Les Pathétiques
JEAN
– BENOÎT RECONSTITUTIONS EXPLOITABLES
POUR
COMPOSER MA VIE J’AI DU PARCOURIR TOUTES LES GAMMES DES
CONVENANCES « interminable » p. 22 - 66 12 08
Je dédie ce livre au Gouffre.
DÉDICACE
.
COMPOSITION en taches d’huile.
En voici quelques-uns.
Impasse Marguerite-Marie : née Alacoque, inspiratrice de la Vénération du Sacré-Cœur.
En vérité l’impasse de Jean-Benoît présente à droite une succession d’étroits pignons collés par moitiés l’un à l’autre, survivance d’une de ces constructions socialistes très courues du XIXe siècle. Chaque pavillon comporte deux logements,un par versant de toit, tous deux étroits, contigus sur toute la profondeur. Cela se présente à l’entrée comme le corridor d’une chambre élargie, cercueil vaginal, ou épousant les contours du Bénin : de Cotonou côte sud au Borgou du nord-est jusqu’à la Pendjari sur la frontière. L’abri béninois de Jean-Benoît. Puis le logis se replie en retour sur une salle d’eau. Dehors contre un petit mur se cale un tout petit carré broussailleux sous tonnelle où nous avons pourtant tenu à six autour d’une table.
Pour accéder à l’étroit logis, l’impasse Marguerite, dépourvue de protection terrestre, vous râpe les semelles. Des chats s’arrêtent entre la fuite et vous , surtout le gros roux.Puis détalent en s’aplatissant sous les barrières des carrés de légumes. Ces jardins de salades et de haricots annoncent un petit peuple obscur et miséreux, pas rédempteur pour deux sous. Bien qu’ils soient entretenus, je n’y ai jamais vu âme qui vive. Les occupants se terrent, certains se plaignent sur papier à qui de droit des tapages nocturnes du Pianiste ; c’est lui, Jean-Benoît, que je viens visiter à intervalles réguliers. Le fond de l’impasse, bien herbu, permet le demi-tour devant chez lui d’un véhicule, ce que j’évite le plus possible : vestige champêtre planté d’une remise en bois sous laquelle je pisse, en compagnie d’une Rover P. pourrie de rouille ; remmailloter le pénis, s’essuyer le doigt sur la jambe du pantalon. Traverser l’allée, presser le bouton blanc du carillon deux tons, très American Fifties ; c’est le rite. Je serre la main de J.B., enrobé, souffle court, voix traînante et nasillarde du neuroleptique : le logis s’est ouvert sous son demi-pignon en enfilade, un piano droit de profil sur le mur, et l’épinette à droite. Un orgue d’intérieur au fond à droite au sein de la pénombre. Sur et sous l’espace libre où se disputent deux chaises, une table ronde et un jeu d’étagères, c’est une pagaïe de partitions, publicités et revues paroissiales.
En équilibre sur le tout une écuelle de cajou et de noix de pécan. Du vieil encens imprègne l’air et les rideaux douteux. L’unique visite d’Arielle (tu parles si souvent de lui ! ) s’est soldée par d’incessants battements de la fenêtre (j’étouffe!) par où Jean-Benoît craignait de voir entrer « le petit chat de l’impasse. Insensible aux gammes, arpèges et renversements, Arielle ne s’était souciée que de sa propre claustrophobie … « thermophobique ». Je n’y suis plus retourné que seul, en accomplissement de ma promesse : jalousie d’amitié,jalousie de mission. Les promesses qu’on ne tient pas suscitent de profondes rancœurs, de part et d’autre.
Marie-Pascale en effet, humaniste huguenote, m’avait (sans effort) soutiré le serment de tirer Jean-Benoît de sa profonde dépression, plutôt de ses suites. Il me fallait le plus sincère attachement, et le désir de reconstituer cet homme. « Ne feins pas l’amitié » : mais que faut-il donc faire ? Je fus prisonnier consentant de cette impasse, curieux malgré tout, pour moi-même, d’explorer cette occasion toujours bonne, disent les moralistes, de connaître un homme, car « l’Autre est toujours solitaire », dit le dogme.
X
Depuis ma droite,
« et jusqu’au fond du tube habité par Benoît »,
l’espace entre les deux murs dispense un tenace relent d’encaustique et de crasse
équitablement tartinée sous des bataillons de bibelots. À l’exception des instruments
très bien entretenus. Le flair glisse sur des christs crasseux ou des madones perchées
sur leurs consoles, sans compter cette Vierge ibérique sur papier glacé punaisé à même l’enduit,
la même vierge que chez moi. Parfois je la prie : L’Église en effet, soucieuse de salut,
nous abreuve de souscriptions postales. Mais donner une fois c’est donner toujours,
et le coût des relances absorbe le montant des dons. Le jour où j’ai reçu des affichettes
anti-avortement, je les ai renvoyées par retour, assorties d’une réponse très verte.
Je conserve comme lui cette Marie de Fatima, cireuse e et lacrymale :
papier graisseux, chair imputrescible. Je dis mes prières aussi bien en latin qu’en français.
Je prie sans croire. Dans son exil, Jean-Benoît prie pour deux et trouve la paix.
« Certains parlent d’autosuggestion dit-il. Je préfère croire ». D’autres avant lui ont cru
en Dieu sans démériter, d’autres croiront encore, et en ce même instant des hommes
prient pour nous
Je retrouve ici chez Benoît, impasse Marie Alacoque, un de ces vieux logis de prêtres
ou d’oblats évoqués par Huysmans au-dessus même des cloches de Saint-Sulpice.
X
Après de longs silences, Jean-Benoît me relança par téléphone : il jouait de l’orgue hier soir,
lorsqu’il a cru que je répondrais. Le rappelant ce matin, j’ai reconnu sa voix lente et imperceptible.
Il me propose de l’entendre ce dimanche. Il me redemande son lecteur sans stéréo, que j’ai mis
en piteux état, et qui pourrait enregistrer ses œuvres « à travers l’air », me dit-il, «à l’ancienne ».
Il a parlé de moi à ses prêtres, en m’attribuant une grande culture (que j’étale) et de l’originalité
(aurai-je assez entendu cette ineptie...). Les constantes de ma conduite permettent de penser
que loin de détester les hommes, je les dénigre parce que c’est plus commode. Je couve Jean-Benoît
parce qu’on me l’a demandé (Marie-Pascale) et n’abandonne jusqu’ici personne :
le sens de la mort répugne à ma fatigue.
Les personnes de haut rang et autres grands esprits déplaisent à ma paresse en raison
de leur suffisance supposée. Ma peur a repoussé les femmes, dont j’ai le plus possible excité
la méfiance et l’hostilité. En revanche, une excessive douceur a présidé à mes rapports avec
les chiants, que j’assimile à mes propres inepties. Transformer les chiants en créatures appréciables
nécessite une grande souplesse, une tolérance inépuisable et pour finir un renoncement
à ses aspirations personnelles. L’énergie que l’on aurait pu dépenser à connaître ses parents
d’esprit s’est employée à s’apprivoiser aux faibles, en justifiant ses propres faiblesses
au nom d’une fausse charité. Ceux qui blâment les renonceurs - ignorent la force
qu’il a fallu déployer dans le renoncement.
Il ne suffit pas en effet de se « laisser aller » : couler nécessite au moins autant d’efforts
et de souffrances. Imiter son père et sa mère suppose un concentré de persévérance
et d’abnégation aussi contraignant voire douloureux que se hausser jusqu’aux cimes
asphyxiantes de la réalisation de soi. Dans les deux cas, le moi, l’ego, disparaissent :
vers le haut, sublimé par la raréfaction de l’oxygène - vers le bas, étouffé dans les abîmes.
Le seul obstacle à ce parallélisme est que le descendeur toujours a le regret de n’être pas monté,
tandis que l’escaladeur jamais ne ressonge à descendre… Ce qui fout tout par terre. Le sophisme
a ses limites. Dommage. Bien tenté.
Dans la même optique permettant de transformer ses incapacités en systèmes, nous
aurons adopté (bien forcé) la méthode «en tache d’huile », sans chronologie ni liens 1ogiques.
Ce dont nous ne sommes pas capables, remplaçons-le par d’autres : non pas des systèmes
en définitive, mais des prothèses.
. Multae mansiones
Nous proposons aussi à Benoît l’examen de Bolck, en poirier ou en buis. Il pourrait en vérifier
l’efficacité, l’engraissement et la justesse de ton. Nous craignons que celle de prendre les frais
d’épuration poubellique. L’autre se cache Dieu sait où. Mais le retour vers Dieu n’est pas impossible,
puisque certains savants redécouvrent l’influx magnétique de l’univers, chacun se trouvant
infinitésimalement dépositaire d’icelui, or la partie vaut pour le tout, et les vibrations de Dieu
valent pour Dieu tout entier.
J’aimerais finir mes jours dans confiance. De même les royalistes comptent-ils par souverains
régnants, nous en serions au fils de Louis XX. Les croyants ne pas nécessairement des imbéciles,
voir Lonsdale et Jean Rostand. Mais remettons ces développements dissertatoires
d’éternels séminaristes. Poursuivons notre chemin hors-temps.
Jean-Benoît se trouve alors entretenu par sa mère, qui se charge des emplettes
et couve son second fils, elle-même octogénaire À présent son fils est devenu , là-haut,
terne et sale. Des réclames sur papier glacé glissant recouvrent le sol en attente
d’un improbable tri. Chez certains déshérités, que les services appellent « cas sociaux »
ou « cassos ») (tu pue du cul tu sens le tabac ta quéquette est en chocolat), nous avons connu
des hébergeurs de chiens galeux, qui pissent et qui chient à même les journaux
sur le carrelage : ainsi les Polonceau de Marchais, ou la cousine Jeanne
X
Il
faut pour cela prendre une voix flûtée, HUYSMANSIENNE. « Êtes-vous
chrétien ? - Oui.
Le vieil homme se mit péniblement à genoux sur la moquette pour un Notre Père,
et je l’ai rejoint en m’efforçant d’y croire.
X
Plus tard Jean-Benoît déménage, descend en ville, au bas de la rue de Pessac :
son père veuf est placé en maison de retraite, près de l’ancienne Manufacture de tabac.
L’appartement du père s’est donc libéré. Jean-Benoît s’est laissé glisser de la Barrière aux Bas-de-la-Place. Rien ne sera plus pareil, la grande époque est passée. Une autre grande époque a suivi. Le vrai Jean-Benoît, celui d’avant, est demeuré en Haut-de-Ville, et hante encore l’impasse Marie Alacoque, avant-dernière porte à droite. Sonorité infecte en boyau plat. Les mitoyens se plaignent en cachette : il jouait du piano, assis, la nuit. En pleine sourdine assurément, mais les ondes malignes infiltrent les sommeils bourgeois.
. Le pas rampant et chaloupé de Jean-Benoît le lendemain, sa silhouette au volume imprécis selon les saisons, indisposent les gens de peu : il est expressément prescrit de dénoncer l’anormal. Le Dépressif. Lorsqu’il s’assoit au clavier, la musique suinte et s’imprime sur son profil L’orgue interne en bout de corridor demeure muet en fond de corridor ; il n’en joue qu’en circuit fermé, en « retour d’écouteurs ». Plaisir interne de yogi. Si nous voulons en écouter, pleinement, il nous faut gagner St-Norbert, aux Prémontrés. Je récite dans la nef les répons que je connais. Aucune anxiété à cela : il existait à Delphes une petite femme laide et boulotte jouissant en public au milieu de la foule : sous la coupole du kiosque s’étouffaient les tutti du chœur : rou-bou-droun-boudroun ta brahiola tis vroundoun – le son gonflait sourdement comme un fruit rouge et la petite boule féminine dardait à la ronde les étincelles d’une extase ignorée de tous, conviés en vain.
