Crever selon Vian
BORIS VIAN “JE VOUDRAIS PAS CREVER” Nous avons tous en nous peut-être pas quelque chose de Tennessee mais en tout cas, in France, de Boris Vian. Une tendresse pour cet éternel jeune homme qui n'a pas eu le temps de dépasser 39 ans, mieux que John Lennon, n'allez pas voir le film. Les attendrissements n'étaient pas son fait, son cœur battait deux fois plus vite que la moyenne, d'où une vie divisée par deux également, bien remplie, au triple galop, que je n'ai pas l'intention de résumer ici car j'ai jeté l'article (merci tout de même au cercle de défense de la Langue française et au Dr Bergaud). Tout ce qui a été dit ou écrit par Boris Vian, nullement issu des milieux antitsaristes d'après 1917, fut pieusement et à juste titre recueilli.
Sachez qu'il fut aussi capable des pires déconnades, des virtuosités les plus époustouflantes, des poussées de larmes les plus efficaces dans son “Arrache-Cœur”, des raisonnements les plus réjouissamment absurdes lors de ses sessions de 'pataphysiciens (je n'ai jamais pu m'expliquer l'apostrophe initiale), et qu'il jouait de la trompinette en l'honneur de Jean-Sol Partre, mais est-ce qu'on présente encore Boris Vian. Et en plus, il chante : “J'suis snob – Encore plus snob que tout à l'heure – et quand je serai mort – j'veux un linceul de chez Dior” ; “Le déserteur”, soigneusement édulcoré, Flaubert dirait écouillé, en son dernier couplet, qui n'est pas “...que je n'aurai pas d'arme / et qu'ils pourront tirer” mais bien “...que j'aurai une arme / et que je sais tirer”...
Boris se savait promis à une mort prochaine, et n'usa pas du tout de résignation, mais de vie fiévreuse ; le recueil “Je voudrais pas crever” paru chez 10/18 n° 704 n'est qu'un opuscule de fonds de tiroir et à ce titre ne contient rien apparemment de bien consistant ; mais tout de même, ne pas vouloir avant d'avoir goûté à tout ce que nous ne goûterons jamais, voilà qui est bien dans toutes nos âmes frileuses. Moi aussi, vous aussi, nous aurions bien voulu être capitaine de vaisseau, femme ou homme, pape un quart d'heure et ouvrier agricole guatémaltèque une demi-heure pas plus parce que ça ne doit pas être terrible, juste pour savoir.
Et surtout, pour “connaître le goût de la mort” : l'embêtant avec la mort en effet, c'est qu'il s'agit de l'événement le plus palpitant de la vie, celui où s'arrête le palpitant, et qu'il nous sera impossible de le raconter à qui que ce soit. D'où immense frustration, qui n'a d'égal que le fait de ne pas assister en vrai à ses propres funérailles, ou de ne jamais se voir de l'extérieur, tant mieux d'ailleurs pour ce dernier point. Alors nosu sommes émus, forcément, même si tel poème à chute scatologique nous semble tout juste digne des cabinets de Rimbaud (mais tout de même, Rimbaud), même si tel raisonnement par l'absurde, calqué sur les démonstrations thésardes de physique/chimie, nous semble fatigant au bout de trois pages, flûte encore dix à se farcir. Il pourrait sembler agaçant qu'un personnage, sitôt qu'il est célèbre, voie fondre sur ses moindres productions, sur ses moindres fientes, les éditeurs empressés. Si c'était de moi, dit le critique mesquin, personne ne s'en serait soucié. Certes, ô grand homme. Mais ne te rends-tu pas compte à quel point Vian nous manque à présent, lui qu'on ferait interdire pour ne pas heurter les sectes par exmple.
A quel point l'humour à présent est à sens unique, à horaires fixés, car il est interdit de se moquer des intégristes de tout poil, interdit de plaisanter de dix heures à midi, ailleurs que dans les émissions de Lagaf (ah bon, c'est de l'humour ?) ou de Ruquier (oui, bon, appelons ça comme ça). Ce qui fait que les petits cantilènes, les murmures, les espiègleries, les pieds de nez de Boris nous régénèrent quelque part, même s'ils ne sont pas toujours très profonds, or croyez-moi ils le sont toujours plus que vous ne pensez.
