Ma vie qui n'intéresse personne
COLLIGNON MA VIE QUI N’INTÉRESSE PERSONNE
66 01 26 2H Momentanément égaré
66 03 08 3h
Ici, on recommence. On n’applique aucune recette. On parle comme on vit, on vit comme on parle. À
de certaines époques, dans telle ou telle langue, la littérature disparaît, ce qu’il est convenu d’appeler « littérature », id est les textes narratifs. Exemple : mille ans (c’est long !) de textes grecs. Finies les tragédies (Eschyle, Sophocle ) - place aux historiens : Zozyme, Socrate, place aux grammairiens « Michel le Grammairien ». Ici, je livre un témoignage, et peu importe dans la nuit des temps ce qu’il deviendra. Il a fallu se tourmenter pendant doute une vie pour en arriver là, à ce point de raisonnement, à ce point de fonctionnement : aujourd’hui, à trois heures du latin, excellent lapsus ! Je m’efforçais de ne pas trop me rendormir, crainte de rater le train.
Alors on s’embarque ans des rêveries effilochées, on se relève à 6h e quelques, le trio habituel sikonomè, plinomè, dynomè, nous ferons de la littérature quand l’envie nous en reprendra. Et surtout, en descendant de la douche, en chiant, en gesticulant après chier, prendre garde, bien garde ! de ne pas cogner, de ne pas tomber la tête en avant, pour finir en EHPAD avec des infirmières qui vous parlent comme à des bébés ou qui vous fouettent si vous n’obéissez pas. Il est trop tôt pour renoncer à soi, il sera toujours trop tôt. On descend prendre son petit déjeuner, on renverse le jus d’orange avant de s’en remettre (« buffet à volonté », ah mais), une jeune femme s’installe devant soi, se montre on ne peut plus indifférente et repart en s’excusant presque de t’avoir bouché la vue.
Les exercices d’invisibilité s’enchaînent avec conviction, et marchent bien. La remontée d’étage s’effectue en temps, les affaires sont rasemblées mécaniquement et non pas logiquement, car Mon
COLLIGNON MA VIE QUI N’INTÉRESSE PERSONNE
Cerveau (« Le Duc de Moncerveau ! ») n’est pas digne de s’occuper de tâches aussi médiocres : logiciser, rendez-vous compte ! Et nos voici dans une salle d’attente arrosée de piano. Un pianiste niveau SNCF nous casse les oreilles avec des pentatoniques répétitives dans les aigus. Mais ça nous les casse! Mais ça nous les brise ! Le piano n’est pas exclusivement un instrument de percussion ! c’est un instrument de nuances, aussi ! Même réfugié dans la salle d’attente des minables à l’ancienne, il nous les scie à tous. Une fille de 16 ans écoute entre deux branlettes sur les six de la journée. Elle trouve ça charmant.
Alors, il embraye sur l’indicatif de la Panthère Rose : Guy Delo et Henry Mancini…
25 04 19 4H
À quatre heures du matin je dors. Il s’agit d’aujourd’hui. Ayant laissé passer le temps de me traire, je dors d’une traite. Je ne sais pas de quoi je rêve. À cinq heures surgit la ridiculement grave envie de pisser qui me fusille la vie depuis mes 13 ans. Je ne peux toujours pas digérer le homard. Les graves questions de la terre ne m’émeuvent pas encore, je retourne au lit sur mes mules solennelles. À sept heures dix-huit, concert de chats affamés. Rions. Ouvrons les volets, ceux de la maisonnette, où plane une vague odeur de couilles de matou. C’est Blanc qui erre. Je le soulève par le cou, tout teigneux, tout terne, tout hirsute. Il refuse ma gamelle et s’enfuit penaud mais il n’y a pas de quoi. Et tandis que j’ouvre les volets en remerciant le Seigneur, se lève en moi cette conscience aiguë et indispensable des malheurs qui accablent le monde : l’obligation de me faire un shampoing, la montée incessante de l’islamisme, Ceylan et le chômage.
