TEXTES LIBRES

 

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TRANSISTORIANA 23 05 1976




J’écoutais les voix de la nuit 



une chanteuse arabe criait, criait,

voix trouant la nuit

soie qui se déchire

peine interminable infinie

crieuse frêle – ta vie gorge déchirée

(mon âme vers toi par-dessus les ondes

ton souffle sur moi souffle éternel)

d’Arabie

du Monde

Et me voici vingt ans plus tôt

Nuits brûlantes indétachables de Tanger

membres écartés l’oreiller au transistor neuf

faisant glisser l’aiguille

« I BUDA-PEST » - « OUNA TANGER » - « ICI PÉkin »

Voix du monde

Jazz tchèque informations

incompréhensibles intonations si proches

(les stations portugaises, espagnoles, celles

qu’on entend le plus)

Consolation nocturne des exilés

Disques dédicacés

« Y ahora, a continuación de nuestro programa

de discos dedicados... »

oû al-illah Mohammed

oû al-illah Khifa

Bribes classiques andaloûs hachées de fading

Crêtes aiguës, retombées aux trous nets

« point zéro »

(injections d’avenir anxieux « même l’amour ne$

pourra me combler »)

Les voix chères qui s’en vont…

« La solitude, ça n’existe pas »

proximité nocturne

des étouffés

gémissements chuintants de dauphins échoués

des stations mortes

Indicatifs désespérément jetés de dix secondes

en dix secondes comme un phare en éclats Human

people here… Human people here… We won’t die,

won’t die, won’t die, tâ-ti-ti-tâ,

tah-tee-tee-tah - - -

De quels rêves seront-nous

poursuivis dans la mortellement

Nous sommes le centre du monde !

Serrons-nous, l’extérieur est immense,

Indicatif en carillon liquide Ave Maria de

Radio-Vatican

Je tends l’oreille – Frères, que nous sommes

loin

Mon antenne d’insecte pivote vers vous-même

L’alphabet morse au pistolet mitraille - - noyaux d’olives

Lents endormissements épuisés d’aube

Clarté dans la poitrine, puissance, certitude

illuminée

Et

Les premiers moteurs s’enfoncent en titubant

dans la nuit

Glissement de l’horizon, me susurrent à

l’oreille

et s’éloignent dans un bruit de soie qu’on

déchire

soie refermée

soie retissée

à Valéry

à Valéry Larbaud

Valéry le soufflé

Valéry l’apeuré, Valéry le cireux

Valéry Larbaud l’asthmatique


19 05 76 3h 30, nuit

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IDEM Mai-juin 1981



Temps refusé juste l’espace Qui s’enfle, gonfle, comble la totalité du présent, puisse la terre entière s’imbiber, n’être conscience que du moi

Consultant le passé couché sur les carnets ne plus se souvenir de rien vu G. très agité, parlons avec animation quelle animation ? chair et sang ignorés mais demeurent demeurent

demeurent

Dès l’enfance est conçu cet album en bandes où sont consignés les actes et les pensées secrètes et de ceux qui m’entourent

Consultation d’ Aujourd’hui cela représente un enfant, serrant un gros volume à même ses genoux

Avec son nom encore son espoir et son sexe

Je me souviens de tout mon avenir

J’aurai vécu de bons moments

Un long martyre un cri

Mes seuls bons moments où je me trouvais seul

Perdu le temps

Le meilleur souvenir d’amour est cette baise contre un mur branlant de terrain vague avec une pute à Tanger de mon âge mon slip aux chevilles et les souliers broyant les tessons de bouteille dans le noir

Petit miroir où se voit un volume de larmes et d’écorchures

Désirs de meurtres en quelque sorte

Se souvenir de tout à la fois bander le ressort en bombe vers l’Avenir une boule une mèche

Reprendre à Zéro, père et mère présents chaque nuit dans les rêves de 20 à 35 ans quinze années d’enfance supplémentaire du rab de peur

S’il est vrai qu’en vieillissant je dois revoir l’enfance avec si grande netteté, si ces jours doivent surgir au temps de l’agonie nous nous débattrons Père et moi

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ÉLÉMENTS DE RÉPONSE AU QUESTIONNAIRE SUR L’ÉCOLE Juin 1983 5




Le principe même de ce questionnaire semble aberrant et dangereux.

Ainsi donc, les enseignants, dont je fais partie, en sont arrivés à ce point de panique.

Ils demandent aux parents « qu’est-ce qui va bien, qu’est-ce qui ne va pas bien » (dans votre école) ? - et même « que voudriez-vous que vos enfants apprennent et qu’ils n’apprennent pas ? »

Cela s’appelle « tendre le bâton pour se faire battre », et je n’ai jamais entendu parler d’un masochisme pareil, depuis les Cahiers de Doléances, qui a mené Louis XVI la tête dans le panier.

Je suis tombé une fois dans ce piège : « Mes petits élèves, dites-moi ce qui ne va pas ! »

Il s’ensuivit une pagaïe sans pareille,et j’ai eu tout le monde sur le dos, y compris et surtout ces parents, que vous encensez tant. Ils ont tous leurs idées, ou plutôt leur absence d’idées sur l’école. Plus ils sont ignorants de notre métier, plus ils se montrent arrogants, sournois, venimeux. L’introduction de ces messieurs-dames dans la vie des établissements a été l’erreur démagogique la plus catastrophique qui soit.

Que penseriez-vous d’un chirurgien qui réunirait ses patients : « Dois-je à votre avis réséquer la veine poplitée, ou exciser le lobe inférieur du ménisque ? »

Personnellement je ne me mettrais jamais dans ses pattes.

Tout cela procède d’une confusion tragique :c elle de la culture et de la totalité de la vie. Or la Culture est une Formation. Quand je me brosse les dents, ce n’est pas de la culture, c’est de mon mode de vie, de ma civilisation. Un Papou qui enterre ses morts, ce n’est pas de la culture, c’est de la civilisation.

L’ÉCOLE N’EST PAS FAITE POUR APPRENDRE LA VIE (de cela, les parents (et la vie) s’en chargent). L’ÉCOLE EST FAITE POUR APPRENDRE LA CULTURE, c’est-à-dire ce qui ne sert à rien, ce qui élève la vie, la musique, le dessin, la littérature, tout ce que les parents jetteraient justement dans la même poubelle – et non pas à remplir des factures ou à gérer une entreprise. L’élève n’est PAS un « usager ». Ce mot me révulse. L’École n’est pas une ligne de métro, ce n’est pas un paquet de lessive qu’on rapporte chez le marchand quand il est défectueux, comme ce questionnaire – ministériel ! - invite à le faire. L’École, c’est le savoir, c’est l’esprit.

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ÉLÉMENTS DE RÉPONSE AU QUESTIONNAIRE SUR L’ÉCOLE Juin 1983 6





La démagogie actuelle plonge les enseignants et leurs élèves dans le marasme. Les attaques contre les « intellectuels » s’intensifient. Il ne faut plus penser. Place au fascisme.

« Les cahiers au fue, les profs au milieu » - si par-dessus le marché les profs courbent la tête en se frappant la poitrine, tout est foutu. Chacun va y aller de sa petite réformette, de son petit grignotage, de sa petite perfidie ; or, « de la discussion ne jaillit jamais la lumière ».

L’École ne sert à rien, la cause est entendue depuis belle lurette, les Mérovingiens l’avaient compris bien avant nous. J’ajoute que l’humanité ne sert à rien non plus.

Nous voulons la Bombe. Nous l’aurons.

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FORTE ENVIE DE PISER novembre 1983 7




En provenance…

Bagages autour de nous – et nous assis

sur le quai de Pise – et je ne parle pas l’italien

ou très peu, très mal Nous nous endormîmes sans un regard

vers le buffet la ville dans le dos

Nous avions dormi. Petit matin. Valises disparues

Tâtant nos culs hagards endoloris par le

ciment. L’adhérence du tissu.

Nous n’avons pas envie de visiter la tour

Les touristes teutons défilaient par cars

les cars roulaient au pas de l’oie bramant des chants obscènes

s’effilant par les vitres comme autant d’écharpes à mollards dans le vent

Le trottoir étroit aux bords capricieux de molaires

de brontosaures (cette nuit je rêvais de fauves Hé-Ho la jolie mélodie

L’autre me tient la main pour me garder de basculer sous les camions les bennes à ordures

bourrées d’amas de Teutons Les choucas croassaient dans l’air bleu étouffant déjà (métal sur les toits)

Que se passe-t-il dit-elle on dirait le recul du soleil

Vrai.