Votre humour à vous, en s'en fout. Vosu n'avez été que vous. Mais celui de Boris Vian correspond à sa personne, à ce qu'il a été, à ce qu'il est encore pour quelques décennies, tant qu'il restera de la langue française maniée par lui en virtuose est-il besoin de le rappeler, car, lmis au soleil, le rat pèle, le gosse pèle. Ma rubrique est brève, sa vie le fut, et si vous êtes prof et que vous le fassiez étudier (“les Fourmis”, tenez, charge féroce contre la police et l'armée, qui en auraient bien besoin), ne vous fendez pas de punitions pour indiscipline pendant le cours, vous seriez de la dernière incohérence, or certains profs l'ont fait, hélas.
Il faudrait étudier si études il y a l'influence ou les rapports qui ont pu s'établir de Vian à Francis Blanche, de Vian à Léo Ferré. Ses enfants sont plus nombreux que l'on ne croit. Rien de plus difficile que l'humour joint à la révolte. Et puis crever, comme ça, lors de la projection privée de son dernier film, sans souffrance, mais après une belle crise d'angoisse tout de même. Une fleur dans la fosse de Boris, merci. Ça l'aurait bien fait marrer, tous ces compliments. Mais il aurait aimé, comme vous et moi. On le lit ? Page 93, ce sera de Noël Arnaud, ça tombe bien, il n'y a pas plus con qu'Arnaud :
“Paru dans le numéro du 10-16 avril 1953 de l'hebdomadaire Arts, dont André Parinaud occupait alors le directorat, cet article (“UN ROBOT-POETE NE NOUS FAIT PAS PEUR”) définit à merveille l'attitude de Boris Vian devant la science : intérêt passionné pour toutes les découvertes et les plus hardies ; méfiance, angoisse même devant le risque d'uen utilisation de ces découvertes à des fins d'oppression et de décapitaiton de l'individu..
“Contradictoire, cette attitude ? Non, parfaitement cohérente au contraire. Tout est possible à l'homme et il ne doit rien s'interdire, mais ce tout, cette tottalité des possibles ne peut lui être bénéfique que s'il en demeure le souverain maître, si chaque individu reçoit – et conserve – comme son bien propre – toute la connaissance. Il lui faut se refuser au tronçonnage du savoir, à cette atroce amputation qu'on nomme “spécialisation” et qui ferait de chaque être réduit à une fonction unique un esclave, un robot et, à la limite, un esclave des robots commandés par un chef qui seul détiendrait la “clé” de leur manipulation.
Cette vision tragique ne cessa de hanter Boris Vian, et il combattit sans trêve l'opinion complaisamment répandue selon laquelle l'homme du XXe siècle se trouverait dans l'impossibilité d'appréhender la totalité des connaissances. C'est dans cet article que se lit la formule si souvent citée : “Sachons tout. L'avenir est à Picq de la Mirandole.”
Dans une nouvelle, Le Danger des Classiques, publiée après sa mort (bizarre, N° 32-33 consacré à la littérature illettrée, 1er trimestre 1964), Boris Vian nous a conté l'histoire d'un robot-poète devenu criminellement lubrique parce qu'on lui a mis “en mémoire” du Paul Géraldy. Cette nouvelle, non datée, aurait pu être contemporaine de l'article d' Arts dont elle traite les thèmes sur le mode de l'anticipation mordamment plaisante. Il n'en est rien : elle était écrite en 1950). Comme il est fréquent chez Boris, l'imaginaire avait ouvert la voie à la théorei.”
Et comme il faut une phrase de plus de Vian, la voici : “Voilà, mon Parinaud, les dangers de la demi-culture car il vous suffit de lire en un journal du matin que M. Albert Ducrocq a construit un robot-poète pour vous étonner aussitôt. Pourtant, qu'est-ce que ça a d'extraordinaire ? Au siècle dernier, il y avait déjà Victor Hugo.” Et toc dans les gencives du barbu. Bob ben amusez-vous bien, vous aurez un vrai poète la semaine prochaine, un peu de musique et on remet ça...
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