Bingen, bingo !

Ces siècles morts, à l'exception grandiose des cathédrales, revivront sans doute, pourvu que le christianisme se débarrasse des Bons Dieux à barbe blanche et autres malsains trifouilleurs de slips : c'est à nous seuls de tracer notre chemin. Pour accéder sinon à la religion, du moins aux visées dépassant la condition humaine, faculté propre à notre espèce jusqu'à présent, reconnue par Pierre Leroux qui fut pourtant le premier socialiste, certains ont besoin de Bouddha, d'autres de Mahomet, d'autres du Christ. Or, en dépit de mon attirance pour le judaïsme, c'est dans le Christ que j'ai vécu et incarné mes plus vives culpabilités, pour désormais les conchier. Pourtant je suis resté brisé, au point de m'interdire désormais toute action, sauf pour m'empêcher d'être fou et de déchoir.
    C'est de vous que je parle évidemment. Il me suffit, pour avoir raison, de remplacer le verbe "faire", si fréquent chez Hildegarde, par le verbe "penser", car la pensée est une action ; en effet, dès que l'on veut faire au sens propre, on se heurte automatiquement aux autres, qui sont des boulets, des obstacles, des juges surtout ah ! des juges, et qui vous empêcheront de toute la force de leurs coups de tampons administratifs ou de leur méprisante inertie, de "faire" quoi que ce soit d'efficace. Les autres ne sont là que pour vous faire chier et tout saborder. Permettez donc, Hildegarde, que je remplace partout "péché" par "fragilité", "repentir" par "prise de conscience" et "'action" par "écriture", ou "pensée" ou tout ce qu'on peut accomplir sans juge omniprésent, connard et bavochant.
 
