MA VIE qui n'intéresse personne
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ONZE HEURES
Hier à onze heures, je travaillais, à n'en point douter. Mon travail consiste à écrire des conneries, qui seront lues par des cons désœuvrés, car je fais la même chose que tous : s'en remettre à la postérité, qui ne saura plus lire, puisqu'elle ne me lira pas. Il s'agissait de retranscrire mes rêves, et de broder autour d'eux. Cette fois-ci, je suis en Espagne et je longe un haut grillage derrière lesquels se pressent des enfants gitans. Plus tard viendra un chien furibond, qui se sectionnera la patte à force de se jeter contre les mailles. Le titre de ces élucubrations est Nox perpetua, faisant allusion au Lux perpetua de la Messe des Morts. Autant de connaissances qui sombreront, à l'instar des lois burgondes de Gondebaud, père de Clotilde à ce qu'il me semble.
De même, le titre rageur de mon recueil actuel fait référence au surnommé "Vérité", président de l'A.A.A., Association des Auteurs Autoédités, et non pas des Alcooliques Anonymes, l'un n'excluant pas l'autre. Un de ces petits péteux des éditions ayant fait observer à ce brave homme que nul ne s'intéresserait jamais aux "Mémoires de Monsieur Vérité", ce dernier, piqué au vif et croyant sans doute frapper un grand coup, décida de publier à ses propres frais, et de fonder une vénérable association. J'ai tenu entre les mains de tels ouvrages, dépourvus bien entendu de toute promotion. Et opeux garantir que le déchet en est considérable. À peu près autant que chez les éditeurs patentés, dont la modeste industrie (inférieure en chiffre d'affaires à celle des casseroles) ne fut pas le moins du monde ébranlée.
D'ailleurs, le livre est revenu à la mode, car c'est un cadeau modique et intelligent. Même le numérique ne compromet pas la vente de livres. Il faut vendre. La littérature, c'est, aussi, du commerce. Et nous sommes allés relever le courrier, où j'ai reçu, longtemps après, une lettre postée de La Rochelle où j'avais cru spirituel de remplacer "rue Condorcet" par "rue Con d'Orsay" (je ne pouvais pas écrire la "rue Fabius", quoiqu eje le pensasse profondément). Peut-être pourrai-je remettre ce pli entre les mains de Java, la destinataire. Mais nous la voyons peu en ce moment. Et ce fut l'après-midi, période de bouleversements, période de taxi pour les pauvres retraités qui n'ont que ça à foutre.
D'abord, malgré tout, un plaisir : le magasin "Cultura", où, nos descendant l'apprendront, nous commîmes maints larcins, en particulier le dernier Houellebecque, ce qui ne ruinera personne, et surtout pas son auteur : Soumission profitera de la conjoncture pour s'envoler sur les records de vente. Je pense que Houellebecque est un grand auteur, malgré son style de roman de gare où excelle Amélie Nothomb, "sans pouce". Le chocolat chaut, à prononcer avec des "o" superouverts, COLLIGNON MA VIE QUI N'INTERESSE PERSONNE 62 01 09 2
ONZE HEURES
n'était servi que dans des gobelets de carton, bénéficiant d'un goût de carton. Mon auguste femme acheta une toile et plus, et me fit longtemps poireauter, au point de lire le journal de Siné, "paraissant les premiers mercredis de chaque mois". Il suffit de tirer le journal de son tourniquet, de gagner un fauteuil de skaï, et de lire presque tout sans payer. Une femme se pencha pour en lire le titre, et m'adressa un large sourire complice de gauchiste à gauchiste : mais je ne suis pas gauchiste. Je poursuis mes habitudes de lectures frondeuses, mais nul n'est plus que moi devenu défenseur de l'ordre établi, ayant expérimenté que les anarchistes, communistes et autres amoureux fous de l'humanité sont les plus conformistes de tous ; conformistes autrement, mais conformistes.
Ils ne tolèreraient pas mes manies, bien moins que l'actuelle société paraît-il décadente, où je me fonds aisément dans les miasmes ambiants. Et je suis rentré chez moi. Et je suis allé chercher mon petit-fils (car j'ai une famille, comme tout citoyen qui se respecte), afin de le ramener chez lui. Nous avons discuté, mais pas toujours : il faut laisser des temps de répit entre deux dialogues, sinon, le dialogue devietn obligatoire, et lassant. Tout le monde sait cela. Pas moi. Cela m'est venu depuis très peu de temps, car j'aurai mis toute ma vie à mûrir, avant de mourir. Et quand on laisse reposer la pâte et parler le partenaire, on apprend des choses. Qui aurait pensé par exemple que ledit petit-fils se fut confié au point de comparer les baisers de ses amours et conquêtes ?
