OHL LA MER DANS POE + BERNARD CLAVEL


BERNARD COLLIGNON "LUMIERES, LUMIERES"
MICHEL OHL "LA MER DANS POE" 43 07 10


"La mer dans Poe", comment faut-il lire cela ? Comme ça se prononce ? Oui mais sans omettre de mentionner qu'il s'agit de poe, Edgar, et du thème de la mer et des marins. A quoi pensiez-vous, petits vicieux ? Surtout qu'il s'agit de tout, dans ce recueil de textes élucubratifs paru aux éditions OPALES, sauf - sauf une fois- de l'auteur des "Histoires extraordinaires traduites par Baudelaire !
De quoi s'agit-il ? De petits exercices d'irrévérence, sur les traces de Bobby Lapointe et d'Henry Michaux. Alors, Monsieur Ohl, on se prend pour Michaux ? On appelle sa maison (point n'est besoin de 'l'appeler d'ailleurs "Chez Ohl", et on s'autorise à cligner de l'oeil en direction du Schéhol hébraïque ? Mais ça ne suffit pas, pas du tout, Monsieur Michel Ohl. Vous nous apparaissez en couverture sous les traits paraît-il d'un sosie, gros marin ou officier ventru à barbe abondante. Parfait !
Vous maniez le calembour et le canular à longueur de pages, en de petits textes point trop lassants et revigorants, surprenants, titillants, exaspérants : parfait ! mais pourquoi toujours cela ? Quoi direz-vous, un mauvais coucheur ? L'ai-je obligé à me lire ? Non certes. Mais ce qui gêne, ce sont non pas ces sublimes jeux de mots (j'ai acheté votre livre sur titre, parfaitement, sur titre) - et cette façon de vous foutre de la littérature de la même efficace manière que Ben le Niçois se fout de l'art, c'est de bonne guerre, on a déjà vu ça quelque part, mais c'est que je ne vois pas - je ne veux pas voir ? - c'est autre chose que le jeu de mots, autre chose que le ricanement, autre chose que le désespoir que j'ai moi aussi tiens donc, autre chose en un mot que la complaisance.
Ce n'est pas mal mais ça ne me restera pas parce que j'ai déjà ça chez moi, ça fait double emploi. Vous me proposez, Michel ohl, ce que j'ai déjà chez moi, dans ma salle de bains. Je ne vois pas où vous voulez en venir. Vous désorientez le lecteur, qui se croit ici et que vous menez là, mais j'ai déjà lu cela quelque part. Il y aurait même une cinquantaine d'années que les bourgeois ne sont même plus épatés.

