Trouble obsessionnel divin par Farel


    La description que nous tachons à vous transmettre n'en est pas une. Il ne s'agit que d'une main, sans nom d'auteur, d'où je suppose que l'auteur l'a dessinée elle-même. Ses doigts sont longs et repliés, délicats comme on imagine ceux d'un pianiste (qui parfois les ont boudinés, comme le Chilien Claudio Arrau). Sans connaissances anatomiques, nous avons l'impression toutefois que le croquis pèche par inexactitude : doigts grêles aux pliures trop aiguës, l'auriculaire dépassant vers le bas, les quatre ongles de même allongés et d'un ovale extrêmement soigné comme ceux d'une femme. Le pouce en revanche, puissamment phallique auquel  ne manque ni le gland ni les bourses, pénis petit mais trapu, évoque l'homme, le sculpteur, le modeleur, le démiurge, disons Dieu le Père.
    En dessous, un repli horizontal vaguement vulvaire. Tout de la main qui se tend vers Adam sur le plafond de la Sixteen. Mais la sécheresse générale du trait, maladroite ou voulue, évoque plutôt le crochet, l'arrimage, le grappin : celui du recruteur de secte et du pilleur de bourse, la vôtre. L'illustratrice a placé ce raccourci de main dans un halo d'estompage de bistre au-dessus, de jaune paille sur le côté (car l'organe préhensile se présente de chant), ce qui la situe entre l'obscur des intentions douteuses et le blafard maladif de la contagion. Dieu vous tend  la main, mais pour vous arnaquer (arnak, le porte-monnaie en hébreu ;  l'étymologie cependant serait autre, à chercher du côté du picard). Le sous-titre, en lettres rouges, annonce bien la couleur : "Astrologie, numérologie... / Gare au retour des escrologues", excellente création linguistique. 
    Cette couverture comprend donc essentiellement du texte, en des polices d'impression très soignées, que je ne saurais techniquement définir, mais incitant à la cursive, soit, du haut en bas : Farel, pseudonyme de Laurence Couteille, que je remercie de sa dédicace ; T.O.D., pour "Trouble Obsessionnel Divin", dont c'est ici le premier tome : chiffre "1". Tout en bas figure le nom de l'éditeur : L'Air du temps, qui est à l'obscurantisme en effet, ce qui va de pair avec un fort strabisme en direction des portefeuilles. Le titre mérite un développement aigre-doux : T.O.D. évoque irrésistiblement (nous l'avons testé) le "t.o.c.", "trouble obsessionnel du comportement" ou mieux "compulsif", chez les personnes de culture médicale.
    Ce recours à Dieu ou à ses substituts caractérise en effet certains comportements de plus en plus répandus ches des Occidentaux dépourvus face au monde moderne. Mais pour d'autres, moins familiarisés avec ces notions, TOD signifie sout simplement, en allemand, la Mort, der Tod. La superstition, c'est la mort de la véritable religion, voire de l'esprit tout court. Mais tout de même, l'autrice n'a pas voulu cela. Cette similitude ne lui était pas venue à l'esprit. Nous savons qu'il est de bon ton de décrier dans le Midi la langue allemande, et tout ce qui est Boche en général ; mais un minimum de curiosité eût évité cet impair linguistique, induisant en erreur sur le contenu du livre, ou du moins gauchissant la perception que l'on pourrait en avoir. Or, la notion de mort, pour exacte qu'elle soit, n'est pas essentielle dans le contenu de l'ouvrage ; elle est adventice, accidentelle. Cela me fait penser à cet ouvrage de Patrick Dupond, médecin et non danseur. Il a écrit La dernière cigarette aux éditions du Bord de l'Eau ; le médecin bien sûr, pas le danseur. Et pas un seul des mâles ignares siégeant autour de la table à Paris n'a relevé cette homonymie, à  l'exception timide des deux seules femelles, tout au fond, à qui cela n'avait pas échappé, et qui ont ravalé leur observation humoristique face à la bêtise masculine au front de taureau multiplié par douze : réunion commerciale, et comme on le voit bien peu culturelle, alors qu'il fallait, tout de même, lancer un livre.
    N'étant là qu'à titre d'assistant toléré pour une fois dans le saint des saints, juste à côté d'un animateur de France Culture qui  ne réagissait pas lui non plus, je me suis retenu de toutes mes forces pour ne pas apostropher cette assemblée bougonne et sûre de son bon droit inculte.  Et je leur aurais dit, moi, que leur manque de réaction démontrait leur fermeture cul-turelle, car sans aucun doute, pour eux, le ballet de haut niveau n'était que de la science de tapettes. Il paraît, me dit plus tard l'éditeur, qu'en effet j'avais bien fait de m'abstenir. Il n'empêche que je suggérerais volontiers à l'autrice de se dispenser de cette abréviation inexacte et fâcheuse, T.O.D., à moins qu'elle ne s'en explique dans un avant-propos plein de l'esprit dont elle a fait preuve dans son ouvrage et dans l'entretien que nous eûmes dans la librairie où je l'ai rencontrée, pour mon plus grand plaisir. CI-DESSOUS "LA TETE DE ROBERT", DUNEAU.


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