Je seais gêné qu'il m'entretînt de détails plus précis. Mais une telle confiance m'étonne : ma femme en a la primeur, et moi la "secondeur", la deuxième main. Comment fait ce jeune homme pour considérer les femmes avec cette rationalité ? Il trouve "mignonnes" les confidences d'amour qu'elles lui font, alors que pour ma part, j'étais impressionné, comme une révélation divine : les femmes me semblaient si inaccessibles, surtout aux sentiments ! Dans quel abandon n'ai-je pas vécu ! Lui, non. Pas du tout. Il est "normal". Et puis, je suis revenu seul, à mon volant, variant les musiques selon mes tics, un morceau à la fois, ou un indicatif radiophonique, sans plus. Il fallait me rendre à cette fameuse conférence de Zemmour sur son excellent "Suicide français".
Elle commençait à vingt heures à l'Athénée municipal, et je me trouvais coincé dans une forte circulation. Qu'est-ce qu'un indécis ? Celui qui veut absolument faire porter la responsabilité, la culpabilité de toutes ses décisions sur un autre, et l'épouse se trouve à cet égard dans une position privilégiée : il faut lui téléphoner du volant, lui demander si elle veut que je fasse étape à la maison, refuser, puis accepter, puis refuser, puis accepter "mais pas longtemps !" Désorienter l'autre à tout prix, le mettre en porte-à-faux, décréter que son ton de voix ne correspond pas à sa sincérité, voilà COLLIGNON MA VIE QUI N'INTERESSE PERSONNE 62 01 09 3
ONZE HEURES
un sport où certains esprits faibles, autrement appelés "emmerdeurs", sont passés maîtres. "Juste le temps d'un café-yaourt", avec une pomme dans la poche pour la route. Il fait nuit, je rate deux rues, là-bas, "en ville", et me retrouve dans les lacets du parking en hauteur de la rue Victor Hugo, sur les fossés comblés du vieux Bordeaux. Et, vite, vite, à pied vers l'Athénée. Peu de monde. Pas de monde du tout, même. Deux gardes municipaux en fin de poste qui s'en vont, bavardant sereinement. Trois pelés et un tondu devant les portes qui devraient, théoriquement, être assiégées : "La conférence est annulée, on vient de poser l'affiche depuis 5mn."
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MIDI
Ici 30 janvier 2062. Ici 30 janvier 2062. Seigneur ayez pitié de moi car je suis nul. J'entreprends une chose que tout un chacun a déjà faite, pour le plus grand malheur, bonheur, ou la plus grande indifférence de sa postérité : enfants, petits-enfants, s'il savent lire, et quinze siècles ont passé, et Grégoire de Tours est toujours vivant, j'en possède une médaille, avers et revers, sculptée par Maître Paoli. Il pleut, une scie à pierre retentit dans la rue pour la nouvelle maison, aveugle et très haute. Hier donc à midi ne se signale d'aucune victoire sur les Perses ou les Saxons, mais par un travail acharné à la fois et très mou, celui de mon oeuvre léguée aux poussières d'asticots. Mais vaillamment je porte ma petite croix de bois léger, et vous en aurez.
Il ne s'est rien passé, j'ai englouti du risotto avec poulet souffrant, blanc et fondant. J'ai refait un lit aux multiples couvertures, je me suis reposé, et vous, qu'avez-vous fait ? Le jeu consiste à s'étendre sur un canapé vert de skai troué, dont un accoudoir soutient mes péronés raides. Puis à sombrer dans une agréable rêverie douloureuse, où surgissent des constructions imaginaires répétitives : mes disciples, leurs locaux, toutes sortes de lieux où je bouge et m'agite, où je vis enfin. Nous poursuivons nos mystérieuses énergies, à mon rythme, à son rythme, car nous vivons en couple. Nos échangeons nos codes et nos anecdotes plus ou moins remaniées, y trouvant un charme. Nos connaissances les plus chères, masculines pour mon épouse et pour moi faminines, sont menacées d'un redoutable cancer. L'ami masculin se tape une grosse couille en langage vulgaire, et mon amie qui m'aima tant une forme de leucémie, contre laquelle je sais qu'elle se mobilisera sans épargner les forces de sa râlerie. Les seuls évènements sont les sentiments face aux adversités. Ces dernières vous arrivent, sans qu'on puisse connaître en elles ses responsabilités. Ainsi, d'occupations en occupations, de lectures en consultations de blogs ou de facebook, mamelles de notre temps qu'uen panne d'électricité suffira à détruire, nous parvenons à l'extinction de l'après-midi.