J’observais à St-Norbert la ferveur des convives autour de l’eucharistie Sont-ils tous en état de grâce ? je ne suis pas prêt, je ne suis pas digne, pas dupe (« dis seulement une parole et je serai guéri » ). À supposer que l’admission au sacrement soit devenue moins stricte, je le repousse sans cesse aux lisières de l’agonie..
Parfois je sens des bouffées de joie.
X
L’épinette privée de Benoît. Il en joue volontiers sous mes yeux, moins rarement. Le plus souvent je me contente du piano droit, contre la cloison de gauche, propagé aux parois mitoyennes... Le peu que j’aie tenté moi-même à l’épinette reste plat. Brillant, hispanique, mais plat – aux antipodes du fandango de Soler. Jean-Benoît me regardait. Malgré le trouble que lancent sur mes doigts ses yeux attentifs ; les musiciens doivent s’aguerrir sous les regards féroces des jurys. Souvent le zoom se fait sur ces étranges mains de cirque. Je suis monté un jour à la tribune pour le Missa est et l’Improvisation, mais il me dit ne reste plus, va m’attendre en bas. Je me souviens d’Anne de Nancy passant l’archet sur l’alto en bas d’un amphithéâtre en bois sombres.
Elle me répéta avec véhémence que les huissiers, physionomistes à l’infini, jamais, au grand jamais n’introduiraient un auditeur suspect. « D’un coup d’œil ils détectent les fielleux de ton genre »… Il suffit disais-je inconsidérément d’abandonner ses phalanges au clavier pour obtenir la grâce. Benoît s’assombrit d’un coup : « Tu vas mourir ; tu dois ralentir le thème ». Rien de plus facile que de médiocriser sur l’épinette. Je me suis replié en bon ordre. Benoît me semble plus susceptible d’émouvoir aux pincées qu’aux frappées : plutôt l’épinette ou le virginal qu’un piano. Jean-Benoît pense le contraire. Nous sommes tous à nous tromper sur nos talents. Voltaire a pensé incarner Racine. Douze, l’Ermite, logé dans son sixième, n’apprécie pas plus l’épinette que le piano, lorsqu’il la capte sur mes ondes : il n’en aime ni le rythme, ni l’inspiration. Au fond du corridor médian du logement « Alacoque » s’ouvre un jardin carré de la taille d’une table et six chaises très exactement où avons mangé un jour d’été, en compagnie de Pascaline et des parents de Jean-Benoît.
Courage, petit poète égyptien de la Onzième Dynastie : sa mère Cécile avait cuisiné, disposé les convives ; tous assis à l’abri du soleil sous la tonnelle, entre les haies de vigne vierge.
PHYSIQUE ET VÊTEMENTS
L’abdomen de Jean-Benoît, par temps chaud, retombe sur sa ceinture. Je le vois
grignoter ses noix de pécan ou de cajou, parsemant sa barbe à la Debussy
de miettes, avec ou parfois sans moustache. Il me tolère de pleines mains de pacanes
et d’anacardias, et puise en d’autres écuelles semblablement garnies, malgré son budget
restreint. Il offre aussi ses nectars métallique, à base de menthe en boîtes cylindriques
ou de grenadine. Il porte en toute saison d’épaisses chemises façon gentleman farmer
à gros carreaux mauves, sans jamais dégager le moindre effluve de sueur.
Il suce ou chique ses mégots tannés de goudron, en même temps qu’il suce des Vichy pour
se filtrer l’haleine.
Il m’en propose aussi, que je décline. J’ignore à quelle occasion Jean-Benoît,
fête ou office des Morts, a lié contact avec Pascaline, venue s’installer rue Filiale
- autre lotissement transmis ou légué en fraternité maçonnique.
Pascaline
Nous l’appelons souvent Sœur Pascal par manière de plaisanterie, car elle n’est pas
dans les ordres. Son anorexie est vaillamment compensée par la boulimie, corrigée
dans le remords des jeûnes et de l’ observance. Elle prie l’Univers et s’exprime avec
volubilité, articulant chaque syllabe sans cesser de sourire. Elle se ferait hacher plutôt que
de reconnaître son appétit de bites. Elle attendra longtemps l’homme de sa vie, celui qui la fixera,
mais quel mâle conserverait pour lui ce panier d’osier dont on
compte les brins et les nuances, sous un faciès fiévreux de British colonel en retraite ?
Parfois je la conduis au train. Elle prend le Bordeaux-Luxembourg de 9h 8. Dans ma voiture
nous parlons de tout. Je laisse aller la main du changement de vitesses, au point que son genou
s’écarte. Cela ne prouve rien, ni le contraire. Elle plaît assurément aux hommes, sans me convaincre.
Nous sommes souvent invités, car je me suis marié voici longtemps. Dans son appartement
minutieusement rangé la conversation doit toujours se chauffe deux ou trois bons quarts d’heure
avant que les antennes de chacun soient déplissées.
Alors nous échangeons sur sur Dieu ou le bien- vivre, ou l’une encore de ses connaissances
absentes et très âgées, à qui sont arrivées tant d’aventures navrantes, édifiantes, marrantes.
Rencontre-t-on ses amis au petit bonheur la chance ?
...Quelles relations Pascaline entretient-elle avec Mary, malgache insatisfaite ? pourquoi
le petit ami de Mary, avorton sec et jaune, traîne-t-il après lui partout son vieux matou galeux ?
les autres propriétaires laissent leur chat chez eux, entre gamelle et litière propre.
Ce gringalet se fait appeler d’Entragues, sans rien en lui d’Henri IV ou de sa maîtresse.
Il vient essayer dans ma baignoire ses modèles réduits de navires, et n’y reviendra plus.
Je ne puis m’empêcher de l’aimer, de reconnaître la légèreté dont je jouissais en ma jeunesse,
où les tics dévoraient mon visage. Il ignore qui est Nerval. Il adore l’informatique.
Il interrompt la génitrice de Benoît évoquant la mort de fils pour lui demander d’un coup :
« Où avez-vous trouvé ce si joli bracelet ? »
Le passé de Jean-Benoît
La
belle-mère de Jean-Benoît et son épouse se sont jetées un jour
main dans la main du 5e étage, après avoir adressé
leurs prières au ciel ou à Sirius (d’autres se suicident
au nom du Soleil ou de Raël, Messager des Elohim) - quel esprit
survivrait à ce double suicide ? La famille prétexta une
collision automobile, mais la propre fille de Jean-Benoît,
Marie-République, a toujours su au fond d’elle-même. Dans le
cœur, les enfants sages
savent, quel que soit leur âge. Où se trouvait le père et
beau-fils à ce moment-là ? Et de quel abandon… de quel
acquiescement, de quelle folie, de quel recentrement sur soi s’est-il
absous pour ainsi hasarder son épouse aux pattes de la Folle ?
Marie-République issue de son union n’a jamais imaginé de
consulter la presse de ce jour.
Lorsqu’elle
est revenue voir, jeune adulte, son père en son taudis, il ne
lui a parlé que solfège et vanité d’artiste Elle écoutait de
toutes ses oreilles, et de ce soir-même conçut l’enfant qu’elle
appela Bankoré. Il fut question qu’elle revînt passer sa vie
chez son père avec l’enfant et Nelson Freire l’amant philippin,
eux trois dans les pièces du bas rue Filiale, restaurant l’ordre
et la propreté. Puis cela tourna court, envisageant Benoît la
permanence d’un hurleur nocturne capable d’effrayer tout artiste
insomniaque. Portant dernièrement mes pas vers l’entrée de
l’impasse où le trio avait cherché refuge et succession,
j’entrevis le jeune père portant dans ses bras son petit enfant
kaki, cul nu au-dessus herbes. Je me suis arrêté avant d’être
aperçu et de me voir contraint à des politesses je suis venu par
hasard et j’ai poussé jusqu’à vous ; aux
allusions plaisantes à la main féminine c’est clair,
aéré, tout bien rangé favorablement
accueillies ; auraient suivi les observations sur le piano droit
autrefois planté là, que j’écoutais coincé sur ce fauteuil
d’osier : « Parfois il me tendait ses partitions où je
pataugeais des yeux de mon mieux vous pratiquez peut-être
un instrument ? Non je ne
reste pas merci, je suis venu à l’improviste et
j’aurais pris congé sur un satisfecit, « vous avez bien tout
réaménagé ».
Ceci
pensé je suis revenu sur mes pas, car la conversation était
terminée. Benoît lui-même a giclé cinq enfants de femmes
différentes. L’imaginer dans sa vie antérieure est aux limites de
l’impossible. Il ne revoit plus ses fruits du premier lit,
kidnappés par des huguenots ; une autre famille a pris
le relai, veille au grain. Jean-Benoît s’inquiète des
approximations du biographe, que j’ai eu l’impudence de vouloir
incarner. Il me confie en main propres six ou huit feuilles où le
lecteur est prié voire sommé de n’apercevoir que la stricte
musique et ses consolations ; « le reste, écrit-il,
n’est que « vicissitudes et brouillage communs à toutes
les familles ».
C’est
précisément ce que demande le lecteur moyen : le seul pouvoir
qui lui reste lui permet de comparer les aspects à peu près
accessibles, susceptibles d’éclairer les filigranes de sa musique
personnelle. Justement ce qui « ne saurait intéresser
personne ». Il ne survit plus qu’une vieille cousine
aphasique. Ayant ouï dire (par moi-même…) qu’il s’écrivait
des choses sur lui, Jean-Benoît voudrait en savoir plus Mais
rarissimes en vérité les lecteurs favorisés par le sens (ou le
non-sens ?) littéraire : «Tu m’as caricaturé !
Calomnié ! Tu n’as pas le droit de dire cela de moi, de
nous ! » La littérature « est un mensonge qui dit
la vérité » : malheureusement, cette disposition se
répand sur la vie politique, jusque sur la vérité.
Les
imprécisions littéraires envahissent le monde factuel, tandis que
le monde littéraire fait appel aux précisions scientifiques :
ouf, l’équilibre est préservé. En l’occurrence, nous
comparaîtrions devant un tribunal, malgré l’inadaptation de cett
institution. Jean-Benoît craint par-dessus tout d’être reconnu,
lui ou le moins important de ses proches – or qui sommes - nous,
gibiers de cercueils (ils claquent des dents) pour nous redresser
de la sorte ? Qui se souciera de la vie d’un si petit César ?
Ô personnes de peu, qui refusez de vous voir sur les crans, qui
engueulez, parfaitement ! le publicateur d’une photographie de
vous après le dix-huitième clic !
X
X X
Jean-Benoît
n’aligne que d’ingénieuses successions ou kyrielles d’exercices
pianistiques insipides. Il s’imagine offrir et prodiguer des
cascades de cristal et de joie. Où est la vérité ? Dois-je
laisser soupçonner la mienne ? Dans quel repli de caftan se
cache-t-elle ? Car l’ironie ferme sur elle à double tour les
portes. Jean-Benoît m’attire et me rebute à la fois, « du
moins je crois » - le double et son contraire ? ...ou bien
ni l’un ni l’autre – est-ce que je t’en pose des questions.
Lui et moi nous éloignons. Chacun satisfait de soi. Pourquoi pas. Il
s’ouvre à lui-même d’autres épanouissements, non sans points
communs semble-t-il avec sa toute neuve communauté bigote et
catholique. Lorsque je le vois au sortir de sa messe, je sens à ses
mines urbaines et furtives que le prêtre desservant adorerait que je
me présentasse, et c’est au nom de semblables bienséances que je
dois éviter d’exposer d’emblée, comme ça, tout de go, mon
incroyance.
Encore
de cela ne suis-je pas même certain. Jésus n’a pas existé :
je partage cette certitude avec les cons qui me le répètent.
