Le voyage en Belgique
C
O L L I G N O N
LE
V O Y A G E E N B E L G I Q U E
Auteurs
de Merde
J’écris
couché sur un chemin.
Je
suppose que c’est interdit
BERGERAC
– ARGENTON
D’abord
la voix de mon Père.
Il
est curieux de retrouver ainsi la voix de son père, dans cette allée
de St-Florent-le-Jeune. Sa voix. Je ne la reconnais pas (sauf à
certaines inflexions) (rauques).
Je
reconnais aussi ces scrupules d’instituteur, qui détache les
syllabes, qui estime indispensable de lire à haute voix un « mode
d’emploi » en tête de bande magnétique.
Un
enfant comprendrait cela en cinq minutes.
La
voix restitue toute une ambiance.
Je
par-le dis-tinc-te-ment devant le micro.
Il
s’est modelé sur la prononciation de « L’allemand sans
peine ».
Il
refuse toute connaissance, même élémentaire, de la langue
britannique.
« Start »
prononcé « star »
« Rewind »
prononcé « revinnd ».
Je
conserve ce document.
Plus
loin :
Mon
père a cru tout effacer mais l’on entend le bruit du moteur, et
Sonia, à travers sa main à lui.
Comme
un cœur.
Je
n’entend ma petite Sonia qu’à travers ce moulinage forcené.
Les
premiers mots prononcés par ma voix, après celle de mon père :
« Je
n’ai rien à dire ».
(sur
la bande j’entends ma mère : ses savates qui traînent). La
veille au soir j’ai vu ma vie : un volumineux album de bandes
dessinées.
Tout
ce que j’ai pensé, tout ce que je dirai, dans des petites bulles,
et que je peux lire.
Les
pages de l’avenir s’imprimeront au fur et à mesure.
Que
se passera-t-il si je consulte le volume à l’heure même où je
suis ?
Ou
si reviens me lire juste après l’action, pour vérifier à chaud
ce que j’ai pensé ?
Je
me souviens des choses effacées.
Je
suis celui qui fait l’album.
Les
uns sont immortels, les autres non.
*
Pouvoir
thérapeutique du voyage ? - plutôt ce profond malaise, ce
broiement sourd
du
moteur en marche au sein duquel reposent les mots enregistrés.
L’homme
aux semelles de vent – modeste
aux
semelles de pneus -
Grégarité :
ceux qui s’installent dans le champ, juste et précisément dans
mon allée Notre
envoyé spécial au Tour de France – il
n’y a plus de thérapie au numéro que vous avez demandé c’est
toi-même que tu fuis etc.
Un
vagabond (à cheveux longs) viendrait chez nous, se prendrait pour
nous d’une affection subite et débordante, puis ils
s’installeront, demandent à garder l’enfant, à parler
le-dia-logue !
Le-dia-logue !
Plus
avare de dialogue que de fric
Je
préfère le vrai voleur, le franc voleur qui ne parle pas.
Lorsque
je rends visite, je pars à l’heure prédite, à la minute près,
quand je baise je garde ma montre.
Le
vagabond vient à dix heures, à 18h30 il est toujours là je vous
éviterai toujours
Pour
l’amour venez dans mon antre de telle à telle heure aucune femme
ne viendrait elle à qui quatre doigts suffisent Le vagabond dit sous
son bec-de-lièvre
« Si
je dérange tu préviens
-
Tu es le cinquième de ce mois
Mon
épouse et moi sommes des bourgeois.
"
Dès
que possible je m’arrête. Qu’il pleuve ou en rase campagne. Je
travaillerai sans sortir. Le voyageur extrait ses documents, consulte
son Emploi du Temps, il vit selon lui. Ses lectures le mènent chez
Saint-John P.
-
Je maudis Saint-John Perse. « Parole de vivant ! »
disait ce riche. « Balayez tous les livres ! » -
auteur, auteur, le livre est plus sacré que le sang et la peau. Le
Voyageur du Temps gifle à toute volée le primitif de l’an Dix
Mille qui lui montre, sur une étagère, quatre livres en lambeaux.
Il
le gifle.