Les toits se sont éteints, les choucas posés, la nuit, ou ce nuage, ou cet oiseau tomba, nous sommes tous aveugles car la ville a refusé de s’allumer

Il est une cité plus lointaine où les nuits

se replient après les défaites, nuits recueillies sans un repli, nous nous sommes assis sur nos bagages prolifiques attendant le direttissimo Gênes Crémone Venise elle tenait ma main j’étais adossé sur un sac effondré sur un sac étranger tu ronflais bras et jambes écartés

Quand le jour se

leva le train repartit, nous avons décidé de

rejoindre la ville derrière nous à la toucher


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JOUISSANCE ABSOLUE 23 02 85




Changement d’emploi du temps est jouissance absolue. Le condor tient Robert Grant en ses griffes, gen Himmel nach, et ton sourire au bord du verre : tous soufflaient dans le tube de verre pour imiter le lion de la Goldwyn Meyer.

Le Grec vient chaque nuit, moustaches tombantes, accablé. Il joue de l’orgue : assis, tête branlante, dox voûté, perplexe – son doigt lève une note comme un lièvre et le canon s’engage et les ogives tremblent et l’organiste se fait aveugle, tel est l’idéal constitutif de l’organisme : du même bois que les tirasses et geignant du fond des poumons.

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VERANTWÖRTLICH 85 03 16 6





« Responsable ». « Qui doit répondre ». Sur le qui-vive. Qui m’a complimenté, fait honte ? Adepte je suis non du confucianisme, oui bien du confusionnisme : dès ma première volonté, l’engourdissement me gagne le cerveau, merde aux Sartriots disant : « Imagine tes ailes, et tu voleras ! » Veux-tu penser ? le sommeil te prendra.

Au culte du héros succède la fourmi.


Bientôt sera exalté celui qui trouve sa case sur le damier. Jamais je n’ai entendu la moindre discussion instructive. Ballotter d’un os de son crâne à l’autre. Qu’est-ce que le groupe ?

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LE GRECO 85 03 18 7




Si je pense, si j’affronte, je dors. Attention fragile.

Sachant qu’il y eut rupture. Que l’odeur m’a quitté, comme l’homme du Sud en Islande, relent de moût, de chocolat – lui en voouloir encore, de ces détours de temps perdu -fuis, vieux robinet, jusqu’au Greco, j’ai toujours préféré Zurbarán. Le Greco fällt mir nichts ein, ne me dit rien. L’homme tombé sera hissé sur le trône, qui n’est que du bois, du velours, des dorures. L’homme se laisse accaparer, un disque qui tourne et le voilà distrait, il capte tous les bruits, la volonté s’en va avant d’être venue.

Je ne peux plus lutter contre l’Enfant.

Tous ont choisi l’enfant.

Je compte les minutes et me lamente.

Greco ? … a trouvé la solution. Ne m’intéresse pas.


COLLIGNON “PAGES LIBRES” 2035

P. & OTHERS 88 02 14 2




Peter ne cesse d’élaguer.

Il escaladerait l’île par la falaise.

Conquerrait la tribu la lancerait

sur ses voisines et serait

massacré par les Blancs

Un moine alors prêcherait la croisade, mystique et meurtrière. Il serait révéré, des femmes lui seraient trouvées

à discrétion.

De longs rêves érotiques le souilleraient. Il travaillerait.

À la frontière, des oiseaux perchés sur les espaliers imiteraient exactement les feuilles mortes.

Sur le parking avec des pneus crevés. Il fait froid. Un garde tardif promène un chien loup aux yeux jaunes. Le vent coupe.

Je soumettrais les habitants. Je serais leur Dieu, leur Christ faute de mieux.

Je veux être très riche et avoir beaucoup de femmes Trintignant Le mouton enragé

« Aime-toi que l’on puisse t’aimer » - sottise.

Le soleil baisse. Mieux vaut ne pas s’aimer.

C’est l’heure.

COLLIGNON “PAGES LIBRES” 2035

PERSÉCUTEZ BOÈCE 88 02 15 2


« Vous êtes libre ».

Tamasz regardait à droite, à gauche. Devant lui s’étendait un mur : FRACHTBAHNHOF, GARE DE TRIAGE, mur écailleux - mal blanchi.

- Où voulez-vous que j’aille ?

- Trouve-toi une porte.

Derrière lui dans le wagon le milicien, excédé, retrouve le tutoiement du camp :

« T’es plus chez nous. Tu dégages. T’es libre ».

Il monte une odeur de paille pourrie. Le milicien repart vers la capitale, vexé de voyager dans de telles conditions. Peu s’en faut qu’il ne chasse le libéré à coups de pied. Tamasz avance.

« Ne vous éloignez pas trop ! »

On ne savait encore quel parti vaincrait l’autre.

Tamasz vacillait, à la merci d’un seul coup.

« Vous trouverez une ouverture sur main gauche. Sorti de la gare marchez deux kilomètres. Vous pouvez marcher deux kilomètres ? Prenez la route de Bstov. Bon vent ».

Tamasz s’y retrouve. Une bifurcation entre les herbes, un terrain vague si vaste que le pays semble abandonné, le vent chasse au loin de la poussière. Comment survivre ? L’homme s’allonge dans un fossé. Il protège son nez sous le manteau. Quand il se relève, secouant la poussière, la nuit est tombée, très froide.

Il se dirige vers un grand froissement : un champ de maïs, un abri. Il se glisse entre deux rangs, s’endort sur le sol : deux ans de camp forgent le corps. Ruinent la santé.

Tamasz ne doit plus vivre. C’est une décision du Comité. Mais on ne tue pas : on le soumet à la relégation ; dans une région dévastée par les dernières expériences économique, l’obligation de résider en B12, ou B15, dans telle ou telle masure isolée. La police d’État quadrille toute la voïvodie, et assigne une zone à chaque relégué. Elle ne lui laisse pas de carte. Ces individus doivent rester isolés. Il ne faut pas qu’ils se rejoignent. Aucune aide ne peut leur parvenir de la population – quellepopulation ? Tamasz marche à présent dans la nuit, car le sol desséché trop dur entre les plants de maïs ne lui a pas permis de trouver le sommeil.


COLLIGNON “PAGES LIBRES” 2035

TOURBILLON 2088 02 25 3


Que retient-on du tourbillon ? le sentiment du temps, de s’être nourri trop vite – d’un jour vide : le sommeil rode comme un vautour, les têtes sur la photo tournent dans sa tête voûtée

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FIER-CLOPORTE LANGUES 2088 10 27 5




Une énorme fatigue.

Un vide somptueux.

Même s’il a rencontré Henri Serpe, même s’il l’a véhiculé. Un clochard, qu’il avait inventé, qu’il a réellement admis près de lui, siège avant. Plus, une promenade nocturne sur les remparts de Langres. Plateau envahi par la musique américaine. Une chambre d’hôtel modérément chauffée, parfaitement silencieuse. Puissant bien-être.

Un lointain codétenu lui envoie un étron dans une boîte. Interrogé à ce sujet, le coupable avoue : « Fier-Cloporte me faisait chier ». C’est ainsi que Jojdh rêve. Un jour viendra vers lui Jean Mille, sans domicile fixe, de Faye-l’Abbesse (Deux-Sèvres). Jojdh regardera par l’œilleton et s’abstiendra prudemment d’ouvrir la pore à son héros, seul contact extra-hôtelier de son voyage éclair.

Le silence à Langres pèse, le ventre grelotte. Les madeleines épaisses attendent dans leur sachet. Jojdh économise. Il ne se consolera jamais de s’être cassé la tête contre les murs de sa cellule – pourtant, quelle joyeuse excitation la veille de son départ ! il choisirait Grenoble cette fois, se posterait devant la porte de son ami perdu, contemplerait les filles de ce veuf, en séduirait une. Il serait confronté à son ami après vingt-huit ans d’absence ; quels titres dans les journaux !

Dans cette ville trois semaines auparavant des trombes d’eau s’étaient déversées. À Bagnols-sur-Cèze,le Gardon avait débordé. Jojdh avait téléphoné à son vieux maître en littérature : personne. Il imaginait les scènes les plus morbides, afin de s’y créer un rôle. Se sentant aussi stupide que la moyenne.

