Ferdinand Buisson, La foi laïque

Le Bord de l'Eau publie une collection de textes socialistes fondamentaux sous la direction de Vincent Peillon, chose rendue éminemment nécessaire par le délitement de l'opinion publique, tendant à mettre dans le même sac l'idéal démocratique laïque et la poussière de son aspirateur. Eh bien pas du tout. Le dépoussiérage s'impose par un retour aux textes fondateurs, parmi lesquels ceux de Ferdinand Buisson, illustre inconnu ornant les plaques de nos rues, mais prix Nobel de la Paix avant la guerre 14 et auteur de nombreuses interventions en faveur de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Ses écrits et discours sont ici réunis par Mireille Gueissaz, qui présente et annote un volume ititulé « La Foi laïque ». C'est en effet dans la grandeur de la laïcité que l'on peut épanouir sa foi, une foi humaniste, voire athée, qui n'en déplaise au chanoine du Vatican nommé Nicolas Sarkozy, peut engendrer des hommes d'une aussi haute tenue morale, voire plus, qu'un religieux porté le cas échéant sur la boisson ou les petits garçons. Je préfère évidemment l'athée moral. Et la majorité des prêtres de toutes religions professent et vivent un idéal élevé. Mais la particularité de Ferdinand Buisson est d'affirmer (il ne fut pas le seul, vous le pensez bien) que le sens moral, le sens démocratique, le sens libertaire, sont indépendants de tout dogme religieux, de toute appartenance à telle ou telle Eglise, Oumma ou Synode.
Plus loin encore : c'est de sa foi protestante que Ferdinand Buisson a tiré sa foi laïque ; universelle, œcuménique et non pas eûeûeûcuménique tas d'ignares prononciationnels, et ses convictions démocratiques. En effet, l'histoire du protestantisme au XIXe siècle, même en Suisse (car Ferdinand Buisson est d'origine helvète) n'est pas un long fleuve tranquille. Deux courants s'affrontent, disons pour simplifier les traditionnalistes, qui s'en tiennent rigoureusement à la Bible, et les modernes, qui conservent l'esprit de libre examen vis-à-vis de ces mêmes textes. C'est d'ailleurs ainsi qu'en usaient les premiers réformés du temps de Luther : ce qui fait que les plus modernes sont plus pour un retour aux sources que les plus conservateurs. Le renouveau du socialisme passerait d'ailleurs par un recentrage analogue sur les fondamentaux. Bref ! Le jeune Ferdinand Buisson, croyant, mais libre commentateur de la Bible, et conscient de l'évolution constante des mentalités au sein du modernisme et de l'histoire, en vient à prendre conscience finalement d'une profonde unité de pensée au-delà des antagonismes souvent personnels : la seule vraie religion est celle de la morale, de la liberté, de l'égalité entre tous les hommes non seulement à la face de Dieu mais encore à la face les uns des autres. Ce qui aboutit à l'essence de la démocratie, à une époque (les années 1860) où la plupart des pays d'Europe sont soumis à des monarchies ou des empires. La foi protestante se dissoudrait ainsi, par amour de la liberté, par profond respect de l'individu, en une fois humaniste qui pourrait ma foi, c'est le cas de le dire, se dispenser aussi bien de l'idée de Dieu. C'est ainsi que la religion mène à la dissolution de la religion au profit du lien humaniste. Mais ne nous aventurons pas si loin, car nous naviguerions loin des côtes, loin de toute application pratique, ce qui arrangerait bien certains doctrinaires glissant complaisamment du libertarisme au libéralisme à l'eau tiède. Ferdinand Buisson, à la suite d'une brillante ascension universitaire et pédagogique, en vint à occuper en France les fonctions de Directeur général de l'enseignement primaire, sous la direction de Jules Ferry, qui ne fut pas seulement colonialiste. Ce colonialisme découlait d'ailleurs de son désir d'instruire le peuple, donc tous les peuples... Restons en France car à ce niveau-là, une bonne et grande action fut menée : la séparation de l'Eglise et de l'Etat, qui prit plusieurs dizaines d'années. L'enseignement primaire est l'enseignement primordial. S'il échoue, c'est tout le soubassement qui pourrit, c'est toute la structure au-dessus qui s'effondre. Les textes législatifs et philosophiques de l'époque le disent, c'est l'enseignement primaire et ses fameux instituteurs « hussards noirs » qui fondent la République et les Républicains. Fernand Buisson est l'un des fondateurs, avec Ferry et Clemenceau (qui s'entendaient au moins sur ce plan-là) de la France laïque. N'oublions pas Jaurès, bien entendu, qui fut aussi un grand mystique, et, justement pour cela, pourfendeur de curés sectaires. Ferdinand Buisson reste méconnu, il n'a pas voulu écrire sa biographie, ni rassembler ses textes en un corpus théorisant. Mais il n'a pas manqué une occasion, à la chambre des députés, ou lors d'une remise de prix en fin d'année scolaire, ou dès qu'un adversaire de la taille d'un archevêque ou de Maurice Barrès, se lançait en des attaques venimeuses ou spécieusement argumentées, de monter à la tribune ou d'investir les colonnes des journaux, pour défendre et propager ses convictions. Et cela dans la distinction, l'académisme, l'éloquence digne et démonstrative. Il faut souffler sur cette poussière des années accumulées, il faut relustrer cette statue de modestie, d'honnêteté scrupuleuse, de sainteté laïque, celle de Ferdinand Buisson, si longtemps négligée. Il argumentait contre toute interprétation tordue. Contre ceux qui voulaient par exemple substituer à la mise à l'index catholique une mise à l'index par l'Etat, qui aurait décidé du livre qu'il fallait étudier , du livre qu'il fallait rejeter. Je trouve bien plaisant nos décideurs d'aujourd'hui qui fixent la liste exclusive des œuvres au programme dès notre sixième. Et pourquoi pas celle des manuels scolaires, comme sous Napoléon ? Vous voyez bien que Ferdinand Buisson peut encore nous inspirer. Il affronte les autorités ecclésiastiques pour démontrer que la morale, l'élévation d'esprit, la grandeur d'âme, n'ayons pas peur des mots, peuvent fort bien coexister avec une foi indépendante d'un Dieu ou d'un sauveur. Il reprend les arguments point à point, les démonte tous, les retourne tous, et il n'est pas une seule de ses démonstrations qui ne pourrait pas être reprise aujourd'hui. Car les catholiques à l'époque n'ont pas hésité à répandre les calomnies les plus sournoises, les insinuations sur les mœurs dépravées des laïques, sans citer de noms pour ne pas encourir les foudres de la justice. “Cette “information” anonyme passe inaperçue.” Les prêtres ainsi ne tombent pas sous le coup de la loi. Ils s'insinuent venimeusement comme une douve.

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