BHL et Baudelaire
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Le
sacré hanta Baudelaire pour la raison "Détective" ou "Ici
Paris", vraie ou fausse, qu'il aurait été le fils d'un prêtre
défroqué de la Révolution. Nous parlâmes ici du roman de Barbey,
qui eut peut-être le père biologique de Baudelaire comme
inspirateur. Baudelaire avait-il au-dessus de son lit sans cesse le
portrait de son père ? Comment distinguer le vrai du faux si BHL
joue au romancier ? Position intenable, cher Maître – à moins que
mon ignorance ne me joue encore des tours. Oui, j'avoue mon ignorance
et je vous tiens quitte de "l'idée de son père foudroyé,
illuminé comme à rebours. L'idée de ce moment où il s'est senti
seul, abanhdonné – et où il a compris que, dans la zone de grand
péril où il s'était aventuré, il n'y aurait plus d'autre façon
de survivre que de pactiser avec Satan". Des aperçus de sa
méthode, ici livrés par son éditeur : vrai, ou faux ? Baudelaire
comme toute célébrité disparaît sous le monument de son œuvre.
Il est opportun de se rappeler qu'il participa aussi à nombre de
revues comme critique et qu'il dut bien lutter, comme tout écrivain,
pour se faire reconnaître sa gloire émiettée.
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"Je
pourrais ajouter encore, si je ne craignait d'abuser de votre
patience, l'histoire de ses plagiats. Baudelaire n'était certes pas
un plagiaire. Il l'était moins que Stendhal, par exemple. Moins que
l'auteur du Voyage
en Amérique ou
du Dernier
Abencérage. Il
ne l'était pas à la manière de Pascal paraphrasant Montaigne, de
Montaigne recopiant Plutarque ou de La Fontaine démarquant Esope.
Mais enfin c'était un liseur. Un très grand liseur. Et comme tous
les grands liseurs, comme tous ceux qui croient que les livres
viennent, non de la vie, mais des livres qui les ont précédés, il
avait une fâcheuse tendance à amalgamer à ses textes des fragments
qui n'étaient pas de lui et qu'il ne
prenait pas toujours le temps de recouvrir de cette patine qui, en
général, les dissimule." L'auteur se fait témoin et recueille
ses dires aux sources mêmes. Baudelaire se meurt, la raison de
Baudelaire se meurt, la sangsue reprendra les dernières paroles de
Baudelaire. Ici la qualité de mes dires s'effondre, taraudé que je
suis par des hurlements de bébés, que Baudelaire le veinard ne
connut pas. Je disais donc que le narrateur dont tous à présent se
contrefoutent vient sucer sur les lèvres du poète expirant les
dernières intentions d'icelui qui bien sûr à jamais resteront
lettre morte, et toujours nous pourrons reprocher à Lévy d'avoir
fait du Lévy plus que du Baudelaire.
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"Car
ce qu'il me propose en fait, c'est ni plus ni moins que de devenir
son secrétaire et de prendre sous la dictée ce livre qu'il a en
tête. En clair : entrer, moi, petit disciple, dans l'intimité de
mon modèle et être là, au moment où naîtraient, hésiteraient,
s'effaceraient ou se formeraient ces phrases admirables que je ne
lisais d'habitude qu'achevées. Coulisses du génie. Sources vive du
beau. Littérature à l'état naissant, et moi témoin de cette
naissance."
Et
quand Baudelaire parle, pendant ces crises à l'hôtel, où le
narrateur est le seul à être reçu, cela donne :
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"Comme
je le priais d'être explicite, il me cita le cas de Daumier qui, par
des oppositions de noirs et de blancs, donnait l'impression
de
la couleur. Celui de Flaubert, grand manipulateur d'âmes devant
l'Eternel, qui, par cette succession de touches et de retouches qui
fait ce qu'on appelle un style, parvenait à induire
chez
ses lecteurs des émois qu'il ne ressentait pas. Et puis, au-delà de
tel ou tel, celui de tous les artistes dont le vrai nom était
"rhéteurs", ou "séducteurs", ou peut-être même
"acteurs" – oui, martela-t-il sur un ton d'exaltation qui
ne fit qu'exaspérer la mienne, nous sommes des acteurs, des
histrions si vous voulez, dont tout le talent est de donner
l'illusion
de la sincérité !"
...ce
qui est encore très plausible malgré les hurlements stupide du
bébé, et prouve par son style et par ses idées une excellente
pénétration de Baudelaire par BHL.
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"Voyant
qu'il ne bougeait toujours pas, qu'il ne parlait pas davantage et que
mes exhortations, loin de le réconforter, ne faisaient que le
rebuter, aigrir peut-être son affliction et charger ce regard, tout
à l'heure presque éteint, de rancune et de terreur, je conclus que
j'étais vraisemblablement victime de la méchante réputation que
nous avons, nous les prêtres, auprès de certains et qui nous fait
considérer comme d'affreux émissaires de la mort. Je repris alors.
Posément. Prudemment."
Comment
ce prêtre eût-il pu deviner les causes de la frayeur de Baudelaire,
fils de prêtre ? Nous en avons trop dit. Nous nous sommes laissés
aller à l'émiettement, comme d'habitude. Nous avons cité. Nous ne
parvenons pas à conclure, la conclusion s'étant diluée dans le
corps. Mais nous pensons avoir fourni matière à envie de lire.
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