frayeur devant le balayeur en casquette qui le chasse, car ce cochon laisse des traces de pas très sales ! « Tonton Fédia se trouvait là aussi par hasard » - c'est lui qui chasse le dragon en braillant. «-Je vais tous vous  « attraper » ! » (je suppose)... « Je vais vous montrer ce que c'est que l'ordre ! »  criait l'oncle Fédia, en gesticulant avec son balai.
    « Le serpent-dragon déguerpit avec les enfants sur son dos, mais l'oncle Fédia le rattrapa. Et  enguirlanda même le serpent dragon !
    « Mais pendant que l'oncle Fédia lui réglait son compte, Vania et Macha réussissaient à s'échapper sur une autre page de l'album.
    « Alors ils durent gravir une montagne abrupte et des rochers à pic, et sans l'artiste peintre, qui dessinait des ponts au-dessus de gouffres sans fond, les enfants n'auraient pas atteint la page suivante.
    « Hourra ! » - ce sont des enchaînements de rêves.
    « Ils découvrirent la tache et l'attrapèrent seulement à la page suivante.
    « Jeunes gens ! - dit l'artiste peintre, j'ai bien joué du crayon et prononcerai la formule magique     
    Moulti-Poulti » - et ne m'en demandez pas plus, car j'ai mis 50 mn à traduire 20 lignes, autant dire que j'ai des progrès à faire ! Mais si vous êtes russophone, vous trouverez très amusant, et merveilleusement illustré, ce recueil de contes, « La petite locomotive de Romachkovo », en grande partie écrit et illustré par la camarade Soutiéïova. Da zvidania !
Ces contes sont anonymes, ou bien réécrits par Soutiéïova si je prononce bien, plus quelques autres. Ils sont écrits pour les enfants, dans un langage populaire, truffé de diminutifs ou d'expressions enfantines qui ne figurent pas souvent dans le russe-français des éditions Larousse. En revanche, si le conte est repris (Les trois ours) par Tolstoï ou d'autres auteurs littéraires, paradoxalement, ce qui sera peut-être difficile pour un enfant devient plus aisé pour un étranger : les mots sont dans le dictionnaire, et la langue plus familière, car c'était souvent la littérature que l'on dispensait dans un cadre d'enseignement. Aux deux premières parties, contes anonymes et contes retravaillés par Soutiéïova, s'ajoute une troisième, consacrées à des textes de petits films pour enfants.

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