L'art grec, l'art romain

HENRY MARTIN « L'ART GREC – L'ART ROMAIN” 06 02 2056
Il existait jadis de ces charmants fascicules brochés, en noir et blanc, qui instruisaient adultes et enfants de façon sobre, élégante et précise. “La grammaire des arts” par exemple, publiée sous la direction d'Henry Martin, volume L'art grec et romain. Vous pouviez y apprendre dans l'ordre et de façon très claire les caractéristiques du temple grec, avec ses trois ordre : le dorique, sévère, l'ionique, classique, et le corinthien, fantaisiste et plus ou moins décadent. Vous appreniez le vocabulaire adéquat : colonnes (avec leur fameuse oblicité, les calculs savants permettant de rectifier les illusions d'optique de la perspective), entablements (au-dessus des colonnes) supportant le fronton, orné de bas-reliefs et surmontés d'acrotères, ou gargouilles antiques si l'on veut.
Cela vous rappelerait les anciens cours de “dessin”, où l'on apprenait, modestement, à “dessiner”, avant de devenir “créateurs”, ce qui sans rien savoir de technique me paraît difficile. A présent le moindre morpion de 4e qui trace une ligne droite se pavane en se prenant pour Mondrian. Je ne savais pas dessiner. Mon prof de dessin, M. Bonnet, n'avait aucun amour pour ce petit garçon à tête de chien battu ; mais un jour qu'il fallait apprendre un cours d'histoire de l'art, il avait été bien forcé, dans la rage la plus abjecte, de me coller un 18, parce que j'avais tout appris par cœur, parfaitement, par cœur, ce qui n'empêche pas de tout comprendre, n'en déplaise aux théoriciens ignares. “Laissez dire les sots ; le savoir a son prix”, comme le dit La Fontaine.
Et c'est, dans cet “art grec et romain”, du savoir que l'on vous dispense, avec son langage de spécialiste, l'architrave, le larmier, les triglyphes, coups de gouge en creux à extrémités arrondies chez les Grecs, droites chez les Romains. L'on apprend que les temples grecs étaient entourés de marches, alors que les romains n'en avaient que sur le devant. Que les Romains furent des copieurs (je l'ai entendu dire je ne sais combien de fois), mais si géniaux que l'on a bien du mal à ditinguer l'original de la copie. Je puis même vous dire que nous devons aux Romains une reconnaissance éternelle, car bien des chefs-d'œuvres attiques ne sont connus que par le biais des copieurs romains.
Allez voir en particulier le musée du Parthénon (à l'abri du soleil) ou celui d'Olympie, vous n'y verrez que des moignons et débris de statues maladroitement rafistolés avec du fil de fer comme des morceaux d'ancien sucre candi ; il paraît que c' “étaient” des chefs-d'œuvre, qui ont donc servi de modèles, nous voulons bien le croire, mais tout est en petits morceaux, et tellement rongé par les intempéries qu'ils sont aussi loin de leur aspect ancien qu'un os de saint du corps vivant. Ce ne sont plus que des reliques, pieusement conservées. Ce qui pose la question évidemment de la valeur de l'original, du caractère ontologiquement valable d'une copie par rapport à l'original, et autres sujets de dissertations insolubles. Combien de vieilles pierres que vous admirez ne sont-elles que des copies pour touristes. J'ai même vu à la cathédrale de Budapest la couronne reconstituée des rois de Hongrie, avec véritables pierres précieuses toutes neuves, que l'on nous faisait admirer. Juste à côté, une autre couronne, toute terne, irrécupérable. “Et ça, qu'est-ce que c'est ? - Oh ça ? C'est la couronne originale, mais voyez comme elle est devenue terne et supermoche !” Bref, vive les copieurs.
Et l'art romain a dépassé l'art grec. Disons, car “celui qui croit en un progrès de l'art pense une infamie”, dixit Baudelaire, que les Romains ont utilisé l'art grec pour lui imprimer des évolutions nouvelles. Il commence au deuxième siècle avant J.C, et s'achève au troisième après J.C : crac, boum, hue. C'était ça l'enseignement jadis. Du carré, du sur mesure, de l'inexact, du rectifiable, mais qui se retenait. Ensuite, on remettait en cause. Mais on ne faisait pas les choses à l'envers. Les Romains ont imité les chapiteaux grecs, mais comme ils ne comprenaient rien, ces cons, n'est-ce pas, ils superposaient les trois genres, dorien, ionique, corinthien. Et ils superposaient même deux rangs de feuilles d'acanthe, pour faire plus riche.
Et ils ajoutaient des griffons, des enfants nus d'où s'échappaient carrément de lourds feuillages, c'était kitchissime. C'était autre chose, ce n'était plus du grec pur, évidemment. Leurs sculpture étaient devenues réalistes, comme celle de l'empereur Caracalla, à ne pas confondre avec Caligula. Le commentateur nous invite à repérer sur les traits de Caracalla, qui transforma tous les habitants de l'empire en “hommes libres” (211 après Jésus-Christ, mais c'était pour prélever plus d'impôts, ne vous faites pas d'illusions), la cruauté, la brutalité militaire, l'hypocrisie. Heureux commentaires, qui ne mettaient pas un point d'honneur à se perdre dans l'abstraction théorisante et incompréhensible !
Heureux temps, où l'on pouvait encore avoir recours aux sentiments pour sentir une œuvre d'art ! Où l'on ne vous posait pas le sujet de bac suivant : “L'art peut-il exister en dehors de l'humain ?” Réponse non, abrutis ! Diafoirus ! Elèves de l'IUFM ! Ânes bâtés de l'inculture péteuse ! Les Romains, eux, mettaient la main à la pâte. Ce furent des bâtisseurs, et ça tient encore, pas comme l'Opéra-Bastille qui perd ses plaques de béton sur la tête des passants (trottoir interdit, heureusement). Le Colisée, 150 000 spectateurs ! Le quart de la population de Rome ! Thermes de Caracalla, plus de 1500 baigneurs ! (eh oui, bâtisseur, notre tyran hypocrite). Avec explication, sur le manuel, de la technique pseudo-monolithique (une espèce de pâté de briques et de mortier bourré de petites pierres bien rondes et bien indestructible, très mauvaises sur les tartines) à la technique de voûtes, sans oublier les colonnes engagées dans le mur (ce qui ne sert à rien pour le soutènement bien sûr, mais fait tellement jô-li comme dirait Monique, this is a private joke), les entablements illogiques et les surcharges, le tout devant donner la Renaissance, et même le château de Versailles dans certains de ses aspects.

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