Il ne s'agit que de trombes d'eaux et de coups de vent, de porte en bois qui bâille refermée à l'aide d'une échelle bien pesante. Nous parlons, Arielle et moi, de nos deux destinées, de leurs différences et ressemblances. Nous refeuilletons l'album de nos destinées : j'ai écouté, allongé sur le petit lit, des extraits du Freischütz de Weber pressés en 1969, l'année de Woodstock, après laquelle plus rien ne serait comme avant. Sur la couverture, un splendide cor du XIXe siècle expose les gravures intérieures de son pavillon. Et c'est Kempf qui dirige. Nos écoutions cela jadis, exaltés, chantant avec les virils chasseurs "Yo-hô tralala tralala" dont l'attaque est si joyeuse, si couillue. A présent le disque miaule, brouille les sons sous le saphir en plastique made in China, et même il a COLLIGNON MA VIE QUI N'INTERESSE PERSONNE 62 01 30 5
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fallu me relever pour pousser un peu le bras de lecture, vu la répétition, la répétition du même motif : rayure. Et je nous évoquais coincés dans cet atelier de 7m sur 3, où nous attendions la gloire au milieu des exhalations du radiateur à gaz. Arielle peignait, je lisais ou composais des fragments à présent réunis pour l'éternité dans leur armoire verticale. Et nous savions de source sûre qu'un jour, sans qu'il nous en coûtât rien, l'univers viendrait prosterner devant nos œuvres ses pieds admiratifs. Hélas, nous n'étions pas doués aux jeux de société, nous étions repoussés dès que l'on nous voyait, et les couleuvres se succédèrent dans nos gosiers larmoyants.
Cela nos mena jusqu'à l'inéluctable messe, car le seul, le grand événement de nos journées séparées, c'est le Grand Journal de Vihngt plus avantageusement nomme le Grand Enfumage. Nous y apprenons l'incompétence et la mollesse de nos dirigeants, bardés de précautions pour ne pas déclencher la guerre, gérant le naufrage à grands coups de dossiers administratifs. Nosu voyons la Grèce redresser la tête grâce à l'éloquence de Tsakiris, qui ne pourra pas manquer de virer réaliste. Nous paierons donc, la Grèce aura cessé d'être esclave pour avoir embauché de nouveau les femmes de ménage du ministère des finances, et stoppé net les acquisitions d'hectomètres de quais et d'entrepôts.
Le monde va de crise en crise, et la mafia constitue, après tout, le modèle même de l'organisation humaine, aussi les Napolitains appellent-ils la Camorra il sistemo. Ensuite, après des chipotages de vieux couple ou ploucs, nous atterrissons dans les jardins enchantés de la littérature, moribonde depuis sa naissance. Nous y voyons la dégaine et le visage fascinants de Virginie Despentes, qui porte l'alcool et la vie sur ses joues, dans ses yeux larges et attentifs, et qui évolua, dit-elle, depuis Baise-Moi, où le fin du fin consistait à tuer les hommes d'un bon coup de revolver dans l'anus. On ne comprend pas ce qu'elle dit, elle se la joue Sagan, elle est Sagan, elle écarte les jambes sur son fauteuil.
En face un pédé marocain, lui aussi très sympa, salué d'un "Encore !" par ma stupidité, expliquant qu'à treize ans sa volonté fut déjà d'émigrer à Paris, où l'on peut s'enculer sans problème. Nous avons apprécié Busnuel, qui donne à chacun sa chance, anime ces personnes qui n'ont rien à se dire, effectue entre eux des rapprochements, présente tous ses livres comme autant d'œuvres intéressantes, sans jamais parler de leur style, qui fait tomber des mains les livres laborieux. On ne sait plus ce qu'on lit. Au moins, les classiques sont les classiques. On sait qu'on ne perd pas son temps. Pourquoi l'écrire ? insistait un philosophe dans une réunion ; celui-là ne se consolait pas de COLLIGNON MA VIE QUI N'INTERESSE PERSONNE 62 01 30 6
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son refus chez l'éditeur, et voulait réduire les autres au silence. En ce temps-là, j'étais vivant, je traçais sur ma paume l'Etoile de David et je faisais dédicacer mes livres par l'auteur. Jamais je ne passerrai dans les émissions littéraires, à moins qu'on ait pitié de ma silhouette branlante à braguette baveuse : l'urine, l'urine de Paul Guth. Nous quittâmes l'émission emballés, prêts à acheter tel ou tel, et tel est le but du jeu. Puis nous nous calmâmes de part et d'autre d'une glace au café, puis je laissai Arielle rejoindre sa vie mystérieuse de seule au lit, où elle vit pleinement, comme moi dans mes involontaires rêves.