Puis-je communier, sans m’être entretenu auparavant avec un
prêtre ? celui-ci est-il pédé ? Jean-Benoît n’est-il
pas eunuque médicamenteux ? Malaise… À
considérer ses propres organes apathiques et ratatinés en relation
avec certains songes chargés de mecs, il y aurait de quoi
s’interroger dans mon âme et mon cul. Ulysse, itaqué, c’est
pourquoi, je ne ferai pas de cîteaux connaissance avec Père
Yves-André. Nous échangeons quelques mots, Jean-Benoît se
détourne, je me détourne de l’abbé, l’organiste J.B.
m’oublie en direction d’admiratives batraciennes de vasques,
et je m’éclipse en évitant à la fois de le raccompagner chez lui
et de faire l’aumône aux deux mendiantes.
X
X X
Je
ne me suis jamais habitué à lui. Il faudrait cesser de mettre tout
le monde au même niveau, et de les aimer tous entant que « Les
Autres ». Ces fariboles de curés m’entortillent le col du
gland. Pour Daniel, j’ai
mis trente années : cet autre disgracié me faisait sursauter
chaque dimanche à 9h15, horaire qu’il s’était choisi pour me
téléphoner. Je pestais comme un charretier enculé par son âne, et
rien qu’à décrocher je dégoulinais de miel fraternel. Ah, il ne
faut pas être fier dans la vie. Jacob, quant à lui, m’aura pris
quarante ans… Où sont les
amis vrais ? Où est-il prouvé que l’on ne fait jamais rien
malgré soi ? sans l’avoir, en quelque sorte, voulu ?
explicitement voulu ? Si tu ne crois pas cela, si tu le refuses
avec indignation, tu te vengeras, et ta vengeance n’aura pas de
fin ; ou tu te plaindras, et ta plainte n’aura plus de fin.
Mais si tu acceptes ce verdict de toi contre toi, tu mourras
d’impuissance, car nul ne peut abolir ses propres offenses, ni
réparer ce qui une fois fut blessé. Pour les raisonneurs moins
abrupts, il existe une grande variété d’orchestrations
intermédiaires, car le nuancier des complaisances est infini.
Nous
nous livrons aux complaisances. On les appelle aussi « sentiments
éprouvés » ; ils ne prouveraient donc rien ? nous
ne devrions croire que les comportements, sans ouvrir la voie aux
réserves, aux réticences, aux regrets ? « Si vous ne
l’aimiez pas, vous ne l’auriez pas fait » - est-ce si
simple ? Simpliste ? Notre cœur
ne serait donc rien ? qu’un parasite, une excroissance morte
à exciser ? Regrets de l’abstinence, remords du gâchis, rien
d’autre en vérité que pertes et profits ? Les émotions sont
factices. Nous sommes enfouis sans recours sous les gravats de la
raison active. Nous ne voudrons jamais cela. Rien ne reste plus à
démontrer, nous n’avons plus qu’à décrire. À
promener dans dans les gravats nos renifleurs de
pépites.
Décrivons.
Narrons, narrons. Laissons-les tous barboter dans les idées.
Adoncques le Jean-Benoît me recontacte, observe combien de temps
s’est écoulé depuis ma dernière messe, comme à confesse. Ne
plus monter à même la tribune lorsqu’il improvise, mais rester en
bas tête en bas. C’est ce que je fais. Un signe de mon marais vers
la tribune, et l’organiste Benoît me répond de la main vue de
dos. Temps lointain, temps des faux-semblants. Je promets de revenir,
ne m’y sens pas tenus, car la messe m’emmerde avec ses simagrées.
Les clients de bistrot communient aussi, à grandes claques dans le
dos pendant que leurs femmes
jouent les bigotes entre deux coups de bite dans le cul.
La prochaine fois c’est moi
qui le relance, Jean-Benoît les Jambes Noires (jamais vérifié).
Il
faudra bien qu je le lui rende, ce catalogue raisonné de colonnes
égyptiennes, papyriformes, palmiformes, réticulées. C’était le
temps du grand Champollion, mort de méningite à 40 ans. Tellement il
travaillait. La jaquette m’avait plu. Un conseil, chevaliers :
pas plus haut que la jaquette. Avec les organistes, les antiquaires,
coiffeurs et autres moines. Une belle jaquette en toutes couleurs,
comme la grammaire toute bariolée de Champollion, Campoglione,
si extravagante avec sa grande
explication de tous les hiéroglyphes, les descriptifs, les
phonétiques… Qu’est-ce qu’il avait bossé… Les Doré, les
Garnier, les Du Bellay…
Une
activité intense, un cerveau surchauffé, et pof, le front d’un
coup sur la table, et le transport au cerveau comme on disait. La
jaquette m’en avait plu, toute peinte au minium. Mais
dans ce gros volume, des
dimensions, des courbures de fût, des centimétrages, plus une trace
de minium ni de méthylène, juste du gris, du brun, et des
silhouettes en sarouel pour approximer la taille. Histoire
d’ assaisonner ma venue,
je l’amadoue avec des Blockflöten ou flutes à bec, tirées de mon
père ou de moi. Il veut bien, mais il me dit:
« Ne reste
pas trop longtemps ».
Ce sera , s’il lui plaît,
pas du tout – m’aurait-il
deviné, le sagace ? ah !
cette faiblesse des faibles, qui disparaît
sur commande… On se crève pour eux, pour leur amitié ; dès
qu’ils peuvent ils s’enfuient avec les hameçons au cul ; le
dernier accueil que j’en ai reçu, affable et souriant, attesterait
plutôt de sa clairvoyance, sous ses airs de gros lamantins…
X
Un
prénom de femme s’intercale : « Peut-on vivre sans
sexualité ? » demandait-il à mon épouse. Et tous deux
de tirer, sans répondre ni questionner, sur leur cigarette.
...Jean-Benoît n’a rien de prêt pour moi, je me dérobe encore, coincé que je suis, lui dis-je, entre deux rendez-vous médicaux : « Je t’avertirai lorsque mon prochain disque sera prêt ». Pourvu que ce jour soit toujours à venir... Le vieux lecteur de cassettes qu’il m’a donné, qu’il me réclamait en retour (mais « reprendre, c’est voler ») devient inutile.
PSYCHIATRIE
Tous les mois, Jean-Benoît subit ce qu’il appelle une « injection ». Le docteur la lui administre. Jean-Benoît n’y a jamais manqué. Peut-être s’agit-il – pour une fois ! - d’une avancée soudaine efficace de la médecine. Les « injectés » se supportent rarement l’un l’autre. Peut-être Jean-Benoît s’est-il vu privé de ses droits civiques. Peut-être ne sait-il pas compter en pièces de monnaie. Je revois ce geste de Zoucave, paume ouverte, manières de grand seigneur : « Servez-vous ! disait-il à la serveuse ; servez-vous ! »
Elle nous regardait avec perplexité
puis s’est servie au creux de sa main sans lui soustraire un centime. Mon père lui-même était picoré de la sorte en caisse féminine de supermarché - ainsi procèdent les mis sous tutelle, les vieillards, les idiots. Un lien mystérieux relie-t-il ce maniement d’argent à tel ou tel spasme épileptiques ? Cela implique-t-il, de surcroît, un manque légal de discernement civique ? Curatelle. Tutelle. Privations, autorisations de quoi ? Jean-Benoît est sous la coupelle, dirai-je, d’une tutrice qu’il appelle Grosse Gouine. Elle lui laisse juste tant par semaine. Une misère. Un mendiant que j’avais croisé, tout garni de dents gâtées, me dit en crachotant : « Gardez-vous bien, monsieur, de vous faire mettre en tutelle, fût-ce par votre petit-fils ; voyez à quel point il m’a réduit, que j’en sois forcé de mendier ».
Juste après l’injection, chacun se sent mieux, après grosse journée de fatigue Un demi-siècle
plus tôt ils auraient hurlé dans leur camisole, comme au dépotoir de fous juste au nord d’Agen. Le lithium : seul miracle neurologique depuis le Largactil, dit « de première génération ». C’est vrai, je l’ai lu sur internet.
LES DEUX PARENTS DE JEAN-BENOÎT
Le père de Benoît, maître d’hôtel, m’établit jadis une recette de haute technicité, soigneusement, dans le vieux bâtiment de mon fond de jardin ; il faisait ce jour-là un froid à scier le beurre en mottes. Il me régala d’autre part d’un assortiment de bonnes manières tirées d’un manuel de Rothschild (Nadine de), qui pourraient me servir « si j’allais un jour dans le grand monde », ce dont j’ai fort douté. Il se montra désappointé sans doute que je ne lui offrisse pas, en témoignage de reconnaissance, le somptueux repas restaurantiel qu’il escomptait, en mondaine ambiance. Pour épargner ma bourse et surtout mes mes faibles capacités sociales (qu’eussé-je pu dire?), je lui fis cadeau d’un traité de « Cuisine libanaise » qu’il n’ouvrit jamais ouvert - comme si javais voulu, en somme, lui apprendre son métier, bien qu’il fût de Saint-Malo.
La Maman de Jean-Benoît (la « mère de » m’ayant toujours semblé de la plus triviale scatologie) s’appelait Ilona, de grande famille hongroise francisé en « Amsel de Beaumont ». À ma confusion, un soir chez Marie-Pascale, je crus m’incommoder d’un fort relent de pisse cuite provenant provenant de ladite Budapestoise, jusqu’à m’apercevoir qu’il provenait d’une poiscaille au court-bouillon mijotant en cuisine. C’est ainsi que j’appris à différencier sans trop de mal pisse et pisciculture. Le soir Asszoniom de Beaumont, évoquant les circonstances du décès de son fils aîné, un
petit Ashkénaze, invité lui aussi (Moritz) l’interrompit tout à trac pour demander si ce délicieux bracelet de corail qu’elle portait venait bien « de chez Budma, ulice Karlova ».
Une telle abjection manqua me faire vomir, ou frapper (ce mufle a récemment rejoint sa fiancée à Monterrey (Nuevo León). Le père de Didier, grand cuisinier, roule son vaste ventre sur un fauteuil, où il s’affale et gît, en toute lucidité
Après son accident vasculo-cérébral.
Nous l’avons vu, depuis l’instant tragi-comique où il se renversa le vin sur son cœur. Il s’en montra navré, non point tant pour le dommage causé, mais eu égard à sa propre déchéance ainsi révélée en gros plan. Un autre soir je l’ai accompagné, pas à pas, claudiquant, jusqu’à la Trattoria Bretone [sic]. Plus tard encore je le visite à l’asile, cyniquement baptisé Foyer des Anciens ». Monsieur Père comprend ce que je dis, en deux langues, mais l’allemand d’opérette l’éloigne de moi : une petite vanité, pour capter l’attention du personnel soignant. Monsieur mettait sur lui naguère encore une amorce de rire étouffé quand je lui imposais mes histoires lubriques. Il répondait volontiers aux questions simples par oui ou non, faiblement articulés après rassemblement des forces. Il portait l’index à sa tempe, comme un porteur de calot , ce qui signifiait Je te reconnais camarade , je te donne le bonjour. Ou pour confirmer que la tête n’allait pas fort, même si le cœur battait. Je pense souvent à lui, qui me confiait son impuissance, si tôt ressentie, si irrémédiable. « Comme une nouille à travers un mur » dit l’auteur indien. Nous nous sommes trouvés ensemble parmi cet aréopage d’affalés, d’effondrés, de larves lavées de près en 6mn de temps réglementaire. Ils gisent semi- conscients sur leurs fauteuils ergonomiques, tordus comme autant de Communards que les planches verticales de leurs cercueils ouverts tiennent debout et titubants d’orgueil.
Un jour le petit Sépharade dont nous parlions, Maurice, jaillit dans ce salon gisant. Il engueule vertement l’ensemble du personnel, criant de son guichet d’accueil - au paroxysme de la panique : «C’est un mouroir ! une morgue ! un scandale ! » - ni salon de lecture, ni court de tennis, ni piscine. Aucune activité revigorante. L’idée de croupir un jour là, grabataire et vrillé comme un cep, sanglé par la taille et nourri mi-sonde mi-cuillère lui fait perdre pied, ses nerfs ont lâché d’un coup. Il est depuis indésirable à vie dans l’établissement, höchst unerwünscht. Jean-Benoît, le fils, fit parvenir à cet estimable personnage une missive vinaigrée, aux termes à la fois dignes et très acérés, s’achevant sur Je vous méprise. Lors de ma visite suivante je m’étais empressé de décliner mon identité au bureau d’accueil, assurant que je n’avais rien de commun avec cet individu qui pourtant me ressemble.