Si je le tiens à ces hardies questions, mon âme s’exaltera et je servirai le petit-déjeuner avec la conviction d’être du bon côté. Voici les chats servis, Arielle s’est levée, le sourire ahuri. Ne troublons pas l’éveil par de sottes considérations sur l’état de la république mondiale Remplissons-nous de sandwich-bread from America, de confitures chères et de café succédané. Pillons les compotes et les pots de yaourt. Le chat aime la chantilly, il monte sur la table. Dans une vidéo, un vulgaire Méditerranéen tente d’enflammer du bois de chêne au chalumeau, et conclut l’enquête à son avantage :
nos bouterons les basanés hors de France. Moi du moins, ce haros en babouches, je sais que mes opinions sont légères comme courants d’air, et que mes sottises roulent en moi comme les chutes de Schaffhouse.
Lorsqu’il fait son shampoing, rien ne se pense. Les gestes s’enchaînent, y compris celui de tourner le bouton électrique : alors se répand sur son corps et sa tête la bienfaisante chaleur dangereuse, celle qui massacra Claude F. pieds nus dans sa baignoire. Mais Fier-Cloporte applique (c’était une applique) son attention a bien avoir les pieds secs, et ce n’est pas à lui qu’un tel accident stupide ôtera la vie. Peut-être une trébuchade sur un trottoir, qui vous abat d’une pièce sous les roues d’un camion. Pierre Curie mourut sous un fardier. Il fallut bien décerner le Nobel à sa femme. Ici celui qui écrit cela. Toujours en mules, toujours interrompu, Xavier de Maistre en tête pour le style. Voyage autour de ma chambre. Officier consigné.
66 07 21 5H
à 5 heures, je dormais, ne m’en déplaise. Épuisé jusqu’à trois de visions porno et de vaines déambulations sur les Rézosocios, j’avais enfin fermé les yeux, de 4 à 6. Il faudrait que je consulte les articles sur la santé, celle des vieillards en particulier, ce que j’ai inscrit au stylo sur ma noria. Il me fut proposé de me recoucher : mais le cycle enclenché, nul ne peut revenir en arrière, même pour des cauchemars : nous rêvions que devant incarner Oreste dans un chœur de cérémonie, nous ignorions notre rôle et nos jeux de scène. L’organisateur apaisait tout son monde sans y croire lui-même, et le commanditaire venait tous nous houspiller.
Le réveil m’a trouvé ravi de n’avoir plus à appréhender cette imminente représentation. Arielle se leva, interpella les chats de l’autre côté de la porte, confirmant mon réveil. Il faut s’étudier pour ne pas tomber. « Connais-toi, et tu connaîtras le monde ». Rester « calme et droit » dans les minuscules vicissitudes de la vie. Depuis il ne s’est plus passé grand-chose, si l‘on excepte cette invasion du sommeil engourdissant l’esprit comme une coulée de boue limoneuse. Les vieux se concentrent sur les corvées et petites tâches qui constituent leur étroit quotidien. Leur seule aventure est celle des marchands, et des petits emplois du temps. Redresser les piles de revues, au lieu de les parcourir. Se tenir droit comme en selle.
Il n’y a là que de petites choses, « de celles que n’importe qui pourrait dire », glapissait la pécore. Mais il n’y a pas là que de l’exceptionnel. Chacun est digne de laisser son empreinte. Arielle a pris du café : de l’exceptionnel ? Que nenni. Mais ces témoignages forment trampoline, et nous rebondissons. Nous reconnaîtrions nos ancêtres, ils prendraient. Lorsque tout de tout le monde sera écrit et classé par archives, lorsque tous les textes et toutes les pattes d’animaux seront répertoriés,
plus personne ne voudra écrire, cela ne vaudra plus la peine, tout cela « passera comme Racine’ et le café » disait Sévigné, mauvaise prophétesse. Nos vies se décalquent à l’infini, mais je l’ai déjà dit. Sachez qu’ici a brillé faiblement une de ces lueurs de smartphone brandies dans les concerts nocturnes. Ils se balancent : « Je suis là ! Je suis là ! Ne m’oubliez pas ! » Et France Gall gueule, jouissant de façon indicible. Elle est morte à 70 ans, d’une récidive de cnncer. Les lettres se confondent, les sensations s’enlisent. Il ne s’agit plus de « se faire connaître » : Gallimard regorge d’ouvrages tombés dans l’oubli, un Boudou par exemple.
