Vian, "Le loup-garou"


    Salut arnaqueurs à la noix, nous pouvons dire de Boris Vian ce que Dieu sait quel costume-cravate disait de Balzac, « On ne relit pas un livre de Boris Vian, on en lit un autre ». Boris, qui n'avait rien de russe (il portait le prénom de Godounov) mais de niçois, écrivit si abondamment qu'on se demande quand il prenait le temps de pisser. De plus ce fut un remarquable mathématicien et physicien, un rigolo, un pressé, un tachycardique mort à 39 ans d'une arythmie cardiaque, encensé, oublié, ressuscité. Ancêtre dans ce Loup-Garou, que nous écorchons ici, des pires abracadranteries à la Hara-Kiri, vulgarité en moins. Ce sont peut-être des fonds de tiroir, mais des bribes de Vian, tout de même, chanteur, nouvelliste, et j'en passe.
    Tout a été dit ; j'ai lu, j'ai oublié, je me suis ressouvenu,  tenez : le voyage du Major, un vrai pote à lui, à travers toute la France à bord d'une voiture de 1927, et qui ne peut s'empêcher de foncer sur toutes les poules qui traversent, surgissant bien entendu de tous les « nids de poule » de la route. Changeant le ventilateur de place avec la dynamo, constatant que le radiateur chauffe, « donc il fonctionne », faisant partir le moteur au point qu'il faut le rattraper afin de le remettre sous le capot. Il rencontre un garagiste qui a quatre magnétos à vendre dont trois qui ne marchent pas et le quatrième qui est cassé ; du délire, joint à l'exactitude maniaque de l'itinéraire : Vian et son personnage arrivent même à se débrouiller par les petites routes entre Aubeterre et Ribérac, il arrive chez la famille Bison de Hendaye.
   
