PAGES LIBRES
COLLIGNON “PAGES LIBRES” 2035
P. & OTHERS 35 02 14
Peter ne cesse d’élaguer.
Il escaladerait l’île par la falaise.
Conquerrait la tribu la lancerait
sur ses voisines et serait
massacré par les Blancs
Un moine alors prêcherait la croisade, mystique et meurtrière. Il serait révéré, des femmes lui seraient trouvées
à discrétion.
De longs rêves érotiques le souilleraient. Il travaillerait.
À la frontière, des oiseaux perchés sur les espaliers imiteraient exactement les feuilles mortes.
Sur le parking avec des pneus crevés. Il fait froid. Un garde tardif promène un chien loup aux yeux jaunes. Le vent coupe.
Je soumettrais les habitants. Je serais leur Dieu, leur Christ faute de mieux.
Je veux être très riche et avoir beaucoup de femmes Trintignant Le mouton enragé
« Aime-toi que l’on puisse t’aimer » - sottise.
Le soleil baisse. Mieux vaut ne pas s’aimer.
C’est l’heure.
COLLIGNON “PAGES LIBRES” 2035
PERSÉCUTEZ BOÈCE 35 02 15 2
« Vous êtes libre ».
Tamasz regardait à droite, à gauche. Devant lui s’étendait un mur : FRACHTBAHNHOF, GARE DE TRIAGE, mur écailleux - mal blanchi.
- Où voulez-vous que j’aille ?
- Trouve-toi une porte.
Derrière lui dans le wagon le milicien, excédé, retrouve le tutoiement du camp :
« T’es plus chez nous. Tu dégages. T’es libre ».
Il monte une odeur de paille pourrie. Le milicien repart vers la capitale, vexé de voyager dans de telles conditions. Peu s’en faut qu’il ne chasse le libéré à coups de pied. Tamasz avance.
« Ne vous éloignez pas trop ! »
On ne savait encore quel parti vaincrait l’autre.
Tamasz vacillait, à la merci d’un seul coup.
« Vous trouverez une ouverture sur main gauche. Sorti de la gare marchez deux kilomètres. Vous pouvez marcher deux kilomètres ? Prenez la route de Bstov. Bon vent ».
Tamasz s’y retrouve. Une bifurcation entre les herbes, un terrain vague si vaste que le pays semble abandonné, le vent chasse au loin de la poussière. Comment survivre ? L’homme s’allonge dans un fossé. Il protège son nez sous le manteau. Quand il se relève, secouant la poussière, la nuit est tombée, très froide.
Il se dirige vers un grand froissement : un champ de maïs, un abri. Il se glisse entre deux rangs, s’endort sur le sol : deux ans de camp forgent le corps. Ruinent la santé.
Tamasz ne doit plus vivre. C’est une décision du Comité. Mais on ne tue pas : on le soumet à la relégation ; dans une région dévastée par les dernières expériences économique, l’obligation de résider en B12, ou B15, dans telle ou telle masure isolée. La police d’État quadrille toute la voïvodie, et assigne une zone à chaque relégué. Elle ne lui laisse pas de carte. Ces individus doivent rester isolés. Il ne faut pas qu’ils se rejoignent. Aucune aide ne peut leur parvenir de la population – quellepopulation ? Tamasz marche à présent dans la nuit, car le sol desséché trop dur entre les plants de maïs ne lui a pas permis de trouver le sommeil.
COLLIGNON “PAGES LIBRES” 2035
TOURBILLON 2035 02 25 3
Que retient-on du tourbillon ? le sentiment du temps, de s’être nourri trop vite – d’un jour vide : le sommeil rode comme un vautour, les têtes sur la photo tournent dans sa tête voûtée
COLLIGNON PAGES LIBRES
FIER-CLOPORTE LANGUES 2035 10 27 5
Une énorme fatigue.
Un vide somptueux.
Même s’il a rencontré Henri Serpe, même s’il l’a véhiculé. Un clochard, qu’il avait inventé, qu’il a réellement admis près de lui, siège avant. Plus, une promenade nocturne sur les remparts de Langres. Plateau envahi par la musique américaine. Une chambre d’hôtel modérément chauffée, parfaitement silencieuse. Puissant bien-être.