Pour achever ma journée, je me replongeai dans ce que les médias nomment les "réseaux sociaux", dont ils prédisent une apocalypse à venir, mais depuis le temps, personne ne les croit plus. Depuis plus de 30 ans Télécaca criaille qu'Hannibal est à nos portes, et nous déroule sur des pages ses têtes de premiers de la classe, qui réussissent une semaine et replongent dans la boue des foules. N'empêche que j'aurais bien aimé, moi aussi, relever les narines au-dessus de la vase pour qu'on, aperçoive mes bulles au-dessus du marécage. Je me plonge dans Facebook, surnommé Fesse-Bouc par les humoristes, et me délecte d'appels à la haine des djihadistes, des célébrations d'Israël dont les avions de chasse out survolé Auschwitz, des projets pour bouleverser l'Education Nationale, qui ferait mieux d'en revenir purement et simplement au préceptorat, avec CAP de vacher ou de menuisier à partir de treize ans.
Me voici à la fin de mon petit mandat, persuadé d'avoir pondu un petit bijou de Fabergé, qui sent un peu la merde de la poule.
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TREIZE HEURES - écrit après lectures des Spicilèges de Montesquieu. Je le noterai désormais autant que j'y penserai, car il est bien connu qu'un auteur sans personnalité, soucieux de plaire et de bien faire, se ressent immédiatement de sa lecture précédente, et je vous emmerde.
Hier 9 mars à treize heures, il est vraisemblable que nous nous soyons mêlé d'écriture, avant d'accompagner nostre espousee chez son masseur, Pierre Villena, Rémois récemment importé. Je fus garé devant son cabinet, d'où je m'en fus distribuer la bonne parole par voie de boîtes aux lettres : trois ouvrages, dont l'un de Domi sur Beigbeder, patronyme non pas juif mais purement pyrénéen. Puis je me renfermai en ma voiture pour m'y délecter d'une vie de Talleyrand, "Taille-Rangs", d'où les deux prononciations "taïran" ou "talran", mais en aucun cas "talèran". Il s'agissait d'un fieffé débauché, qui n'embrassa la carrière d'Eglise qu'à contre-coeur.
Sur le chemin du retour, j'appris de mon épouse Arielle, dont le nom signiffie "loin de Dieu", que ledit masseur avait enfin acquis son piano pour une somme rondelette et tout à fait adaptée : ses parents lui en avaient payé une moitié, un emprunt suffisant à l'autre. Il s'en était fait mal aux doigts à l'exercer avec passion. Cet homme lui dit tout, car il partage sa vie avec sa clientèle. Curieux métier, fait d'échanges musculaires et verbaux. Puis Arielle se reposa de son massage, car sa devise est "Une bonne sieste, puis au lit". Nous en plaisantons à présent, car notre âge ne nous laisse guère le choix ; mais de combien d'aigreurs ces badineries ne furent-elles pas précédées.
Ensuite, nous sommes allés au cinéma. Ceux qui nous suivront seront ravis d'apprendre qu'en ce temps-là, celui d'om je vous parle, on se rendait encore en salles pour voir un film. Ce fut Le dernier loup de Jeanè-Jacques Annaud, expert en Ours et autres bestioles. C'est un grand beau film dans la veine la plus épique de Walt Disney, mais avec une telle grandeur que cette référence s'efface. Nous sommes une fois de plus dans les vastitudes de Mongolie (l'interieure cette fois), aux temps de la révolution culturelle, qui fut le triomphe de la pédanterie massacreuse : il faut éradiquer les loups et les insectes, répandre des engrais, pour moderniser la Chine selon les voeux du grand Mao, pour le plus grand bien des "populations primitives".