Il serait temps de se mettre à peindre afin d’avoir d’autres messages à se délivrer que ces informes grisailles : ainsi de ce coït entre hommes, entendu, supposé, derrière la cloison d’hôtel, accompagné d’un coït hétéro douloureux survenu dans sa chambre à lui. Un tel ressassement, loin de lui sembler essentiel, relevait désormais de l’obsession compulsionnelle, sans aucune utilité pour les humains.

Son imagination tournait au récitatif gris.

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RETOUR 2088 10 28 6




Les agréments qu’on trouve à se perdre, entre Joinville et Montier. On tourne à gauche, à droite, et c’est simplement ravissant. Jojdh essaya de savoir de quel Joinville était l’historien.

« Deux marquises occupaient une chambre. La prison s’en trouvait transformée en château. « Elles dormaient en lits séparés : elles ne se fussent jamais commises à des attouchements plébéiens. «  Le domestique (Jojdh) s’était levé le premier, allumant les poêles. Il s’était fait propre, et même « douché. Le rasoir neuf avait glissé sur ses joues ; cette fois, il ne s’était pas entaillé.

«  Une croûte subsistait sur sa lèvre.

«  Les marquises dormaient toujours. Il les avertirait de son départ, après les avoir approvisionnées. »


Plus loin dans les campagnes, le silence faisait très fort penser aux temps d’avant 1970, quand l’espace restait immobile. Bien qu’il n’aimât personne alors – et pour longtemps ! - il appréciait ce fin glaçage de l’air, cette qualité noble et cassante de l’atmosphère, avec des relents de rhume dans les tympans. Il marcha sur la neige, imaginant la mort afin de respirer plus large.

Il s’était vu en Pesquidoux, parcourant à l’amble ses propres vignes, fusil brisé sous le bras. Il frapperait sur les ceps pour débusquer les lièvres, et les manouvriers salueraient, casquettes basses :

- Not’ Maître…

Trente novembre 1969.

Très loin.

Il marchait à présent par les champs de Haute-Marne

S’exerçait à recouvrir les souvenirs les uns par les autres

afin de raviver les uns par les autres

les villes semblables semées d’affiches parisiennes

zigzaguées de trottoirs sales.

Au centre

noyé parmi les maisons de manants

cet édifice religieux de styles composites avec des gaucheries touchantes Dieu présent en certaines

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RETOUR 1988 10 28 7




et dans d’autres non

ainsi le caractère infiniment laïc de Vézelay l’anorexique – émaciée – l’air interne Jojdh préférait les coupoles chargées alourdies de Dieu -

- l’inconvénient majeur des grandes villes est cette nécessité de serrer les lèvres pour ne pas voir les Autres rire – vous êtes normaux, vous – la campagne est plus expansive – ainsi ces étendues betteravières de Sommesous, chaque détail se précisant à chaque pas sur le sentier, le rond de l’horizon délimitant tout un monde, formant monde «  avec les tas d’bett’raves pour uniques montagnes » (en m’approchant je les voyais grenues, crâniennes – cardiaques. Lorsqu’un nombre ornait les racines entassées la chose (12 695) était dûment photographiée à Obsonville / Obszönstadt puis Château-Landon (repas), Sens, Auxerre et Avallon, Besançon ratée d’un jour et 42 ans mais les marquises attendaient le bon accueil

il deviendrait valet de chambre il aurait pour aide Jean Mille qu’il avait pris en stop jusqu’à Sermaizelles, bien mis de sa personne mais sale, onctueux, pédérastes comme ils sont tous et croyant ! combien croyant ! « Catholique, Monsieur ; recueilli par les sœurs et nourri par elles, m’hébergeant 24h dès que je les en prie.

Écrivez à Jean Mille Faye-l’Abbaye Deux-Sèvres e si vous me revoyez sur la route d’Is reprenez-moi jen e vous dérangerai pas je lui donne 20F pour des cigarettes etaulever de bras qu’il fit pour le billet s’éleva de lui une odeur de mycose et de crasse il n’avait pas de linge de rechange les sœurs n’en avaient pas pour homme.

Il y relogerait 48 heures le double, mais, ce qu’il fallait à présent c’était revenir au plus tôt pour ne pas manquer le réveil des Marquises

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FRISSON 2088 10 29 11




Le frisson des femmes sitôt qu’on les touche frisson de répulsion du fond des âges viols suivis d’éventration, l’homme est contre nature Et si c’était vous qui vous faisiez violer double déshonneur pour nous sous l’homme, il n’y a jamais de viols entre femmes. Des cités universitaires entières de filles au cuisse-à-cuisse passée l’extinction des feux, sur la peau d’une femme comme soi trouver la consolation du viol jusqu’à ce que sans faire exprès disent-elles ce plaisir ait eu lieu l’homme pue l’homme pue l’homme pue.

L’homme violé par omission passant dans la rue sans regard ni désir d’elles, corps naviguant dans le sable désert sans les yeux sans les bouches sans mains recule recule de peur qu’un porc t’effleure tous ignorent qui je suis, nul texte ne hante les gares et les quais mais j’écris ce réfrigérateur marche trop. Penser à monter le nouveau thermostat c’est facile – non pas. C’est le (second) mépris des gens de métier ; arrogance où vous tiennent ceux qui du bout de leurs doigts vous modifient l’extérieur pour eux seuls si réel.

FIER – CLOPORTE

DE HEREDIA 2088 10 31 8




Tout ce qui gratte vient de Heredia pépite plaquée sur guitare, insectes d’or sautant, éclats de Dieu. Je me perdrais dans cet homme hautain Heredia sensuel parfum raide avec faiblesses et doutes, femme défaillant sous ses aisselles je me méfie des sentiments surtout des faux – errer mes penséessans intimidation, depuis une partie de chasse-aux-pétards jusqu’à ce Festival Venaissin où nous voulions passer elle et moi pour cousins – Qui pouvait nous croire ?

Le sentiment qu’il ne nous reste plus qu’à se réaliser soi-même – qu’apprends-je ? Il n’y a plus de modèle ? le paradis s’écaille ? Plus d’ascenseur ? Je n’ai fait que commenter des sonnets. Je ne mettrai jamais les pieds aux Indes, à Cuba – j’ai composé la fresque des Tzaghîrs – peste des hiérarchies songeait-il en se rongeant les ongles – trop d’espace entre ses phrases, et les pensées trottaient, ...

FIER – CLOPORTE PAGES LIBRES 9

OUROUMTCHI 2088 11 01




Secouer la domination féminine. D’étranges choses densifiaient ses rêves,suite au film, suite au gin. Une petite fille s’est pendue après un simple viol – que se passe-t-il dans les filles pour qu’elles se pendent après pénétration ? Peur, douleur… mais honte ? ...devant une vulve de femme, un homme éprouverait-il de la honte ? « C’est grand » - la surface, entendait-il – ce garçon que je connaissais, mort depuis. Si la monitrice que je connaissais – pensait-il – m’avait seulement touché, il serait allé tout rapporter. J’en suis certain. L’équivalent du « Ruban » de Rousseau. Elle renvoya le garçon après avoir tourné maintes fois dans sa chambre.

En ce temps-là nous possédions encore le pouvoir de nous ingérer doucement dans la torpeur la plus voluptueuse. Les enfants jouissent de mille façons. L’adulte n’en a qu’une, et encore.



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COLLIGNON PETITS TEXTES LIBRES

MADAME 2089 02 26 10




Étrange façon de signer – respectabilité ? Glissando-aspirando : une mère jusqu’aux entrailles- frisée, surtout : langage excessif, réactions brutes à piqûres mineures, indésirables, femme à nœuds-nœuds, boulette unie à ce mufle au ventre lourd en étrave. Respectueuse des principes, des égards, attentionnée, faisant la cuisine.

Bureau garni dans le plus parfait mauvais goût La noce des citrouilles avec papa-maman légumes, radis des filles d’honneur, prostituées poussées contre les murs de briques à présent j’aimerais me prostituer mâle pour fruits mûrs.

Tout cela chez Frau Martin fraîche et fade comme une mangue, têtue, soumise, mesquine, excellente, un cœur sur la main la bite au cul – l’avenir comme un grand gueuleton intermittent et raffiné dans un quotidien de fonctionnaires et d’amour les grandes machines – me désarçonnent j’ai trop rêvé avant mon lever.

