Histoire des Goths

    Un Goth, des Goths, des gueux, telle est l'origine du mot. Astérix et les Goths, on se fout sur la gueule, intérêt humoristique certain, historique pour le moins douteux. Ostrogoths à l'est, Wisigoths à l'ouest, répartition discutable, bien que cette distinction remonte aux historiens antiques : l'étymologie de ces mots reste incertaine. « Village des Wisigoths », Foncine-le-Haut et Foncine-le-Bas, dans le Jura : encore surnommés ainsi au XIXe siècle, d'où provenait ma grand-mère, aux magnifiques pommettes saillantes. Mais qu'est-ce que cela prouve, sinon que les Goths, descendus de la Suède et d'ailleurs, envahirent (et ravagèrent) l'Empire romain à l'ouest, l'Empire byzantin à l'est ? ils n'étaient pas très populaires ; de haute taille, ils puaient l'oignon, et leurs femmes, souvent ivres, se querellaient entre elles ou se battaient vaillamment à côté de leurs hommes à grands coups de mamelles.
    C'est à peu près ce que dit, et en vers, le poète Sidonius ou Sidoine. Si vous allez à Barcelone, vous trouverez autour de la cathédrale un quartier « wisigoths », car ils sont descendus jusqu'en Espagne, en partant de leurs deux capitales, Toulouse et Bordeaux. Puis au cours de campagnes militaires plus ou moins avantageuses, ils furent à peu près exterminés par les Francs, descendants de Clovis. Nous avons tous du sang goth dans les veines : mais au milieu d'un furieux mélange au cours des siècles. D'ailleurs, qui étaient les Goths ? Ne nous imaginons pas que ces peuples nomades, à pied ou à cheval, portaient un drapeau et des étiquettes, avec un fort sentiment d'unité nationale.
    Ils bougeaient beaucoup, sur de vastes territoires plus ou moins déserts, ils apparaissaient par-ci, ils disparaissaient par-là. Entre temps, ils rencontraient d'autres peuples, nomades comme eux ; on se cassait la gueule, puis on se mariait, et bien malin qui pouvait distinguer les tribus, les nouveaux prenant le nom des anciens, ou les anciens se fondant aux nouveaux, au gré des campagnes militaires, des alliances, des trahisons, des circonstances politiques. De plus, ces peuples ou peuplades ne nous sont souvent connus que par leurs ennemis, latins ou grecs, par les mouvements de leurs troupes, les traités d'alliance moyennant finances avec les dirigeants dits civilisés.    Or les Latins et les Grecs ont une conception de l'histoire et de la géographie bien différente de la nôtre : d'une part ils ont toujours raison, et l'histoire de tel peuple ne peut se concevoir que par rapport aux civilisations dites supérieures, les leurs ; d'autre part, tels Goths sont appelés d'une certaine façon par certains, d'une autre façon par certains autres, et parfois c'est le même auteur qui se trompe, à moins que ce peuple barbare n'ait véritablement changé de nom.  Nous avons les Goths, les Scythes, les Sarmates, les Huns et les autres, et il faut à Herwig Wolfram, auteur de l'Histoire des Goths, une patience, une prudence, une érudition, une connaissance parfaite des sources historiques, pour tenter de démêler cet écheveau dans un chapitre entier consacré aux appellations, où l'on trouve parfois son aiguille. Rien ne nous est caché des différentes querelles de spécialistes, sans omettre les prétentions des prussiens, plus tard des nazis, pour voir partout des représentants d'une race guerrière et purement germanique.
    A mesure que l'histoire s'avance, les choses s'éclaircissent : en 378, les Goths écrasent l'armée byzantine à Andrinople, grâce à leur cavalerie ; Alaric prend Rome en 410, ce qui signifia la fin du monde pour les Romains, qui crevèrent de honte et de douleur ; son fils donna son nom à la montagne d'Alaric, en face de Carcassonne. Ses descendants se répandirent en Aquitaine. De son côté, l'Ostrogoth (ou Tervinge) Théodoric fit monter sur le trône impérial un empereur gaulois, Avitus ; un autre Théodoric dit le Grand, chassa un autre Barbare, Odoacre, et monta sur son trône, à Rome ; à Bordeaux régna Euric, époux de Ragnahilde, à qui le poète Sidoine fit parvenir une coupe en argent ciselé.
    Les Wisigoths donc occupaient vers l'an 500 tout le pays jusqu'à Clermont-Ferrand, puis Lyon. Et même s'ils se rasaient le front jusqu'à mi-crâne, ce n'étaient pas des Barbares : ils possédaient une structure militaire, judiciaire, politique et religieuse.  Ils étaient chrétiens, mais sans croire à la divinité du Christ : et c'est cela, le sens de « ariens », du prêtre Arius, qui sévissait en l'an 318. Ils ont lu la Bible, traduite en gothique par Petit-Loup, ce qui se dit Wulfila ; c'est le seul témoignage de la langue d'époque, déjà du vieux germanique. Le livre de Herwig Wolfram nous plonge dans une interminable, confuse et non moins exaltante épopée ; cet épais ouvrage ressuscite tous ces peuples qui nous ont tous plus ou moins fondés, que nous avons ingratement oubliés, que nous n'étudions plus  parce que « nous n'avons plus le temps » et que « ça ne sert à rien », arguments rabâchés jusqu'à l'écœurement par ceux dont ils démontrent la connerie.
    Sans être moins con, je me suis intéressé à cette galerie d'ancêtres qui nous plonge dans l'infini du temps et de la modestie métaphysique à deux balles : d'où venons-nous ? Que de gloires englouties, que de Fabius et de Maradona ensevelis à tout jamais dans les ténèbres lumineuses ! « Tout ce qui a été demeure éternellement », dit la sagesse Celte. C'est fou le nombre d'histoires drôles que nous sommes capables d'imaginer. Bon ! Essorons nos mouchoirs, et prenons une loupe. Etudions de près les inextricables problèmes auxquels se confronte Herr Wolfram, en 1979, puis en 1988 dans son édition américaine augmentée (parution française, 1990, chez Albin Michel, collection « L'évolution de l'humanité ».) « Chaque kuni (ou « clan ») avait nous dit-il ses propres temples et ses propres prêtres, et sans doute son culte particulier », avant la conversion au christianisme. « Kuni » est un mot d'origine indo-européenne, à rapprocher du latin « gens », la « génération », « le peuple, la descendance ». Une descendance bien diversifiée, déjà à l'époque. « Après la chute de l'ancienne monarchie gothique, » suite à leur pénétration dans l'Empire gréco-romain, « les Tervinges semblent avoir perdu, du moins en grande partie, leur religion tribale commune. » Notez que l'on pouvait aussi, autrefois, rester plusieurs dizaines d'années au même endroit avant de reprendre la route, pour trouver à manger plus loin, ou pour faire la guerre et manger plus loin. « Cela expliquerait pourquoi le concept de communauté de lignage s'est déplacé du niveau de la Gutthiuda à celui, plus limité, du kuni ». Donc, auparavant chinois, les Goths vivaient regroupés dans un territoire, la Gutthiuda, correspondant à peu près à l'actuelle Roumanie orientale

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