Autre
exemple :
Soit
un manœuvre. Il a roulé tout le matin des câbles sur un gros
tambour. Il a en lui le vide des brutes.Il se plaint à midi du repas
trop long, commente son dernier rouleau, évoque la manière dont il
poussera le prochain : angle d’attaque,économie des forces…
Il
s’est fait expliquer Racine sur les marches du Muséum. Il
éprouvait comme un reproche son absence de diplôme. J’aimais sa
tête dure, sa façon de se mettre en boule, son aboiement perpétuel,
sa corrosion, son rire.
Il
écrivait mal. Il cessa. Sa femme lui disait C’est
l’écriture ou moi !
C’est
la condition
humaine
que tu nies ô femme de B., manœuvre. Et je lui disais moi, au
manœuvre :
« Un
jour nous manifesterons contre la mort A
BAS LA MORT sur
les banderoles » et l’ouvrier B. riait avec moi de ceux qui
patiemment comme lui-même empilaient les mots et les virgules :
« Du haut de ces littératures... »
Ou
bien :
« Le
vent jette à la mer les vains feuillets de l’homme » - non,
Saint-John le Riche, car Pharaon revit sitôt que tu redis son nom.
Bibliothèques niches en étagères vos hypogées exigent l’attentat
supplient après le viol : "Versez, versez le sang aux ombres
d'Odysseus. Dieu ne reviendra pas juger les vivants et les morts je
suis fier de
faire partie de ce canular.
Je
lance en plein jour des appels de phare - pas de flics - faire
l'important "Une nuit me rejoignit la fille de l'hôtelier"
- depuis combien de temps ? ...passé à "Charriéras" où
nous lirions l'histoire d'un homme qui porterait ce nom...
*
Eviter
de montrer de la reconnaissance. Les dons des autres ne sont qu'une
contrepartie à l'emmerdement qu'ils dégagent. Variante au Contrat
social : chacun
voyant avec horreur l'existence d'autrui conçut par là celle qu'il
inspirait lui-même, et voulut s'en racheter par des offrandes : du
pain, du lait. En retour il obtint du beurre, des fruits, de la
viande. Ou de l'affection. De la guerre. Ainsi, et non autrement,
naquirent les rapports sociaux.
...La
tête qu'ils feront, les Autres, un jour, en se découvrant !
Un
jour nous flemmarderons en attendant la mort.
Déplaisante
intuition en lisant Rousseau : sitôt que l'on a reconnu ses torts,
quelle fête
pour
les autres de vous accabler !...
*
Un
jour, le sexe gisant sous toute chose se fit débusquer, nu, sans
démonerie, et
le beau Verbe vagabond reparut comme le feu qui couve. L'homme dit :
Je reproche à la femme (...) - ses onanismes, dont nous la
sauverions avec condescendance, et npsu n'éprouverions aucun
plaisir, et comme un homme me suivait de près, j'ai décroché de
mon tableau de bord un micro, afin qu'il se laissât distancer. Le
magnétophone enregistre tous nos écarts, nous lui décrivons, faute
de les transmettre, les parfums que nous sentons, "et le
cul de cerFF blanc d’un chien haut sur pattes au galop ».
Beauté
sauvage des jeunes hommes à
cyclomoteur.
De
St-Jean à Thiviers par St-Jory. Swann et Guermantes. Ma voix
déplorable : « dans quelle mesure une attitude consciente
est-elle une attitude vraie ? » La réponse est :
« une attitude ».
Masturbation
intellectuelle.
« Il se masturbe au volant : un mort » - « il
se branle au volant et meurt » - j’hésite. Sans repère ici.
Personne. Pas d’auto-stoppeur. Auto-stoppeuse ? tout faussé ;
exemple :
« Je
vous prends à bord. Sinon vous feriez de mauvaises rencontres »
- elle, dubitative.
Variante : « Je
n’avais pas vu que vous étiez une femme - au
revoir - (un soir je
descendais le cours de l’Intendance, suivant une silhouette à
longs cheveux blonds – merde
une femme –
je l’ai sorti ainsi devant elle après l’avoir doublée – son
rengorgement digne m’occupe encore. Je dis :
« Les
auto-stoppeuses méprisent ceux qui les acceptent, car elle sont bien
décidées à ne rien accepter » - un médecin peu soigner un
désargenté, mais à celle qui peut payer, qui ne veut rien donner,
il doit refuser ». Le cul des femmes est leur monnaie. Délire.