    Nous parlerons donc non pas de Dieu, mais de Mystère. "Prophète et docteur pour le troisième millénaire" affirme Dumoulin. "Edition des Béatitudes", cela ne s'invente pas. "Troisième millénaire" : le Père Dumoulin, participant "à l'Université d'été Sainte Hildegarde dans le Var",  semble bien inspiré par Notre Hildegarde, canonisée par le grand Benoît XVI. Et n'oublions pas, Messieurs et  Dames "Je-sais-tout", que "les théories du bonheur ne sont que les histoires de ceux à qui c'est arrivé". Du même auteur, Une souffrance féconde, de Job à Jean-Paul II, 2011 - Job m'indispose, par sa puérilité ; Jean-Paul II, je ne le dirai jamais assez du fond de mon petit "Trou au rat" (Tu, ora !) fut à la papauté ce que Johnny Hallyday fut à la chanson pardon la variété française.
    Un tel exhibitionnisme chez un Pape m'a profondément écœuré. La Messe expliquée pour tous,2008. Nous sommes encore éloignés (Dieu merci !) d'une conversion visible avec sermons à l'eau de rose, qui donnent l'impression d'entendre Michel Drucker. S'il existe un amour de Dieu, il est la somme ou le point commun de toutes les attirances de l'univers. Qu'est-ce que l'âme ? 2007. Même farine, même tonneau : entrerons-nous dans la conscience indistincte de l'univers, ou bien conserverons-nous, prétentieusement, notre conscience individuelle ? Telles des demi-droites, qui avant un point P, un instant i, n'existent pas, puis se poursuivent à l'infini ? À se demander d'ailleurs si cette notion de "demi-droite" n'aurait pas été inventée en corrélation avec nos insondables prétentions à la survie ?
    Quant à Un art de vivre, la Sagesse de Salomon, je me défausse sur mon incompétence L'Heure de Jésus, St Jean (13-21), 2002. Observons qu'il s'agit de l'Evangile et non du personnage, d'où l'orthographe ; également, que les années d'édition vont en remontant, comme vers une source, et rappelons avec Baudelaire que "l'infamie, c'est la notion de "progrès" en matière métaphysique ou
artistique. Le tout n'est-il pas l'infinie déclinaison, l'infinie répétition, le ressassement et le rabâchage du même ? L'Apocalypse, l'unique combat 1998. Rien de plus encadré de bibliographies à l'infini que ces textes dits sacrés. Après La Coquille (Dordogne), 2060. Et voici un extrait :
    "Rappels de la vie d'Hildegarde
    "On prétend parfois que la femme était méprisée dans la société publique du Moyen Âge. Or, il en est une, au douzième siècle, qui ne craint ni les papes ni les rois et qui ne se gêne pas pour semoncer les grands de son temps. Même le redoutable empereur Frédéric Barberousse n'a qu'à bien se tenir devant cette abbesse extraordinaire. Voici la mise en garde qu'il reçoit d'elle après l'avoir invitée dans son palais :
    "Voilà donc que le Roi suprême te regarde, pour n'être pas accusé de n'avoir pas exercé droitement ton office et que tu n'aies pas à en rougir, ce qu'à Dieu ne plaise !... Prends garde que le Souverain Roi ne te renverse pas à terre par suite de l'aveuglement de tes yeux qui ne voient pas droitement comment tu tiens dans ta main le sceptre de ton règne. Sois donc tel que la grâce de Dieu ne te manque pas !"
    Elle n'est pas plus tendre avec le pape Anastase IV qu'elle menace ouvertement :
    "Ô homme aveuglé par ta science, qui t'es lassé de réprimer la jactance de l'orgueil des hommes qui sont placés sous ta direction, pourquoi ne viens-tu pas au secours des naufragés qui ne peuvent se tirer d'affaire sans ton soutien ?" - des phrases sont sans doute omises dans la lettre précédente, à l'empereur, qui détaillaient des injustices faites à l'Eglise : de celles qui irritent l'Eglise... mais poursuivons avec le Saint Père de l'époque : "Pourquoi ne tranches-tu pas la racine du mal qui étouffes les bonnes plantes ?... Tu négliges la justice, cette fille du Roi céleste qui t'avait été confiée... Tu permets qu'elle soit jetée à terre et piétinée... Le monde est à présent dans la lâcheté, il sera bientôt dans la tristesse, puis dans la terreur... Ô homme, puisque tu sembles avoir été constitué pasteur, lève-toi et cours plus vite vers la justice, afin de ne pas être accusé devant le Médecin de n'avoir pas purifié ta bergerie de sa malpropreté !..." - C'est là malgré tout bien du verbiage... "Homme, tiens-toi sur le droit chemin et tu te sauveras. Que Dieu te ramène dans la voie de la bénédiction et de l'élection afin que tu vives dans l'éternité !"
    La femme étonnante qui entretient une correspondance non seulement avec saint Bernard, mais aussi avec les papes, les évêques et toute la noblesse de son temps... et qui n'hésite pas à les réprimander si vertement, se définissant elle-même comme '"une petite plume qu'emporte le souffle divin", "une pauvresse sans instruction", a pour nom Hildegarde."
    Certes mon frère, assurément, mais les autorités en ont lu bien d'autres. Il faudrait comparer.  Hildegarde de Bingen, prophète et docteur pour le troisième millénaire. Ed. des Béatitudes. 
  Nous transcrirons "Jésus" par "Symbole des souffrances" (Des Christs par milliers, d'Arthuys, 1969), "Dieu" par "Aspiration aux mondes et représentations supérieures" voire "transcendantales" si vous y tenez, et nous tâcherons tous, comme des tâcherons, de progresser dans  cette adéquation de la poussière d'étoiles d'en bas aux constellations infinies d'en haut, d'où nous sommes issus, sur le modèle desquelles du moins nous sommes bâtis. Et maintenant, Dieu, à nous deux ! Personne paraît-il ne se penche sur nous, n'éprouve de la peine ou de la satisfaction là-haut pour avoir supporté la visite chez Tante Adèle ou refusé l'aumône à l'un des innombrables crève-la-faim qui bordent nos rues. Mais du moins, et nous ne pouvons le nier, il y a le Mystère : partout, autour de nous, dans la structure et les atomes de notre main, aussi bien qu'au sein même de la science géométrique : et avant d'être "amour", Dieu est mystère.

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