ADIEU TOUTES LES FEMMES

 


C O L L I G N O N

A d i e u t o u t e s l e s f e m m e s


(Mivath et le maçon)


Lorsqu'il revient du travail, tout le monde se gare. C'est salissant un maçon. Le bob sur son crâne n'est plus qu'un bloc de yaourt. Il tient les bras loin du corps, se gratte sans conviction les pieds au paillasson. Prénom : Georges. Des cheveux noirs en frange sur le front, une fine moustache érotique. Taille : assez petit. Pas seulement maçon, mais à toutes mains : finitions (plâtres, carrelages ; branchements, raccords de mortier). Il peint sur toile, sur les murs, des marines qui arrondissent les fins de mois. Radio X-Y lui propose, en haut de la pente, un coulage de semelle : 10 sur 10 pour supporter, pour isoler du sol une construction métallique.

Radio Kiss doublera sa surface. Georges bosse mollement : la paye au forfait n'encourage pas précisément la rapidité d'exécution. Dans le grincement obsédant de la bétonnière, Georges observe tout, appuyé sur son manche de pelle. Il a bien calé la machine sur le sol, entre les touffes d'herbe, les taches de paille de fer ; tous les débris des vieux chantiers d'avant, durites au butyle et fragments de câbles. Georges se voit mal passer sa vie là-dedans, mais il faut bien qu'il s'y fasse. Il voit défiler tous les jours les animateurs qui passent et repassent le seuil métallique vert bouteille surélevé des studios, dans un bungalow vaguement aménagé.

Parmi les défilants, Georges voit :

- un curé en veston

- un imam sunnite

- un imam chiite

- un rabbin, un pasteur

- une Portugaise sans accent, beau cul

- un Italien, cul moyen, quinquagénaire et la tête en arrière.

Il voit encore :

- une blonde nommée "Lise", d'abord revêche, experte en informatique.

- toutes sortes d'invités des deux sexes, qui se croient tenus d'adopter au micro (il les écoute sur son transistor) un ton fade qui dénote l'amateur, celui qui veut passer pour professionnel ; souvent, appuyé sur sa pelle, Georges change de longueur d'ondes.

La personnalité la plus marquante, c'est un grand maigre au ventre proéminent, à cheveux longs très démodés ; il porte le verbe haut, se tient courbé sur son abdomen, odieux à l'antenne.

Il s'ouvre au maçon de son désir de l'interviewer à l'antenne. Avant que Georges ait pu décliner son invitation, le grand homme poursuit son boniment, se cause à lui-même et se coupe au

milieu de ses phrases. Georges entre à sa suite dans le bungalow que tout le monde appelle "le bureau" : le samedi, l'affluence est plus grande, chacun va et vient, et se sert : l'agrafeuse, le marqueur, le compact. Georges pianote, consulte les annonces de cœur, dont la première page montre un cœur qui bat :

JFMIVATHCHCORRESPTTSRÉG

Mivath ? ...c'est hongrois ?


Il note l'adresse, met en veille, et file. Le blond maigre ventru l'a oublié, il courtise l'équipe, tient absolument à passer un jour ou l'autre, ô gloire ! à l'antenne. Georges empoigne sa pelle. Il gâche comme il peut. L'argent n'arrive guère.

Il espère que Mivath, la Hongroise ! lui adressera des lettres sous enveloppes parfumées, molletonnées. Roses. Georges revient chez lui, se change, gagne la table. Sa toile cirée est encombrée de pieuseries : vierge luminescente, images dans le missel, napperons "Sacré-Coeur" 30cm ; un coquillage en grotte, trois signets à la croix de Malte. En face de lui, un curé de St-Leu-St-Gilles. A droite du prêtre, soeur Latanie, sans coiffe, mais non moins convaincue de l'existence de Dieu. C'est son foyer. Ce couple l'a recueilli. La morale est stricte. Autour de lui, sans garantie, un peuple d'images pieuses punaisées, un Christ, légèrement décalé au-dessus du réchaud.