Couleurs, espaces, exaltation. Le héros sauve la vie d'un louveteau, afin, prétexte-t-il, d'étudier les moeurs d'une race ennemie c'est Mao Tsé-Tooung qui l'a dit. Or le délégué au plan fut professeur de génétique, et soutient ce projet fou, au sein des éleveurs de moutons. Les loups s'étant livrés à un massacre de brebis en franchissant le rempart qui les protégeait, les éleveurs tiennent à massacrer ce petit loup devenu grand, mais il s'échappe et sa forme apparaît dans un grand nuage. Mais c'est ne rien dire. Le cinéaste excelle dans le surgissements d'immensités multicolores juste après des scènes obscures, et nous n'avons respiré que sous le coup de l'émotion constante, voire du bouleversement.
Jamais je n'aurais cru cela, m'étant fourré dans une histoire de téléphone portable interrompu : il ne restait plus qu'un code PIN à proposer. Mais toute la projection engloutit ces soucis mesquins, j'ai palpité, respiré, ressenti comme rarement. A la terrasse du café, j'ai parlé très fort en toutes langues à mon petit-fils, car une terrasse est faite pour se rendre intéressant. Mais ce dernier n'a pu me conseiller que de réitérer mon erreur de code : voilà mon téléphone, cette fois, bien bloqué après trois codes faux. Les spectacles m'exaltent sur le moment, mais n'étendent jamais leur empire très loin dans leur suite hélas quotidienne.
Ensuite j'ai recherché un autre code, appelé PUK, pour lequel il fallait un mot de passe que j'avais jeté, bien entendu, ne sachant pas à quoi il pouvait bien servir ; à présent je le saurai. N'envisageant pas que ces lignes puissent être un jour lues par ma femme, qui ne sait toujours pas (et à tout jamais) se servir d'un ordinateur, je me risque à dire que la perspective de revoir Katy me remplissait d'un enthousiasme anxieux. Elle m'avait recontacté par téléphone, comme cela lui prend parfois. Elle cédait à toutes mes demandes, et le cinéma, puis la panne définitive survint. Il faut cet après-midi que nous retournions voir "Petit-Jean", atteint d'un cancer inopérable.
Toutes ces vies abrégées me rappellent mon âge, et m'empêchent d'avoir des scrupules. Que serai-je en effet une fois mort ? L'espace séparant le retour du cinéma et le repas se combla par d'autres tentatives téléphoniques donc, et nous avons dîné e trois fois rien, vu les accumulations de cafés liégeois et de cacahuètes en flacons transparents de plastique dont nous avons surchargé nos estomacs. Il sera urgent de remédier à cela : il suffit d'indiquer certaines initiales sur mon agenda, comme "npm", "ne pas manger", ou autres fariboles aisément transgressibles. Ne pas oublier ceci entre deux ricanements démagogiques : "Le ciel et la terre, la lune et les étoiles disparaîtront, mes écrits resteront".
C'est d'un obscur versificateur latin du XVIe siècle, grandiloquent, mort avant cinquante ans (1503-1550), qui passa la vie à se croire éternel. Il fut grand ami de Holbein. Respectons l'orgueil humain. C'est lui qui nous guide. Quoi de plus humiliant en effet, de plus raplatissant, que ces informations qui nous instruisent incessamment de tous les attentats du globe, "trois morts dont un Français" assurément bien plus important que les autres, et de toutes les lâchetés d'un gouvernement de couilles molles. Plus de film après cela : Le dernier loup avait suffi à nos soifs de grandeur.
Un petit pitonnage (en français zapping) nous montra que les chaînes et non les chaînes télévisées souffrent d'intermittences elles aussi. Euronews resta désespérement noir. Ou bien ne reparut en clair que pour mieux retomber dans la panne. Nous poursuivîmes donc nos explorations talrandiennes, sous la plume excellente de Castelot. Notre évêque d'Autun a donc dit la messe du 14 juillet 1790 ou Fête de la Fédération à laquelle auraient assisté 400 000 personnes, ce qui semble excessif. Je sais que ce jour-là, furent découverts sous les estrades une petite bande de fripons qui voulaient apercevoir le con des dames par les fentes des planches.
Ils furent découverts, confondus, exécutés : et l'on ose parler de barbarie au Moyen Orient ? Le 14 juillet 1790 fut entrecoupé d'averses si violentes que les talus de spectateurs furent sans cesse désertés, puis reconquis, puis redésertés, de cinq en cinq minutes. J'appris que Lafayette caracola sur son cheval blanc, et que le pied-bot Talleyrand lui aurait confié : "Monsieur de Lafayette, ne me faites point rire" ...
