Lieux communs sur la mort d'un enfant

Il est coutumier de dire qu'autrefois, les enfants naissaient et mouraient en grand nombre, (Philippe Ariès ?) mais rien ne dit que l'on n'éprouvait pas de chagrin. Les animelles cherchent leurs petits quelque temps, puis se consolent paraît-il ; pourquoi nous ravaler à eux? Je me souviens de Trintignant s'efforçant de ne point sangloter aux funérailles de sa fille, et citant telle parole : "Ne t'afflige pas de l'avoir quittée ; réjouis-toi de l'avoir connue". Tout ce qui passe dans ce "Dieu a donné, Dieu a repris". Mais reprendre, c'est voler. "Mon Dieu qu'elle était belle", disait de sa fille une garde-malade, qui veilla mon père jusqu'aux derniers jours.
C'était une mort-née. Parée pour l'éternité sans avoir ouvert les yeux. "Vous la retrouverez facilement ! l'allée centrale, au fond". Recherche vaine. J'étais sûr qu'il dirait "ce petit cercueil", notre prêtre polonais , cela n'a pas manqué, à ma grande rage stylistique. Toute la classe de mon père était là treize élèves, reniflant dans leurs stalles, filles et garçons face à face. Et je déclamais en me lavant le cul à l'évier, tandis que mon correspondant allemand, profondément écoeuré, assistait à ces singeries par la porte ouverte. de la porte voisine. Enfin cette tombe misérable, d'une fille morte en couches à vingt ans, rejointe huit ans plus tard par sa petite fille malingre, en une grossesse éternelle.


Je me souviens aussi de cette fille de onze ans, presque en face de ma mère au cimetière, et de son père, une tête d'ivrogne, soûlé de désespoir, qui la rejoignit peu de temps après. Nul ne venait plus fleurir ces deux porte-malheurs. Vivi mourut à vélo, sa tombe est recouverte d'une marquise en pignon, les plaques, les photos, les poèmes en son honneur gravés ou peints, multiplient jusqu'au musée la célébration de celle qui fut trop aimée pour survivre. Tant de compliments et de célébrations ne donnent-ils pas le dangereux sentiment d'invulnérabilité ? Un automobiliste la faucha sur son vélo tout juste offert, pour ses douze ans. Mon Dieu que l'ordre naturel perdure, et que je ne suive pas le cercueil de l'enfant. Qu'il ne m'arrive pas ce qui fusilla Hugo sur un tombeau, Demain, dès l'aube.
...Le monde des esprits trop tôt défunts grouille sous la baguette de Fée Clochette et de son chaste amant Peter Pan, tous éternels. Voilà ce que je pouvais dire.

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