J’ai trop pensé aux soumissions n’avez-vous jamais connu ces angoisses qui suis-je ? dans votre chemise à dentelles je vais mourir vous avez prié vaguement, comme on vit, fillette inviolable. Se venger sur l’assassin est aussi absurde que sur le verglas qui rompit le cou du grand-père, il nous faut des films qui finissent bien : « Me rendrez-vous service ? - Tout ce que vous voulez monsieur Tell » une pique en l’air le bonnet dessus. Foules ignares ! Depuis une heure que je ne dors pas ! Homme d’Occident sois fier, que l’exemple en survive, Dieu si grand pour ta tête lourde et lente Tu ne tueras pas. Tu soulèveras tes peuples, histrions et de bonne foi. Les employés en mal d’augmentation rassembleront plus de manifestants que les Défenseurs de la République, vieux Léviathan jadis pétant fer et feu. COLLIGNON PAGES LIBRES T. V 36 02 26 / 46 10 23 1

MADAME 2036 02 26




Étrange façon de signer son nom – désir de respectabilité ? glissando-aspirando : mère jusqu’aux

entrailles. Frisée, surtout : langage excessif, réaction brusque à piqûres mineures, neutre, indésirable, nœuds-nœuds « boulette » unie à ce mufle au ventre lourd comme une étrave. Respectueuse des principes, des égards, attentionnée – faisant cuisine.

Bureau garni dans le plus déplaisant mauvais goût : « La noce des citrouilles » avec les parents en légumes, filles d’honneur en radis, viol, sexe, prostituées poussées contre les murs de briques, mâle pour fruits mûrs. Madame fraîche et fade, mesquine, têtue, soumise, un cœur sur la main, voyant l’avenir comme un gueuleton, dans un quotidien de fonctionnaires et d’amour. Racle-coquillage et gravier, les grandes machines me désarçonnent, j’ai trop rêvé avant mon lever.

J’ai trop pensé aux soumissions, chez vous volontaires, n’avez-vous jamais connu ces angoisses, qui suis-je ? dans votre chemise à dentelles, « et si j’allais mourir ? » Vous avez prié mollement, mollement vous avez prié, petite fille fraîche qu’on ne viole pas. Se venger sur l’assassin aussi absurde que de pulvériser le verglas qui tua mon père – des films qui finissent bien : « Tous les services que vous voulez, monsieur Tell. »

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NON 2089 02 17




...À LA CONNERIE Soyons théâtraux. Pique en l’air, bonnet dessus. Foules. Depuis une heure je ne dors pas. Ce que je lâche n’est que bribes. Homme d’Occident sois fier, que toutes tes voix s’élèvent, que l’exemple survive, que Dieu soit si grand pour ta pauvre tête, tu ne tueras pas tu t’es tout entier dressé à te taire qu’attendez-vous ? Que les radios s’effondrent sous les bombes ?

Occident lourd et lent

Tu ne tueras pas mais tu expulseras la mort

Tu soulèveras ton peuple contre l’Est

Histrions de la foi même combat

quoi, des fonctionnaires en mal d’augmentation rassembleront plus de manifestants que nos défenseurs

Vieux Léviathan

pétant jadis fer et feu

soulève tes pattes

qui ne soient pas souffrantes

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FRISSON 1989 03 19




Le frisson des femmes sitôt qu’on les touche,

frisson de répulsion du fond des âges

viol éventration l’homme est contre-nature et si c’était vous qui vous faisiez violer non pas non pas ce serait double déshonneur par un homme

entre elles pas de problèmes

cités universitaires entières de filles frottées par couples cuisse à cuisse après couvre-feu

si naturel de trouver dans sa peau comme soi l’effacement des violeurs

de se panser sa propre plaie jusqu’au moment ô mon Dieu sans faire exprès

l’homme pénètre et blesse mon amour

violé par omission nulle femme d’aucun regard suivi

corps d’homme dans le sable sec femme qui recule

gros corps de cochon

abîmes animaux, modération

Si nous en disons trop c’est que tous ignorent

les pages dans les gares dans les rues tendues mais il faut que je crie

Suffirait de monter un nouveau thermostat c’est facile

rien de plus facile

je suis du métier je maîtrise méprise

vos mains malhabiles aux mouvements mal adaptés

au réel au rabot à la scie à la lime

et Mallarmé vous tomberait des mains

Prétention de l’esclave qui veut tout ramener

tout renclencher à des combinaisons d’écrous et de boulons

j’ai besoin d’eux ils n’ont pas besoin de moi

Tenant tous dans le creux de leurs mains

le cœur battant du monde

nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

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LES REGRETS D’AMOS 2015




“Seigneur prends pitié de ma prophétie, et garde-moi caché.

Il m’est donné en mon vieil âge de répandre ce que j’ignore, et je ne sais ce que j’attends, ni l’issue de ce combat contre la hyène et le chacal.

« Seigneur – j’appelle cela Seigneur) - , que rien ne m’échappe de toi.

« Ô Vieillards de mon temps, vous qui m’aurez poussé, nourri, combattu, ignoré, prêtez l’oreille à nos désirs vaincus nous reviendrons, nous autres vivants (…)

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Hier j’ai vu Zilma, le grand amour de Jean D.P., de laquelle j’avais conservé médiocre opinion,

pour m’avoir coupé mon mec sous le pied. C’est du moins ce que je me suis fabriqué. Aisance insolente des reconstitutions : jamais les privautés entre cet homme et moi n’auront dépassé les yeux. Il suffit de revoir Aline sur l’île bouffant du sable à poignées pour mourir en psalmodiant la bouche pleine : c’est bon le sable… c’est bon le sable… Il la maintenait par les jambes, promettant qu’ils s’en iraient loin tous les deux, « très loin ». Mais – Zilma ? comment cette face simiesque mal opérée d’un bec-de-lièvre avait-il pu usurper le premier, s’imposer, séduire un des plus beaux jeunes hommes que j’aie pu voir ?

J’ai revu Zilma plus de vingt ans après, car j’avais détourné le regard aux rares occasions qu’il m’avait été données de l’apercevoir.





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Peut-on parler de Textes libres… Sitôt écrits évanouis, dans la vaste bourrasque des pages errantes, tantôt ici et tantôt là. Reprises, perdues et retrouvées. Inclassables, inintitulables. Deux jeunes gens, au second étage de Vivaldia, se renvoient des boules de papier à grands coup de guitares en guise de raquettes. La clientèle survenant, ils rangent leurs deux manches de poêles à frire, se rajustent le col et vantent les mérites de leur musicale marchandise. Tels sont les textes, ballottés à ras de moquette par des vendeurs qui s’ennuient. Nous aimons errer dans ce grand magasin mal géré, à présent occupé de néant et de planches sur la grand-place où l’on coupe des chènes, afin d’y replanter d’opiniâtres platanes, qui fourniront de l’ombre dans trente ans.

Mon Dieu ! Je serai mort, au niveau de ces chiottes qui hantent les sous-sols, où se heurtaient dans les couloirs voûtés de briques blanches ceux qui cherchent fortune en se touchant le cul. Il y avait des relents de pains tranchés à l’urine, délavés et détrempés d’eaux rasantes, et les cuvettes portaient toutes ces sachets déodorants sous le rebord Jacob Sanitaires. On pissait en l’air, ou bien bas sur les mouches représentées par l’artiste, qui permettaient de viser sans plus penser à son âge précis. D’autres toilettes du Nouveau Monde montrent des femmes,Marilyn, Manson et autres, accoudées au-dessus de vos bites et contemplant leurs fragilités, attentives et sans désir, femmes et verges. Elles étaient bien habillées, décolletées comme des stars, puisque aussi bien leurs yeux étaient baissés, et qu’il n’y avait rien d’autre à voir dans cette direction.