Les orgueils s’effritent sous l’érosion, nous sommes des milliers à vivre et penser la même chose en même temps, nous sommes les parties d’un gros lombric. Donc j’écris, nous écrivons, bientôt nous achèterons des noix de saint-jacques.
66 09 30 SIX HEURES
La belle heure en vérité pour dormir, 180mn pour cette nuit. Il m’en restait 105 jusqu’au réveil. Il me restait deux chats, une femme et moi-même à nourrir. Ceux qui restent à quatre pattes, ceux qui trébuchent à deux. Pattes. Les pensées sans cesse, les motifs d’inconfort : lenteurs de moments tendres, classées dans les inconvénients, ce qui témoigne d’une grande ingratitude. Satisfaction de manger peu, ce qui autorise à en reprendre, ce qui revient à manger trop. Le brossage des dents, indispensable pour participer à l’économie de la planète (la brosse et le dentifrice !) et grâce à quelques poils raides en plaquette, communier avec la communauté. Fraternité sans faille à tous les frotteurs de dents. Ensuite l’ermite bien nourri, bien brossé, rejoint le petit carnet où il note si soigneusement ses faits et gestes, qui feront la curiosité de sa petite-belle-fille, et sa lassitude.
Il semble que l’on recommence, dans l’Ordre, toujours les mêmes journées, le même Atlas qu’on épluche à le mettre en lambeaux, pour tomber par hasard sur une ville perdue en Bulgarie du sud-ouest… Et lorsqu’on meurt, confie un moine, c’est comme si l’on se reposait enfin après une loure journée. « Une vie », oui, mais retirée : je n’aime pas qu’on me rende visite « en passant ». Vous m’interrompez dans ma contemplation. Dieu ? ...tout de même pas. Non : comme Frédéric Moreau (impudemment appelé Fred par un potache), la personne que je suis se regarde au miroir, longuement, parce qu’il se trouve beau. Frédéric tombe les qui amoureux, Frédéric fréquente les peintres, les négociants qui les grugent, les nobles qui font des affaires (les Dambleuse), et voici la matinée faite. Vous aussi sans doute vous passez acheter votre pain, vous flanquez l’aumône au même mendigot qui sursaute au contact de vos doigts (ne sursautez pas!), la boulangère pourchasse à croupetons le moustique en fuite sous le comptoir (j’ai des boutons partout!), c’est justement ce que vous alliez dire ?
Vous avez vous aussi trié vos papiers à photocopier, les avez mélangés à vos originaux (alexandrin!) tandis que jacassait à vos oreilles une Berbère encombrée de nasales gutturales, fortement gutturales, fortement nasales. La queue ? Quelle queue ? Vous allez, le ventre gonflé, vers les Machines. La première veut absolument vous fourguer du « recommandé ». Non. La seconde veut non moins obstinément vous filer des enveloppes bullées. Non plus – comme une pute, je reprends la queue. Mes yeux séjournent sur le bas de nuque d’une vieille dame, délicate, brunie, tavelée. « Je n’ai pas envie » lui dis-je « d’être écrasé. - Vous avez raison », répond-elle en meublant : la porte coulissante s’ouvre ou se referme, selon les mouvements de tel ou tel ; parfois un bip se déclenche, j’entends dire qu’il fai chaud, ce qui prouve une nette tendance à la sagacité.
La vieille jadis plus belle que moi m’alpague innocemment : « Coincé, pas écrasé ! » « Dans ton cul » - mais non, je ne l’ai pas dit ; pas même pensé. Cela ne me vient qu’à présent. Ce que c’est que l’esprit… Madame préfère le guichet de droite : « Ça va ? » dit la postière en la reconnaissant. Pour moi, c’est un Noir qui me dit d’avancer. Un euro quatre-vingt seize. Je prends congé avec effusion, celle des inavoués racistes, qui de peur d’en avoir l’air se raplatissent dans le lèche-cul. Je sors à 11h 17, en me retenant aussi, tant à faire, de râler. Bien répéter : déodorant à chiottes et produit asiatique.
