Le veuf et l'infirmière

FLEURS ET COURONNES 1

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Le veuf : Qu'y a-t-il autour de moi ?
Claire décrit le papier peint vert, le corridor pavé, la serpillière ; plus loin le dédale et les chambres, et les bouffées de déjections et de désinfectant. Et tout cela, il était inutile de le rappeler.
L'établissement compte trois étages de portes feutrées, salons et pièces indéfinissables, où passent des rumeurs de chariots, de phrases pâteuses et d'infirmières grinçantes.
Sur le lit Myriam morte repose dans son peignoir, tête calée par un gros coussin de glaçons. Ses lèvres ont pris l'aspect de cordelettes violettes.
« Je ne veux pas rester à Valhaubert dit Georges.
- Vous occupez la meilleure chambre.
- Pourquoi m'aviez-vous séparé de ma femme ?
Claire glisse dans l’étui ses lunettes fumées. Georges, un instant ébloui, lève les yeux sur la soignante qui murmure Myriam, Myriam - Elle est morte dit le vieux.
Quelqu'un monte le son des haut-parleurs. Claire ?… je ne veux pas mourir ici, à Valhaubert.
Good bye stranger fait 6mn 45.
Tout le temps où le visage de Claire, aide-soignante, se tourne vers lui – synthé, syncopes, tierces mineures Georges examine son front lisse, ses yeux, la chute sur les tempes de la permanente blonde. Chœur de fausset – piano subito – improvvisa sordina – ossessivoputain changez la glace hurle une voix en plein mois d'août quoi merde !
Celle qui tient le cou celle qui change la vessie dans un entrechoc de cocktail on the rocks
« Claire - posant la main sur l'avant-bras tiède – montez le son -
- ...Good bye stranger ?



FLEURS ET COURONNES 3




Les trois vivantes le regardent comme un dingue. Claire tourne le bouton. Son visage à tout jamais empreint de ces rythmes à la fois lancinants, martelés. Ces larges applications de lune sur son profil droit.

II

Claire et Georges devenus inséparables en dépit du Règlement Interne. À titre d'avertissement (administratif) : visite préalable, par elle et ce vieux con, de 5 domiciles – pourquoi rester ici à présent que votre femme - venez avec moi, Georges, tenter l’Avenir, si vous pouvez continuer de vivre – Je ne sais pas, je ne sais pas
Dans le premier appartement vivait une vieille fille usée par le doigt, parcheminée, hâve et fardée, voix de fausset sonnant faux. Toutes quelque chose à cacher. Ça se voit. - Georges, ne jugez pas les femmes seules.
« ...Vous habiteriez sous les toits, un petit deux pièces rue des Juives – Je vivais heureuse dit la femme, la peinture blanche, c'était moi, les plinthes à l 'adhésif, encore moi, les meubles vernis, la bibliothèque de Ferreira (Eço de Queirós, Castelo Branco)- c'est la circulation, monsieur, qui me gêne, j'y suis presque faite, l'été, j'ai moins de camions, je laisse la fenêtre ouverte - j'ai fleuri la terrasse sur cour… - Eh bien dit le veuf ? - J'y suis retournée seule, répond Claire, six mois d'impayés, la vieille est virée, vous emménagez quand vous voulez, la propriétaire est venue, les yeux dans les yeux, un gendre au chômage, la fille aux études c'est bon a dit la vieille c'est bon, obter o inferno je f… le camp » - Intimação para desocupar – Vous parlez portugais Georges à présent ?
Il hausse les épaules. La vieille à la rue. Fin de l'ankylose. Chambre entière avec un vieux lit, la table et la chaise – une coiffeuse à lampes nues latérales - « ...et les toilettes au fond je vais vous les montrer – Non merci. » Claire et Georges Aux Anciens de Valhaubert. « Il ne s'agit pas de spoliation, Georges ; tout juste l'application d'une loi. Tout juste ça. Deux années d'impayés. »
C'est le premier avertissement pour le veuf.
Ce que dit Claire, il le croit : elle n'a que 23 ans, pommettes hautes et écartées, très blonde. Que pèse en face la vieille Portos, 36 rue des Juives ? Claire conseille à Georges en attendant de tenir sa porte au Valhaubert bien fermée à clé. Elle hésite entre tu et vous. Georges reçoit l'intimation administrative de bien vouloir quitter bientôt le Vieillards’ Home, signé Valdfield, Directeur. Claire la lui rend à bout de bras.
Deuxième avertissement. Chez Léger. La voix des vieux Léger à travers la porte nous ne pouvons pas loger une personne de plus. Claire invente une enquête municipale. Henriette et Phil ouvrent la porte en deux fois par l’entrebâilleur, fermer sec et rouvrir d'un coup, côte à côte dans l'ouverture. Léger porte le cheveu crépu et le teint basané d’un octavon du Morne, soixante ans et double menton. Henriette est toute longue et toute blanche en robe. Ils affirment avoir bâti leur maison de leurs propres mains. « Enfin, moi », dit Phil. « Nous avons fait cinq enfants » dit Henriette, « et tous se sont mariés ; pour chaque naissance, une pièce en plus, dans le sens de la longueur – Pas très pratique pour les incendies » (Pheaul plaisante) « et surtout, sans le moindre permis de construire.
- Un jour les huissiers sont venus.
- Ils nous ont demandé de tout démolir, dit l'homme.
- De tout remettre en l'état. »
Puis Georges et la jeune Claire s'introduisent sans peine dans la bâtisse des vieux bavards. C'est une maison longue et basse « comme j'aimerais » murmure Georges. Mais sur les murs blancs, les craquelures se comptent par dizaines, on y met le doigt. Pheaul n'a plus bricolé depuis longtemps. Henriette en longue robe blanche tropicale n'a jamais tenu la moindre truelle, porté le moindre seau : « Nous avons tout hypothéqué, ce sera bientôt vendu ». Pheaul prétend que sa femme pèche par optimisme, l'acheteur devant payer une hypothèque même après la mainlevée. Henriette n'a jamais compris pourquoi. « Moi non plus », dit Georges. Le vieux reprend la parole pour souhaiter un « bon bouge » au Vieillards'Home. » Claire éclate de rire : c'est la première fois qu'un de ces déchets vivants se sert encore de l'ancienne appellation du Washington's Azaïle.

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