Dans une boîte mexicaine, des femmes se déshabillent sur une planche qui pénètre au-dessus d’un public formé d’hommes, et lorsqu’elles ont fini, au poil près, c’est à l’homme qu’elles ont choisi qui revient de se déshabiller soi-même, à moins qu’elles n’y mettent la main dans un autre numéro, et lorsque l’homme est enserré, nu et fruste, par la plus plantureuse, il doit se tenir digne et contempler ses amis en face, restés sous lui au bas de la planche de show. Le journaliste qui m’avait décrit cela précisait dans son article qu’au moindre frémissement de queue, au moindre embarras, l’homme nu se faisait huer par ses congénères, tant il est vrai que la fiction du Beau procède du respect admiratif et non de l’appétence commune. Un jour Régine, chanteuse et plantureuse devenue, se fit obligeamment traiter par le Canard de « Plus grosse commune de France », ô chef-d’œuvre ! admiration de l’esprit déployé, cécité du réflexe

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offensé ! Plus tard, avec son fils, elle subit dans un avion privé les assauts grommelés autant qu’antisémites d’un pilote. Plainte encore, cette fois recevable. Mais qui est son fils ? Comment voler avec ce poids ? L’air est-il aussi solide que le ciment ? Quand cesse-t-on d’avoir peur ? L’écrivant vole d’insignifiance en frivolité dans le même bruit d’ailes que les Victoires sous l’Arc de Triomphe. Il s’effrite aussi sous le poids. Nous admirons de là le Virgin Megastore en son prototype, où déboulait le représentant du Bord de l’Eau, interpellant chacun dans sa vulgarité, Je ne vais pas me faire impressionner par ces ploucs, Nous avons été traités comme des marchands de pommes de terre, avaient relevé les gérants, alors que nous avons un staff d’estimateurs chargés d’évaluer les textes qui nous sont soumis. Je ne fus plus envoyé en mission.

Il suffisait de hausser le ton, d’afficher ses façons familières et sa désinvolture, et tout cédait à vos airs entendus. Comme on peut se tromper. Comme tout cède à la marque du jour de la naissance, et comme elle est indélébile, impossible à masquer ! Le sceau des plouqueries reste gravé profondément jusqu’au derme du bétail écarté. Nous ne serons jamais Régine ni Cordy (Annie), qui nous faisait tant rire.

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Je ne suis responsable de rien.

Régression.

Choisissez donc, soit d’exalter l’enfance,

soit de la rabaisser !

S’il s’agit d’exalter la nature, exaltons le cadavre.

Je hais les « Enrichissez-vous ».

Jamais le tronc d’arbre ne devient crocodile.



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TEXTES LIBRES









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Il était une fois un beau plombier libre. A soixante ans l'homme est encore au sommet de sa beauté. Même s'il est au minimum de sa puissance. Il s'agit moins de sexe que de désir. Si j'étais femme, j'aimerais ce plombier. Si j'étais homme aussi. Je n'ai pas osé me déclarer homosexuel. Il est vrai que je suis mal tombé la première fois : il m'enculait sans la moindre précaution préparatoire. Jamais le moindre mot tendre, mais une sécheresse affectée. Il décryptait mon message modulé : "Gilbert, tu m'aimes ?" Le plombier aussi s'appelle Gilbert. Le corps de l'homme me rassure, son sexe m'écoeure. C'est répugnant, ça bouge, ça bave de partout.

Il faudrait peut-être qu'un homme m'excitât pour qu'enfin je pusse pénétrer une femme. Seulement, nous nageons là en plein fantasme. Louis XIII couchait avec ses écuyers, mais en toute chasteté. Frédéric II se faisait branler chaque matin dans un mouchoir par un de ses favoris, qui s'en disputaient l'honneur. Les heureux hommes. Pas Louis XIII, qui devait se confire en dévotion, sans bien se rendre compte de ce qu'il ressentait. Mais qui peut connaître l'âme de Louis XIII ? penser que Richelieu fut l'amant de Marie de Médicis ! il mourut la même année qu'elle, en 1642. Et Mazarin, celui d'Anne d'Autriche. Tout cela se murmure sous la simarre, qui est une sorte de soutane.

Très souvent nous nous comparons aux grands personnages. Nous cherchons ce qu'ils ont de commun avec nous, ce que nous avons de commun avec eux. Richelieu répondit à un mendiant, qui se déclarait de la même espèce que lui : "Il n'y paraît guère", déclenchant l'hilarité de ses suiveurs tous bons catholiques. De nos jours, un David Bowie, prince de l'esbrouffe extravagante, n'émeut pas autrement ma fibre petite-bourgeoise : c'est un Martien, vivant dans la space-oddity. Ce qui arrive de bien, ou de mal, à ces gens, ne me semble pas ressortir à l'espèce humaine. Pourtant son dernier morceau, I'm in danger, à l'accompagnement si funèbre, à la mélodie déliquence, m'émut un peu, à l'instar des derniers vers d'un Ronsard ou d'un Musset.

Le sexe et la mort sont donc les deux terrains où les hommes de tous niveau peuvent se confronter dans la stricte égalité, car c'est par là qu'ils rejoignent la nature de l'animal. Nous passons tous par ces deux points, ces deux pôles, entre lesquels s'enflent ou se désenflent ces courbes fonctionnelles présentées par les graphiques. C'est comme un réseau de fines cordes à sauter. Parties de l'abscisse, elles reviennent à l'abscisse, par en bas, ou par en haut. Cela rassure. Toutes nos vies sur un graphique. Les cordes tourbillonnent vers le haut, vers le bas. Je n'ai pas vu de lignes chevauchantes : toutes montent, toutes descendent, symétriquement, mais aucune ne franchit l'abscisse ; souvent elles alternent : celles du bas passent en haut, et réciproquement.

Les points de croisement avec l'abscisse appartiennent-ils aux même vies humaines, ou bien, change-t-on de corps, de sexe ou de condition ? Bien trop régulier tout ça. C'est là parce que c'et là. Warum ? Darum. Pourquoi ? Parce que.

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Il me vient par l'esprit choses médiévales. Lucchini en niguedouille déclamant du vieux françouais, Chrétien de Troyes. La ville du rabbi. La ville trois-onze, au Monument aux morts : 11 Novembre 11, et ce pégreleux qui s'enfuit en proférant de vagues menaces. Ce jour-là furent décorés trois vaillants d'Afghanistan. Une patrouille a perdu dix hommes lors d'une embuscade. Gloire à eux. Gloire aux petits fours que j'ingurgitais sans vergogne à l'Hôtel de Ville. Braves Champenois acueillants. Braves gargouilles en bas des gouttières, étroits rue aux Chats, où ces derniers pouvaient bondir d'un toit sur l'autre, côté gaauche, côté droit. Une carte postale montre les chats, il n'n est plus dans cette rue.

Ce fut un bon séjour, je vis la maison de la Gestapo où l'on torturait. Cette demeure est hantée, solide, carrée, massive en maison de bedeau. Je ne me souviens plus de la cathédrale, on y prie, on y voit des voûtes, on tourne autour, dehors, dedans, on en ressort comme devant, rarement mais parfois transformé en petit bloc de paix avec des petites pattes qui trottinent par dessous. Puis on revient à son hôtel, au centre de sa box-window, avec vue sur le carrefour, et l'on se promet bien de ne plus réserver sa chambre, mais bien plutôt d'errer valise en main dans le bruit des roulettes, jusqu'à ce qu'on trouve. Que de lits spartiates m'auraient été ainsi épargnés.

A Carcassonne département onze j'eus bien froid. NIsard se plaignit des mouches et du vent, et du mauvais vin de la vallée du Rhône. Il n'eut aucun mouvement vers les autres, nous dit Chevillard, le rancunier contre Nisard, lequel exista bel et bien n'en déplaise au Figaro. Je me souviens de tout cela en petit vrac, me redresse et respire. En matière de Moyen Âge, saison de vieilles villes, au sein desquelles on élevait des cathédrales, à même l'agglomération d'où l'absurdité des parvis dégagés, j'imagine une vague masse où mon individu se perd, où je regarde en me méfiant de m'y mêler, crainte d'enfreindre des tabous. Je demanderais d'aller voir un prêtre, afin de me garder de toute hérésie, et je le suivrais sans douter, car on mourait vite, et rien de tel que le côté du manche.

Se mettre sous la protection de Dieu ou de ses clercs, du siècle ou de la clôture : eux seuls réchappaient aux armées, leurs murs étaient infranchissables et l'on s'y instruisait. Pour les femmes j'en aurais eu pourvu que je suivisse leurs conseils et leurs astuces, au risque de finir penaud deavant l'évêque. Vaut-il mieux quelques jours de tortures oou de tétanos par l'épée ? La capitale de Champagne me revient, ses foires et son vin, et la cure de Piney où je retardai le prêtre à bavarder sur l'abbé Bedu...