Que vous soyez un type très bien très enrichissant, très inquiétant par vos manques et votre truculence ou votre fausse naïveté je l'ignore, il y a des tas de gens très bien dans les campagnes, surtout dans les Landes, mais la question (bonne ou mauvaise) est celle-la : qu'avez-vous à dire ? Rien ? "Ce n'est pas parce qu'on n'a rien à dire qu'il faut fermer sa gueule" ? Soit, et que fais-je donc. Mais disons que mon sens de l'humour ne va pas jusqu'à encenser des productions de potache génial certes, mais potache. Tenez:
"Mauve ! ai-je henni" - mauvais génie, haha !
Eh bien voyez-vous, je préfère Jean Yanne : il n'a bu qu'au dinosaure, ne mangez pas de tripes au lit, Taine, ça a de la gueule, et il y a le personnage Jean Yanne derrière. Il y a le vôtre, assurément, mais les livres dont il faut connaître personnellement l'auteur pour que leur génie apparaisse, voyez-vous, j'en ai plein mes tiroirs, et je les considère comme à refaire. Je sais Dieu merci que vous avez écrit des opuscules autrement poignants sur votre goût des cimetières et votre obsession rigolarde de tout ce qui est mort et cadavre, je les ai apprécié en toute confraternelle terreur. Mais "La mer dans Poe" , non, vraiment. Fine bouche.
Tenez, je vais changer de sujet. Figurez-vous que le rectorat, l'irresponsable ! m'a délégué pour faire passer l'oral du bac en français, non loin de là, en Gironde. Savez-vous ce qui m'effara ? La scolasticisation de l'enseignement de la littérature. J'en avais déjà eu vent lors de la lecture des questions, incompréhensibles à l'écrit jusqu'à l'année dernière. Quand on avait compris les questions,, il ne restait plus qu'à répondre, c'était du niveau de troisième.
Mais là, je fus servi. Soit un thème, "Maître et Valet dans la comédie ": excellent ! Choix, "Don Juan" de Molière : excellent ! me dis-je. Quelle explication va-t-on me proposer? Ils furent trois ou quatre à me sortir que Sganarelle, valet, voulait monter sur les pieds de Don Juan, le maître, parce qu'il s'était revêtu de l'habit de médecin, et que Sganarelle en médecin se sentait bien plus à la hauteur et imbu de science infuse : certes, certes ! Qu'il essaie, ce Sganarelle, d'affirmer sa supériorité sur son maître en produisant un discours faussement argumentatif et parfaitement creux : à merveille ! Ensuite, Don Juan reprend le dessus, et voilà notre valet par terre.
Mais pourquoi, cher collègue et néanmoins professeur de français, ne pas avoir mentionné que, tout de même, la discussion portait sur l'existence de Dieu ? C'était peut-être un point secondaire ? Sganarelle en habit de médecin, c'est-à-dire à l'époque de Molière, de charlatan, défendant l'existence de Dieu, c'était assimiler le prêtre au charlatan, n'est-ce rien que cela ? Don Juan riant de la sottise de son valet et attirant la sympathie du public en professant son athéisme, n'était-ce pas bien plus énorme et plus significatif que toutes les révoltes de valet du monde ?
Si j'ai trouvé cette lacune chez quatre candidats qui me récitaient éperdument leur cours, ce n'est pas une coïncidence, mais les effets pervers de directives inspectoriales complètement stupides, qui visent à transformer l'explication française en exercice formel - les candidats mentionnaient gravement comme un fait de la plus haute importance que le valet vouvoyait le maître, tandis que le maître utilisait, je cite "la deuxième personne du singulier", qu'en ai-je à foutre, cher prof ? Dieu, vous dis-je, Dieu, Molière et sa folle audace, et non pas la grammaire.
Et la conclusion était invariablement "Il faudra attendre le valet Dubois dans "les Fausses Confidences" de Marivaux pour qu'un valet se permette d'égaler et de dépasser son maître, alors qu'il eût fallu conclure sur de la métaphysique !
Que dire aussi de ces explications sur Baudelaire,
Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble...
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté

ne comportant pas la moindre, je dis pas la moindre allusion à la musique, à l'envoûtement baudelairien ? pas même au fait que ce texte est en vers, et quels vers ! des explications où l'on se contente de me dire que le refrain "résume ce qui précède" ! Quel con ce Baudelaire, de répéter trois fois la même chose ! Gâteux, sans doute.
Gâteux aussi le prof qui faisant étudier en classe "Nuit rhénane" d'Apollinaire, où il est question de filles, d'or et de Rhin, n'a pas été foutu de mentionner le nom de Wagner à ses élèves ? Est-ce si difficile de faire un cours après s'être cultivé un peu, au-delà de la place du complément d'objet ?
Ho ! collègues ! écoutez ma voix : quel est le but d'un prof de français : est-ce de disséquer savamment son petit texte en jargon universitaire de mes couilles, ou est-ce de donner à la jeunesse qui ne l'a plus le goût de la belle littérature, et même le goût de lire ? Fût-ce Michel Ohl, car même s'il ne brigue foutre pas l'honneur de se retrouver au programme du bac, n'en est pas moins un excellent technicien plein d'âme à ras bord ? Moi je vous demande seulement de lire. Pour "La mer dans Poe", mettons que j'étais pisse-froid ce jour-là. Ca se lit par petites gorgées, vous verrez, ce n'est pas si nul, c'est même excellent, mais voilà, hein, bon.
C'est intellectuel. Et ce n'est pas pour ça que je ne l'ai pas aimé. Parce que moi, j'aime les intellectuels. Sauf s'ils se cantonnent aux jeux de mots et à la scolastique étroite. Allez, ça leur passera. Ils ont le bagage pour ça. Et ceux qui disent du mal des intellos, bande de cons, je les mets à quatre pattes sur mon bureau, je leur écarte les cuisses, je me bouche le nez, et je... MUSIQUE







