Article Ecrire et Editer
C
O L L I G N O N
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ET ÉDITER
Février-Mars 2002 LE SINGE VERT BRÛLE LES PLANCHES
Monsieur
Grybouxe,
Vous me demandez à
quel titre vous
recevez le Singe
vert. Air
connu. Je pourrais vous répondre que c'est comme ça, publicitaire.
Mais ici vous êtes personnellement visé, mon cher. Vous êtes en
effet auteur
dramatique. Et
franchement, regardez-moi bien dans les yeux, sans rougir : vous ne
vous sentez pas un peu, un tantinet gêné, juste un peu à peine,
de lire parmi la foule en délire la belle banderole du Théâtre
Bordel, l'affiche
de la saison de l'année ?
* * *
"Euripide,
Claudel, Grybouxe-
Corneille
et Beckett" ? Ça ne vous choque pas quelque part ? Vous pouvez
toujours mettre un pied devant l'autre, avec vos chevilles enflées
jusqu'aux couilles ? "M.Grybouxe,
hauteur dramatique". Moi
non plus, certes ! , je ne me prends pas pour de la Scheiße,
mais franchement, là j'aurais ressenti comme
une insulte. Qui pourrait penser que je m'estimasse suffisamment
niais, suffisamment retors, suffisamment pucelle, pour tolérer que
mon nom figurât LÀ,
en si prestigieuse compagnie ? Ou alors (car j'ai ma bonne dose
d'hypocrisie moi aussi) en petits caractères en bas à droite, pour
que ça se détache mieux, que ça fasse bien ressortir mon ignominie
minuscule ?
Et
que ça se permet en plus de faire une petite conférence
modestissime sur "Grybouxe
réunira ses amis et ceux qui l'apprécient sans le connaître, son
œuvre
et son – attention
ne pétez pas s'il vous plaît – son
UNIVERS ? Et
moi alors, je n'en ai pas un non plus peut-être d'Univers avec mes
30 volumes dans le placard ? Et ça laisse répandre sur son nom
qu'"il est
la modestie et la gentillesse incarnées " ?
Et cet autre qui laisse imprimer dans sa préface qu'il est modeste
? Mais
j'ai
le
sens du ridicule Môssieu, j'ai la dignité de mon ridicule, moi, et
si quelque thuriféraire poisseux venait à préfacer Mon
Œuvre en
faisant allusion à ma modestie, je l'attaquerais en diffamation (si
j'avais le pognon) mais je ne tolérerais pas qu'un ami me foute le
pavé de l'ours à la gueule (
- C'est quoi, le pavé de l'ours ? - Ta gueule, va faire du rap).
Et
que je t'intrigue dans le torchon local, et que je te dégomme une
interview dans Bordel-Chieronde,
et
que cet autre encore fasse sa conférence (encore) sur le thème de
l'exclusion et de l'exil, parce que le mot exclusion
figure
à la page 44 et que tout écrivain vit métaphoriquement en exil...
Je vous le répète, il n'y a que les intrigants, que dis-je, les
adaptés en société, les gens normaux, les gens comme tout le
monde qui se font éditer et connaître. Il vendraient des frites ou
des capotes en argile (en glaise, waf waf !) que ce serait idem.
* * *
Mort aux faibles, on vous dit.
Bien sûr que j'aimerais aussi faire des ronds de jambe sans me
casser la gueule, ou bien simplement civilisé en Société, le
beurre et l'argent du beurre, mais la logique je l'emmerde, dès que
je l'ouvre c'est pour dire une connerie, on me l'dit depuis tout
petit ! (remarquez, certains ont l'air con sans même ouvrir la
bouche...).
Marius, le grand général
romain ( - C'est qui, ce con ? - Ta gueule, va faire du reggae)
n'ayant pu se faire accepter par la noblesse se tourna vers le
côté populaire. Le Singe Vert pareil. Putain tu viens encore de
fausser la glace...
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– Septembre 2002 LE SINGE VERT ET LE BON DIEU PASSE 4
Pour
faire une bonne dame patronesse... chantait
Jacques Brel. Et pour faire un bon écrivain à succès, que faut-il
? Caleçon les bons ingrédients ? Je vais vous le dire : il faut
être Dieu. Carrément, c'est-à-dire comme chacun sait (il me le
disait encore l'autre jour) le point d'intersection où les
contraires se résolvent, s'annulent.
Tout
à la fois être superbon et superdégueulasse. Non pas travailler
avec acharnement dans son coin, comme essayent de nous le faire
croire tous ceux qui veulent engluer les éternels puceaux que nous
sommes – "Dix conseils pour éditer", c'est de qui cette
rubrique à la con ? Ni "avoir de la chance", ce qui est
une explication de mes couilles (le
Singe Vert, c'est comme Bigard : c'est pas drôle mais le seul
procédé comique consiste à se demander quand est-ce qu'il va enfin
lâcher ses couilles ;
à ce moment-là toutes
les mémés rigolent et c'est parti) du
style pourquoi le pavot
fait-il dormir – parce qu'il a une vertu dormitive... voilà
ce qu'on enseignait en faculté au Moyen Âge, lecteur : la vertu
dormitive du pavot – beau titre, d'ailleurs...