Un lointain codétenu lui envoie un étron dans une boîte. Interrogé à ce sujet, le coupable avoue : « Fier-Cloporte me faisait chier ». C’est ainsi que Jojdh rêve. Un jour viendra vers lui Jean Mille, sans domicile fixe, de Faye-l’Abbesse (Deux-Sèvres). Jojdh regardera par l’œilleton et s’abstiendra prudemment d’ouvrir la pore à son héros, seul contact extra-hôtelier de son voyage éclair.
Le silence à Langres pèse, le ventre grelotte. Les madeleines épaisses attendent dans leur sachet. Jojdh économise. Il ne se consolera jamais de s’être cassé la tête contre les murs de sa cellule – pourtant, quelle joyeuse excitation la veille de son départ ! il choisirait Grenoble cette fois, se posterait devant la porte de son ami perdu, contemplerait les filles de ce veuf, en séduirait une. Il serait confronté à son ami après vingt-huit ans d’absence ; quels titres dans les journaux !
Dans cette ville trois semaines auparavant des trombes d’eau s’étaient déversées. À Bagnols-sur-Cèze,le Gardon avait débordé. Jojdh avait téléphoné à son vieux maître en littérature : personne. Il imaginait les scènes les plus morbides, afin de s’y créer un rôle. Se sentant aussi stupide que la moyenne.
Il serait temps de se mettre à peindre afin d’avoir d’autres messages à se délivrer que ces informes grisailles : ainsi de ce coït entre hommes, entendu, supposé, derrière la cloison d’hôtel, accompagné d’un coït hétéro douloureux survenu dans sa chambre à lui. Un tel ressassement, loin de lui sembler essentiel, relevait désormais de l’obsession compulsionnelle, sans aucune utilité pour les humains.
Son imagination tournait au récitatif gris.
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RETOUR 2035 10 28 6
Les agréments qu’on trouve à se perdre, entre Joinville et Montier. On tourne à gauche, à droite, et c’est simplement ravissant. Jojdh essaya de savoir de quel Joinville était l’historien.
« Deux marquises occupaient une chambre. La prison s’en trouvait transformée en château. « Elles dormaient en lits séparés : elles ne se fussent jamais commises à des attouchements plébéiens. « Le domestique (Jojdh) s’était levé le premier, allumant les poêles. Il s’était fait propre, et même « douché. Le rasoir neuf avait glissé sur ses joues ; cette fois, il ne s’était pas entaillé.
« Une croûte subsistait sur sa lèvre.
« Les marquises dormaient toujours. Il les avertirait de son départ, après les avoir approvisionnées. »
Plus loin dans les campagnes, le silence faisait très fort penser aux temps d’avant 1970, quand l’espace restait immobile. Bien qu’il n’aimât personne alors – et pour longtemps ! - il appréciait ce fin glaçage de l’air, cette qualité noble et cassante de l’atmosphère, avec des relents de rhume dans les tympans. Il marcha sur la neige, imaginant la mort afin de respirer plus large.
Il s’était vu en Pesquidoux, parcourant à l’amble ses propres vignes, fusil brisé sous le bras. Il frapperait sur les ceps pour débusquer les lièvres, et les manouvriers salueraient, casquettes basses :
- Not’ Maître…
Trente novembre 1969.
Très loin.
Il marchait à présent par les champs de Haute-Marne
S’exerçait à recouvrir les souvenirs les uns par les autres
afin de raviver les uns par les autres
les villes semblables semées d’affiches parisiennes
zigzaguées de trottoirs sales.
Au centre
noyé parmi les maisons de manants
cet édifice religieux de styles composites avec des gaucheries touchantes Dieu présent en certaines
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RETOUR 2035 10 28 7
et dans d’autres non
ainsi le caractère infiniment laïc de Vézelay l’anorexique – émaciée – l’air interne Jojdh préférait les coupoles chargées alourdies de Dieu -
- l’inconvénient majeur des grandes villes est cette nécessité de serrer les lèvres pour ne pas voir les Autres rire – vous êtes normaux, vous – la campagne est plus expansive – ainsi ces étendues betteravières de Sommesous, chaque détail se précisant à chaque pas sur le sentier, le rond de l’horizon délimitant tout un monde, formant monde « avec les tas d’bett’raves pour uniques montagnes » (en m’approchant je les voyais grenues, crâniennes – cardiaques. Lorsqu’un nombre ornait les racines entassées la chose (12 695) était dûment photographiée à Obsonville / Obszönstadt puis Château-Landon (repas), Sens, Auxerre et Avallon, Besançon ratée d’un jour et 42 ans mais les marquises attendaient le bon accueil
il deviendrait valet de chambre il aurait pour aide Jean Mille qu’il avait pris en stop jusqu’à Sermaizelles, bien mis de sa personne mais sale, onctueux, pédérastes comme ils sont tous et croyant ! combien croyant ! « Catholique, Monsieur ; recueilli par les sœurs et nourri par elles, m’hébergeant 24h dès que je les en prie.