Georges à 30 ans bientôt possède une chambre personnelle et sobre. Il n'a rien à cacher. Il révèle aux deux adeptes son intention d'établir une correspondance suivie avec Mivath, hongroise. Ou islandaise. On peut se tromper. Il s'aperçoit aux tics du curé que c'était son tour de Benedicite. Il bredouille et mange. Le repas est silencieux sauf un grésillement de transistor, le Père Dubreuil se branche ainsi sur l'univers et repasse les mots qu'il vient d'entendre. Puis Georges dans sa chambre forme un numéro de Minitel, Médium Interactif. Une voix chaude et artificielle, de femme s'efforçant d'être aimable. Aigre, en habits de politesse. Georges se dit : "Ce n'est pas une jeune fille". Elle a pourtant 17 ans. Le contact sera pris, régulièrement, dans une cabine téléphonique aux cornières métalliques.

Georges-Xavier tente d’intéresser, avec humour, son interlocutrice à la composition du CIMENT. Elle s’en fout. Tseth Mivath, c’est son nom, confie ceci :

- ce qu’elle lit

- ce qu’elle voit au cinéma.

Georges-Xavier en apprend beaucoup. Il dit :

« Quand je lis, j’oublie tout ».

C’est un ouvrier qui lit.

À l’autre bout du fil, Tseth Mivath s’étonne. « Si je lui demandais de gâcher du ciment, pense G.X, je lui dirais moi aussi : C’EST FACILE ! »


Dans cette vois métallique du téléphone, le maçon croit déceler « un désir qui n’ose pas dire son nom », l’expression lui vient d’un roman-photo. Il lit d’autres choses que des romans-photos.


Mivath se présente au terminus du 25, dernière à descendre, empêtrée dans ses mollets, avec de grandes lunettes noires. Rejette ses cheveux roux sur ses épaules et se tord le pied. Pas beaucoup. Georges est en veste de ville, sans plâtre sur lui. Il faut cesser d’avoir des préjugés. Mivath écrase sans les finir ses mégots-filtres pleins de rouge. Couple gauche. « Confuse, dit-elle, je suis confuse ». Georges ne désire pas son visage, grêlé, bistre clair. Elle se trompe dans les génériques. Peut-être ces rediffusions télévisées à caractères minuscules. OÙ VONT TOUS CES OISEAUX qui passent dans le ciel par bandes.


« Père Dubreuil, Sœur Tatiana » IIIe siècle « je vous présente Mivath ».


* * * * * * * * *

- Cher Monsieur,

J’ai bien lu votre article sur l’art de la fresque. Vous y exposez de belles thèses (…)

« Mais, pourquoi écrivez-vous ? (...) » - MIVATH.


- Cher Georges,

(…) Comprenez-vous le latin ? ...que vous êtes cultivé ! Quelle est l’opinion de vos parents sur moi ? (ils ont pensé… que vous vous poudrez trop).


Je vais vous dire, chère M., ce qui m’a amené à la maçonnerie…


Georges se loue à des chefs de chantier pour travail au noir. Le mortier, c’est gris. Le ciment, c’est clair. En général. Georges s’écorche les mains, les doigts, la peau autour des ongles. Chère Mivath. Ici il pleut. Je regarde la télévision. Il suffit d’attendre un an ou deux.

...Pour rédiger, péniblement, ses lettres, Georges pose son doigt sur chaque phrase de Mivath. Il y fait correspondre une des siennes. Parfois les idées lui viennent pour deux ou trois lignes. Il passe alors un nombre équivalent de phrases, puis reprend ses comptes, son manège. C’est un peu décousu tout ça. - Ta gueule. Cher Georges, Vos lettres présentent un aspect coq-à-l’âne charmant. Ma première visite vous fit-elle bonne impression ? Cela se renouvellera dès que vous le souhaitez.