Marie-Pascale, ancienne voisine, partage parfois le déjeuner du père à son étage. Ils mangent face à face, à chacun son plateau. Le maître-queux la reconnaît, apprécie avec elle les menus de l’établissement. Pour moi, je viens seul. Il me reconnaît, en particulier au moment de prendre congé, où ses petits yeux rond me fixaient avec détresse et reconnaissance. Il m’a vu l’autre jour à travers la porte vitrée, alors que je passais au volant dans la rue. La toute dernière fois, ses yeux sont restés fixés sur le programme animalier de la TV. Le capocuoco ne marqua ni joie ni satisfaction de ma visite - l’emploi de l’allemand sans doute ? Le personnel m’assura cependant qu’il se trouvait bien, chaque fois, de ma venue, et que son amélioration se prolongeait les jours suivants.
J’ai sacrifié le plaisir d’un mourant à ma vanité de faux Boche.
LES ENFANTS DE JEAN-BENOÎT
Je ne connais de ses 5 enfants que Marie-République. Sa voix blanche immature trahit une virginité clitoridienne survivant à son abolition. De petits seins au taille-crayon, les yeux fixes en boutons de bottines. Elle se fait tringler par un Noir et je l’envie. La seule fois où je l’aie vraiment vue, elle se montra timide, admirative et debout. Pour l’enterrement du grand-père elle fut méconnaissable. Ce jour-ci, elle se tenait droite à côté de son père : Benoît. Qui ne s’entretenait que de lui-même, et de sa musique, son trône, sa forteresse. Le soir même elle engendrait le fils du Haïtien, dans ce logis-boyau où j’avais autrefois visité son père Jean-Benoît dans la misère : impasse Alacoque. Il aurait souhaité que je la visite ; m’aurait-il souhaité comme parrain pour son petit-fils ? je n’aurais su transmettre le moindre christianisme ! je n’y ai rien compris. En dépit de certains théologiens, nous n’avons pas de preuve de l’existence de Dieu, moins encore de celle de Jésus.
Ni de la survie, j’entends consciente. Ils ne se rendent même pas compte qu’ils sont morts ai-je entendu après l’Attentat de Novembre. Or il existerait vingt secondes, après l’arrêt du cœur, où le défunt prendrait conscience, enterré vif dans sa chair. Et la réincarnation, c’est de la merde.
X
Il fut un temps où Marie-République et son amant Joël auraient envisagé de rejoindre Jean-Benoît, pour « former famille » rue Commerciale, où il succédait à son propre père. Mais le musicien ne sait composer que dans le pur absolu, dans sa Plâtrière personnelle. Un nourrisson dans la force vocale de l’âge possède une puissance pulvérisatrice : « J ai besoin de sérénité .» Le couple et son garçon, en haute ville, préféra s’aménager l’ancien Bouge Alacoque, où si longtemps avait croupi leur père et beau-père. Joël papa de fraîche ensemença, bina les plates-bandes qui les nourrissait plus ou moins, et Marie-République assainissait l’espace à grandes aspersions de spray et de seaux de Javel diluée. « Nous irions la visiter » disait Jean-Benoît, qui pensait déceler chez elle une irrésistible admiration pour ma personne. Elle prononce ton nom avec extase. Je me préparais à soutenir le rôle tutélaire de l’ami lointain, mais Jean-Benoît n’en parla plus : la jeune mère avait trouvé de quoi pourvoir à ses besoins de dévotion...
Ainsi tourna court ma mission de Mentor, prononcer «min » afin d’écarter toute confusion, car il n’y a pas ici de menteur. Désormais chez lui Ville Basse Benoît ne daigne ni ranger ni nettoyer quoi que ce soit. Ses toilettes immondes répandent des horreurs olfactives, entendez par là que ça pue. J’y arrose des moucherons fuyards jusqu’à mes narines. Il est à craindre ici le débarquement des Services Sanitaires et Sociaux, ou quelque escouade féminine de l’Assistance Publique, qui nous embarqueraient, l’un ou l’autre, pour « mise en danger de soi-même et d’autrui ». Marie-Pascale faisant un jour observer, avec toutes les délicatesses de la diplomatie luxembourgeoise, l’éventuelle opportunité d’une remise aux normes hygiéniques, il répondit sèchement que la question « n[était] pas à l’ordre du jour ». Elle se le tint pour dit et ne revint plus.
X
Jean-Benoît aux claviers enchaîne, ligote et débite arpèges brisés sur savantes gammes et gammes sur renversements. Il ne faisait pas ainsi dans ses toutes premières compositions. L’auditeur en vient à regretter les premiers tâtonnements, maladroits mais vivaces. Dix plus tard, le narrateur en est encore à détecter la fissure où suinterait l’oxygène : en vain De subtils écarts à la Josquin Desprez suffiraient, dans un premier temps : l’auteur au contraire les corrige, persuadé qu’il est de son devoir de composer dans la conformité « aux lois de l’harmonie naturelle et du contrepoint ». Il suffit donc de somnoler en prêtant une oreille molle. Dernièrement Benoît raccorda son épinette, alourdissant les graves : il en résulta un déroulement plus profond. Le disque suivant sera « le meilleur, tout nouveau » - je tends l’oreille, à l’affût de la moindre variante - l’obstination aurait-elle ses fruits ? Voici d’infimes variations. « C’est la mère de Dieu » dit Jean-Benoît, « qui verse dans l’Ecclésiaste et se console de peu. Quant à Nemrod, compagnon de lit de Marie-Fraternité, il admire la musique de son beau-père de main gauche». Mystère de ces familles dominicales dans les alignements de prie-Dieu paillés. Nemrod, gendre calcuttien, refuse de sacrifier ses dreadlocks à l’obtention d’un emploi rémunéré.
Comprenons l’employeur, comprenons le chômeur. L’arrivée d’un enfant bouleverse tout cela : Nemrod, le crâne occidentalisé, jardine. Je l’ai vu au fond de l’impasse comme Adam aux portes du Paradis. Nemrod profondément chrétien, éduqué chez les Frères Pélerins. Si je visitais à présent ce couple et son enfant, moi seul, je dirais à peu près ceci : « Puis-je présenter mes respects à votre compagne ? » ( incliné vers la mère et le fils Yacov). Partout l’ancien appartement de Jean-Benoît sentirait l’ordre et la propreté. « J’ai vachement faim » s’exclamerait Nemrod. Je poursuivrais : « Je suis souvent venu ici pour écouter votre père ». Nous parlerions du vieux piano descendu en ville basse, et du parfum d’encens encore décelable.
Puis je repartirais sans avoir excédé dix minutes.
Alcan ou Albéric Magnard prouvent suffisamment qu’il ne suffit pas de vivre en grand compositeur pour le devenir. Cette révélation est accablante. Il n’y a pas de progression visible chez Benoît. On observe de lourds conservatismes. C’est la Méthode rose inlassablement recomposée, surexploitée. Le clavecin bien tempéré, moins Bach. Benoît mourrait de douleur s’il savait, malgré quelques presciences. Or qu’est-il devenu ? quelqu’un de très sain, aidé à franchir les dix dernières années. Dieu ni Jésus, accentués sur le tard, ne l’ont sauvé de composer encore. Il s’est embaumé seul et vivant. Demeuré prépubère entre les bras de sa mère, qui lui tourne les pages au-dessus de l’épaule. Ne feins pas l’amitié Ne révèle rien.
Il n’en est pas mort. Il distribue ou vend ses cassettes. La greffe d’amitié n’a pas tenu. Elle n’était que charité..
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...Bien s’émerveiller que la tumeur soit bénigne. Votre cancer est guéri. Vous pouvez rentrer chez vous. Ainsi l’Église livrait-elle son condamné au bras séculier. L’équipe médicale au complet cernait le pied du lit blanc. Vous ne mourrez plus du cancer mais de ses suies. L’avocat du Luron postillonne Quiconque osera parler du sida sera poursuivi en justice. Les médecins ont raison : de simples infections, d’inoffensives métastases.
Altzheimer, folie douce, autant de stations : ...tombe pour la deuxième (troisième) fois – pourquoi le tourmenter ? Dépistage et tuyaux ? « quelques belles années devant vous » qu’entendez-vous par là Docteur ? que je vivrai ? vous plaisantez ? - « ce n’est pas la ponction, dit-il, qui donne le cancer, il était déjà là », mais je me méfie des cellules dormantes. Si peu qu’on y touche, ne prélèverait-on qu’un demi-millimètre cube, la chair assoupie s’épanouira. S’ensuivront biopsies, analyses et chimios qui ne laissent que la force de se couvrir de chiasse Regarde-moi : vivant tant bien que mal, harcelé jusqu’au petit jour comme la chèvre de monsieur Seguin au piquet des angoisses.
Crever plutôt sous le regard humain que sous les microscopes de la toubibaille («....ce sont les mucosités qui encombrent la respiration » - vous donnez là, mademoiselle, la définition clinique du râle » - je l’ai prise un instant par la taille.
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Marie-Pascale a poussé le jeu jusqu’au maniérisme : phrasé surjoué même dans la douleur ou l’amour – anorexie boulimique, sida, névrose, nous mourons tous en plein chantier.
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Dzeu
Je le connais très peu. Qualifié dans les premiers temps de « hautement facultatif ». Se livre et se rétracte, dérobé aux moindres allusions du destin, à toute analogie, toute comparaison. Mais Dzeu le lumineux s’oppose à Jean-Benoît l’obscur : une chute d’outil depuis l’échafaudage, matière grise sur l’oreille, pour l’autre un suicide sectaire, ont précipité Dzeu vers la lumière à ciel ouvert, le second dans le corridor étroit où le soleil ne darde qu’une heure par jour ; de là découlent les plus lumineuses perles pianistiques, tandis que Dzeu, rasé, baie ouverte sur le ciel, rampe dans les souterrains psychiatriques. Il se moquait de Jean-Benoît et de sa voix d’automate. Il apprécierait peu de se voir rapprocher du Nounours Musicien.
Dzeu prend chaque mois du Xiplion ( 50mg) en libation intramusculaire et mensuelle. Nian de Macao ne choisit jamais que chez les injectés ses amants : plus gourds, plus gros en érection, interminables à débander. Les femmes ont de la chance : quand on a ça entre les jambes, on retombe toujours sur ses pieds ; toujours un homme s’intéressera à vous, même en ma uvaise part ; le masculin dans ses chiottes, quant à lui, peut toujours s’astiquer : pas une femme ne voudra le déranger (elles appellent cela « déranger »), nulle n’aura envie de sa bite.
Artistiquement, Benoît ne vaut rien ; ses progrès sont infimes, mes lignes dussent-elles se lire. Ils n’ont aucune chance de se voir ; j’y veillerai. Benoît fut touché par Folie à l’épaule. Dzeu, par l’occiput même. Benoît, plus pachyderme, pressent parfaitement les réserves qu’on n’oserait lui exprimer. Mais aux suggestions d’orchestration, d’épaississement, il réplique : « Jusqu’ici, je n’ai pas éprouvé le besoin de varier, d’étoffer ma composition ». Comment lui donner tort ! Flat spiritus ubi vult. L’esprit souffle où il veut. « Je ne trouve personne, hormis toi, pour comprendre ma musique ».
Sa musique s’apparente à la thérapie. La constance de ses mélodies tient d’une part aux charbonnages concentriques dont les médiums extraient de surprenantes et pures formes faciales humaines, de l’autre
au comptage des pas de long en large de sa cellule avant pendaison.
