Binet internaute

Autre possibilité : le porno (l'homme a tapé hot line, mais en traduisant "Line Chaude". La femme  proteste (icule, of course, of horse, de cheval). Puisqu'on n'est pas là pour rigoler, le lecteur constate l'extrême isolement social de ces pauvres gens ("l'ami René" leur fut sans doute envoyé par les vendeurs). Donc, ils ne sont réellement reliés à personne, de façon plus compliquée encore qu'avec de simples connaissances réelles. Tous deux souffrent d'une extrême misère sexuelle, et sentimentale, car vous savez qu'ils se sont trouvés, tous les deux, parce qu'ils étaient très moches, très cons, très pauvres (évidemment, si tu es pauvre, c'est que tu es con). Mais l'avantage, dira-t-on, c'est de pouvoir se commander ce que l'on veut. Exemple, Vertiges d'amour, que Madame est parvenu à se faire poster à domicile, et sans se faire arnaquer : elle a découvert, toute seule, comment repérer les sites sécurisés ! Le mâle de famille enrage. Le talent de Binet, auteur, est d'avoir substitué à la présence sur écran, présence virtuelle, une présence non moins virtuelle, mais hologramme et interactive : on fait venir Dieu (vieillard à barbe blanche), un aspirateur, une robe à pois, unn représentant en Viagragra ou Gravia qui ne cesse de dire : Is your girl friend satisfied ? Et surtout, surtout !
    ...Monsieur Bidochon jure ses grands dieux, comme tout homme qui se respecte, qu'il ne regarde jamais de sites porno ! Nous  n'en avons que le bruitage, encore, encore, plus vite, moins vite, bêêê, bêêêê, ouah ouah, miaou, et notre explorateur de l'érosphère de sexe-clamer : "Ca existe, ça ?" - eh oui mon pauvre, à qui sa femme assène que justement, avec lui, l'amour, c'est virtuel... A la fin, nous obtenons une chaise sur une table, ce qui fait bander. Les Bidochon internaute, ce pourrait être plus cruel, sur les guerres, les petits enfants noyés, les cadavres qui bougent encore et les photos de massacre qui changent de continents. Mais ça reste gentil, tendre : on ne se refait pas. Les héros sont complètement cons, mais aussi confraternels, en un ou deux mots. Le trait devient plus que caricatural, charbonneux, brutal, apparemment rudimentaire, mais tellement vrai dans le grotesque. Qui n'a pas, comme en page 21, précipitamment effacé son écran porno qui remonte parfois en surface sans qu'on l'attende ? enfin, c'est ce que les hommes prétendent. Alors le bon ami René, encore tout rouge, explique la manière de commander Vertiges d'amour. "Tu cliques sur "ajouter au panier, ensuite, tu payes avec ta carte de crédit, et, dans quelques jours, ton livre sera chez toi!" Elle n'en dort pas; la pauvre Raymonde, si laide et si tendre, si naïve, si prompte à se faire victimer !!
    Quelques jours plus tard en effet, tandis qu'elle se plonge dans ce livre n'en doutons pas de haute qualité littéraire, son mec se commande une échelle - et toc, elle apparaît, en dur cette fois, puis une tondeuse à gazon : "Est-ce que tu as l'intention de tripoter cet ordinateur pendant encore longtemps ?" - c'est le mot en effet, plus besoin de faire l'amour, on tripote la machine d'en haut et la machine d'en bas. Oui, d'une certaine manière, notre vie est virtuelle, et nous passons plus la vie que nous avons cru passer que la vie qui s'est réellement déroulée, mais peut-être pourrions-nous moduler la proportion de nos deux vies volontairement... Et dernière perle, "Tu tapes n'importe quel mot et tu as une réponse", "je vais taper SBLUGJZ !"  "Hé ! j'en ai une ! j'ai une réponse !
    - Et qu'est-ce qu'elle dit ?  - "Les termes de recherche spécifiés ne correspondent à aucun document ! INCROYABLE !" s'écrie le pauve con de consommateur. Et nous pourrions passer de page en page, sans nous être même occupé du graphisme, aux grosses molaires broyeuses, aux pifs légumineux, aux murs tapissés de rayures et de fleurs qui jurent... Internet ne vous rapporterait donc que ce qui vous ressemble, et ce ne sont pas les moteurs de recherche qui vont atténuer cette tendance, au contraire. Nous sommes tous épiés, y compris dans nos goûts et intérêts. L'auteur, Binet, précise en fin de volume qu'il n'a rien contre "internet" en tant que tel, et que des solitudes tout de même se trouvent brisées, au point de parfois trouver l'amour, en vrai, poour peu qu'on se détache du monde de l'écran. Les Bidochon internaute ne prétend pas philosopher plus haut que son cul, nous fait sourire, même rire aux éclats, et "le temps passé à rire n'est jamais perdu" : vous savez ? (et non pas "vous savez quoi ?", ô assassins de la langue française...) - je viens de chercher sur internet qui avait écrit cette phrase : eh bien, je ne l'ai pas trouvé.     A bientôt, pour d'autres lectures !

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