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J'ai le trac. Une sorte de trac, ma constitution ne m'accordant que des émotions modérées. Tout de même, "Textes libres" laisse face à face avec le gigantise prétentieux de sa mission, écrire pour dans mille ans. Je me souviens de Bourbon, écrivant en latin "passeront la terrre, le soleil et les étoiles, mais je resterai". Bourbon Nicolas le Père mourut en 1550, Nicolas le Jeune fit partie de l'Académie Française. C'était en langue latine. Du Bellay seul échappe aux oubliettes. L'un de mes amis brouillés m'envoyait naguère des nécrologies, d'artistes, politiques et atures fantaisistes, tels Eddie Vartan, qui de leurs heures de gloire venaient de tomber au cercueil.

Personne parfois ne savait plus qui ils étaient. Il existait en 1817 (Livre III des Misérables) une multitude de gens célèbres, bateleurs, comédiens, boutiquiers, qui s'agitaient joyeux sous le soleil, pleins de jeunesse et d'espoir comme les feuilles d'arbres, et comme elles tombées depuis. Seigneur, prends pitié de nos banalités, de nos vanités. Nous étions tous hier vissés à nos postes, où les Hanouna, Busnel et Dutripier, célébrités du jour, ébrouaient leurs sottises à tous vents. Et je les insultais, dans leur candeur, leur assurance de vendre à tous leurs meilleurs pommes de terre, entendez leurs production littéraires. Une fois de plus nous était offert le naïf spectacle des grandes gueules qui écrivent, haha, comme on respire, avec le souci de l'auauautre, sans la moindre profondeur, ni inquiétude, ni la moindre trace de vie intérieure.

Nous avons bien râlé. Nous avons bien joui de l'opposiiion Godard-Truffeau, savurant une fois de plus la sauce amère du petit révolutionnaire qui reproche au bourgeois de faire des oeuvres bourgeoises, "avec les classes dans le train et le mouchard du patron juste à côté de lui". Tout à fait comme un inquisiteur, au beau milieu d'un exposé ou d'un récit, venait tout à coup jeter là Notre Seigneur Jésus-Christ, sans aucun rapport avec la choucroute. Ou quelque idéologie que ce soit. On est de goche, putaing cong, ou on ne l'est pas. Toujours la prétention raide de ceux qui ont raison parce qu'ils veulent, voyez-vous ça, sauver le monde, le faire passer d'une petite cage dans une cage moins petite.

En vérité tout prosélytisme est une insulte à l'esprit, à la liberté même. "L'extrême droite n'a pas connu un tel niveau en Autriche depuis la fin de la Seconde guerre mondiale - mais ce n'est pas la même extrême droite, bande de gluants ! Oui, je fais comme Truffeau, je tiens la porte à celui qui me suit dans le couloir. Godard piégeait les enfants à la Socrate : "Mais quand la cloche sonne, elle t'ordonne de rentrer en classe - Ah oui." Sape bien les fondements, Godard, théoricien, livre-nous au désespoir d'avoir trop réfléchi, ne nous laisse aucune issue, afin de régner sur les masses, et de semer sur nos ruines tes semences aussi vénéneuses que les autres.

Au diable ceux qui ont des idées, mais plus encore ceux qui veulent les appliquer, les mettre en pratique. Oui, je cherche mes mots, mes phrases. Oui je crois vous entendre autour de moi, m'approuvant, me répliquant. Chacune de nos pensées traîne après elle une nuée d'attentions, et le cul du jockey éclate dans la rupture du falzar, repos. "Je serais curieux" disait-il "de savoir qui tire les ficelles". Voilà bien longtemps que je ne distingue plus rien. La marionnette et la main se sont emmêlés dans les fils. Nous sommes responsables, la cause est entendue. Mais de quoi ? Je pense à Napoléon, aux sauteuses de haies toutes cuisses écartées, à cette solitude ailée...



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Me souvenant de tout ce que je n'ose écrire, je fais un rapprochement avec tels ou tels brouillons de mon père, qu'il ne m'a jamais envoyés, mais qui me firent souffrir par leur dureté. Julia me lisant après ma mort, mais pas avant, ma lecture ne doit lui laisser nulle amertume. Certaines vérités détruisent, elle sent et pressent. Elle-même pense que d'autres choses me manquent : la main verte, etc. Elle s'évertue à me démontrer (par l'exemple et la simple affirmation) que tout se vaut, Mozart et les orchidées. Je me suis toujours insurgé là-contre, car les bons jardiniers se comptent par millions Dieu merci, mais n'y eut et n'y aura jamais qu'un Mozart.

Cependant la notion du génie heurte ma démocratie. Je voudrais que les cons fussent tous mes égaux. De qui suis-je le con ? N'y a-t-il pas moyen de concilier supériorité avec fraternité, égalité ? c'est effrayant : à 36 ans déjà, les réflexions d'un gosse. J'ai juré sur le bord coupant d'une tombe de rester jeune, fou et con. Parole tenue, mais avec la vieillardise. Fin de la leçon. Laurent Naouri sait imiter Yves Montand. Mais il ne sait qui il est. Le mari de Nathalie Dessaye, voilà le secret.

Il était une fois. Se sauver au centre de tous les regards. Comme un professeur en sa chaire. Comme une vie à propulser, à postillonner sur tous à la fois. Monsieur de Chateaubriand logerait volontiers sur une île déserte, à condition que cette île fût en plein Paris. C'est d'une femme sur Chateaubriand. Les premières lueurs du couchant s'annoncent. Il ne reste plus d'or aux parois de mon crâne. Un vide bienfaisant. Toutes portes fermées sur le pot. Des mots fins ou autres, des anecdotes. Souvent le désert. Une aigreur épinglée par tous les critiques. Stalker nous a bien épinglés, nous autres.

Ou bien le débagoulage des syllabes. Les noms propres égrenés jadis au moindre malaise, noms inventés, noms improbables. Élimination de nombreuses identités pour cause de malaise : ni celui-ci ni celui-là, mais en définitive moi. Une toile garnie de son frêle arthropode qui tisse au soleil, l'âme au milieu du ventre. « Il n'a rien appris, ni rien oublié » (au pluriel, de Talleyrand, sur les émigrés). Ma vie avec des pincettes. « J'ai évité de vivre ». Partout des références et partout des bouées. Quand je mourrai personne ne mourra. Dix-huit ans pour l'éternité. « C'est long, surtout vers la fin ».

J'ai rabâché, j'ai donné, imposé. Ne pas oublier la vaisselle. Glachabron, Bourdienne, Sarmané. A la fin retomber sur soi. Ses papiers officiels. Il suffira de se mettre en bonnes dispositions, afin de mourir de bonne humeur. Il suffira de la chute, depuis un rebord de trottoir. Une roue passera sur toi. Sur le vélo de mon grand-père j'allais par les routes, à l'intérieur de mon périmètre. Mon nom et Bernard Collignon. Nous sommes 238 en France.



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Ma mère enculée par un baudet. Nécessité ou non de tout transgresser ? Comme elle est morte, tout est permis ? La poussière est toujours vivante. La folie est toujours vivace, l'hypnose se travaille, on ne prend pas de LSD impunément. Ne me parlez pas que de sexe, me dit la psychiatre. Et que pensez-vous de toutes ces femmes qui vont mourir ? Le vagin ne devrait pas se terminer en cul-de-sac, mais donner sur l'espace éternel. Et je prenais alors un air si exalté que Frau Schneider pinça les lèvres pour éviter de rire. Trop loin trop loin. Moi-même recroquevillé sur le palier tandis que mon père me suce la carotide pour se redresser plus fort. S'efforcer de ne pas ressembler à tout le monde, puisque tout le monde me dit que je suis original.

Toujours sonder la catastrophe. La nakba. Mes juifs sont arrivés. Ils ont tout confisqué. Ils ont bien fait. Je n'aurais pas dû me soumettre. Je suis descendu de mon étage, tout ensommeillé. J'ai mis mes parents dans la main l'un de l'autre, et je suis remonté sans mot dire. Ils ont cessé de s'engueuler, bouleversés. Mais cela ne durait pas, ils se rattrapaient tout le temps. Ignoré, je cherchais à capter l'attention. Ils ne me croyaient pas, je les persuadais de me suivre dans ma soucoupe volante, et leur montrais un paradis où j'étais roi, mais l'imagination s'arrêtait là. De même un catholique ne peut-il se figurer, exactement, factuellement, le paradis. Jusqu'à 34 ans mes parents habitaient mes rêves, j'entends les vrais, ceux dans la nuit. Alors, de jour, petit, je servais de paratonnerre.