De même vient à l’esprit du malade l’idée de réciter les nombres, l’un après l’autre, série sans fin garantissant contre la mort ; mais le fou se retient en se rappelant le nombre maximum de ses secondes, 60² (24 x 365 x 100). Maximum. Recherche aussi, intarissable, et glose, de la lumière, de la cascade, du cristal. Capture de l’auditeur inoffensif. Bains obsédants de soleil fluide, ruissellements suffocants de la mousson, d’une douche. Peu à peu Jean-Benoît se dégage de ses sonnailles, ciselant d’autant plus ses prolixes commentaires. D’une autre par encore, le voici qui découvre et communique d’infimes nuances ; et pour peu que j’y acquiesce, j’en découvre d’autres, juste du fait de me connecter à lui.
À quoi tient après cela ces notions de difficultés vaincues, de souffle et de génie ? à quoi pourrions-nous croire ? Ne lui avait-il pas semblé, parmi ce farfouillis, ce fatras de conventions répertoriées : ce délaiement progressif, voir un faune particulier se dessiner sortant des épines ,
Assurément nous avons cessé de reconnaître l’art. Nous en avons peu à peu perdu la trace . Mais la démarche compositrice de Jean-Benoît, à travers ses volumes théoriciens, se fraye parfois la voie vers des failles. Puis à la suite de cette redécouverte appliquée, Jean-Benoît connaîtra plus de libération : il observait, par le rétroviseur d’orgue, le déroulement processionnaire des communiants, car désormais la plupart des assistants communient. Il lui revient, dans son isolement diluvien, d’accompagner les rêveries amoureuses de ces pèlerins vers Jésus, sous forme d’hostie. Puis il rentre chez lui. Il ne voulut plus rien démontrer, ni même exprimer, mais se laisser aller à l’écoulement des jours et des résolutions. Alors qu’auparavant sa forme était concise, et que ses compositions se succinctifiaient, il tenait jusqu’à trois minutes, sans contraintes, sans règles corsetantes. Il était fier et enjolivé, sous sa blouse de Kazan verte, car enfin, ce que j’avais pressenti, ce qu’il savait peut-être, s’était accompli : la muselière avait cédé, il accédait à sa composition personnelle. Rien de bien épais encore, mais riche carrière d’albâtre à exploiter. Il lui restait de fortes marges et de longues années, ce qui reste l’apanage et l’accès aux apogées de chefs et de musiciens.
Seule la Science ou Dieu connaissent le déclic, la déglutition avant lesquels, après lesquels il n’y a rien ou bien commence la musique. Processus qu’il est aussi absurde d’accélérer que d’interrompre.
Bélinda CHANTEUSE IVRE
Il la mène à la baguette. La gourmande, la rabroue : Tu ne vois pas que tu déranges? (nous étions lui et moi en plein office, lui comme interprète, ma personne ignoblement somnolant sur son petit fauteuil d’osier, peaufinant sous mes yeux mi-clos ma brève appréciation à venir. La couperose de Belinda confirmait un léger relent de f utaille Elle chante La vie en rose et autres insanités de vieux bookmakers à gomina : « Esgourdez rien qu’un instant / La goualante du pauvre Jean / Que les femmes n’aimaient pas / Et n’oubliez pas / Dans la vie y a qu'une morale
Qu'on soit riche ou sans un sou
Sans amour on n'est rien du tout
(On n'est rien du tout)
Je trouvais ces paroles ineptes. Ici et maintenant j’en frissonne au bord de l’abîme. « Quand reverrons- nous Bélinda ? » Il m’interrompt : « Kohn-Liliom, ne marche pas sur mes brisées ! » La douceur dans mes bras me plaisait à entendre - quel plaisir peut-on prendre aux femmes ? Ou même leur donner ? Leur seule nudité gauchit les réflexes et je ne sais trouver ni l’attaque ni l’ouverture, si je n’ai pas baissé la tête aux premiers assauts (« l’attaque du bélier »), ne reste qu’à les laisser s’agiter sur ou sous vous, palpiter autour du cylindre et crier, condamnés à n’y rien comprendre.
« En position cavalière quel plaisir d’avoir loisir
Quelle revanche
À son tour de compter les poutres au plafond ».
Sans toute cette propagande aurions-nous jamais vu ces foules s’en remettre au sexe opposé.
Je n’ai jamais je vue Bélinda ivre. Parfois titubante, déraillante sur les si bémols, et s’ils se mettaient tous à boire, la catastrophe vivrait à leurs trousses Il en mourrait, le pauvre, ou reprendrait le chemin du bâtiment B. Nous aurions vu dans nos miroirs les hauts oiseaux sauvages dérivant dans l’éthanol. Bélinda conserve la voix grave et tremblante. Il n’y a pas de sexe, juste une bosse sans fissure. Il ne me tarde nullement de la revoir. « Peut-on vivre sans vie sexuelle » demande Benoît humblement au fond du petit jardin encaissé entre les murs de tôles. « Peut-être » répondait l’épouse, entre deux rejets de tabac. « Mercredi, je reçois Belinda. - Je préfère vous laisser travailler. »
Il ne l’invite plus. Il ne m’invite plus. Il compose moins, beaucoup moins.Il trouve la paix des paroisses. Il rencontre des chrétiens. Il y a des communistes idéalistes le doigt sur la gâchettes.
LES INTERPRÉTATIONS
J’ignore
ce qui resterait d’elles sous les mâchoires sans vie des
critiques. Ils écrasent ceux qui la main dans la main deux par deux,
mais cet artifice m’enchante. Ces morceaux cheminent souvent plus
lents, plus irréguliers, mais la lutte est belle entre l’homme et
l’ange. Au-dessus d’eux se forme et s’évanouit toujours,
alternativement, le praticien robuste en blouse blanche à la
seringue. Il n’y a pas ici de folie. Je tenais ma fille par la
main sur les rochers,au-dessus de l’abîme, sur le sentier ardu des
mystagogues
RETOUR AUX SOURCES BÉNÉDICTINES
Interminables dé-goulinades et bagoulages, clausules pétrifiées, abus de la pédale brouilleuse d’harmoniques. Abus du rubato, masquant mal de réelles hésitations. Prestidigitateurs et voleurs à la tire sentent leurs doigts peu à peu s’engourdir et grossir avec l’âge en perdant toute efficacité ; comment se fait il au contraire que des pianistes s’affirment avec l’âge et se renforcent, au point de ne plus savoir s’arrêter ? Delvaux a-t-il peint Le Squelette au Piano ? Benoît reprenait autant de fois que nécessaire les mesures fautives, voire du tout début. Depuis que nous nous connaissons, il ne le fait plus. Parfois ces reprises passaient inaperçues, semblables à la même chose.
MUSIQUE RÉPÉTITIVE
Partitions très courtes (« ce qui excède [s]es capacités »), titres infantiles ( « Les couplets de Papa »), intarissables relents de Méthode Rose. Jamais de silences, ne fût-ce que d’un quart de soupir. Recopie, numérote avec minutie chacun de ses albums, chacune de ses partitions. Il me fait suivre sur partition ; très vite je fais semblant. Plus facile sur la main gauche, qui prend rarement le thème. Les arpèges enjambent les portées. il corrige mes retards en me touchant l’épaule ou le coude. M’initie à la tierce picarde, à la basse dAlberti, mais d’autres notions me résistent Il s’écoute composer. Je m’écoute parler, me lis tout écrivant. Emportés, empotés dans la même compote et pâte. Je fais croire à nos communions. Femmes, tirez-moi de ce puits en forme de cul. Car on ne jouit bien que par le cul (Solange).
Le dernier album témoigne d’une évolution stupéfiante : enfin Jean-Benoît s’affranchit des règles, brise la carapace, improvise à l’épinette sur des eucharisties : lorsque les assistants se forment en colonne vers la Sainte Table afin de recevoir « le pain du Christ » (alors qu’autrefois ce n’était qu’avec réflexion), lorsque ensuite ils s’en reviennent, l’organiste improvise dans la joie du recueillement. L’épinettiste aussi, et convaincu darde ses cordes pincées.
REPRISE DES BÉNÉDICTINES
Depuis peu s’est fait bombarder aux orgues. Il alterne les offices, avec un petit gras. Pourquoi ma-t-il affirmé, descendu de ses orgues, que je pue ? Pourquoi « n’ose »-t-il pas me confier quelque chose » ? Pas amoureux, au moins ? ... de moi ? j’aime allumer, hommes et femmes, sans plus. Je fais tout ce que je reproche aux femmes. « Écris-le ! » Il ne réagit pas Il m’aime et me déteste ? Froissé de mes froideurs ? jai trop vécu de drames pour y repiquer. « Il me prend pour un pédé » dit-il. « Cest insupportable ». Mais il est pédé. Je suis pédé. Nous sommes pédés. Comme toutes les femmes, et Jésus, le fruit de vos entrailles - amen.
Il a pressenti, senti ma duplicité. Marie-Pascale qui cette fois au lieu de hurler murmure à mon oreille « Occupe-toi de Jean-Benoît qui est bien malheureux » (la sœur de mon père à lui-même occupe-toi de la Simone qui est bien malheureuse 49 ans de galère conjugale fois deux 98. Je vois Jean-Benoît chez lui, respire son vernis d’embaumement, le courtise des deux mains, m’endors sur ses mélodies et lorsqu’il émerge enfin de mes sollicitudes après quinze ou vingt ans, le voici qui retrouve hors les murs un milieu de piété sans soupçon d’intégrisme. Bientôt il ne téléphone plus. Il a déchiffré , décortiqué mes intonations et mes enthousiasmes. Posé même qu’il me méprise : j’aurai accompli ma mission sans faillir, car il faut qu’il croisse afin que je diminue et que je disparaisse afin qu’il vive. Voici que Jean-Benoît évolue, de « plante détachée du mur » à « fleur de cactus en serre », fragile encore mais confiante, et que je me replie dans l’abri du bernard-l’ermite. Je me replie à reculons dans l’antre. Il ne me revoit plus que pour « notre affaire », et se dispense désormais de son commentaire écrit (un auditeur obligeant a dû lui rapporter que ces annotations, lues au micro comme je les lis, apportent moins de renseignements que de dérision). Que mille ans nous soient accordés, Seigneur, pour nos écrits ; ne fût-ce qu’un an de plus à nos insanités. En attendant signons tant et plus et soigneusement. Car nous ne sommes, à tout prendre, qu’un porte-voix.
SES COMMENTAIRES
Je les conserve serrés dans un carton à chaussures. Le carton prend l’l’eau.Il se délite dans mes doigts comme un pourri de cercueil. Nous avons replacé l’emballage et tout remis au sec, en hauteur. Ces notations méticuleuses ne sont jamais relues. On ne les jettera qu’après la mort. Si Jean-Benoît revient ici-bas, et qu’il s’enquiert de ses Commentaires, nos descendants lui en indiqueront l’emplacement, si tant est qu’ils ne les aient pas jetés avec ce qui se nomme « papier » chez les déménageurs et jusque dans ma famille. Actuellement, ces documents ingrats gisent dans la chambre des anciens enfants, où s’entassaient jusque sous le plafond les emballages alimentaires.
Le seul jour où Jean-Benoît pénétra, faute de mieux, dans mes appartements, voici bien des années, repas interrompu par l’annonce téléphonique de l’hospitalisation de mon épouse ; rien de plus qu’un malaise de chaleur - mais les pompes hospitalières s’étaient mises en branle. C’étaient d’autres temps.