COLLIGNON MA VIE QUI N’INTÉRESSE PERSONNE
66 12 06 SEPT HEURES 9
Les matins sont durs pour tout le monde. Même pour ceux qui ne travaillent pas. À se demander même s’il ne vaut pas mieux enchaîner les gestes de l’enchaîné, pour commencer de vivre en boulet de canon, bosser puis revenir. Un être frivole observerait que les gestes du shampoing se succèdent sans qu’on y pense, et qu’on se retrouve séché sans en avoir senti la moindre pesanteur. Flâner le matin m’est devenu insupportable, et c’est pour cela que personne ne doit s’intéresser à ma vie. Ensuite, l’Homme Banal remplit avec soin le monument de ses actes, qu’il appelle aginda, et qu’il serait mieux de nommer le memorandum : il tient en effet à ce que les années futures conservent les traces de son caca, de ses odeurs et de ses couleurs.
Il ne s’en souviendra plus lui-même, mais l’imposera aux descendants de ses descendants, si Dieu prête vie à lHomme. Puis il cherchera le nom de sa ville du jour : en Sainte-Pologne, district de la Sainte-Croix (il est très fier d’avoir traduit ce nom grâce aux trois mots de polonais qu’il croit comprendre) : Nowe. Petite bourgade chiante au doux parfum de patate. Innombrable est le nom des peuples qu’il méprise : Polonais, Portugais, Chinois. Brésiliens, aussi, ne pas oublier les Brésiliens avec leur langue de pédés. L’Homme paraît-il Banal (sursaut identitaire) se fait le leveur de sa femme. Encore un problème. Elle souffre de vieillir, et il faut la soutenir, afin d’être soutenu soi-même. En gros, elle a du poids, ne pratique pas d’activité physique, et fume.
Mais sans elle, il serait, ou plutôt : j’aurais été alcoolique, et donc ne serais plus. Et puis j’éprouve une grande tendresse, à la faveur des 53 ans que nous avons passés ensemble. Autrefois, l’on vivait 53 ans, dont vingt-cinq ou trente de mariage : il fallait bien que cela fût dit, ô juges lecteurs. Et en ce moment, j’écris. Dans huit minutes, je relèverai ma femme qui s’est recouchée, afin d’écouter « Zoo Nursery », où nous nous attendrirons devant les bébés rhinocéros, girafes ou lémuriens. Ce seront des instants de bonheur, où nous communierons dans un sincère amour des bêtes. L’Homme Banal critique tout, vomit sur tout. Il suit la pente, mais en descendant : l’époque est morose ? Soyons morose. Nous sommes justement l’un des éléments moroses qui forment une époque morose. « Moroz », en russe, c’est « le gel ». C’est tout à fait cela. Ensuite, après une lente, lente prise de ca-a-a-a-a-fé-é-é-é-é, je me remettrai à ces considérations si fécondes.
L’insatisfaction ne vient pas des choses extérieures, mais de soi-même : il est répugnant d’avoir renoncé si jeune à toute forme d’action. C’était à Mussidan-les-Cons. Nous étions quatre ou cinq à faire du vélo. Du vélo pépère, dans un rayon de 5km. L’un de nous proposait-il une destination, nous le suivions. Jamais ce ne fut moi. C’est alors que j’entendis cette stupidité d’entre garçons : « Toi, tu risques de devenir pédé. - Pourquoi ? - Tu ne proposes jamais rien, tu suis toujours les autres ». Voilà ce qu’on se transmet entre mecs. Un pédé, c’est un homme sans énergie. J’étais interdit, mais il n’a pas été question de changer de comportement. Je suis devenu pédé, mais pour d’autres raisons. Et je ne le suis pas resté.
Et c’est depuis peu, mettons, deux ans, que je me suis rendu compte d’une chose : dès ce temps-là, j’avais décidé de ne plus jamais proposer quoi que ce soit à qui que ce soit. De ne plus agir. D’abandonner aux autres la direction de ma vie. Puisqu’ils étaient si malins. Puisqu’ils savaient tellement mieux que moi ce qu’il fallait faire ou ne pas faire pour être un homme, ou pour quoi que ce soit. Il me semble pourtant m’être montré particulièrement résistant pour conserver certaines façons de faire qui déplaisaient. Ou qui plaisaient. Et si je fermais ma gueule. Cette Katy-là n’existe plus. Cette complicité d’amour non plus.
