FIER-CLOPORTE
COLLIGNON DIVERS HISTOIRES COURTES 1
FIER-CLOPORTE LANGUES 2035
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Une
énorme fatigue.
Un
vide somptueux.
Même
s’il a rencontré Henri Serpe, même s’il l’a véhiculé.
Un
clochard, qu’il avait inventé, qu’il a réellement admis près
de lui, siège avant. Plus, une promenade nocturne sur les remparts
de Langres. Plateau envahi par la musique américaine. Une chambre
d’hôtel modérément chauffée, parfaitement silencieuse.
Puissant bien-être.
Un
lointain codétenu lui envoie un étron dans une boîte. Interrogé
à ce sujet, le coupable avoue : « Fier-Cloporte me
faisait chier ». C’est ainsi que Jojdh rêve. Un jour viendra
vers lui Jean Mille, sans domicile fixe, de Faye-l’Abbesse
(Deux-Sèvres). Jojdh regardera par l’œilleton
et s’abstiendra prudemment d’ouvrir la pore à son héros, seul
contact extra-hôtelier
de
son voyage éclair.
Le
silence à Langres pèse, le ventre grelotte. Les madeleines épaisses
attendent dans leur sachet. Jojdh économise. Il ne se consolera
jamais de s’être cassé la tête contre les murs de sa cellule –
pourtant, quelle joyeuse excitation la veille de son départ !
il choisirait Grenoble cette fois, se posterait devant la porte de
son ami perdu, contemplerait les filles de ce veuf, en séduirait
une. Il serait confronté à son ami après vingt-huit ans
d’absence ; quels titres dans les journaux !
Dans
cette ville trois semaines auparavant des trombes d’eau s’étaient
déversées. À Bagnols-sur-Cèze,le Gardon avait débordé. Jojdh
avait téléphoné à son vieux maître en littérature :
personne. Il imaginait les scènes les plus morbides, afin de s’y
créer un rôle. Se sentant aussi stupide que la moyenne.
Il
serait temps de se mettre à peindre afin d’avoir d’autres
messages à se délivrer que ces informes grisailles : ainsi de
ce coït entre hommes, entendu, supposé, derrière la cloison
d’hôtel, accompagné d’un coït hétéro douloureux survenu dans
sa chambre à lui. Un tel ressassement, loin de lui sembler
essentiel, relevait désormais de l’obsession compulsionnelle, sans
aucune utilité pour les humains.
Son
imagination tournait au récitatif gris.
COLLIGNON DIVERS HISTOIRES
COURTES
RETOUR 2035
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Les
agréments qu’on trouve à se perdre, entre Joinville et Montier.
On tourne à gauche, à droite, et c’est simplement ravissant.
Jojdh essaya de savoir de quel Joinville était l’historien.
« Deux
marquises occupaient une chambre. La prison s’en trouvait
transformée en château. « Elles dormaient en lits séparés :
elles ne se fussent jamais commises à des attouchements plébéiens.
« Le domestique (Jojdh)
s’était
levé le premier, allumant les poêles. Il s’était fait propre, et
même « douché. Le rasoir neuf avait glissé sur ses joues ;
cette fois, il ne s’était pas entaillé.
« Une
croûte subsistait sur sa lèvre.
« Les
marquises dormaient toujours. Il les avertirait de son départ, après
les avoir approvisionnées. »
Plus loin
dans les campagnes, le silence faisait très fort penser aux temps
d’avant 1970, quand l’espace restait immobile. Bien qu’il
n’aimât personne alors – et pour longtemps ! - il
appréciait ce fin glaçage
de
l’air, cette qualité noble et cassante de l’atmosphère, avec
des relents de rhume dans les tympans. Il marcha sur la neige,
imaginant la mort afin de respirer plus large.
Il s’était
vu en Pesquidoux, parcourant à
l’amble ses
propres vignes, fusil brisé sous le bras. Il frapperait sur les ceps
pour débusquer les lièvres, et les manouvriers salueraient,
casquettes basses :
- Not’
Maître…
Trente
novembre 1969.
Très loin.
Il marchait
à présent par les champs de Haute-Marne.
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