BERNARD CLAVEL “HURRICANA” 43 07 24



Nous vous présentons Hurricana de Bernard Clavel, premier volume de la saga intitulée Le royaume du Nord, consacrée à l'installation au début du XXe siècle des familles canadiennes dans les contrées avoisinant la baie d'Hudson. Bon livre pour enfants et adolescents sachant lire et pour adultes, les premiers recevant, les derniers reconnaissant les ineffables effluves glacés et salubres des ouvrages nordiques, j'ai nommé Jack London mais aussi l'oublié James Oliver Curwood. Il me fallait cela, à moi : les moiteurs de la jungle ou les glaces arctiques. De la navigation, ici sur les torrents du Haut-Québec en direction de l'Abitibi. Des jambes gelées, ici les jambes d'Alban Robillard, définitivement gelées pour s'être gelées dans un trou d'eau sous la glace.
Des veillées autour du poêle sous le toit de bois craquant par cinquante degrés sous zéro, avec la mère, le chaudron de soupe et les enfants blottis et chamailleurs, ici ladite famille Robillard avant son départ. Voilà comment cela se passe, et la référence à Maria Chapdelaine est inévitable, même si l'auteur à juste titre doit s'en montrer agacé – ne nous a-t-il pas dit d'ailleurs qu'il avait horreur qu'on parle de ses bouquins, et de juger ceux des autres : une famille de bûcheurs, entendez de défricheurs – d'abord abattre les arbres, puis dessoucher – en tirant sur les souches – puis labourer, semer, attendre que la neige fonde après avoir protégé la graine, enfin récolter. Après quelques années, notre pionnier en a assez de voir s'installer autour de lui des voisins, nouveaux venus attirés eux aussi par la fertilité de cette terre froide, et décide de gagner plus au nord, afin de tout refaire.
Alban Robillard, encore valide, a déjà nous dit-on plusieurs échecs derrière lui. Cependant, convaincu par son beau-frère le coureux de bois, il se lance une fois encore à la recherche des latitudes boréales. Comment l'on déménage, fourneau sur la tête, balluchons dans le canot, sans oublier les matelas roulés en cylindres, comment l'on se reçoit les intempéries sur le front, comment les enfants manquent périr de fatigue, comment l'on parvient à bout de forces à quelques hectomètres du premier campement de la nouvelle ville, consacrée à la construction du train Transcanadien, voilà ce que l'on apprend, et fines bouches de remarquer qu'il n'y a là aucune espèce de surprise,”nous avons déjà lu cela” disent-ils.
Mais il y a la minutie amoureuse avec laquelle Bernard Clavel campe et dépeint ses personnages, suivant la mère de famille, une forte femme, dans le moindre de ses gestes, car il n'est pas jusqu'aux moindres mouvements de cuillère qui n'appartienne à ce substrat culturel paysan et surtout canadien qui n'est pas si éloigné que nous n'en éprouvions encore et toujours la nostalgie. Et cette exactitude-là, passée de mode chez certains intellectuels, nous fait tout bonnement revivre avec ces gens-là si proches. Et lorsque le petit Georges est sur le point de mourir, et que l'on envoie à trois jours de marche aller-retour l'oncle coureux de bois pour aller chercher le médecin le plus proche, même si nous nous attendons à la rencontre avec le sorcier indien (Algonquin plus précisément), à la tempête en forêt, aux émotions de la mère, du père, qui prient tout de même moins à tout propos que ces bigots de Louis Hémon, nous entrons de plain-pied dans le domaine de ces émotions-là, parce qu'elles sont les émotions du roman populaire si décrié.
Décrié ? Voire : car où puisons-nous le ressourcement le plus exact avec nos émotions d'amateurs d'histoires que dans ces grandes épopées populaires que nous retrouvons avec autant d'émerveillement dans nos feuilletons télévisés ? Je parle de Sans Famille par exemple, de Romain Kalbris d' Hector Malot, du Tour de France par deux enfants – tous romans d'enfances enfantines mais éternellement gravés dans nos âmes de petits lecteurs d'avant l'ère du rap et du ska pouah.