Ils sont allés se promener à la campagne. Ils ont suivi un sentier sous les bois, puis se sont couchés sans se toucher dans une prairie. Il lui a demandé si un jour elle se marierait. Elle a répondu Mon chat me tient compagnie tandis que je rédige ces lignes. (« Il me tient chaud depuis l’enfance et se fait vieux. Je l’appelais FIFOU ».) Le chat semble énorme, mais ce n’est qu’une boule de poils soyeux. Probablement un croisé d’angora.


Georges fait part de sa tristesse permanente :

« Sœur Tatiana fait régner pendant les repas des silences mortels.

« Peut-être qu’ils prient.

«  Moi je sais pas à quoi penser quand je MÂCHE.


« Envoie-moi de tes poèmes. Mon courrier n’est pas ouvert.


Chers vous et votre Sœur…


Mivath fait parvenir des textes « d’inspiration chrétienne ». Des niaiseries, un début de roman où le monde et ceux qui le peuplent semblent affligés d’une fâcheuse transparence. Une ombre de pédé suinte à travers un rideau, disparaît, nu, de face, de profil, devant une femme raide,

scrutatrice, lamentatrice – rien d’ironique dans ce que je dis – brumes, tentures – action nulle et riche vocabulaire. Mivath déménage. L’homme écrit :

« Je te dis ce que je désire : des yeux, ta chevelure, la courbe du crâne » (« courbure occipitale) « et quand tu m’as envahi jusqu’aux bras ton doigt seul sur ma peau – je m’exprime mal, trop tôt ».


Extrait

« Jean-Claude fit tourner un verre entre ses doigts. Sous son profil évanescent et pâle nul au bar n’eût su dire où il pensait [sic] Il portait un jabot de dentelle anglaise et but, inclinant son nez droit d’albâtre au fond d’un verre opalescent d’argent ».


Mivath

...Qu’avez-vous lu ces dernières semaines ? Hemingway, Dos Passos, Steinbeck – voilà des hommes.


Je suis l’homme. Je place brique sur brique. Mes mains se crevassent. Le mortier me mord les ongles et le patron m’engueule quand tu sauras te servir d’un fil à plomb, fils de boucher !

Je lis un quart d’heure, avant de me coucher.

- Cher ami, ne me dites pas que vous vous abaissez à des lectures pornographiques… »

- de quoi je me mêle -

« ...je suis une fille très délicate, qui n’ai pas encore « franchi le pas », qui ne couche pas avec le premier venu, si séduisant, si convaincant... »


Georges affiche une brutalité athée sans nuances

« Jésus c’est un barbu fade et sans âge »


« ...Cher Monsieur,  Monsieur Georges : Votre lettre témoigne d’une profonde ignorance et m’a beaucoup peinée (…) vous ne savez rien de Jésus…

- Vous non plus » lui dit-il sur un banc public

ils se voyaient, mais parcimonieusement

- Vous parlez de Jésus comme d’une vieille chaussette » (et in petto : ça lui passera)


Lettre du 26 j…

« Très chère Mivath , La religion pour moi se résume à Trois Commandements :

PAS DE SEXE - PAS DE SEXE - PAS DE SEXE


...seigneur seigneur aidez mon frère Georges à se maintenir dans Votre voie, à ne pas sortir du (…)


« Bientôt je ne pourrai plus parler de moi »,dit Georges.

Son tuteur curé, la gouvernante Tatiana martyrisée en 226 n’interviennent absolument pas. Sacrilège ou non ? ils n’en disent rien. Lettres ouvertes, ou non ? pas un mot. Ils les lisaient sans doute. Le prêtre et sa Bonne avaient décidé en des temps très anciens de laisser leur garçon adoptif adopter tel système qu’il jugerait bon, car le doigt de Dieu mène où il lui plaît.

Il y eut une autre visite.

Les deux profonds croyants restaient neutres et repassaient les hors-d’œuvre.

Ils bouffent trop, pensa Mivath.