62 05 19 QUATORZE HEURES
La journée d'hier à quatorze heures ne se distingue pas. Il semble que j'aie été le jouet, une fois de plus, des lubies d'un ordinateur à demi réparé, à demi foldingue. Il m'a fallu franchir les étapes d'une fin d'émission par écrit, où la police "Times new roman" s'est enfin retrouvée, et en gras, ce qui améliore le confort de lecture, mais sans que j'aie pu me débarrasser de ces retours à la ligne intempestifs, qui hachent le texte toutes les trois ou quatre lignes, lui conférant l'aspect d'un empilement de versets disgracieux. Cela fait, notre système de choix nous a exhumé un Yo-Yo Ma violoncellant sur Vivaldi, rapprochable sans dommage de "La confrérie des chasseurs de livres", par le bouquiniste Jérusalmy, de Tel-Aviv.
Ouvrage bien fait mais sans plus, n'obtenant pas l'adhésion du lecteur (trop de "second degré"). Lorsque j'ai fini cette impression, je dois me transporter sur mes blogs, autour desquels tournent ma vie et le monde (second degré)... Le blog "Hautetfort", réputé fasciste ch!ez les connauds, n'ast pas encore ce jour-là de maniement très aisé : l'écran tremblote, les sites parasites viennent se jeter dans vos pattes d'une commande sur l'autre, ni plus ni moins que ces joueurs qui taclent l'adversaire de toute la longueur de leur corps à l'horizontale, ce qui a dû être interdit. Après plusieurs cafouillages, il semble que mon ineffable message ait été transmis aux quelques dizaines de lecteurs qui me consultent encore. Ca s'en va et ça revient, ça tremblote, de faux sites de réparation insistent comme des mendiants roumains, je parviens peut-être à garnir le blog "google", mais impossible d'en supprimer un qui est caduc. De toute façon, dans cette bataille de la diffusion comme partout sauf dans la vitesse pour chier - et encore - les plus forts et les plus malins, les ingénieurs autoproclamés de l'informatique, se sont taillé la part du lion, substituant une fois de plus à grands coups de muflerie la loi du plus fort à celle de la démocratie individualiste...
Mais on ne gueule pas contre la pluie... Le courriel apparaissait puis disparaissait, mais sur Laposte.net, j'ai pu d'un coup répondre à dix messages anciens de Te-Anaa. Le onzième s'est bloqué net et l'écran terni par pur caprice, et l'envoi de "Singes Verts" n'a pu me diriger en 30mn que vers une ménagère suédoise et rougeaude qui n'aura rien eu à foutre d'un texte écrit en français. Fastidieux, n'est-il pas? C'est ainsi que je vis depuis une semaine.
62 07 31 QUINZE HEURES
A cette heure-là, je me réveille. Entendez par-là que je me relève de ma sieste, bien épaisse et gluante, durant laquelle mes pensées vagabondent stérilement : une sorte de confusion, plus proche d'alzheimer que d'une véritable sérénité réparatrice. Après cela, tâche suivante, dont je ne me souviens plus. Bien la peine d'essayer ce remède, d'éviter toute comparaison de ma vie avec un examen à la fin duquel je dois rendre ma copie. Surtout, vers 4h, le goûter. Arielle tient toujours au goûter, qui lui permet de grignoter une fois de plus, sous le plus admissible prétexte. Elle a déjà une petite bouée tombante autour du ventre.
Mais je n'y peux rien : je l'ai tellement tourmentée (et réciproquement) toute notre existence, que pour nos dernières années du moins de lucidité nour pouvons bien nous lâcher la grappe un peu. Elle est toujours souriante envers moi. Pour ma part je suis moins nuisible : plus une de mes remarques ne lui fait impression. Quand le goûter se termine, il ne me reste pas même assez de temps pour vingt minutes de Fesse-Bouc. Ce procédé semblera bien archaîque aux érudits qui me liront, car seules les érudits auront envie de lire. Du moins de la littérature, de ces choses qui ne servent à rien, au contraire des ouvrage sur l'élevage des chats et des chiens.
Toujours me resteront en tête les exclamations écœurées de je ne sais plus quelle pétasse de stagiaire parcourant un manuscrit : "Mais il ne fait que dire des choses que tout le monde peut dire !" - ce que tu viens de faire toi-même, jeune conne. Apprends que mis à part les génies, que nous ne pouvons égaler, la plupart des écriveux n'émettent que des lignes banales, malgré leur style acceptable; Et ce qui détermine leur publication, c'est uniquement les amitiés qu'ils ont pu développer, disons, les compatibilités, les affinités électives, Die Wahlverwandschaften, j'adore ce mot.