X
Non.
Il faut pour réussir aimer les gens, passionnément, se fendre en
épanchements (ça c'est du Joseph Prudhomme), larmoyer sur
l'extraordinaire nature humaine, aimer la vie, les femmes, les
cacahuètes et remercier Dieu tous les jours d'exister, le cœur
sur la main et la main dans le portefeuille. Et puis constituer
autour de soi une petite camarilla. Dire toujours du bien de soi,
comme le conseillait Marcel Achard, parce
qu'après ça vous revient et qu'on ne sait plus de qui c'est parti.
Et
un petit peu de La Bruyère tant qu'on y est : "Le talent, la
vertu, le mérite ? Bah ! soyez d'une coterie." On peut la
fabriquer soi-même avec plusieurs spécialistes d'ascenseur.
Signature à Paris (le pied-à-terre à Paris est ri-gou-reu-se-ment
indispensable) : Oh
bonjour Michtroume, comment ça boume ? J'ai lu ta fable, c'est
formidable ! Salut Dubreuil, j'ai lu ton recueil, c'est formideuil !
Ave Troudük, j'au lu ton truc, c'est majuscule ! - à
grand renfort de moulinets de bras.
Et
par derrière, mon vieux, il faut coucher utile, politiquer utile, se
faire des relations utiles ET sincères, perversion suprême
exactement semblable à celle des putes qui se mélangent tellement
les pinceaux, les pauvres, qu'elles s'imaginent être aimées à
proportion de l'argent qu'elles reçoivent...
Et
balancer impitoyablement les gêneurs, les anciennes connaissances,
bien leur faire
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– Septembre 2002 LE SINGE VERT ET LE BON DIEU PASSE 5
comprendre
qu'un tel "ne correspond plus à l'esprit de la boîte",
mais sans lui duire pourquoi surtout, de
sorte qu'il se ronge bien jusqu'à l'os d'autocritique, façon
Inquisition, façon Staline : mais
qu'est-ce que j'ai bien pu foutre ? Bref,
tu dois être un parfait ami de l'homme, à t'embuer lesyeux devant
la moindre salade de fruits jolie-jolie-jolie, "une si
merveilleuse sensibilité humaine !" et, EN MÊME TEMPS, le plus
sincèrement, le plus innocemment, le plus inconsciemment du monde,
être le plus parfait des salauds froids.
C'est
pourquoi, en vérité, je vous le dis, pour devenir écrivain
(peintre, musicien) à succès, il faut retenir et résoudre à la
fois en soi tous les contradictoires, c'est-à-dire être marqué du
Signe de Dieu, du Signe Prédestiné de la Gloire de Dieu, ÊTRE
Dieu. Sous ce signe tu
vaincras. Amen.
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Février-Mars-Avril 2005
JUSTICE PARTOUT, JUSTICE NULLE PART 6
C'est
facile je vous jure de couler n'importe qui sous n'importe quel
prétexte : un prof, un sauvageon, une petite entreprise fraîche et
joyeuse. Vous faites valoir que les réunions se font par téléphone,
vous montez en épingle les rapports tronqués avec bénéfices quasi
nuls, alors que vous savez pertinemment (c'est l'éditeur lui-même
qui vous le jubile) que la boîboite sort trois books par mois ; et
que vous avez placé une brique dans le capital pouor que ça vous
rapporte paraît-il au prorata des bénefs, pour vous ça fera zéro
zloty zéro groszy fautilovski vous l'envelopper ?
...Sans
oublier que le pauvre éditeur vachement à plaindre vous a
soigneusement niqué la diffusion sans oublier de promouvoir celle
des autres sans un centime de droits d'auteurs (les sept cents
premiers exemplaires pour que dalle vous connaissez la chanson) TOUT
EN s'offrant des voyages professionnels à Paris ou Verdun "payés
par la maison" – je ne suis jamais arrivé à piger comment on
peut être à la fois personnellement fauché avec une société
prospère yop'là boum – faut croire qu'il y a d'étranges
phénomènes de porosité tout de même, malgré les HURLEMENTS
vertueux des gestionnaires – tiens t'en v'là du pognon
miraculeusement surgi pour les stands au Salon du livre, pour loger
les écrivains à l'hôtel – les droits d'auteur que dalle et peau
de balle on t'a dit t'es
sourdingue ? C'est tout de même un peu fort et si je peu me
permettre – un brin mystérieux.
Je
vais t'en couler des boîtes moi, par paquets de dis. Là-dessus
interviendra un baveux (avocat...) qui vous démontrera que non
seument vous n'y connaissez rien, mais que vous avez eu tort de poser
la question,
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