Évaluer
les villes en fonction des capacités bordelières. Limoges. Ou la
main seule, comme elles font toutes. Cosi
fan tutte. « Hôtel
du Commerce et des Voyageurs » à Thiviers, pas de putes, les
cloches au matin, l’
« impasse de Tombouctou ».
* * * * * * * *
Plaisir
simple glisser dans l’ombre à petite vitesse, sans autre
pensée que roues et jeux
de bielles.
Trajet
somnambule.
Branches.
Ne
pas aimer. Rester naturel. Ce
dix juillet 1976,
joué de l’harmonium à Oradour-sur-Vayres. Transporté
l’enregistrement ers le nord, aux environs de Béthune parmi
les
chaumes, sur fond d’autoroute au soleil couché ; entre
les arbres au ras de l’horizon, ultime éclat du ciel formant
soucoupe, très effilée.
Notre-Dame
de… :
« Je
vous demande de vivre en état de perpétuelle exaltation. D’aimer,
de trouver toutes mes actions extraordinaires, sans prétention de
contrepartie. Que ce vœu
soit exaucé ».
Notre-Dame
de la Perpétuelle Exaltation…
*
Oradour-sur-Glane
n’est signalé que 10km à l’avance.
Le
guide pleure dans sa casquette : « Dans toute l’histoire
de l’humanité... » - cherche bien, guide : cathédrale
d’Urfa, Noël
1895 :
mille deux cents Kurdes…
Inscription
sur un volet (photographie d’époque) : Fünfzig
Mann
– invariable, pour « cinquante hommes de troupe » ;
il est donc inexact d’écrire que les bourreaux, dans leur mauvaise
conscience, ont oublié de former le pluriel Männer.
Apprenez
l’allemand. Je ne défends aucune barbarie, je dis :
« apprenez l’allemand ».
Je
me sens mal à l’aise. Mon corps se voûte. Mes coins de bouche
s’abaissent. J’entends : « C’en est un, regarde,
c’est un Allemand. »
Soleil
trop lumineux, trop propre. C’est les vacances. Les ressuscités se
promènent. « Recueillez-vous » - « Recueillez-vous ».
Au cimetière, je fais les calculs : morts d’Avant, morts
d’Après.
Quatre-vingt
dix ans après sa naissance :
MANIERAS
dit SIMON né à Oradour le 10-7-1877
époux
de Marie Gautier, Léonie Baudif
Ancien
conseiller municipal d’O./Glane
Ancien
garde-chasse et pêche, régisseur pendant vingt ans, assermenté
A
reçu trois actes de probité pour avoir trouvé de fortes sommes.
À
l’âge de 67 ans a pris un engagement dans la milice patriotique
comme caporal.
Il
a été bon père et bon époux, a su garder l’estime de tous,
passant priez pour nous,
au
revoir à tous et merci, c’est Maniéras dit Simon qui vous cause.
« Milice » ?
À
part les enfants vivants, je vois parfois de belles têtes d’idiots.
Les photos des morts rongées par le temps finissent par ressembler à
des crânes.
Au
mémorial souterrain, je me laisse émouvoir par les encriers de
l’école. Ici, une résonance particulière donne aux voix le ton
d’une prière ou d’un gémissement. Je sens les pieds, la sueur
(des autres…).
Des
Noirs pètent.
*
Bellac.
Panneaux « Paris ». Pauvres cons. (Près de Créon
(Gironde) cet autre panneau « Espagne ! Pyrénées ! »)
Celui
qui a institué les congés payés aurait dû les assortir d’une
interdiction de partir en vacances.
Je
fais du tourisme.
Je
t’en foutrais du bonheur pour tous.
Du
tourisme…
Non
mais.
*
Visage
crispé.
Les
gens se paient ma tête.
Se
foutent de ma gueule.
C’est
plus commode.