Donc nous écrirons. Pour ce qui suivra la chute des civilisations. A dix-ept heures déjà, c'est le moment pour me rendre à la radio, où ma personne s'exprime encore : L'usurpateur, d'un certain Guy Vaes, prononcer "Vâss" : histoire sordide d'un violeur qui se trouve bien à plaindre de ne pas savoir lequel, de son frère ou de lui, a violenter un Arlequin, sans même savoir si c'était une fille ou un garçon : bal masqué du 10 mai '40, avec une apostrophe pour "faire américain". Ensuite, le Blitzkrieg est passé par là, et nul ne se soucie plus de ce viol. Mes propos d'antenne relatent mon effroi devant une telle empathie du Vaes pour son personnage, Hans : ce dernier souffre en effet de ne pas savoir qui a violé vraiment, de lui ou de son frère.
Si c'est lui, il a bien fait d'éprouver des remords, ou du moins d'essayer de comprendre ce qui a bien pu se déchaîner en lui à ce moment. Mais si ce n'est pas lui, il n'a fait qu'être le témoin impuissant de ce viol. Impuissant je dis bien, car il n'aurait pas été capable alors de dé ployer ses talents de baiseur. Bref, "suis-je un ignoble personnage, même criminel, ou bien suis-je un reflet, une évanescence même pas foutue 'avoir été virile ?" Je suis écoeuré, même s'il s'agit de philosophie. De même, calculer le cubage de gaz qu'il faut pour éliminer tant de juifs à l'aide d'une simple multiplication me semble-t-il outrepasser les fonctions de la pure mathématique pour déborder largement sur l'immonde.
Et le présentateur conclut par la nécessité de l'éthique même en littérature, voire en arithmétique. Il passe un disque aussi, 33t de 1972 (2019 nouveau style), du groupe "Black Widows", avec un lancinant et rudimentaire Come to the Sabbath (Satan's there !) - que ma tendre ARielle n'aura pas écouté : fauchée par le sommeil en pleine sieste de fin d'après-midi). Elle s'en désole et se culpabilise, malgré mes dénégations. Comment progresser si l'on se sent coupable. Alors, le texte de cette émission, elle le lira, car tout est noté, sans exception. "Ce n'est pas si mal", dit-elle de L'usurpateur, mais l'extrait lu à l'antenne profite d'un style académique, à propos d'une description nocturne, alors que, la plupart du temps, dans cet ouvrage, il a juste la consistance d'un hachis parmentier mêlé à la lasagne : il faut bien accorder, n'est-ce pas, l'infecte confusion mentale de ce brillant violeur à sa syntaxe intime, et transformer les phrases et leurs idées en abject galimatias.
Après cela, extinction des appareils, descente de l'escalier obscur et raide, affalement sur le siège d'automobile, écoute immédiate de la radio de bord, moins fort que dans le casque du studio. Souvent, le contact déclenche la radio, parce que j'ai oublié de l'éteindre en arrivant. Mon Dieu, je ne sais donc dire que ce que dirait le commun des mortels... XXX 62 10 04XXX
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SEIZE HEURES 62 11 14
Hier à seize heures, 140 personnes n'avaient plus que quelques heures à vivre et ne le savaient pas. Ma petite personne, comme tant d'autres, vaquait à ses petites occupations en se croyanbt la plus malheureuse ou la plus affairée au monde, car la seule façon de n'être pas malheureux est de se trouver très affairé. J'étais donc en train d'écrire, ou de je ne sais quoi de tout aussi essentiel. A la demie, je rejoignis ma femme, qu ej'appelle ainsi non par possession mais par désir de m'intégrer dans un monde bourgeois auquel je ne crois guère. Puis je partis pour mon émission de radio. Cela s'appelle "Lumières, Lumières", au pluriel, et deux fois, en mémoire de l'album excellent de Gérrd Manset, grand chanteur de l'époque, intitulé "Lumière", une seule fois et au singulier.