Écrivez à Jean Mille Faye-l’Abbaye Deux-Sèvres e si vous me revoyez sur la route d’Is reprenez-moi jen e vous dérangerai pas je lui donne 20F pour des cigarettes etaulever de bras qu’il fit pour le billet s’éleva de lui une odeur de mycose et de crasse il n’avait pas de linge de rechange les sœurs n’en avaient pas pour homme.
Il y relogerait 48 heures le double, mais, ce qu’il fallait à présent c’était revenir au plus tôt pour ne pas manquer le réveil des Marquises
COLLIGNON
FRISSON 2035 10 29 11
Le frisson des femmes sitôt qu’on les touche frisson de répulsion du fond des âges viols suivis d’éventration, l’homme est contre nature Et si c’était vous qui vous faisiez violer double déshonneur pour nous sous l’homme, il n’y a jamais de viols entre femmes. Des cités universitaires entières de filles au cuisse-à-cuisse passée l’extinction des feux, sur la peau d’une femme comme soi trouver la consolation du viol jusqu’à ce que sans faire exprès disent-elles ce plaisir ait eu lieu l’homme pue l’homme pue l’homme pue.
L’homme violé par omission passant dans la rue sans regard ni désir d’elles, corps naviguant dans le sable désert sans les yeux sans les bouches sans mains recule recule de peur qu’un porc t’effleure tous ignorent qui je suis, nul texte ne hante les gares et les quais mais j’écris ce réfrigérateur marche trop. Penser à monter le nouveau thermostat c’est facile – non pas. C’est le (second) mépris des gens de métier ; arrogance où vous tiennent ceux qui du bout de leurs doigts vous modifient l’extérieur pour eux seuls si réel.
FIER – CLOPORTE
DE HEREDIA 2035 10 31 8
Tout ce qui gratte vient de Heredia pépite plaquée sur guitare, insectes d’or sautant, éclats de Dieu. Je me perdrais dans cet homme hautain Heredia sensuel parfum raide avec faiblesses et doutes, femme défaillant sous ses aisselles je me méfie des sentiments surtout des faux – errer mes penséessans intimidation, depuis une partie de chasse-aux-pétards jusqu’à ce Festival Venaissin où nous voulions passer elle et moi pour cousins – Qui pouvait nous croire ?
Le sentiment qu’il ne nous reste plus qu’à se réaliser soi-même – qu’apprends-je ? Il n’y a plus de modèle ? le paradis s’écaille ? Plus d’ascenseur ? Je n’ai fait que commenter des sonnets. Je ne mettrai jamais les pieds aux Indes, à Cuba – j’ai composé la fresque des Tzaghîrs – peste des hiérarchies songeait-il en se rongeant les ongles – trop d’espace entre ses phrases, et les pensées trottaient, ...
FIER – CLOPORTE PAGES LIBRES 9
OUROUMTCHI 2035 11 01
Secouer la domination féminine. D’étranges choses densifiaient ses rêves,suite au film, suite au gin. Une petite fille s’est pendue après un simple viol – que se passe-t-il dans les filles pour qu’elles se pendent après pénétration ? Peur, douleur… mais honte ? ...devant une vulve de femme, un homme éprouverait-il de la honte ? « C’est grand » - la surface, entendait-il – ce garçon que je connaissais, mort depuis. Si la monitrice que je connaissais – pensait-il – m’avait seulement touché, il serait allé tout rapporter. J’en suis certain. L’équivalent du « Ruban » de Rousseau. Elle renvoya le garçon après avoir tourné maintes fois dans sa chambre.
En ce temps-là nous possédions encore le pouvoir de nous ingérer doucement dans la torpeur la plus voluptueuse. Les enfants jouissent de mille faàons. L’adulte n’en a qu’une. Et encore.
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