J’ai
cinquante ans d’âme.
...Arrivée
à Bellac.
Je
ne prie pas à la Collégiale. Je ne veux prier que moi. Bellac
ressemble à ses prospectus. Même la libraire se fout de ma gueule.
Même quand je souris. Plus loin :
« Mon
Dieu, que fait votre main dans ma culotte ?
-
Ça
te changera de la tienne.
*
Tous
les petits chemins possèdent une personnalité, une Belle au Bois
qui n’attendait que vos pieds – comme à Monmadalès – sentier
détrempé.
J’écrase
un papillon.
Occidental
au torse halé que je croise, qui te pousse, qui te force ?
...des
moules et pis des frites et du vin de Moselle… nous
habitons plus haut, les Belges sont des ventres d’égotisme,
grand-maman de mon père – du belge dans mon sang.
*
Sur
bande magnétique, je prends des poses. J’imagine que je parle,
qu’on m’interroge, avec mon accent belge, je me récoute encore,
enfant je me croyais coupable outre mesure et demandais pardon le
soir à mes parents à travers le mur, ils me l’accordaient, dans
une gêne extrême.
Bien
fait.
Mon
père :
« La
paix ! Je veux la paix. »
Le
canal de l’Édipe est
bordé de bouleaux bien droits. Recherche d’un hôtel. Mon physique
se dégrade de kilomètre en kilomètre. Ils ne m’accepteront
plus. Demain, à Milly, se recueillir sur la dalle de Jean Cocteau.
Son âme jadis m’a parlé, par le pinceau du phare à Cap-Ferrat,
voici dix ans.
Nom
de Dieu dix ans.
Nom
de Dieu vingt ans.
Il
se prend des poses. Il demande ses routes. Les vieux croient qu’on
se moque d’eux. Bien maîtriser ses expressions. Ses
sourires sont mielleux car il se
met à la portée des
incultes. Cependant ne pas effrayer les gens simples.
.La
conscience de sa culture est la pire des incultures.
Croisant
un automobiliste, il fait blublublubb
en
tournant ses deux pouces sur les tempes.
Conne
de pucelle qui se branle sur sa selle à vélo.
Les
vieux entre deux cuites, les filles entre deux branles et un clocher
casqué comme un archer godon, deux meurtrières aux yeux très
rapprochés à la racine : St-Georges-des-Landes.
Au
bal d’Argenton-sur-Creuse
J’ai
rencontré un’ femme soûle
Je
l’ai fort bien consoûlée
Lui
ai fait la charité
J’approche
des frontières du Berry : je retiens mon souffle.
Myope
au point de klaxonner au milieu de la route une merde,pour la
faire envoler.
Voici
la frontière entre 87 et Indre. Mon cœur
bat. Instant dédié à tous ceux qui passent la frontière grecque
en disant passe-moi le saucisson. Et cette haine passionnée
des jeunes filles. Elle le font toutes. Au moins quatre fois par
semaine,
« Douze »
rectifie-t-elle.
Onze
juillet 2023 Nouveau Style – ARGENTON-SUR-CREUSE / PRÈS
PUISEAUX
L’ennui
sédimenté. Même en voyage. L’imprévu catalogué. Dès le matin.
Parfois l’hôtel parfois la belle étoile : quelle aventure !
à l’hôtel on peut lire le soir.
La
route est républicaine.
La
route est égalitaire.
Le
cloporte aussi a le droit de voyager.
Sur
sa route il rencontre son infinité d’humains.
Il
jalouse les femmes qui ne baisent guère ou pas. Il engueule les
hommes si ternes, stupides et sans espoir – vitres remontées.
La
route est un long ruban
Qui
défile qui défile
Et
se perd à l’infini
Loin
des villes loin des villes francis lemarque
Et
en forêt de Châteauroux PROPRIÉTÉ
PRIVÉE de dessert
vengeance vengeance
une
route où rien ne passe où rien ne se passe entre les haies, marcher
marchons sans nous mouvoir sur le tapis roulant station Les Halles
Plaine de Krasnodarsk puis une ferme au bout d’un champ d’éteules
terre d’une pièce comme au Nord, qui monte, monte
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