Simone de Bavoir

COLLIGNON HARDT VANDEKEEN « LECTURES COMMENTEES »
SIMONE DE BEAUVOIR « LA VIEILLESSE » 22 12 2055 1



La vieillesse, ça ne me fait pas peur. Je fais partie de ceux qui sont catalogués parmi les apogéistes : pour eux, le grand âge est un apogée, ils sont fiers d'être parvenus jusque là, et ils trônent. Encore que Machin ait dit « la vieillesse, c'est quand on sait tout et que personne ne vous demande plus rien. » Vrai aussi. Nous avons eu toutes sortes de considérations sur le sort des vieux en 1970, vachement datées, mais qui rappellent à quel point il était dégradant de vieillir jusqu'à des années fort récentes. Et puis l'on se dit : « Cela ne m'atteindra pas ». Pour l'argent, je ne me plains pas. Pour la santé, j'ai des pincements arthritiques dans les doigts, sachant que d'ici dix ans la pente se sera accentuée : pourrai-je encore taper à la machine ?
Ce qui m'a le plus touché ce sont non pas les prouesses sexuelles d'un Hugo qui me répugne(nt) un peu – bien qu'il ait tout fait pour procurer une pension à Flaubert, mais les gémissements narcissiques de Léautaud, qui se vexe d'avoir été traité de « grand-père » dans un autobus : « Ça se voit tant que ça ? » Ben oui. Le vieux Coste qui se plaignait d'avoir été aidé à descendre sa valise du filet par une girl-guide bien musclée. Il a écrit quelques nouvelles là-dessus, sur le croque-mort de sa rue qui le guette. Je ne le verrai plus que deux ou trois fois. J'enverrai ses lettres à sa veuve, encore baisable. Après les cas particuliers, que nous sommes tous, vient un chapitre sur l'insertion dans le temps.
Pour des projets qui dépassent notre passé où nos activités retombent, figées et chargées d'exigences inertes. Beau style, Beauvoir (pour une fois, d'ailleurs ; j'ai relevé les « ceux-ci sont », nombreux...). Mais confusion : pourquoi ce où ? Nos activités ne retombent pas, que je sache, dans ou vers notre passé. Un point aurait suffi au lieu du relatif. Mais nos activités, figées ? Oui, j'ai pris des habitudes, je sais où le pli du drap me blesse, je me couche toujours de la même façon. Mais c'est pour écrire, ajouter des lignes à ma gloâre. Rien de figé. Un emploi du temps assez réglé, susceptible de nombreuses adaptations et tricheries. Je sais bien que Cavanna, 84 ans, radote et susurre quelque peu.
Mais pour l'instant, (« jusque-là »...), tout va bien. Mes exigences inertes ne vont pas jusqu'à la maniaquerie des rangements ou des rites (petit-déjeuner à telle heure...). Je me suis tellement préparé intérieurement, involontairement, que ma vieillesse me plaît beaucoup. Jamais je n'ai été si occupé, de choses que j'aime. La destinée repasse les plats, sous forme d'une femme qui m'aime. J'ai même préféré rattraper mon adolescence gâtée par le manque de flirts plutôt que de m'acharner à dépendre d'un éditeur ou de connaissances pour me « faire un nom » dans les lettres :
bientôt personne ne saura plus ce que c'est qu'un livre. Mais l'amour, je peux toujours l'avoir. Même, avec un peu de chance (ou de malchance), il peut (bergère) m'être accordé de revivre, comme il faut cette fois, mon enfance, à supposer que je retourne sur mes pas. L'âge modifie notre rapport au temps : Odile me demandait l'effet que cela faisait, je me suis fendu de cette comparaison : le courant aboutit sur les vannes fermées, charriant une pâte épaisse qui s'accumule contre les vantaux, truffée de déhets passionnants. Et puis, j'ai lu que le temps, à cette époque-là, redevient comme celui des enfants : interminable.
Ou encore, chez Péguy (qui s'était renseigné) que passé quatre-vingts ans, c'était chaque jour comme un jour nouveau, sans lien avec les jours passés, comme si la vie en vérité, pour les octogénaires, était repartie à zéro : 88 ans, 8 ans... Muni de ces précieux viatiques, je ne peux pas avoir peur. Même si d'aucuns me disent que tout passe à une vitesse folle. Voyons aussi la tante Simone (Brossard) : bien qu'elle ait perdu son mari en 2006 ou 7, elle déclare n'avoir jamais autant joui de la vie, jour après jour, heure après heure, qu'à ses quatre-vingt un ans bien sonnés. On meurt donc, si j'ai bien compris, en pleine force de la jeunesse.
C.M.enrage de n'avoir pas assez appris de choses, et se lance dans le grec ancien. Je ne sais pas combien de temps je le verrai encore, mais il joue toujours bien du violon, et je voyais sa pantoufle battre la mesure... au fil des années, notre avenir se raccourcit tandis que notre passé s'alourdit. Voilà bien l'un de ces truismes beauvoiriens qui exaspèrent, comme ces transitions béquilles recommandées par les professeurs de dissertations philosophiques. Il me semble au contraire que jamais mon avenir n'a été aussi riche de promesses, toutes bourrées dans un petit espace, assurément, mais tellement serrées... On peut définir le vieillard comme un individu qui a une longue vie derrière lui et devant lui une espérance de survie très limitée. Au diable le calcul, ma grande, au diable les lapalissades.
La Vieillesse n'est décidément pas une œuvre de premier plan...

Commentaires

Articles les plus consultés