X
Jean-Benoît se prend assurément pour un grand : « Vous pourriez croire que c’est de Beethoven ; eh bien , c’est de mo » . Extraordinaire mot d’enfant. Un petit sexe à l’Origène d’Alexandrie, qui fut un bien saint homme, et cependant père non pas de l’Église mais bien charnellement de cinq enfants, issus de trois unions. Jamais il ne parle d’eux. Il m’offre ses disques. Les autres paient cinq euros, puis dix. Les temps sont durs La tutrice le serre de près, lui égoutte pingrement le juste nécessaire pour pouvoir manger. Il la traite de grosse gouinasse, ce qui est le pire qui se puisse trouver, si puis dire, dans sa bouche…
MES DIFFUSIONS
Les compositions de Jean-Benoît, passées à l’antenne, rebutent tout auditeur, et plus encore ses commentaires, gourmés, emphatiques. Ce sont trois à cinq minutes de prélude, j’ose dire de pédiluve avant le grand bain. Une purification de l’oreille qui coupe net toutes les connections : il me semble entendre les boutons qui claquent. J’abrège, mais trop tard : la moitié de mes trois auditeurs sont partis. Quant aux hors-d’œuvres pianistiques, ils sont précédés d’une broussaille de considérations solfégistiques inaccessibles au commun des oreilles. S’ajoute à ces indigestes barbelés des indications sur la date de composition, y compris le jour de semaine, l’heure, le temps qu’il faisait et l’humeur du Maître, sans négliger l’occasion liturgique, avec des gourmandises d’exégète. Il joue. C’est grêle, inexpressif, précipité. Jean-Benoit aura vu la folie en face. J’aurai contemplé la mienne aussi tout au long d’une interminable enfance, et n’ai jamais plus voulu la revoir. O’Letermsen jadis me présentait comme un génie, pour en avoir connu n´en fût-ce qu’un seul, se prévaloir de réverbérations mutuelles : « Je te donne » dit-il « cinq ans pour décrocher le Goncourt ! (« ils peuvent toujours venir me chercher, avec leur Goncourt ! » s’exclame in quinquagénaire de B.D., trapu, au rez-de-chaussée de sa tour de banlieue.
Au second plan derrière lui les étagères de manuscrits, le bureau bien lustré de l’intello perdu ; et sa fumée de pipe parmi les tags.
J’écoute Jean-Benoît sur son étroit fauteuil d’osier vert, coincé entre le mur et le petit côté du piano droit. Le son s’écrase et s’amatit dans ce corridor au plafond bas. Parfois ma tête vacille, car je reviens de corriger la prose de basse banlieue. Je scrute entre deux sommes les partitions qu’il me tend, à l’affût des moindres inflexions répertoriées dans ses commentaires : « Avertis-moi », lui dis-je, car « je serais bien incapable de déceler quoi que ce soit ».Après audition, j’étends ma pommade complimentative ; les moindres restrictions le déstabiliseraient, provoquant des ravages internes. Ou bien mieux encore, il ne les comprendrait pas. Bien garder en mémoire tel concours de poésie, au Bar Congolais, d’où le jury, dûment chapitré en coulisse, revêtait immanquablement telle pensionnaire demi-dingue autrice de sottises en rimes.
Elle accueillait sa récompense avec la gravité pieuse de l’artiste. « Toi, me disait Jean-Benoît, tu sais «écouter ». Je m’extasiais dans l’onction et la discrétion. Et cest peut-être pour cela que je pue. À moins que ce ne soit par mes présentations radiophoniques plus que désinvoltes, «dans le ton de l’émission » - parodiques ? ricanantes ? Les minces suggestions que je lui distille à domicile, confidentiellement, ne bénéficient d’aucune attention de sa part. Son père Marcel cependant lui en avait touché quelques soupçons : « Il était de mauvaise humeur ce jour-là » me dit Benoît. Je m’empressai de renchérir, de lui repasser le bandeau sur les yeux.
Nous aurions pourtant bien apprécié ne fût-ce que le moindre ralentissement, la moindre pause, même
un quart de soupir - des deux mains à la fois s’entend, dessus et basses – en lieu et place de ces interminables échelles d’inexorables gammes montantes ou descendantes, chevauchant les mesures, escaladant les portées sans relâche...
Jean-Benoît cependant m’initia aux délices de la tierce picarde (en résolution majeure) et du décalage au clavecin (le fameux rubato, que je ne manque jamais de lui mentionner : la basse tient le tempo, les hautes jouent vivace). Mon attitude souligne les moindres occasions de contentement, pour qu’il les multiplie. Ses premières compositions montrent plus de liberté. La dernière visite fut brève, car javais manqué trois messes de suite : deux offices du samedi, et le dimanche de Noël. J’avais prévenu pourtant : « Le dimanche matin, qui pourrait survivre à la gueule de bois du réveillon ? » Il m’interpréta
chez lui, en compensation, de magnifiques jeux de trompette, relevant que jamais il n’avait joué devant si nombreuse assemblée que ce dimanche 25 décembre, et que les voûtes de St-Nicolas résonnaient bien mieux que les plafonds de la toute rococo Ste-Geneviève, bien mieux que son nouveau logis, où les parois toujours aussi perpendiculaires qu’ailleurs annihilaient toute réverbération. « Voilà», répétait-il, « voilà», me poussant vers la porte.
Départs
Il est d’ailleurs agréable, socialement parlant, d’avoir affaire à un lourdaud qui marque franchement la fin de la visite - ainsi du téléphone de Guéret : « ...J’estime à présent », me dit-il à distance, « que la conversation a suffisamment duré». Souvent, dans l’ancien antre abandonné, en sueur, crasseux, j’allais marquer mon territoire : pisser avant de partir, toucher sa main juste après
Ma mission radiophonique était de diffuser, en ouverture, ses gloussements pianistiques, assortis de mes commentaires à mon tour aussi superflus que superficiels. Les cafouillages techniques réinterprétés en folles rigolades confirmaient d’autre part amplement la sagesse populaire : éviter les efforts conduit à plus d’efforts encore…
Benoît et moi unissions pour l’offrir le plus précieux de nos insuffisances… Jean-Benoît s’est désaffectionné de ces diffusions : signe que l’animal blessé pourrait un jour se réadapter à son milieu naturel. Pour obtenir plus de reconnaissance, il fallait le traiter comme une vraie relation humaine. Chose dont je me suis toujours bien gardé (la peur est le lit de la flemme). Dans un premier temps, Il appréciait « l’humour » et « le ton alerte ». Mais supposé qu’il se soit avisé de faire entendre à d’autres, amis ou connaissances dont je savais très peu, les élucubrations d’un présentateur en porte-à-faux ; que cette tierce personne ait décelé le sarcasme sous la faconde ; il est aisé d’imaginer qu’un tel auditeur lui ait charitablement (ou non) révélé que les faux engouements n’étaient en fait que purs et simples foutages de gueule.
Jean-Benoît ne composa plus pendant quelques mois. Je ne l’avais aidé que le temps nécessaire. Il nage à présent dans le bonheur d’une réinsertion de type paroissial, enamouré de quelque bigote ou pieuse poivrote ou pieuvre poisote sans sexualité bien définie, ce que d’aucuns tiennent pour la fleur de la délicatesse.
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Nul ne saurait anticiper l’accueil, favorable ou froid, réservé à ses cadeaux, surtout en radiodiffusion ou informatique. Je m’astreins à diffuser du Jean-Benoît, pour apporter ma pierre à sa guérison, « Car tu es responsable à jamais de celui que tu as apprivoisé ». Les renvois d’ascenseur attendront. « Tu ne feindras pas l’amitié » - mais que ne feignons-nous pas. Quelle vie n’est pas d’un, bout à l’autre, simulée – vivre, c’est mentir. Ne parlons pas des baroudeurs, dont la devise universelle tient en deux vers :
Je rote je pète
Rien ne m’arrête
...Mentir pour ne pas être seul. Mais rester seul pourtant. J’ai maintenu Jean-Benoît la tête hors de l’eau : le voici hors d’affaire - mission accomplie. Considéré que tout est éphémère, comment s’attacher à qui que ce soit ?
*
Depuis peu Jean-Benoît manque d’argent. Il ressort sur mes pas, pour que j’achète du pain, du tabac. Sa pension ne lui parvient au compte-goutte que par l’intermédiaire d’une charognarde ou « tutrice », qu’il traite de « vieille gouinasse » (Dieu sait qu’il doit être exaspéré pour piétiner ainsi le précieux). « Ça se réglera à la baston » - la baston, Benoît ? sais-tu que le moindre gringalet de banlieue te réduirait en brochette en moins de temps qu’il en faut pour le dire ? le moindre avocat, le moindre assesseur ? Répète « vieille gouinasse » Benoît, tu le dis d’un tel appétit – il le répète les yeux luisants, la bave aux gencives vieille gouinasse. avec une conviction vraiment bestiale.
*
Je trouve chez lui, dans son capharnaüm, un gros volume d’architecture égyptienne : hélas, ce ne sont que des croquis besogneusement professionnels, en gris et blanc. Juste passionnants pour des techniciens endurcis. Je le lui rendrai. Qu’il garde l’argent.
RECONSTRUCTION PAR LA MUSIQUE
Premier au Concours du Conservatoire. Il m’assomme de septièmes de dominante et autres cadences plagales. Jean-Benoît maîtrise les claviers. Il subit l’inexorable et mathéjmatique nécessité de recomposer phrase à phrase à son propre usage, mesure après mesure, un corpus aussi intégral que possible de musique romantique, sans négliger la moindre fibre du cordon ombilical : des sonatines de Beethoven à La cathédrale engloutie. Jean-Benoît exploite sa liberté comme on tricote un dogme ou un pyjama ; il corsète ses élans, cultive et consolide son perpétuel exercice à la façon des nuls en maths, dont les lenteurs et les obstacles s’ancrent dans l’invincible nécessité de toujours devoir remonter, sans en omettre un seul, de théorème en théorème, de maille en maille, jusqu’aux axiomes fondateurs.
Que nulle part la chaîne ne se soit rompue. Que nulle fissure ne fragilise la suite, l’enchantement des règles : taillées d’un seul bloc. La Méthode Rose, première, deuxième et troisième années, l’enfant sage au piano près de sa mère. « C’étaient les meilleurs moment de ma vie. Je n’aime pas être comparé à Schumann, que sa mère Johanna contraignit à s’inscrire en Droit, et qui finit ses jours à la Privatklinik Endenich, quoique plusieurs années séparent les circonstance ». Un merle parfois vient frapper du bec à sa vitre ; Schumann lui parle comme un enfant à un autre enfant. Étrange réticence des fragiles mentaux, de s’en défendre : comme s’il s’agissait d’une chose honteuse. Les fous en viennent à tuer ceux qui les traitent de tous.
HOMOSEXUALITÉ
« C’est intolérable, il me prend pour un pédé » - prendre pour ? mais il l’était ! Malgré ses cinq enfants de divers lits. Je me flatte de m’y connaître, infailliblement. Flatte à tort. Flatator Ier. N’est-ce pas lui qui montre le plus profond trouble quand je lui parle (par désœuvrement) de mes toutes dernières amours ? de quelles précautionneuses vocalises flûtées n’a-t-il pas modulé sa voix pour me demander, mine de rien ! si «c’ était un homme ? » Il fut amoureux de moi. Rien de plus gênant pour un interlocuteur en possession de tous ses préjugés. J’ai toujours assurément trouvé réconfortant d’être aimé par des hommes : à la condition expresse de pouvoir refuser. De même une femme ne refuse-t-elle pas celui qui l’aime ; son refus s’inscrit toujours plus bas dans l’échelle, niveau cul.
Pour se faire aimer dune femme, il faut lui parler d’elle-même. Dans l’ivresse de se sentir enfin appréciée, elle se donne à vous, homme ou femme ! dans son propre reflet. Mais je crains de m’êre laissé emporter… Ma dernière visite à Benoît comportait une part d’enthousiasme pervers : comparaisons avec Chopin, Samson François et Maria João Pires. Il a fini par se lasser. Ou bien les rats l’auront bouffé. « Si je m’écoutais, disais-je, nous resterions là toute la journée. « Je ne voudrais pas » dit-il en souriant, que ta femme en prenne ombrage » Nous écouterions de la musique, de la grande, en « barytonnant du cul ». Les mains de Maria-João voletaient avec légèreté, au point que Samson F. ou Sviatoslav prenaient, à m’entendre, du plomb bien modéré dans l’aile.
