Daniel-Rops
De
quelles névroses sommes-nous les fils ? Hippolyte sauvera-t-il
Phèdre ? Elle
était l'une des rares personnes dont il eût le désir d'être
compris : tout
jeune adolescent, ne l'avait-elle pas surpris dans une crise de
mélancolie larmeuse où il se plaignait de « sa nature » ?
ni femme ni garçon ne le tourmentait : « juste moi »
lui avait-il dit. Mais elle n'avait pas fourragé sa pensée. Elle
avait tout respecté. Sans
qu'il pût s'expliquer pourquoi, il était profondément convaincu
qu'elle et lui - « persuadé »
serait moins dur – faisaient
partie d'une même catégorie d'êtres, qu'il eût été en peine de
définir avec précision, sauf par ce qui leur est contraire :
son frère René, certainement, son père évidemment aussi (...) »
-
61
03 27
Mort,
où est ta victoire s'avère
bien meilleur que je nous n'aurions cru. Cela fleure le mélodrame,
le Maupassant. Cette femme qui rencontre la Seytives, la paysanne,
affublée d'un fils de son mari Joan, député, c'est un maître
personnage. Du Maupassant. Daniel-Rops, sans être novateur,
appartiennent à ceux qui savent, d'une habile et merveilleuse façon,
mêler dans leur marmite les ingrédients de toute une mixture
savoureusement comestible. Ensuite, notre auteur souffrit des
innombrables ostracismes infligés aux lettres bien-pensantes par la
bien-pensance marxiste réaliste, et de Daniel-Rops, mort en 1966, il
ne devait plus être question, ni même fait mention.
Daniel-Rops
ne représenterait plus qu'un éminent marquis des lettres, un
Hériat, un Bastide, un Nourissier, un de ces besogneux seigneurs
couvrant des pages appliquées – mais les seules qui vaillent. Et
le retour chez elle de Laure la bourgeoise, sur qui pèse le recel
d'un crime, annonce à ses beaux-enfants qu'elle s'en va dans la
capitale. De qui provient la lettre anonyme confectionnée de mots
découpés dans Le Progrès ? Le crime sera-t-il mis au jour ?
L'ascension politique de son mari ne le désigne-t-il pas aux coups
de la foudre ? D'autre part (Daniel-Rops est très habile), que
deviendra la chasse à l'âme menée par Dieu, par une certaine idée
de Dieu (l'homme ne va pas au-delà) ? Aboutira-t-elle à ce
que l'on appelle un salut, une Rédemption ?
Nous
savons un gré infini à l'auteur de ne pas nous encombrer de
bondieuseries directes, mis à part ce passage où le curé rougeaud
récite un acte de contrition, où une fois de plus il est question
de repentir, alors qu'il ne devrait s'agir que de la conscience de
nos faiblesses. Bien plus convaincante la déclaration du Père de
Caussade : chérir son péché, parce qu'il rapproche de Dieu...
Paresseuse et dégradante complaisance sous le voile spécieux du
paradoxe. Il faut s'accepter, se considérer dans son imperfection,
l'Eglise dit « son péché »,
sans
pour autant s'y complaire ! puis s'en remettre à la miséricorde
divine, ce qui ne veut rien dire pour l'incroyant, rien d'autre
qu'ainsi
soit-il (Onfray
lui-même y est venu après le décès de sa femme).
Alix,
allongée sur une chaise longue, releva la tête : et
un enfant malade, un ! Nous sentons s'approcher l'agonie –
nous ne l'aurons peut-être pas, car l'auteur joue souvent sur les
fausses pistes. Ne
reste pas longtemps, maman Laure, la maison est trop vide sans toi.
Va-t-elle
agoniser ? Sera-t-elle sauvée ? Daniel-Rops évite des
clichés, mais ne peut s'empêcher (c'est normal!) d'en utiliser
d'autres (qu'est-ce qui n'est pas cliché...) Le tout est de
surprendre avec des choses convenues. Je serais curieux de consulter
la « bible Wikipédia », afin de savoir « ce qu'il
faut penser de notre auteur. Capitale fut sans aucun doute l'attitude
qu'il eut, sans doute modérée, pendant l'Occupation, pour ne pas
dire le pétainisme, voire tout simplement les tièdes ténèbres de
l'indifférence (chez Brassens, grandiose : « Les tondeurs
de femmes m'ont fait peur »).
...Quznt
à nous, il nous reste encore de fortes répugnances face aux
conversions, très faibles il est vrai, à ce catholicisme bon teint
qui vient tout ici recouvrir de sa soutane 1934 et de ses inévitables
« repentirs » - pitoyable désuétude de ces
vocabulaires... Alors qu'à notre humble goût, de telles évolutions
psychologiques se fussent bien mieux exposées sous la trame de
l'analyse pure - bref, que va faire cette femme, Laure ? Que
va-t-il advenir d'elle ? Ces personnages ne sont-ils pas
également convenus, schématiques, jusque dans l'opposition de
Raphaël et de René, issue des Pierre et Jean de la nouvelle
éponyme ? Laure
s'approcha, s'assit au pied du lit Récamier, saisit la main de sa
petite belle-fille. Nous
repensons à toutes ces scènes, éparses d'un roman à l'autre, de
Tolstoï à je ne sais qui, à toutes ces attitudes humaines
à travers les pages et les siècles, à tous ces corps bien alignés
dans les cimetières, qui tous eurent leurs grâces et leurs
courbatures, ainsi qu'à ces paroles que me prodigua un jour, sur une
plage d'Ecosse, tel de mes collègues : « La littérature
sans cesse ressasse les mêmes thèmes, en termes différents ;
il me semble déjà lire tous ces paragraphes et nombreuses variantes
sur cette mer, ce port de pêche, ces mouettes sur nos têtes dans le
vent... »
Commentaires