Runes
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COLLIGNON LECTURES "LUMIERES,
LUMIERES"
...Déjà,
le fascitrouducule est en mauvais étapette. Non par longue
fréquentation, mais par long abandon. Pour l'avoir feuilleté, je
sais qu'il s'agit d'un recouil de poèmes, avec beaucoup de blancs
"pour l'âme" et une infinité de platitudes – ce genre
de vents que s'obstinent à vesser depuis trente ans une génération
d'anémiques. Mais ue vois-je ? Une préface ! Sans doute quelque
éloge abscons et dit "tire-en-bique" – ouah le beau
papier d'impression ! Les beaux cahiers non reliés, toujours plus
brut, toujours plus authentique ! Hmmm, Danone... Exergue de Kenneth
White, ben mon cochon...
L'auteur
est donc censé, avec ses Runes,
surenchérir
sur la puissance des dieux. Ça ronfle la préface, coco, dès les
premiers mots, ça te renforce déjà l'antipathie, par cette
grossière approximation sottement revendiquée de l'écriture aux
sciences physique et mathématique. Encore un poseur d'équation. Et
de s'interroger : "Est-ce de la poésie, une forme de poésie ?
Une poésie formelle ? Ou formellement la poétique ?" - mon
pied au cul, est-ce un pied sur un cul, un cul frappé d'un pied, un
pied augmenté d'un cul, ou deux fesses formellement exprimées par
un pied ? Moi-même et Dieu merci, la page 8 épuise la préface :
"L'évidence scientifique peut-elle rejoindre l'évidence
poétique ?
Grand
Un (Attila), toute la page. Suivante, blanche, fin du premier cahier,
ô grandiose pensée, allez ! On s'y plonge.
Naître
dans le noir (là
dis donc)
du
vivant des caresses
(interligne)
en
vouloir à la nuit
(interligne)
(très important les interlignes)
gagner
à s'y perdre
Traduction
(?) : "Mes parents ont baisé dans le noir (là dis donc) (oui,
bon...) - ces salauds, et j'ai peur du noir, ce qui ne m'empêche pas
de m'enfoncer dans un vagin."
N'est-ce
pas profond ? C'est fort variable ma foi, et les femmes se le
mesurent au doigt tant qu'elles peuvent. La page 12 est encore plus
succincte. Ayant lu les Runes,
peut-être
en ferai-je cadeau – page 13 :
La
parole futile
une
douleur qui se tue au silence
ce
besoin de rien
que
la faim assouvit
-
autrement dit : quand j'ai le bourdon, je la ferme, et je la rouvre,
je bouffe un Mars, et ça repart.
Que
de Béotie dans l'âme du critique... Il suffirait sans doute d'un
ton pénétré ? Je crains que ma conviction première ne se mue en
grosse indulgence de poisson noyé. Surtout n'attendons rien de neuf
: Monsieur Poète pense :
Captif
des vertiges
sur
la terre à bâtir
son
mal en patience
pour
y dormir au bord.
Celui-ci
me plaît : c'est bien par la faute de ma femme que je ne peux
voyager – gnagnaouèèèère !
...Ah,
enfin ! Ce vers nul ! Ce vers parfaitement nul !
Les
dents cariées par le sucre du silence –
ça c'est du symbolique mon pote !
le sucre du silence, apposition
indirecte. "Les prés de mon âme", "le pneu de mon
amour", "la braguette de mon tambour", ça c'est de la
poésie ! T'as pas deux briques que je te ficelle un bouquin à la
con ? Page 16! Juste avant, II,
au
début d'un feuillet : nous retombons sur nos pieds. Ce doit être
cela, le mathématisme de la poésie :
Les
récoltes engrangées
l'ivraie
se récolte
pour
la beauté –
ô penseur ! Et qu'y a-t-il derrière ce II
? Une
page blanche. Tant le poème précédent tant à penser laisse...
Femmes
– attendons-nous
au pire – mais non, pas parce que c'est des femmes, abruti !
-
Femmes
moissons
oubliées
sous
la pluie des regards
elles
donnent faim -
-
je vous fais grâce des interlignes.
Après
l'ennui, l'amour ! Ah nom de Dieu ! Le "grand III", c'est
le sexe : sûr ! Les femmes, les moissons ! Quel être singulier, ce
Désaguliers ! Quelle puissance !
Un
sourire,
un
champ givré à perdre haleine
la
plaie qui se rouvre
quand
le lièvre fuit !
Quand
on débande, la vulve bée, puis en redemande !
Moi
aussi je manie le symbole. Mais je perds le souffle.
"Il
arrive un moment / où plus rien n'est à dire".
Ça
se surpasse pp. 22/23. Plus que deux vers. Sûr que ça gagne en
intensité :
Quand
on caresse l'arbre,
on
met la main au feu"
"Arbre,
il brûle de le savoir."
Je
sens venir, parole ! Une page avec une lettre ! Ou blanche, non plus
au revers d'un chapitre, mais en plein milieu !
Sur
le chemin du retourna
la
pluie
allume
la lumière – j'ai
gagné ! La page d'en face est blanche !
De
la poésie mathématique on vous dit ! Plus subtile encore : la page
n'est pas numérotée ! Ni la suivante, blanche aussi ! Il faut
tourner une page entre 24 et 25 ! ô piètre âme, ô pieds au cul,
pieds découragés qui restez mous dans vos pantoufles !
La
pluie
ses
cheveux brûlent
sur
terre – lecteurs,
vous avez vu l'opposition ? La pluie qui brûle ! Vous avez remarqué
les
éléments ? L'eau,
le feu, la terre ! L'air, c'était le vide des pages. À présent
chiche qu'il nous entretient de vent, de brebis ou de roc... Encore
gagné ! C'est la neige, le diamant, les
facettes égrisées par une bise – je
n'aurai pas perdu mon temps : j'aurai appris un mot. Mais j'ai la
flemme vraiment d'aller chercher dans le dictionnaire. Allez, un
petit coup de Bon Dieu, un petit coup de Mort pour finir, ça ne fait
pas de mal ! C'est joli les majuscules. Un peu de montagne, un peu de
rocher, ça manquait, ah ! La ville. M. Désaguliers touche à tout.
J'accélère :
La
ville
elle
porte des bas
à
demeure.
C'est
joli la polysémie. Soudain, p. 35, je tressaille un peu, à peine :
Noyés
au-delà de la force
cherchant
dans l'eau
ce
qui dénoue
ils
en prennent encore la peine.
Et
je le noterai.
La
moindre chaise au désert devient cathédrale.
Mais
la chaise s'effondre page 36. Chapitre IV !
À
chaque nombre je scrute en vain l'arrivée de la mathématique :
Une
grappe de folie fait un repas au solitaire –
il a pensé. Il a poété. Peut-être ce monsieur gagne-t-il à être
connu. Mais voilà : il croit écrire.
La
peur aime à cacher ce que la solitude invente, et
je dirai même plus,
La
peur aime à inventer...
Ce
n'est pas fini :
Avec
l'âge, la beauté se protège - !
Ici,
deux réactions : ou bien s'acheter un kilo de Nivéa, ou bien relire
Les
vieilles de
Baudelaire.
Ah
ben merde alors ! C'est fini ! "Il a été imprimé 500 Runes"
...Pas
de prix... Quelques lignes au dos, reprises de la Préface, pour
rappeler n'est-ce pas, mais ça ne rappelle rien du tout – mais
alors, mais alors, il va falloir que je me cherche un autre livre,
moi !
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