L'Accidenté
C
o l l i g n o n
P
A N A Y I A
ACCIDENTÉ
Bâclé,
grand,
hâve.
Les mains
pendantes. Walter
Walden
([val] [val]) front
sur la vitre, seul, ressassant
sa
liste d’annuaires section
barmaids
doses
accélérées –
relâchées
– la
proie pour l’ombre
– s’abandonner
pour vivre abandonner
pour obtenir on
connaît la chanson MERDE
au volant nom de Dieu au volant la
vie éternelle c’est mathématique.
Il
se voit
montant de tiroir en tiroir tout petit tirant des gants des
serviettes et courant se laver renfilant
sur lui très vite mal séché ses habits de garçon à l’exception
de ses chaussettes. Son
corps se compose de zones séchées non savonnées, savonnées non
séchées.
Il
répartit sur lui les parfums. Aujourd’hui adulte, pas de cravate.
Une échancrure, où la femme sélectionnée glisserait la main,
sentirait le cœur battre.
La voiture de l’homme adulte est luisante, astiquée. Même
froissée, la tôle brille. Muni d’un chiffon le voilà qui lustre.
Une femme l’attend, qu’il connaît déjà, dont il souligné sur
l’annuaire les nom et prénom. Ne va-t-il pas se présenter trop
tard ? Il devient fébrile, oublie ses clés sur la commode j’ai
failli m’enfermer dehors. Penser à tout. C’est beaucoup pour
un homme seul. Alerte. Aisé.
X
Pendant
ce temps, à Bonnières, un autre homme, une femme. Bientôt
les quatre se heurteront dans la ferraille. Un enfant manque dans le
tout. « Monsieur et Madame Bargros-Vintancourt vous invitent »
(etc). L’homme de Bonnières ne supporte pas pas la société,
l’alcool, la vie de couple et les visites. Ça
les désobligerait, Roger.
Un
dialogue plein de platitude, on vous dit.
Le
gros Roger (il est gros) met la penderie à sac. Falzar.
Chaussettes. Nous sommes en retard Cherche avec méthode. Et
Cyrille.
Ces
deux-là. Roger. Zabeth. Vont à la catastrophe. Courent à la
catastrophe. Roger Bargros, alcoolique. Sous les chemises, du
cognac. Entre les slips, du cognac. Il fouille il boit. Par ci par
là. La Vintancourt Zabeth le reprend, On va chez Marty, tu seras
soûl avant les entrées Je t’emmerde pense le gros, je
m’emmerde chez M., les opinions de Monsieur me répugnent, Madame
opine, je ne veux pas que tu conduises Qu’est-ce que c’est
que ça c’est ma bagnole je conduis - Appelle donc Grambe au 36 43
c’est un bon client il prendra le volant ». Elle ajoute :
« Au moins, ce ne sera toujours pas une femme ».
Grambe
a commandé ferme un paravent de soie peinte. Le travail de Zabeth
est déjà bien avancé. Roger débouche, debout, une canette. La
septième ? Il dit entre deux gorgées (de bière!) : « Pas
question que ce métèque touche au volant ». Puis entre deux
autres : « Je ne peux pas blairer ces M. ; et c’est
encore à moi de te conduire chez eux ». Il fait partie des
râleurs qui cèdent. Les ralcédeurs. Le couple Roger/Zabeth
porte des prénoms d’avant. Ils se sont rencontrés dans un
accident routier. Roger buvait. Il boit encore. Il soignait son
ventre. Il ne le soigne plus. Zabeth est stagiaire dans un
établissement quelconque.
Sans
s’insulter, ils ont tous les deux rempli le constat d’accrochage,
arrondissant les torts, se chargeant eux-mêmes. Comme ils étaient
indemnes, ils se sont souri, acclimatés, collés. Ils ont vécu à
la colle. Ce soir, après cinq ans de vie commune, un
attendrissement les saisit : de ses longs bras Zabeth
Vintancourt encercle l’abdomen barriqueux de son concubin :
« Tu
te souviens de l’auto-stoppeur de Turin ? »
Ils
avaient défoncé la rambarde à 110kmh. Tous indemnes encore, y
compris l’étudiant canadien. Le choc l’avait éjecté sur le
dos, agitant les membres comme un crabe retourné. Il poussait de
petits cris inarticulés. Qu’est-ce qu’on avait rigolé,
Zaby !