Ils se déchiraient pour des histoires de guerre, et de sexe mal digéré. Chaque lendemain de baise, mon père exhibait une humeur exécrable. Ma mère finit par se lasser. Je les ai fréquentés vingt-et-un ans, jamais je n'aurais pensé qu'une erreur d'angle d'une seconde causerait une telle erreur de trajectoire. Ce que j'aurais été si j'avais été autre. Chacun se trouve confronté un jour, tous les jours, à cette impuissance. Dans un restaurant de Montmirail, un petit garçon chantait à tue-tête aux chiottes, puis, tout propre et tout lavé, faisait le tour des tables en souriant à tous les mangeurs. Il leur faisait des compliments sur la qualité des mets, en vrai maître d'hôtel rustique. Le père expliquait à qui voulait l'entendre que son fils était ainsi fait, d'abord chier en public, puis quêter le compliment comme un chien son os.

Dix ans et déjà foutu. Tout le monde était content, les clients ravis. Brioudes enfant se faisait soûler par la clientèle, au point qu'il fallut le mettre en désintoxication. Il me frôla le trou du cul à l'internat en disant « Nous sommes faits pour bien nous entendre ». Je lui ai demandé, plus tard, pourquoi. Pas compris. Je n'avais pas compris. Il me répondit évasivement, effrayé. Les hommes sont plus directs. Et si les femmes sont directes, je me cabre. C'est à moi de faire ça. Pas à elle. Original ? Pas du tout. Conventionnel. Première conquête à 63 ans. Au bout du Jeu de l'Oie. Attaque, discours, amour fait partout, moquette, herbe, hôtel de jour. Ravages exercés. On ne badine pas… Bases faussées. Chaque scorie est particulière, mais toutes se ressemblent.

Se taire disait-il./ Se taire. «Mais moi je ne peux pas ».



2017 01 11

L’Autre, mais pas Koulibaly.

L’Autre, mais pas Le Pen.

L’Autre, mais pas Thatcher.

L’Autre, mais pas celui qui pense autrement.

Autrement que quoi ?

 ...Les nazis, chouette ! des autres !

….Les salafistes, chouette ! des autres !

… Les cosaques de 1815, chouette ! des autres !

...les émigrés – mais pas chez moi.

… des emplois pour les Roms – pas dans mon entreprise.

…des écoles pour les Roms - pas avec mes gosses.

...des logements pour les Roms – pas dans mon immeuble.

...Ma vie, n’est-ce pââââs, n’a été faite que de rencontres

Oui.Mais soigneusement triées, par élimination

- pas celui-ci, il est trop moche.

- pas celle-là, elle est trop con.

- pas un facteur, pas un ouvrier – faut pas déconner, non plus…

NON, mais un bourgeois influent,

riche – pédé – parisien

qui saura bien me booster (en anglais : me propulser) (parmi les autres dont les dents rayent le planche)

Vive Marc-Édouard Nabe

Vive les fascistes

Vive les Assis, les Recroquevillés

Vive les haineux impuissants

bavant ridicules dans leurs cages

Vive les morveux qui trépignent

dans les excréments.

Signé le Yack Sadvrai

Ce culte de l’autre engendre la fin de l’Histoire et la dissolution des gloires immortelles. Il repose sur une Mafia qui n’est pas la mienne. Hélas.

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2019 06 25




CE N’EST PAS LE TEMPS

Au moment de si grands secrets, de rêves si indéchiffrables, ce n’est pas le temps de reprendre la vieille coutume de laisser aller mon cerveau, non pas à grandes guides, ce qui mène au syllabisme, mais à frein maintenu. Me préoccupent les démangeaisons de la vieillesse, terme excessif en dépit des 70 ans dépassés. Nous y sommes tous les deux, Armelle et moi. Dans moins de deux mois, elle aura le même âge que moi. Commence à se faire jour un comportement social venu d’eux (les humains) et de nous : le repliement sur soi, comparable au chat qui se glisse sous l’armoire pour y mourir. Nous ne voulons plus voir personne et personne ne veut nous voir.

C’est écrit dans La vieillesse, de la Breuvoir. Abreuvoir à gouines et vagin béant. Mais qu’importe. Les visions de ces chairs écartées me poursuivent. Habituellement, c’est à 65 ans ; pour nous, c’est neuf ans plus tôt. Il faut combattre cette prédestination livresque, par des tableaux, par des méthodes. Mourons les armes à la main. D’abord, interrompre toute rêverie sans intention précise. Ensuite, ne rabâchons pas, sauf pour les mantras. Je ne sais pas si j’ai vraiment aimé. Ni même si j’ai vraiment existé. Les mauvaises santés successives d’Arielle me réconfortent dans le sens où la voilà active (« Ça l’occupe », disait son père) et dans le sens où je trouve ma place dans un rôle éprouvé. Mais cela ne nous fera pas avancer d’un pouce.

Ma foi si, d’un pouce, pas plus, ni moins. « Car nous avons toujours progressé pouce à pouce ». Le comportementalisme recuisiné à nos façons semble plus productif qu’une perspective analytique exagérément conformiste et culpabilisante. Nous établirons donc de nouvelles listes, car si l‘on a tort, il faut s’obstiner, cela donne raison. L’Europe échoue ? ...encore plus d’Europe. C’est bien ainsi qu’ « ils » font, n’est-ce pas ? Mais l’Europe n’est pas inéluctable. Notre vieillissement, notre repos, si. « Les ouvriers sont incapables de tenir un traisonnement suivi ; aussitôt ils s’échappent au moyen de grosses vannes ».

Tout un chacun, et non pas l’ouvrier. Le coup de barre du sommeil est aussi un excellent moyen. Le désir de passer à l’action, au concret , s’accompagne d’une extrême lassitude. « La vie non plus n’a pas de sens », disait une caissière d’Eurasia. Les gens sans études savent donc ce qu’il en est. Le temps qui n’arrête pas. Avancer sans poser de questions. Accepter de perdre ses feuilles… et ses dossiers…. Faire avec ce qui reste. Cuisiner ses abats d’amis. Les faire revenir au court bouillon. L’espace non plus

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ne rend pas ses proies. Elles réapparaissent, où personne ne les attend. Voici ce qu’il faut dire : je me suis levé à l’appel de mon double, qui est ma moitié. Je l’ai suivie, nous avons bu du jus de fruit, j’ai disposé les chats en épi décroché, le chat vivant a fait l’objet d’une photographie. Il faut, sur la chaise, éviter l’affalement, respirer plus à fond. Tout le monde à présent peut faire la leçon. Ceux qui veulent soigner sont des cons, devant lesquels rien ne trouve grâce ; ne va-t-on pas maintenant trouver du « racisme inconscient » ? Rien de plus raciste qu’un antiraciste, quand il se mêle de raisonner.

COLLIGNON TEXTES LIBRES 2019 06 27





Imaginer. À d’autres. Cuentáselo a tu abuela. Apprendre l’espagnol. Quelle aventure. Des phrases qui reviennent - ¡ qué sorpresa ! ¡ yo te creía en Madrid ! suivi de recommandations pour bien faire sentir le -d final sans le prononcer tout en le prononçant. C’était bien. J’avais un genre. Et le portugais. Rien à voir avec l’espagnol. À l’oral s’entend : de grands éclats de voix mêlés d’éboulis de consonnes. Lisbonne est une petite ville. À l’égard des capitales. Banales. Chaudes. Aux chambres en boîtes à chaussures. Une chaleur qu’il est accablant d’appeler accablante. Pas un thermomtre public, juste des titres sur l’attentat corse. Ici, en bout d’Europe. Sans même un fragment de 800m de plage sur la côte méditerranéenne.

