L'avenir de Don Juan

Le jour est noyé de pluie. Le personnage de Don Juan m'est proposé par le hasard, qui n'est qu'une obéissance à moi-même. Une érudite asiatique, Françoise Han, me convoque à "L'avenir de Don Juan". Nous sommes en 1976, où l'on pouvait croire en l'avenir. Don Juan est le personnage dont je me trouve le plus éloigné. Dom Juan fut repris à travers les siècles, et les femmes furent ses victimes. Conception que je hais, ne pouvant la comprendre, moralement l'admettre. Lenau composa son Don Juan l'année 1844, six ans avant sa mort, mais sans l'avoir achevé. Mon admiration,n ma sympathie, l'amour de leur mystère, vont plutôt chez oi à ces femmes qui passent d'homme en homme, tendant leurs croupes sous le voile islamique, et e penchant pur être prises comme des chiennes.
    On peut supposer que ces frottements successifs de gang-bang provoquent chez elles un éréthisme permanent, peut-être des fragments d'orgasme qui se concrétisent à la fin par ce râle bestial si admirable chez les masturbatrices. Le mystère du prétendu Himalaya des jouissances féminines,  si rares disent-elles, participe à mon adoration. Don Juan ne saurait jouir, ou brièvement, conformément à son invalidité masculine. Il cherche à capter, dans l'éclair de ces femmes, le plaisir qu'il n'a pas, ou si dérisoirement éphémère. L'orgasme de la femme la comble ; celui de l'homme l'épuise et ne lui laisse qu'un recours à l'autre, immédiatement à rehercher.     Don Juan se frotte sur et dans les femes pour enfin s'imprégner, s'imbiber ce cylindre de cette divine cyprine donnant accès à l'assouvissement qui tient lieu d'Eternel ici-bas. Voilà pourquoi l'homme court d'infidélités en mensonges : afin de devenir femme : Elle fut si belle et si riche, si splendide, cette passion, que je trahirais et léserais le bonheur disparu si j'en prêtais le nom à l'inclination qui m'est restée au coeur pour toi (Lenau, Don Juan)." Dès que l'amour s'affaiblit, dès que l'organe s'affaiblit, l'homme dépité par la brièveté de son plaisir en cherche d'urgence le suivant. Observer la coïncidence chrétienne de la recouvrabilité intégrale de l'éjaculation et de la passion.         
         Le reste n'est que le postlude, et la montée (de l'escalier) reste à reprendre. L'homme et Sysiphe reroulent leur roc. La femme souvent n'est pas assouvie. "C'est ici", reprend Françoise Han, mais dans sa perspective, "la fidélité à ce qui fut une fois et ne sera plus jamais tel, fidélité iconoclaste qui jette les fleurs avant qu'elles ne soient fanées, les images  avant qu'elles ne soient ternies, l'amour avant qu'il ne soit devenu un fade potage quotidien, et procède en somme d'un certain esthétisme". Nous regretterons "le fade potage quotidien" qui n 'est qu'une  redite assez fade elle-même, les "fleurs" "fanées" ou les "images"  "ternies" qui ne valent guère mieux et relèvent de l'abondance d'un Sénèque.
    Nous observerons que le féminisme n'a pas encore en ces années bénies tout infecté de  sa hargne conventionnelle et victimaire, tout en nous y vautrant nous-mêmes. Les femmes en ce temps-là défendaient Don Juan, le "comprenaient", voire le "renglobaient". Faire de l'infidélité aux femmes une fidélité aux idéaux féminins relève aussi du paradoxe, et l'on n'a pas encore découvert à quel point Don Juan était homosexuel, autre platitude. Nous changeons de chapeaux et nous imaginons découvrir des idées. Aussi, parler n'est rien, vivre est tout. Nous accorderons donc qu'il suffit d'abandonner l'une après l'autre, de multiplier les "ainsi-pite" et autres éjaculations précoces, pour être requaifié en parangon de fidélité.
    Nous nous complaisons bien, nous autres commentateurs, en de tels retournements. Heureusement vient le"mais" : "...pourquoi la passion cesse-t-elle d'être belle et si riche, pourquoi l'habitude émousse-t-elle le désir ?" Madame, depuis quand la "deuxième fois" tient-elle de l'habitude ? Faut-il rappeler que la femme a besoin de nombreuses fois pour apprivoiser son désir et sa jouissance, et qu'elle ne lâche pas le bon partenaire ? qu'elle l'approfondit, pour ainsi dire ? Nous sommes désolés qu'une "trentième fois" de symphonie doive selon vous nous émouvoir moins "qu'à la première", car où serait le métier de chef-d'orchestre, répétiteur par fonction ? Nous ne pensons pas "qu'un beau paysage, si nous pouvons le contempler chaque matin de notre fenêtre, ne nous émerveille plus comme le jour où nous l'avons découvert".
    Vous accordez trop à ces préjugés, vous développez, vous délayez, quels que soient les "mais" tapis dans l'ombre. Découverte dites-vous...

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