N’est-ce pas bien répugnant. Jean-Benoît m’écrit un certain jour qu’il aimerait me dire certaines choses, mais qu’il n’ose pas - violence et désespoir d’une déclaration ? ...c’est ainsi que l’on aime à présent. J’ai assez souvent suscité la haine ou pis l’indifférence pour m’accorder le droit d’allumer, à mon tour, sans donner suite. Tout comme une femme. Une Madrilène m’avait lancé « raciste, xénophobe », en me passant dans le dos. Je m’étais détaché d’elle avant même de l’avoir touchée. Un homme de perdu, trois de retrouvés. Il paraît que ce n’est pas vrai. Elles souffrent autant que les hommes. Paraît-il. À les les en croire. Selon elles. L’essentiel est d’avoir les bons préjugés. De les tenir en laisse, ou de les relâcher, selon ce qu’il convient à son confort.
Une Madrilène, d’ascendance portugaise, n’intéressait pas ce porc. Il la trouvait sotte, vulgaire,
avec des enthousiasmes et des accès de joie de vivre dépourvus de toute distinction ténébreuse. Ensuite on la révère, elle vous mène, et l’on n’accède aux trésors de sa chair qu’au gré de ses rares caprices. Ici, chez cet homme, mystérieux mais sans charmes, jamais je n’aurais eu l’envie dépravée des moindres privautés. C’était une amitié forgée par autrui. Épouse donc la Simone, qu’est si malheureuse. À présent le Benoît proposait qu’on s’embrasse sur la joue. Pour commencer. Puis qu’on regarde ensembles des films pornos. Avec paume baladeuse je suppose. C’est bête, les préjugés.
Ça fait pleurer dans les chaumières. Certains s’imaginent encore les homosexuels des deux bords comme des immatures, qui en sont restés au stade des branlettes entre mecs ou filles. Faut vraiment être con. Non ? Non ? La joue des hommes est très rêche, dépourvue du moindre satiné. Peau de requin, grain serré. Ne pas oublier que lady Diana divorça d’avec le prince Charles parce que ses oreilles lui irritaient l’intérieur des cuisses. Rue de l’Allégresse, un camelot de rue m’avait abordé entre une camionnette de livraison, à demi-garée sur le trottoir, et un muret de clôture. Selon un scénario bien connu, il prétendit être le fils de Dieu sait quel jardinier, qui aurait travaillé chez moi, longtemps auparavant ; il m’embobina, me proposa un bisou, et je l’emmenai chez moi.
Il me prenait pour un pédé, j’avais les cheveux longs, il en faut peu. Arrivé chez moi, ne voila-t-il pas que mon vaillant camelot me propose un blouson pour 100€, voire 520 après marchandage. Mais ce qui n’était pas prévu, c’était Arielle. Planquée dans la pénombre sur son lit derrière la porte entrouverte de la chambre, elle captait tout, et s’opposa d’une voix vigoureuse à cette escroquerie. Notre représentant mal avisé se vit alors virer sans ménagement : « La porte, c’est là ». Il n’avait pourtant pas ménagé sa peine, allant jusqu’à se proposer à mes baisers. Et se fit baiser. Ce que Benoît me proposait, c’était de visionner, ensemble, des cassettes pornographiques, pour que nous nous tripotassions ensemble ; d’abord côte à côte, puis réciproquement, et pourquoi pas en se roulant des pelles.
Cette perspective me révulsa : gros bide, élocution niaise - pas question. Il en avait été de même à 10 ans, lorsque je raccompagnais chez lui sans trêve le fils Pentecôte, trop gras. Nous nous étions dépris. Je n’aime ni les pédés ni les gros. Ceux qui ne me fréquentent pas n’aiment pas les fous. Bien fait. Chacun dans sa case. Dieu est amour et bonnes habitudes. Nous tolérons les différences, mais sans laxisme : chacun vaut son pesant d’or, mais aussi son pesant de crachats. Je crains jusqu’à l’acte sexuel : comment nous imaginer un instant hissés à la hauteur des attentes féminines ? ...de ce qu’elle estime en droit d’exiger ? « Ça n’te viens pas à l’idée que j’puisse aussi avoir des b’soins ? » glapissait une actrice dans Dieu sait quel vieux film noir et blanc. Repoussante, mais infiniment préférable aux répugnances de Madame Geoffroy sur papier parfum adressé à ma mère : « Vous vous rendez compte, écrivait-elle, qu’à soixante-dix ans, il a encore besoin de ça ? - comme « envie de chier », par exemple.
Le fait est que les femmes semblent bien souvent osciller du répugnant à l’obligatoire – à écouter les hommes… Observez d’autre part les séquences amoureuses filmées : trop souvent, presque toujours, les baisers tendres s’accélèrent en convulsions mutuelles, torsion des visages, raccourcissements grotesques des souffles, tandis que les acteurs et trices tentent de s’escalader en s’arrachant les vêtements au milieu des râles – c’est donc ainsi qu’on doit faire ? ou bien rester les bras ballants devant la femme ou l’homme nus, se demandant par quelle partie du corps il convient d’amorcer la chose ? pendant ce temps la femme à poil frissonne immobile et s’interroge sur mes scrupules de collégien.
N’imaginez surtout pas que la femme fera le moindre geste : c’est à l’homme de commencer, n’est-ce pas. C’est lui, le porc.
*
Arielle et Benoît parfois s’isolent au jardin de chez Marie-Pascale , pour fumer ensemble. « Peut-on vivre sans vie sexuelle ? » demande Jean-Benoît en tirant sur sa Dunhill - haleine mentholée ; Arielle dévide les lieux communs : on se passe très bien de bite chez les dames, et les pénétrations manquent de candidates. À moins que le coït ne soit obligatoire. Comment s’y retrouver. Comment ne pas fuir la femme. Comment désirer un homme – Jean-Benoît moins encore et ce vaste estomac bouffant et débordant sur la ceinture. Dégoulinant comme un dégoûtant goitre – grossière chemise à carreaux. Sa main qui m’effleure l’épaule tandis que je déchiffre, assis près de lui, ses partitions. Djanema s’en indigne et fustige mes « innombrables conquêtes des deux sexes » ( elle photographie en douce un Africain vu de trois-quart et pantalon négligemment ouvert d’où sort à plat sur le coton très doux le profil soyeux d’un sexe éclos du tissu même. Considérer le nombre incalculable de femmes en amour s’achevant à grands coups de phalanges devant le velours en cavale...
Et j’en augmenterais le nombre en dépit de la honte pour peu que fût admise l’abjection du racisme le plus insondable : un noir n’est pas – tout à fait – humain. Mais ce fantasme reptilien s’accouple aux représentations les plus rédemptrices : l’homme africain est Animal et Dieu. Jusqu’au garde géant qui déchiffrait sans peine en moi le désir sans issue au fond d’un cul-de-sac de grande surface.
ÉPILOGUE ET PÉRIPÉTIES
Jean-Benoît me convie à Dieu sait quel entretien suivi de prières à St-Joseph, où les chrétiens entretiennent la tombe de vieilles choses : déshérités de Port-au-Prince, bonnes œuvres , amour universel et cendres. Vidéos, conférences et débats. Jean-Benoît, du haut de la tribune, farcirait de traits d’orgue ce sandwich convivial de BWV, Haendel usw.) suivi de dispersion joviale sur fond d’improvisations.
Or je n’étais sorti de chez moi qu’à neuf heures, m’étant égaré sur quatre roues parmi les raccourcis nocturnes : angles rentrants qui vous éloignent, rues fourchues comme des langues de visages pâles. Descendu de voiture en plein froid, plan de ville indéchiffrable sous les avares réverbères. Premier passant : le pur Espagnol monolingue, incapable de dire droite ou gauche autrement que par gestes. Le second est anglo-saxon, haleine de pinard, « deux kilomètres » me dit-il, beau raccourci en vérité. Je reviens sur mes pas, longe d’interminables murs, sans même prendre désormais la peine de me presser plus.
Je suis donc arrivé juste pour la sortie des premiers cafards de sacristie sur le large perron extérieur, marche à marche tête basse et méditative afin de ne pas trébucher. Lorsque je suis entré dans St- Joseph, les retombées de voûtes dégoulinaient encore du dernier point d’orgue.Je fus saisi par les fresques picturales courant de part et d’autres, tandis que les arceaux latéraux se succédaient, coupés à la corde par de minces tiges rouillées. Deux couples d’Asiatiques redescendirent du buffet d’orgue sur la terre ferme. Jean-Benoît suivait sur leurs talons. J’ai parcouru des yeux la compagnie des trop feutrés bigots et gotes, me suis avancé vers l’artiste en serrant sa main molle : « C’est fini ». répétait-il, « c’est fini » tout en saluant à la ronde « ne t’avais-je pas dit vingt heures précises ? » J’étais gelé.
. Il s’est tourné vers ses apôtres pour sceller son rapatriement d’ici-bas. Enfin il n’était plus coupé des hommes Il faisait le centre et le charme dune compagnie, lui confiant peut-être que je diffusais ses œuvres à l’antenne, ou toute autre chose Il ne m’aurait pas vu ce soir-là, fondu dans ses répétitions ; il priait Dieu. Ses interlocuteurs alors ont ouvert leur cercle, et je suis resté seul avec lui : « Jeux de 8, 4, 2, rien que de très classique ». Je n‘y connaissais rien. Mais c’était bien de le demander.
Puis il me rejoignit, dehors, à centmètres, place Dourmingue et sous le réverbère, où je m’étais perdu malgré le plan en main. « Tu ne peux plus m’aider » lui ai-je dit. Jean-Benoît s’éloigna de son pas de pachyderme ; il descendait la longue pente jusqu’au 20 rue Commerciale.
Je ne suis plus responsable de lui, Je ne le vois plus. Mission accomplie : observation de sa gloire illusoire et sincère, confrontation à la mienne qui ne l’est pas moins. La gloire est l’opinion que l‘on a de soi. L’observation de soi mène à la maîtrise du monde. Intérieur, bien sûr, intérieur.
Il n’y a jamais plus une minute à perdre. Heureux à tout jamais d’avoir appris cela, sans plus me croire obligé de combler les vides d’autrui. De rafistoler ses failles. De traîner son épave comme un cadavre coincé dans la chaîne d’ancre. Que le rafiot reconstitue ses mâts. Se sera-t-il un seul instant soucié de moi ? Marie-¨Pascale et moi n’avons fait que parier : « Lieutenant, parviendras-tu à soulever cette bourgeoise en trois semaines ? » Oui : dix ans. Aucun humain ne m’aura jamais fait battre autant le cœur qu’un livre ou un spectacle.
TES PÈRE ET MÈRE HONORERAS
Son père me plaisait. Il termina ce qu’on appelle gâteux : synapses fonctionnels mais en circuit
court. Il n’y avait plus aucune activité cérébrale : a-t-on sondé les encéphalogramme d’altzheimérien ?
Se renseigner sur la Toile. Le cercueil gisait en soute de l’Estafette Renault Perfex, sous un volet violet. Le dernier coffre du migrant sera sa propre peau. Sa peau sera son seul cercueil. Le coffret funèbre sous le seuil passa tout plat, lorsque son occupant jouissait d’un estomac puissant. La veille ou quelques mois plus tôt, il avait renversé sur ses côtes un grand verre de Pomerol Pointe Rouge. Il se répandait en lamentations. Marie-Pascale protestait que ce n’était rien. Il se morfondait en lui-même. Adam quittant sa vie.
Le dernier trajet que je fis avec lui partit d’un fauteuil arrière en direction de la Pizza Pippo. Je soulevais Martial M. par le bras en prise douce.
Rien ne peut donner l’idée de son allant et de sa joie de vivre avant sa mort.