Ils
auraient embrassé le radiologue : personne n’a rien, même
l’étudiant, qui aurait pu coûter très cher. Ils s’étaient
félicités autour d’un liégeois géant, au bar dei Tre
Piemontesi. Ces deux-là s’aiment, l’auto-stoppeur a laissé
son adresse.Il vit toujours. Roger ni Zabeth ne prennent plus
d’auto-stoppeur. Il s’appelait Jacques Ampol.
Jacques
Ampol retrouvé, bien mat de peau, employé dans une entreprise
indéterminée. Cinq ans passés depuis l’accident, il
n’a plus d’argent pour descendre en Italie. Il s’est marié
avec une blonde qui va connaître tout le malheur du monde. On
arrête les italiques ça commence à faire. Et leur fils Maurice
MauMau joue sur l’herbe devant la maison malgré l’interdiction
de sa mère. À vrai dire l’enfant Maurice ne sait plus très bien
ce qu’il ne faut jamais faire sur l’herbe en bordure de route.
X
Zabeth
et son amant Roger Bargros sont enlacés l’un dans l’autre sans
prendre garde : déjà en retard. C’est un instant bien
pitoyable et gnangnan où deux êtres s’étreignent en se
remémorant le temps déjà passé ensemble.
Ô
le temps ! Ô la bière !
Ils
se parlent par abréviations : « Enfant » dit la
femme sur la nuc de son mec. Lequel des deux est le plus stérile ?
«On l’aurait baptisé. À quatre ans il se serait amusé sur le
bas-côté en attendant le vrai jardin avec un banc ; nous
aurons notre villa, du nom de l’Enfant, on lui aurait laissé après
not’mort, un accident est vite arrivé – Roger, Roger, ton bidon,
c’est toi qui porteras l’enfant ! » - elle tient son
amant à bout de bras, forcément ; Roger est jeune, il peut
encore se rattraper, se ressaisir. Sa moustache est laide, ses yeux
pâles en crachats sous les lunettes en fer, Élizabeth
l’aime. Ses cheveux bouclent jusqu’au bas du cou.
Les
femmes fraîches fanent vite.
Roger
l’embrasse.
Ils
vont vers la CX 2000 (heure de gloire). Leurs bras passés sur les
épaules s’attardent une dernière fois puis prennent position le
long du corps assis, appendices pendants d’humanoïdes. Tout
est prêt pour que Roger, dans un virage en plein midi, percute la
voiture de Walden (prononcez Val-)
et rebondisse sur la
droite, fauchant l’enfant
du bas-côté. Beaucoup
plus loin, après l’agglomération, Roger le
Gros décide la
Vintancourt à témoigner que c’est elle, elle seule,à
jeun, qui conduisait, et
promet de l’épouser.
X
Walter
Walden ([val-] [val-] seul au volant n’a pas écouté la voix qui
disait serre serre à
droite et trop tard, un œil gauche d’auto lui fonce dessus comme
un bloc détaché, une clef-de-voûte du Tarn-et-Garonne. Le
pare-brise s’émiette à l’ancienne, la fixation s’affaisse
(vérifier sa matière), comme
la sous-lèvre des négresses à plateau.
La
pluie tombe. Sans vent et verticale.
Walter
assis dans son habitacle défoncé. Il voit face à lui le mur gris
d’une Propriété – conclusion : Je
suis en travers de la route.
La
douleur encore sourde qui lui scelle les côtes – il plie le dos
sans peine – immanquable pourtant, émet de petits cris cadencés
qu’il trouve harmonieux, dans l’attente d’un
déchirement qui ne saurait tarder,
insupportable,
incontrôlable. Qui le ferait passer du halètement convenable,
vaguement ridicule, au hurlement bien plus risible encore de sortir
d’un baiseur chevronné. Mais le choc attendu ne vient pas. Walter
entreprend de descendre, replié sur sa gauche, pneumatiques crevés
sous le plancher rabattu. La
pluie tombe encore sur le descendu. Moirures
sur la route, ferrailles
ternes. Il se glisse en
biais boiteux sous les gouttes, s’assoit sur un talus trempé. Par
une fenêtre une mère appelle Valdo !
Valdo ! Valter
muet n’entend rien, tout sculpté sur son dos, attentif à
présenter bien, à
gérer au mieux sa douleur moyenne, je
ne dois pas crier, tout
relève du diagnostic « choc sourd » et « contusion ».
Si
la fracture était ouverte il ne pourrait plus respirer. Il se dit
encore :
« Je
ne souffrirai pas plus qu’à présent. Mes genoux se plient sans
effort. Je pose sur eux mes deux coudes. En attendant les secours, le
chic serait de lire ce journal satirique, au milieu de la carcasse. »
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