Mon rôle est de rendre compte d'un ouvrage littéraire, et de promouvoir mes écrits personnels, bien meilleurs comme il se doit. J'ai donc démoli consciencieusement Tempête de J.M.G. Le Clézio, comparant son exotisme à l'émission plus qu'essoufflée "Thalassa", voire au magasin de souvenirs à la plage d'Arcachon. Ma femme donc, puisque ma femme il y a, me reprocha plaisamment d'avoir un peu trop esquinté un auteur qu'elle apprécie, bien qu'elle n'ait pas lu sa dernière production. Elle me signala, toujours avec le sourire, ce qui est devenu son expression depuis quelques années, que ma citation de Srî Aurobindo avait été recouverte par le fond musical, laissé à pleine force.
Nous glosâmes également sur le manque de retour dans mon casque, provoqué par un tout petit bouton sur lequel j'avais négligé d'appuyer. Cependant, le trajet du retour avait été marqué par une information relatant des fusillades à Paris : 18 morts dans un premier bilan. Nous avons tout d'abord mangé, sans que je puisse me souvenir si nous avions allumé la radio ou non. Puis nous vons suivi le journal, d'abord sur la chaîne habituelle, qui se déroulaient selon le schéma bien rodé ; sur la courbe du chômage et ce que deviendraient les employés d'Air France licenciés. Ce n'est qu'en fin de journal, au fur et à mesure des évènements, que des appendices s'ajoutèrent, en raison de la prise d'otages au Bataclan.
C'est là me semble-t-il que Colette dansa presque à poil selon les canons de l'époque. Ce nom rigolo retentissait de façon incongrue et désagréable. Sur la 82, Eoronews, une voix de femme ânonnait des sottises destinées à remplir le silence : elle n'avait pas de prompteur et se répétait parmi les "euh... euh..." Nous nous sommes dirigés vers la 15. Et nosu apprenions, comme on dit, "l'étendue du désastre". "Je l'avais bien dit" est la chose la plus détestable à dire. Mon impression est celle d'un coup de bare sur la tête. Impossible de haPir qui que ce soit. Je voulais la guerre, afin quie les choses soient claires, j'ai la guerre, et toute ma tête est confuse.
Il m'est impossible de désigner "des responsables" ou "un sauveur". Tout s'est arrêté. Ma vindicte s'exerce sur les journlaistes, l'inappropriation de leurs expressions, le convenu des réactions, la faiblesse des moyens lis en oeuvre, et pourtant, c'et l'état d'urgence, on ferme les frontières. Nous savons d'avance toute sles conneries insultantes qui vont s'échanger de toute part, nous voudrions nous abstenir des nôtres. Nos démêlés avec l'informatique nous semblent du dernier dérisoire. Certains voudront changer de gouvernement, la Marine va glapir, les doctes s'entredéchirer. Il faudra changer de façon de penser, devenir moins rudimentaires et remarquablement subtils.
Même si Hollande est un grand couillon (apparemment), il tient la barre, et nul ne l'aurait tenue moins mal que lui. Il est très rusé. Il faut faire confiance au gouvernement, nos resserrer, ne pas céder à une multitude de tentatons contradictoires. Nous n'avons éteint qu'à une heure du matin, où les faits se poursuivaient ; des terroristes ont été abattus, la police a découvert "un carnage" à l'intérieur du music-hall. Ce n'est pas l'heure des analyses, d'autres s'en chargeront mieux que moi. Il est question ce matin de manifestations, mais à laquelle participer ? Je ferais aussi bien partie de la manifestation d'en face, et comme elles vont se casser la gueule, je boxerais mon propre miroir.
Mêmes les grands penseurs, Sitbon, Garcin (qui porte le nom du héros de Huis-Clos), commencent à s'écharper poliment. La guerre civile va-t-elle commencer ? Ils ne s'entendent pas sur le mot "kamikazes" : les "vents célestes" étaient des militaires. Mais le mot évolue, nous ne sommes plus au Japon en 45. Les prières du Coran sont invoquées. L'argument de l' "immense majorité des musulmans" refont surface, increvables. Ce soir nous recevons eux amies, l'une et l'autre pacifistes, car personne autour de moi n'est belliqueux. De quoi parlerons-nous ? Nous serons assez avisés je crois pour ne pas nous engueuler. La situation renforce mon besoin de discipline monacale, distancée du monde et bien tranquille.
J'espère ne nuire à personne, raison garder, remettre en cause, parler peu et à bon escient, rester soucieux de mon image afin justement de ne pas blesser les autres. Car s'occuper des autres et de soi-même, cela se fait en même temps et dans le même mouvement, contrairement à bien des idées réçues. XXX 62 12 18 XXX
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