FUNÉRAILLES
Tandis qu’on enterrait son père et tout le long de la cérémonie, Jean-Benoît respirait plus large,
resplendissait : c’était à lui de recevoir en maître de maison, en maître de cérémonie. Affable, disert et mondain, barbe soignée à la Debussy, surtout de profil.
Sur les rangs de femmes sa fille République officiait de même.
Ce que c’est malgré tout d’être aimé jusque dans sa tombe. Les vivants ne rendent pas compte : on ne cesse de se ballotter le pantin en jouissant au jour le jour, loin de sa . héritée alors d€™ probité €™ totalité épaisseur, que les babouins vivants n’approchent pas (« du fond de nos cerveaux, polissons sans cesse les statues des morts »). Un jour p rendr sieste, et, comme Victoret, n’éprouvera pas la nécessité de se réveiller (N.B. Rédiger mes recommandations ¨ques ( ? ) - j ai reconnu, pendant l’enterrement, la fille République ses yeux en boutons de bottine « Vous êtes is-je ? si , je vous ai reconnu.
- Quel bel enfant vous avez là», . On ne l’a pas entendu de l’office. Il avait l’air stupide et vide. Comme doit l’être un enfant de neuf mois, aussi loin de sa naissance que de sa conception.
LA RÉSURRECTION DU XIXe SIÈCLE
Il fut une fois une foule brouillonne d’écrivains, chanteurs, compositeurs-interprètes, que leur ascension ratée de l’Olympe a conduits dans la peine. Des des dizaines de milliers d’écrivains se
présentent au Prix Nobel. Des dizaines de milliers. D’autres j ouent du violon sur leur siège avant, sans autre abri. Je pense à ce premier du concours international de violon, arrivé en retard à l’aéroport. Le deuxième, lui, à l’heure : tapis rouge, délégation soviétique. Il s’est bien gardé de détromper quiconque. Ses initiales sont K.G. Le premier, fragile, mourut jeune. Il ne laisse pas d’initiales. Maudite soit l’espèce humaine. Chez Jean-Benoît, nous retrouvons la résurrection à l’identique du siècle passé, quand on répandait entre les murs de liège de la poudre Legras. Proust et le koala , mauvais titre.
Qu’il soit bien entendu que Jean-Benoît respecta toujours la plus stricte hygiène et que jamais je n’ai senti chez lui le moindre relent corporel. Mais un léger parfum de cigare. Je l’ai vu rayonnant aux obsèques de son père, où tout le monde rayonnait , à l’exception d’un Vietnamien qui s’essuyait les yeux au premier rang. Je ne voyais de lui que le coude, qui se levait régulièrement au niveau de ses yeux. Puis Jean-Benoît salua les défilants au sortir de la messe, les assommant d’un ses projets dont il poursuivait l’exposé d’une poignée de main à l’autre, car l’ homme est créatures de projet. Je me souviens bien des mémoires d’un certain Indochinois, qui donnait à Maurice du «¨mon seul ami ». Ou bien c’était Maurice lui-même, en ses minces mémoires, qui mentionnait un « citoyen de Hué « . Rentré chez moi, je me suis reposé une heure sur mon canapé de Bordeaux.
X
Avant le temps des streamings, Jean-Benoît se confia hardiment au domaine électronique : il grava toutes ses œuvres sur disques compacts (on disait encore, à l’époque, en anglais, des compact discs) , répertoriés par lui- même avec la minutieuse gravité d’un recenseur musicologue : tel le Deutsch de pour Schubert, le Köchel pour Mozart. Sur chacun de ses boîtiers plats figurait à la main le numéro du Disk (majuscule germanique de rigueur). Jean-Benoît se fendait, sur feuille séparée, d’un commentaire hérissé de considérations solfégistiques. J’amputais à l’antenne tout ou partie de cet ampoulage technicoïde
Ce pendant les dits compact discs vierges disparurent du commerce, à l’exception de quelques officines spécialisées en reliques. Le très commun des mortels s’approvisionna désormais par téléchargement, voire la captation sur stream. Jean-Benoît, dans son nouvel antre, me confiait l’écoute de ses productions sur de « bonnes vieilles » disquettes : « Vous croiriez que c’est du Beethoven ? pas du tout : c’est de moi », dans la plus merveilleuse modestie. « Ces morceaux bien enlevés » ajoutait-ils, « sont passionnants, d’une joie communicative, et merveilleusement travaillés ». D’autres fois, il se montrait moins satisfait, mais le disait aussi : mieux vaut dire du mal de soi que de n’en point parler » . Proverbe 2 : « Dire du bien de soi, c’est vanité ; mais en dire du mal, c’est bassesse » : sagesse anonyme.
Je ne sais lequel des deux est le plus juste. Mais je me rabrouais dans l’autodépréciation : c’était pure vanité.
À HUYSMANS
« Êtes-vous chrétien ? » Le vieil homme s’agenouilla péniblement dans sa chambre pour un Notre Père, et je l’y rejoignis avec l’intonation, en m’efforçant de croire. Respirer bien à fond, en cas de détresse ou forte perplexité. Ultime recours : le corps. Pour rien au monde je n’aurais oublié ce Pater. Puis nous nous sommes relevés et salué sur le paillasson d’hôtel. Nous posons sans équivoque l’analogie du travail sur soi et de l’examen de conscience, qui fit rouler des générations de chrétiens sur les pentes de l’insomnie. J’assiste parfois aux messes, déplorant chez les prêtres l’atroce manie conciliaire d’imposer au fidèle des mélodies abjectes. Un jour je suis surpris dans une nef déserte à brailler, à l’harmonium, un Ave Maria de mon cru, bouche ouverte et l’air d’un con, feignant d’ignorer l’auditrice en robe longue droit debout sur les dalles, qui me scrute et s’en va.
Il existe dans la vie de grands moments de solitude.
*
Je rencontre un beau jour dans un sentier touffu à pic vers la Seine, une novice de saint Paul appuyée sur une petite porte opaque en bois ; elle tient une bicyclette à panier arrière et me sourit d’un air engageant. Qu’aurions-nous pu ? tirer un coup sacrilège et pressé ? mêmes pincements de cœur et bordées de canons. Encore enfant je détestais l’amour, Ces chose gluantes qu’on dissimule en roulant des yeux. Qu’il ne faut ni mentionner ni transmettre. J’avais honte de l’homme qui criait sous moi dans tout l’étage. En vérité je le souillais. À plus forte raison une religieuse. Baise, vérole de l’âme.
*
Nous imaginions violer une clôture de nonnes. Ce qui se passerait. On nous tiendrait caché dans la lingerie. Chacune viendrait nourrir, couvrir, et se croirait la seule. Dix petites négresses au couvent, à chacune son chiffre. Soigneusement dissimuler la gamelle de la précédente. Pisser : où cela ? Ce serait un beau thème érotique. Quelles en seraient les conséquences en matière de droit civil, canon, canin ? se renseigner sur les temps anciens, leurs jurisprudences. Il semble que le prisonnier d’un établissement religieux pour femmes appartiennent aux extensions du fantasme ; les fantasmes ne me soulèvent plus la viande.
L A SUCCESSION DU PÈRE
Très bordélique. Portail de St-Geoirs (Isère). Les renseignements contemporains rabattent sur des sites mercantiles.
Aux derniers temps de l’Impasse, Jean-B. avait laissé le plancher jonché de courriers publicitaires, qu’il se proposait de trier – tout cela ne méritant que poubelle ou bourrier. Ne manquaient en vérité que les chiens pour pisser dessus, comme chez Jeanne de banlieue. A présent Jean-Benoît peut enfin respirer jusqu’aux bouffées de renfermé. À présent il prend sa revanche. Mère morte et père amoindri. Père mort. À son tour. Sa vie importe autant, ma foi, que celle des dernières pêcheuses du Vietnam. Des pots de confiture entamés traînent chez lui, certains sommés en chef d’une petite cuillère en aigrette : il en prend, repose, retourne à ses portées.
Ni ménagères ni larbins.
Il végète ici à proprement parler. Son abdomen distendu plane au-dessus des canettes, sur table ou sur sol. Des insectillons se sont mis en tête d’explorer les imminents vestiges de cuvette hygiénique. « Fais attention ! » J’arrose les parasites, qui courent se blottir sous le rebord, à portée de désinfectant à bec recourbé si j’en trouve.
VISITE AU PÈRE EN ASILE
Nous devons ressusciter Marcellin, nous le représenter vivant. Lorsqu’il mesurait, dans un froid glaçant, le plan en élévation de notre remise à fins de restauration. Il m’avait exprimé sa surprise que l’impuissance arrive si tôt, si vite, si irrémédiable. Nous nous parlions de cela. Nous le ressusciter au fond d’un établissement pour Vieux, obscènement rebaptisés Seniors. Je ne l’ai pas reconnu, lui non plus. Ses traits sont restés, redevenus lisses, scandaleusement jeunes. Le scandale de Maurice Lehrer l’a rendu, ici, indésirable : quelle secousse pour enfant gâté, de découvrir, sous le rideau de la vieillesse brutalement tiré, ces vieux corps un par un recroquevillé dans son leur fauteuil, déjeté comme un cadavre de communard dans son cercueil, chacun somnolant dans sa pose déglinguée ? tétanisé d’épouvante Lehrer hurlait au guichet d’accueil, défiguré de panique, remettant convulsivement en cause le dévouement jusqu’aux compétences des soignants. Sous les cris les demi-morts hochaient la tête en gémissant ou intervertissaient leurs pliures. Aujourd’hui je revois le vieux père de Benoît, qui me resitue dans ses méninges. Les plaisanteries les plus éculées le laissent de marbre ; ma première visite l’avait trouvé bouche bée, ronflant comme un cadavre à qui l’on a ôté sa mentonnière – aujourd’hui, cela va mieux.
Une troisième visite le déride : je racontant l’anecdote de la vieille quêteuse « pour que les enfants puissent voir les animaux du cirque. - Je n’aime pas les enfants, je n’aime pas les animaux, je n’aime pas le cirque - Eh bien tant pis » répond-elle. Mais j’avais été bon .
X
Marie-France, Éthiopienne, ne l’a jamais visité que je sache Me renseigner auprès de Marie-Pascale, le Rouvroy de Saint-Simon des convenances ; c’est la plus forte potinière, la plus impartiale, la plus exhaustive chroniqueuse de ma connaissance, au fait de toutes les nuances de respect que l’on se doit, de l’un à l’autre aussi bien qu’à soi-même ; la fille de Benoît présente avec elle un contraste diamétralement opposé : des petits yeux en boutons de bottine, des seins tournés au taille-crayons. L’homme est tout près de l’état primitif. La femme souffre et se sent flattée. Souffre aussi de se sentir flattée. L’homme de n’être jamais vraiment désiré. Enroulons sur nos ventres ces queues amorphes et n’importunons plus les organismes morts des femmes offusquées. Rires.
Jean-Benoît voulut m’imposer chez sa propre fille, qui selon lui m’admire. « Lorsqu’elle dit ton nom elle a tout dit ». Je crois plutôt que la mort du père délivrera aussi sa fille en temps voulu . M’aurait -elle revu, que nous serions-nous dit ? se serait-elle pour autant débarrassée de ce moricaud, délivrée de lui, qui l’engrossa le soir-même de [t]a visite » affirme Jean- Benoît ? s’est-elle inspiree de moi ? s
Je vois le jour des funérailles un petit enfant rempli d’assurance dont je serais le Père Blanc fantasmé. Un jour les préjugés sur le sexe et la couleur de peau se trouveront justifiés, craignons ce jour. Où nous saurons ce que nous sommes : les juges et les jugés. Partout sur ma peau paraissent les verrues. L’époux haïtien ne s’est pas présent aux obsèques ; Marie-République elle-même, en deuil du haut en bas, les yeux luisants, recevait les honneurs du cercueil du père de son père en attendant plus cruel encore Il n’est si bon moribond qui ne finisse par mourir:
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