J’en ai une autre. Elle me mène à la télévision, où nos contemplons de charmants macaques, aux gestes si délicatement précis. Des faons japonais. Des vaches aux cornes très, très longues. Des torpeurs. Mes torpeurs. Puis il m’est demandé un paquet de cigarettes. Je me lamente. Je geins. Geingein. J’arrive ici. Mon écrit m’attend. Mon rêve est de cuire en douceur sous ma carapce, mes ctics et mes emplois du temps. Une sieste interviendra vers 13h. Nous parcourrons l’après-midi en vitesse de croisière. Nous parviendrons en fin d‘après-midi, où David, Léa, Aliénor, viendront nous rendre visite, ce qui m’excitera beaucoup, car j’aime éprouver de l’affection, m’en rendre compte et m’en repaître dans l’étonnement et la félicitation. Vous voyez bien que je m’occupe des autres, tas de… de… Puis je m’arrêterai devant la nuit.
COLLIGNON MA VIE QUI N’INTÉRESSE PERSONNE
67 03 01 HUIT HEURES 12
Dedicato a tutti quelli chè – à tous ceux qui semblables à Moi ne cessent de sortir de leur orgueil que pour y revenir aussitôt, ne se préoccupent que de leur statue propre, et se font incendier par les bien-pensants ; tous ceux que les Autres blâment au nom du Jugement Suprême infaillible. Qui se sont fendus en quatre la vie durant pour ne pas blesser ni offenser autrui grouiiiik. À qui je joins les rigolos, les ne-respecte-rien, les bouffons, les invalides testiculaires – ce qui fait du monde, car nous n’avons pas la sottise de nous prétendre seuls - je dédie ces quelques lignes et l’ensemble de mon œuvre enfouie.
Tous les jours nous vient en secours l’un ou l’autre de ces guerriers de l’ombre, qui surgis des recoins de nos têtes prennent leur quart de veille, afin de nous hisser par le treuil en surface au niveau de la vie : tantôt l’orgueil, tantôt le réconfort, tantôt le calme, ou le raisonnement. Vous connaissez tous les enrouements de manivelle, au matin. De plus, peut-être avez-vous choisi la femme ou l’homme qui avec vous partagera, et aura partagé vos-joies-vos-peines, et qui vous ressemble, et en diffère (aussi douloureux l’un que l’autre) ; ce partenaire qu’il ne faut ni blesser ni flatter, ni échapper ni laisser fuir : à HUIT HEURES, heure du jour, vous le réveillez en comptant les secondes, la main sous l ‘oreiller, car c’est à vous, homme ou femme, de certifier la journée d’un coup de tampon : heureuse – maussade, affable – grogneuse.
Et tandis que votre main parcourt en soulevant l’envers de l’oreiller, vous vient une sourde tendresse, à réchauffer, à ne pas développer car les larmes de rien ne servent. Vous pissez, nourrissez les chats, ouvrez certains volets ou contrevents, préparez le repas des humains : tel jus de fruit, tels yaourts, tels quignons de pain ramollis au Frigo. La radio chantera les convictions prolétaires (« Toulbouio, toulboulo ») et vous couperez la radio pour ne plus entendre la sagesse des cons (« On n’a pas le bonheur à l’usure », mais si, mon prolo, mais si). Alors retombera le silence attentif, s’échangeront les observations tendres, sur les oiseaux ou la qualité du pain. Ce sera la lecture, aujourd’hui Martialis de Cadix, et ses épigrammes merdeux ou deuses, « doigt dans le cul » traduit du latin, mais édulcorations aussi, « baises » devenant « victoires » et « chier », «évacuer ». Ô nos bons maîtres, pudiques érudits – je prie, assurément je prie, le front sur la couverture et l’âme vers l’auteur, afin que cet auteur lointain me soutienne, m’aide de tous ses petits bras de fantôme, pour affronter ce jour et le vent qui l’habite, mettons-nous au diapason, partons dans les bourrasques afin d’approvisionner la bête et les bêtes en pâtées, en gavottes, en yaourts.
Ainsi se passera la journée, que l’un voudrait mouvementée, l’autre paisible comme une mort.
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