    Toutes ces nouvelles furent réunies en 1970 et publiées dans le Livre de Poche, et juste une seule critique : on s'est bien régaler, e-r, signé Marguerite Duras, entre Boby Lapointe et Pierre Dac.
Le farfelu dans toute sa splendeur, un mélange d'incroyables grossièretés suggérées sur les sommets du style, de bonne humeur, de râleries à la française, l'impression permanente de rouler sur les montagnes, pour le coup, russes, en rigolant sur les hoquets, tenez, quelque part entre Les onze mille verges d'Apollinaire, les dessins de Dubout, et Les fleurs bleues parues en 1965 sous l'alerte plume de Raymond Queneau, ce prof de maths qui disait "Je ne serai jamais heureux j'suis bien trop con", s'il vous faut absolument reconstituer une galaxie de rigolos superintelligents à la Francis Blanche auprès desquels Frank Dubosc et tant d'autres font figure de champion de la sinistrose.     J'oubliais Guillon, dont le seul talent comique est de répéter en boucle "Sarko est un con Sarko est un con Sarko est un con", répétition de vérité, qui montre vite ses limites. Aucun de ces comiques d'après-guerre n'aurait envisagé un instant de s'occuper de politique, de morale, de féminisme, d'antiracisme et de musulmans ou de juifs à ne pas froisser. On savait rigoler sans avoir de procès au cul, en bottant le dit cul des cons sans humour. Et comme je vais sans doute dire des conneries, et que j'ai rêvé à des oraux de CAPES que je faisais passer, moi, sans les avoir préparés, il me faut déjà, hélas, flemmardement, vous laisser dans la mouise musicienne et jazzique, le mot "jazz" ayant pour origine soigneusement dissimulée un mot d'argot noir, de black slang, signifiant tout simplement "partouze" (instrumentale, of course).
    D'abord la dernière phrase de L'amour est aveugle, comportant la plus cruelle chute de nouvelle qui soit : le brouillard se dissipe, donc, tout le monde s'aperçoit qu'il s'est mis à poil :
    "Il y eut un grand conseil, la menace étant de taille. Mais on trouva vite une solution, car le génie de l'homme est à mille facettes, et lorsque le brouillard se dissipa, ce qu'indiquèrent des appareils détecteurs spéciaux, la vie put continuer heureuse, car tous s'étaient crevé les yeux." 1. Les Temps modernes, revue littéraire et philosophique fondée en 1946 par Sartre, Merleau-Ponty, Beauvoir et autres. Vian y publia Les fourmis, des extraits de L'écume des jours et des Chroniques du menteur. "Martin m'a téléphoné..." - "Martin m'a téléphoné à cinq heures." L'incipit sert en partie de titre en effet. "J'étais à mon bureau, j'écrivais je ne sais plus quoi, une chose inutile, sûrement ; je n'ai pas eu trop de mal à comprendre. Il parle anglais avec un accent mélangé américain et hollandais, il doit être juif aussi, ça fait un tout un peu spécial, mais, dans mon téléphone, ça va ; il fallait être à sept heures et demie rue Notoire-du-Vidame, à son hôtel, et attendre, et il lui manquait un batteur. Je lui ai dit :  - Stay here, I will call Doddy right now. Et il a dit : - Good Robby, I stay. Doddy n'était pas à son bureau. J'ai demandé qu'il me rappelle." Et l'histoire de fou ne fait que commencer. 
Feu roulant de plaisanteries et d'absurdités en tout genre, cela s'appelle on se demande  pourquoi Les remparts du sud,en 1946 ; en 1949, L'amour est aveugle, histoire à la Paul Auster : Paris est envahi d'une épaisse couche de brouillard aphrobaisiaque, c'est de lui, et tout le monde se tripote allègrement style « soirée mousse », et quand le brouillard se dissipe, tout le monde se crève les yeux pour pouvoir continuer. Et dans Martin m'a téléphoné à cinq heures, de 1945, une histoire haletante où il n'y a rien à raconter : il s'agit de faire un concert de jazz (Vian jouait de la trompinette et publiait dans la revue Le Tabou), mais personne n'est là, les instruments ont été prêtés, tout le monde est en retard, les incidents minuscules et débiles se multiplient, le tout écrit dans un mélange hallucinant de français et de basic english sans la moindre esquisse de traduction mais que tout le monde comprend, à croire que tout le monde le parle avec l'accent de Maurice Chevalier, nous vous lirons ça tout à l'heure.
    Ça ne va pas tarder à devenir aussi chiant que les coups de téléphone du « Rendez-vous » de Christine Angot ou les échanges de bulletins entre Flaubert et tel ou tel pour se demander de se récrire, mais non, nous sommes embarqués, c'est conneries non stop ou « l'art de jacter pour ne rien dire et sans résultat » ou presque, comme dans la vraie vie quoi. «Il y avait sept cent cinquante balles à gagner pour jouer de huit heures à minuit en banlieue. J'ai rappelé Martin, et il m'a dit : -   Your brother can't play ? et j'ai dit : Too far, I must go back home now, and eat something before I go to your hotel. et il a dit : - So ! Good, Roby, don't bother, I'll go and look for a drummer. Just remember you must be at my hotel at seven firthy. Miqueut n'était pas là et j'ai dévissé à six heures moins le quart, une demi-heure de rabiot ; je suis rentré chercher ma trompette. Je me suis rasé, quand on joue pour la Croix-Rouge, on ne sait jamais ; si c'est pour des officiers, c'est gênant d'être dégueulasse, tout au moins la figure. Les vêtements, on n'y peut rien, quoiqu'ils ne le sachent pas quand même. » Ces discours reproduisent l'état d'esprit d'un homme du peuple, parce que le jazz est la musique du peuple, un ciment de fraternité, comme pouvait l'être le foot ou la pêche à la ligne.
    Et même si on sait l'anglais, et qu'on le parle avec un accent de vache espagnole. « Je me suis écorché la gueule, je ne peux pas me raser deux jours de suite, ça fait trop mal, enfin c'était mieux que rien

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