« Il « écrit ce que tout le monde décrit » - oui ma connasse, toi qui t’imagines un pouvoir suprême sur les choix éditoriaux, petite chiffe de 18 ans. Combien peu de « substance de temps » nous est accordée, le cheval s’éloigne et broute, rênes pendantes. La civilisation latine à la ramasse. Elle était lasse en sa littérature, toujours Virgile, les mêmes références, Hélène, Mucius Scaevola, pour moi l’Espagne, l’Italie, partout où j’ai traîné mes semelles, ma femme et mes amours défuntes. Mes réflexes et complexes, mes femmes et mes disciples, mes collègues et mes écritures. Mes intestins et mes torpeurs.

Ceux qui font quelque chose de leur vie, de dénis en dénis : Je ne vais pas mourir Je suis intelligent, ma forme augmentera à proportions inverses des chaleurs d’été. Et Nanna sur son ballon rouge / Fait danser la lumière d’été (..) Que c’est beau que c’est beau la vie ; Je croyais en une évocation à la déesse Inanna, descendant aux Enfers sumériens. Qu’est-ce que ça fichait là au milieu d’une chansonnette. Il faudrait prononcer Schumer, Choumerre, ce qui fait con. Honneur à Noah Kramer. L’instruction meublait le vide. À présent Marie L. est une égérie décatie d’extrême droite ravagée de drogue,

Les dieux ou Dieu m’attendent parmi leurs Enfers, hauts ou bas. La voix vibratile de Marie L. faisait d’elle un abîme de féminité. Il n’y a plus d’éternel féminin, plus de mystère du même. On ne charge pas des chars avec des chevaux, fanon de hampe au vent. Cela ne se verra plus. Les organes de la femme apparaîtront aussi dépenaillés, aussi dépouillés de toute spiritualité. Le chirurgien l’emporte à la fin sur les prêtres.


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Il faut paraît-il une faille pour écrire. Je n’en vois pas la nécessité. Disait Domi à deux ivrognes en quête d’argent. Ils déguerpirent en maugréant. La faille fut fouillée, longuement, grattée jusqu’à suppuration. « Chien hargneux » disait Te-Anaa, grande fille très brune et ravalée des cheveux. Ça me plaît bien, « chien hargneux ». Râlant contre toute espèce, toute réussite. Il ne faut pas s’en sortir. Artiste maudit. Bovarysme masculin des lettres. Émasculé de préférence. Et puis s’apercevoir au bord de ce que les pompeux appellent « le tombeau » que l’on a bien trop écouté les cons, dont le plus puissant, le con en soi, entendez « en soi-même ». et ceci. Et cela. Toutes les démarches sont bonnes pour rater sa vie, vivre sa vie, avoir vécu.

J’ai rêvé que David m’avait consacré un article, de même que je l’avais fait pour lui peu de temps auparavant. S’il avait écrit, qui aurait réparé mon véhicule hottomobile ? Celle du Père Noël avec sa grand-hotte, et trois bagnoles dedans. Celui qui se casse la gueule avec ses rennes et son traîneaux sur les toits biscornus néo-architecturaux. Les mots vont, les mots viennent, le long du Prater, le long des écureuils et de la roue. Savez-vous ce que c’est d’être suspendu au sommet, quelques secondes, où le vent vous balance ? Certain de là-haut voyaient vaciller le monde. Nous sommes devenu un vieux sans vieillesse, conscient d’user ses derniers ans à ses sottises, constitutives de l’immortel hologramme. Friables.

« Dans chaque vieux survit un jeune, qui se demande ce qui a bien pu lui arriver ». De quel Américain ? Chaque heure à déguster, que reste-t-il à la volonté ? qui s’écoule à s’écouter. « Faudrait savoir » disait Nadine. Disaient ceux-ci. Disaient ceux-là. Ne disent plus parce qu’ils sont MORTS. « Ah oui, c’est vrai ? ...vous croyez ?… je fais quoi, là, maintenant ?... » Vois et travaille. Wait and see. Wait and work. Seigneur, je viens vers vous les bras ouverts et les orteils écartés, comment çà, « plus de Seigneur ? » - mais qu’est-ce qu’on va-t-il bien devenir nous autres ? Étais-je le haros, le suiveur ? Ai-je suivi le bon sentier / J’en suis encore à me le demander Polnareff parfaitement qui ne sait penser qu’en chantant, comme Dion, Pagny, bien dehors, cons dedans, Béranger Chamfort bien dehors bien dedans, voici le temps de la distribution des prix, des assassins sur l’estrade en robe et barrette.

Le temps où tu ne peux plus faire un pas sans te heurter à des multitude références, de pierres d’achoppement, celles qui dépassent et sur quoi trébuche un jeune homme en chlamyde grecque en tête

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d’exercice La langue d’Homère en 110 leçons ne confondez pas elpis, « l’espoir » et « elle chie », autè kioneï, « elle chie », je ne garantis pas le verbe dans Aristophane, pineïn kaï bineïn, « boire et baiser ». Marcel M. et son lit d’hôpital, mon père en conversation grave assis de biais sur l’alèse et le matelas : « ...ce que tu feras plus tard, telle orientation, tel concours », au garçon de 10 ans sérieux comme un pape, et moi, plus bas, près de la jambe, étalant son Tintin, Objectif lune, On a marché sur la lune, et me marrant sur le lit du malade. Je n’ai jamais revu ce Marcel M., celui qui me tapait sur la tête pour me faire jouir : goudronneux, douloureux, victime, neurones prodigués sous le poing dit-on.

J’ai couché avec Marcel. Entre gosses. Concours de pets. Odeur insoutenable au milieu de la nuit, le pot de chambre sous l’armoire, plein à n’en plus pouvoir, vidé sur le fumier obscur les pieds dans le purin, mais l’odeur était là, tenace, féroce, de même plus tard à l’Hôtel de la Gare où j’avais échoué : la chambre donnait sur fond de puits d’aération, rez-de-chaussée, sol cimenté, sans la moindre possibilité d’absorption sans le moindre écoulement. Fenêtre ouverte ou fermée, la même suffocation ammoniacale au plein cœur de la canicule, en vérité, nous avons survécu à notre Préhistoire.

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Rien de plus difficile et vain que ces résurrections techniques : du temps où je me couchait dans l’herbe à deux pas d’une moissonneuse-batteuse pour pondre en médiocret Sagy 9 mai ; la moisson en mai, dans les Yvelines ? De longs vallonnements de route, des camions que l’on double en côte, des campagnes que l’on ne foule plus par accoutumance aux béquilles. Nous avons été vivants. Vécu comme la Tarentine. Rien de plus atroces que la liberté. Les libertés, plutôt. Nous n’y repiquerons plus. Rien de bon ne vient de la liberté, sauf de penser à la fin. Ne pas dire la mort, qui n’et rien. « La fin », voilà quelque chose. Des attachements familiaux. Si rétifs, si fragiles, dispersés aux moindres décès. Nous n’irons plus au bois. Tout est trié, rangé, classé.

Nous avons de tous textes tracé l’utilité. La commodité.La rentabilité. Les casiers. Comme Thérèse Plantier, morte après ses classements. Qui suçait son mec sans pénétration vaginale. Se faisait lécher. Il se suicida non sans laisser dans son sillage deux fillettes solides et campagnardes, tirées d’un plus jeune utérus vaillant. Les épanchements de syllabes lettristes ne gonflent plus nos plumes arthritiques. L’universel, qu’est-ce ? À savons ? Nous épilons nos picots blancs, à même la peau du père. Nous volons sur nos ronces les bourres de nos moutons morts. Nous les replaçons dans leurs capsules, car le savant ne se sépare jamais de ses tubes de poche. Nous compléterons bien assez l’édifice. Nous rembobinerons notre fuseau dans les après-rasage.

La mort et la prière ? à quoi jouons-nous ? Depuis quand ? Il prie sans croire. C’est un sacrilège dit-on. Une superstition. Mais si l’on croit et qu’on ne croit pas ? Quelle commodité ! Quelle commodité ? Tout vers le plus facile, les somnolences, les plaintes molles, une douce sombrerie. Des cafés mous, où l’on déconne, des raisins qu’on égrène et craquant dans la boue. Non, dans la bouche. Nous nous remettrons encore de celle-là. Il restait quatre minutes, Madame la Marquise, quatre. Il en reste trois. « Vous n’avez rien à faire dire à votre famille ? » Si je n’ai rien à dire, je l’introduirai dans mes constructions, jamais personne fut-il aussi original que moi ? Nous sommes des milliers, j’hésite sur le mot, allez : des millions.









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