Stylos

    C'est un stylo. Bleu, très humble, ayant bien servi. Posé sur mon  bureau, à 22cm environ du rebord, un peu relevé du bout (10°). Il est oblong, mesure 16cm à peu près. Il présente un cylindre effilé aux deux extrémités, terminé à gauche par un poussoir plat, qui permet de sortir ou de rétracter la bille. Cette partie bleue forme un profil inférieur de casque mède, protégeant le cou du guerrier. A peine entrevue, l'agrafe bleue, fondue dans le même plastique, avec lequel un employé peut glisser l'objet dans sa pochette afin de prendre une note, ou de faire un calcul. Cet arrière de casque se voit en transparence à travers la deuxième partie, centrale, ainsi que le minuscule tube où descend peu à peu, à mesure de son écoulement, l'encre condensée à la viscosité optimale, pour ne couler ni trop vite ni trop lentement.    La partie transparente du cylindre s'achève en faux pas-de-vis, de sept tours environ, car je ne sache point que la partie inférieure du stylo puisse se dévisser – en forçant, peut-être. Besoins naturels faits, et porte ouverte, il se trouve que les mouvements du descripteur ont fortement bouleversé le stylo-bille, vaisseau échoué là du voyage littéraire ou simple communication : la pointe se trouve à présent vers la gauche, disons direction nord-ouest nord. La pointe rétractile s'en trouve en peine lumière, jaune, utilitaire. Son orientation vers la lumière extérieure dessine cette fois son ombre portée sur le bureau. Ce bureau brun se compose de bandes entrecroisées, obliques mais perpendiculaires : pour une planchette, trois à angles droit, une à rayures parallèles.
    Que mes traducteurs en hongrois se démerdent. La description du stylo peut se tenir pour terminée. Mais il en existe un autre, parallèle à mon corps, celui-ci de couleur noire, exactement semblable par ailleurs, avec son cylindre transparent central : celui-ci capte la lumière du jour sur son bombement supérieur. Si l'on prolongeait vers le bas la droite du bleu et celle du noir, elles se rejoindraient en un angle aigu de 35° environ, mais je n'ai pas le compas dans l'oeil. Au bout du bleu, à six centimètres (j'ai vérifié avec le doigt), gît l'appareil maléfique le plus important du siècle : un téléphone dit « portable », ce qui se dit en bon français « portatif », galet long et ronds aux ongles, ce qui permet bien malgré soi de la faire glisser et souvent tomber : l'esthétique, le disaygn comme ils disent, nuit ici à l'efficacité.
    Il est de marque Samsung, c'est écrit dessus, comme sur le roquefort. La lumière souligne sa largeur d'en bas, juste sous la marque devinée plus que lue. Mais pour qui se penche, la lumière élargit son domaine vers le haut de l'appareil, clos comme un long galet cercueil. Son ombre portée l'accompagne tout au long de sa position diagonale, et rejoint le coin supérieur droit du clavier, lequel fut décrit en son temps. Le côté le plus éloigné de cet appareil malcommode à la main rejoint aussi l'ombre vaste et profonde de l'imprimante. Cette dernière se trouve touchée, précisément, par la pointe à écrire du stylo noir. Pour ceux qui ne sont pas encore morts, récapitulons : de gauche à droite en éventail, le coin du clavier, le téléphone trop lisse et trop glissant, et le stylo bleu dans son prolongement. Puis, vers la droite, l'ombre de l'imprimante, immense édifice, prolongé vers le bas par la mince forme du stylo noir. C'est tout pour aujourd'hui.

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