Pompée et la brouette

COLLIGNON “CONTES ET ÉLUCUBRATIONS 1
POMPÉE ET LA BROUETTE



Pompée, le Grand Pompée, Sextus Imperator, est mort.
Interiit, apéthané
Que les nations se le redisent, chacune en son langage.
Rome, lion vautré sur les sables de Lybie, urus au sein des selves germaniques. Et déjà en son flanc le poison des empires.
Mais toi la brute, le butor, t’en contrefous. Crâne pelé, rasé, bossu où ondulent les vaguelettes roses, grassouillettes et répugnantes, comme autant d’asticots obscènes – qu’est-ce que tu fabriques, Bête Brute ?
- Justement je fabrique. J’effectue. Je con-fec-tionne : une brouette, en éclats d’allumettes.
Ses doigts boudinés triturent avec dextérité.
« Je vois le sang sous la lame. J’entends le choc sourd, le souffle court du sicaire. Sur les bords de l’esquif sa tête enfin penchée… indignement sciée… Le tronc ballant a chu dans la flaque saumâtre qui toujours gît au creux ds chaloupes. La sentine.
«  À chaque roulis le cou dégorge son sang.
« Jean-Thomas, à lui-même :
«  Avec un peu de colle… ça va s’arranger. Regarde : je découpe le poussoir de biais » (crissement du canif) Ce qui est difficile, c’est le fendillement, la dérobade. Je biseaute, je colle » - préciosité de ses mains rouges : « Par-dessus, un autre demi-tiroir taillé de même – et caetera – c’est la roue. Avec des aubes de moulin à eau. Mais ça roule. Dès que ça sèche ».
Il prend du recul, bridant de plaisir ses petits yeux de langouste.
« On donne à ce héros la mer pour sépulture
et le tronc sous les flots roule dorénavant
Au gré de la fortune, et de l’onde et du vent ».
Corneille
- Regarde, au fond j’ai découpé le tablier, en forme de trapèze. Pour les mancherons d’abord j’avais collé deux allumettes par-dessous pour épaissir. Pour que les points de colle ne se superposent pas, j’ai coupé une allumette en deux : une et demie, une, une et demie.

- Cornélie son épouse a tout bu des yeux, hurlant : Pompée ! Puis elle est tombée ; « sans connaissance, ou morte.
«  La perte irréparable que j’ai faite…
- Je colle, je glisse, j’instille la colle en longs filets de miel ;
Scintillements dorés. L’Aîné, debout, porte à bout de bras, ébloui, la tête de Pompée.



PROLOGUE À  JEHAN DE TOURS




Puis vient l’indifférence
Le Sentir-Bien
Le temps qui passe
Sur les carcasses
Coulées
Ensablées
Aux fonds de Loire…

Loire
C’est sur tes bords que j’ai coulé
J’avais vingt ans
et je prévoyais bien qu’un jour je les larmoierais

Souviens-toi, souviens-toi des douces et lentes soirées
Avec mes anges, mes Jean multipliés,
Sur la langue de Loire étirée
Grand Fleuve aux ombres immobiles
Qui aux lueurs du feu
De bois
Chantaient scoutement, paroissialement,
L’Internationale
- pleurez, doux alcyons,
et rigolez aussi quoi merde,
Faut bien vivre.

Tours, Tours, ma grand-ville
ô gué
Île Simon,
PROLOGUE À  JEHAN DE TOURS 4




Paradis d’un enfant cherché en vain…
Cathédrale, énorme et sombre, la nuit en revenant des images mouvantes,
lorsque s’éteint la lumière, la nuit des pierres fondues dans le noir…
Jardins de Préfecture
Massifs découpés, décembre et brouillard
et crépuscule
il fait toujours décembre
et nuit tombée
sur les Jardins de Préfecture

Chinon, tours de lumière, matin de bruine,
et toi mon Jean, et ce banal bistrot
les points de suspension se joignent et s’additionnent
comme les grains d’ivraie des souvenirs
d’ivrogne

Jean ce n’est plus toi
Je reviens à toi
et te lèche et te lape avec complaisance
loup attardé

La lance d’Achille guérit ses blessures
Tout s’apaise

Mon Jean mes anges
« La première fois que je te vis tu passais j’ai pensé
« Jamais je ne le reverrai »
Il est de ces visions qui passent et qui s’en vont
PROLOGUE À  JEHAN DE TOURS 5



Ô neige de ton cou, le plumetis du col roulé,
La glace de tes yeux céruléens
Mais voilà que je ronsardise
voilà que je pétrarquise
Et je garde tout
précieusement
précieusement
reciselé sans fin
mon souvenir qui se déroule au ralenti dans cette rue qui descendait
vers moi
où je ne suis pas repassé
qui n’était pas de mes itinéraires
de ceux qu’à ma propre quête je traçais
à Tours dans la neige

Savez-vous – la première fois que je vis Tours -
les toits plaquaient des lueurs de plomb
dans les yeux des passants
Tours la froide, Tours enfin Liberté
quand je je peux pressentir entre les paupières
quand je peux toucher du pied
le quai succédané de Saint-Pierre-des-Corps
- du train de Paris je descends, je respire, un pru,
quand je vois les gens de la navette
aussi indifférents que d’autres, mais qui voient Tours -
entre mes cils, de ma pupille distendue dans l’aube de juin
je questionne l’horizon
juste derrière Saint-Pierre-des-Corps se trouve Tours
qu’es-tu devenue depuis qu’une main me maintient
PROLOGUE À  JEHAN DE TOURS 7




à Bordeaux la noire – Bordeaux la nocive encore
qui lentement ici s’infiltre
et m’ensevelit de suie
à grande vitesse des lents cargos
par la bouche les oreilles
Tours… ! Tours… !
COLLIGNON CONTES
LA PREMIÈRE FOIS QUE JE VIS LA CATHÉDRALE DE CHARTRES 7



Auto-stop sur le Pont de Saint-Cloud
Une heure de bruit de pétrole
À Chartres ? Montez !
Dès le tunnel Je ne prends que les beaux dit l’homme et comme vous semblez sympathique
J’étais de son avis.
L’homme ressemble à Francis Blanche (casquette, lippe et bajoues).
- ...et c’est votre femme qui vous décolore ?
Il conduit d’une seule main.
Quel est donc ce crustacé gras qui rampe sur le siège à deux doigts de ma cuisse – escalade – mon pantalon – je croise les jambes – le crabe se replace sur le volant.
Me voilà frais.
Le temps aussi.
- Tiens, une goutte !
- Sale temps.
- D’habitude il fait chaud en juin.
- Il peut plus que demain.
La main est sur le volant, à côté de l’autre tout aussi grasse, rose.
Nous doublons un poids lourd. Avec remorque. En haut d’une côte en troisième position. Quand je rouvre les yeux le camion est doublé, la main est revenue.
Un cahot sans doute.
Si je suis étudiant.
Oui.
Si ça me plaît. Si j’en ai encore pour longtemps. Comment je gagne mon argent. Si j’ai une bourse. Ce qui se passerait si j’échouais une fois, deux fois, à l’oral seulement, ce que je veux devenir.
Je réponds que mes études me plaisent, qu’elles me prendront cinq ans si papa continue à cracher, mais que je dois réussir tous les ans, que je déteste le steak et les Tartares et que de toute façon je préfère la purée
- Je dois faire de l’essence.
PROLOGUE À  JEHAN DE TOURS 8



Et il fait chier par la même occasion.
Devant le pompiste il se contient. À peine reparti tout reprend.
La main rampe, s’immisce, mes jambes se chevauchent, la main repart,








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