Ces romans du courage et de la responsabilité, du risque gratifiant, si différents de ces enchantements de dentelles bourgeoises qu'on oublie sitôt dissipé leur parfum de romans-photos, ce sont eux qui nous ont introduits à la magie de la littérature, par le biais tout simple et toujours imprégnant de la belle histoire. Et celle-ci, dans Harricana – c'est le nom d'une rivière nordique, un nom d'ouragan – n'est pas une de ces histoires invraisemblables nourries de rebondissements puérils, car les enfants ne sont pas puérils. C'est une histoire documentée, pour de vrai : les deux tronçons du Transpacifique se rejoignant sur un pont, l'incendie qui ravage le tout nouveau village en bois, la ruée vers l'or dans le second tome – que je me suis fait offrir – ont eu lieu, séparément, ont été recueillies par une fièvre documentaire scrupuleuse, car Bernard Clavel n'a plus le temps ou le goût de lire ses contemporains : il se passionne pour l'exactitude, où s'insèrent des personnages qu'il fabrique et qu'il aime, ce qui tire définitivement ses écrits du côté de la fiction – mais une fiction où l'on peut vivre.
Il y vit lui-même, au point de s'être présenté à son épouse sous un masque défait le jour où il termina, dit-il, son grand cycle du Royaume du Nord ; tant il avait vécu, aimé et souffert avec toute cette famille si éprouvée. Puis il repartit vers de nouvelles aventures littéraires. Voyez-vous, ce que l'on reproche à la littérature populaire, c'est de se vendre, et de se lire. Je pense à ce mot dont l'auteur me reste pour l'instant inconnu, à savoir qu'il y avait la bonne littérature, qui ne se lisait pas, et la mauvaise, qui se :lisait. Bernard Clavel m'a mis une fois les larmes aux yeux dans son roman Harricana. Il m'a fait une fois rire d'allégresse, tout seul, et pousser un “ouaiaiais !” de concert live, tellement c'était entraînant : il s'agit de l'arrivée triomphale du premier train dans les solitudes du Grand Nord. J'ai marché, j'ai couru, j'ai lu à toute vitesse. Alors qu'il y a tant de livres dans ma bibliothèque, affligés d'un marque-page que je déplace péniblement de quatre ou cinq feuillets tous les trois mois, “parce qu'il faut bien finir ce qui est commencé”. Et je vais même vous dire une chose : c'est moins pompier que Guy Des Cars, cet immondice – voire pas pompier du tout ; ce n'est pas faussement paysan, avec des “cré vain guiou” à toutes les pages ; c'est moins ronflant que Chateaubriand – tenez, c'est mieux écrit que Malraux.

C'est sans manière, sans affèterie, sans lourdeur, avec juste ce qu'il faut d'effets de style pour souligner le récit – sans fioriture pour se faire plaisir. Bernard Clavel, vous le connaissez : il dit ce qu'il y a à dire
Et quand un producteur lui propose de tourner Harricana en l'agrémentant d'un Indien aveugle qui guide l'expédition, d'une petite fille kidnappée pour faire bon poids, et d'une poursuite de train par la police montée canadienne pour faire bonne mesure, il dit, et je cite, je suis parti d'ailleurs d'un éclat de rire chevalin, “Votre scénario, vous pouvez vous le foutre au cul.” En toutes lettres. Voilà comme j'aime. Vous connaissez donc Bernard Clavel : qui n'a pas lu au moins un des ouvrages suivants : Le tonnerre de Dieu ; L'Espagnol ; Malataverne ; Le voyage du père; L'Hercule sur la place ; Le tambour du bief ; La grande patience. Et je ne parle pas des plus récents.
Il est plus que vraisemblable que la revue “Le Bord de l'Eau” n° 21, à paraître en octobre, consacrera quelques pages à l'interview que nous avons menée auprès de l'auteur en son domaine caché de l'Entre-Deux-Mers. Procurez-vous le, et si vous avez l'embarras du choix concernant l'œuvre de Bernard Clavel à lire en attendant, lisez Harricana, et la suite, L'or des dieux. Lisons :
“Pan : Tchic ! Tchic !
“Donne du mou !”
La petite voile carrée tendait vers le large son ventre brun tout rond de ce bon vent régulier. L'eau clapotait claire le long de la coque d'écorce.”
...
“Ils discutèrent également des dimensions à donner à leur bâtisse et tombèrent d'accord que vingt-deux pieds sur vingt-six était une bonne mesure. Avant d'abattre, ils durent commencer par débroussailler. Ils s'y mirent tous les trois, menant un bon front qui visait à dégager en direction de belles épinettes que le taillis avait contraintes à filer droit pour chercher la lumière.”
“L'air sonnait, tintait, crépitait, ferraillait ou crissait sous leurs efforts. Des appels, des coups de trompe ou de sifflait troublaient une existence sereine que seul avait marquée depuis des millénaires le rythme des saisons.
“A mesure qu'avançait le double serpent de métal luisant, les matériaux arrivaient plus vite et le personnel avec eux.
...
“Grâce à ce passage, une ville naissait. Partagée en deux par le fleuve, elle grandissait, tirant de l'eau et des vastes étendues boisées l'essentiel de ses ressources. On avait tendu des câbles et installé un bac dont le va-et-vient perpétuel permettait de traverser sans trop attendre et sans grimper sur le pont où la marche à pied était dangereuse.”


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