X


X X

Le studio de RADIO X -Y est résolument sombre, la porte blindée, le tapis du couloir, nécessairement, brosse. Aux plafonds – du bureau, - des studios – de la réserve (à disques et à clés USB) - des néons qui grésillent et sautent, sautent, sous les fonds convexes très impressionnants.

À l’autre extrémité de ce bâtiment de fer, les pins persans et l’asile, à meurtrières comme partout.

La porte de secours est condamnée. L’éclairage insuffisant donne aux animateurs nocturnes une sensation de bien-être.

À gauche en entrant le bureau séparé du couloir par une longue vitre ; il s’ouvre avec une clef plate particulièrement compliquée. Georges ne peut pas y pénétrer.

À droite : une autre vitre longue elle aussi à 1,20m du sol monte le technicien de dos ; plus une autre plein cadrage avec les invités à table, à chacun son micro, nous disons donc, au fond du couloir à droite le STUDIO II inoccupé, au fond à gauche (après c’est fini) la Réserve à disques 45t vinyles classés par date en baquets de bois (classement inepte). On entre on voit un frigo vide et qui fonctionne, et alors, tout à fait derrière ; une porte intérieure vitrée opaque avec des écrans des claviers d’époque- un oubli L’ÉMETTEUR tout au fond à droite.


Tout s’anime une fois par semaine quand la porte blindée reste ouverte, le bureau ouvert avec sa secrétaire et un Autre Curé ouvrier celui-ci qui reçoit

- des juifs

- des musulmans chiites et sunnites

et des rockers qui vont et viennent avec des microsillons 18cm.

Voilà Georges le cimentier le maçon promu animateur les mardis soir.

L’émission s’appelle Quand j’entends un rock j’les ai tous entendus.


* * * * * * * * *


Ainsi donc à Radio X Y – on agrandit.

...et pour cela on coule une dalle de béton…

«Je crois » dit Georges (qui prend de l’assurance) « que le Patron a la folie des grandeurs ».

Mais pour gâcher, étaler, polir le béton, il est payé. La bétonnière tourne quand les fenêtres sont fermées. Georges fait traîner les choses, le patron fait traîner la paye. Et vice-versa. Mais les émissions de Georges, ouvrier, sont très appréciées.


Révélations

Georges ne connaît pas de métier particulier.

Il a étudié pour s’instruire, insuffisamment pour instruire les autres.

Il a joué de la basse, suffisamment pour soutenir « Les Floors », pas assez pour fonder son groupe à soi. Il a suivi des stages de maçonnerie chez Da Fonso : le Maître lui montrait où placer les mains, la truelle et l’auge. Expliquait le pourquoi et le comment d’une bétonnière.

Georges anime de bonnes émissions, dites littéraires.

Ses mains sont craquelées. Il use beaucoup de pommade.


La station X Y domine la ville des Réaux (26 000 h., immigrés, ouvriers, ignares et fiers de l’être. On trouve en ville, pourtant, un libraire plein de morgue. Certains surnomment Les Réaux « Tunis-sur-Seine ». On bronze beaucoup près de l’Asile de Fous, en haut de la pente. En bas, une médiathèque disproportionnée, de brique rouge, a suscité les commentaires de l’Opposition :

- « n’eût-on pas mieux agi en dépensant tout cet argent pour la réfection des trottoirs, pour nos vieux ? »

Il a fallu interdire la médiathèque aux jeunes Nord-Africains d’origines diverses, qui la prenaient pour une ère de jeu.

Georges ne méprise pas le peuple, mais évite soigneusement tout contact avec le peuple.

À radio X Y il se fait appeler « Xavier ».


Programme

À base de rock, de rap et de reggae ; qui expriment la révolte.

Yougoslaves, Portugais, bénéficient d’émissions partiellement en leurs langues. En revanche aucune place n’est cédée aux arabes, ni prose ni musique. « Ensemble » est la devise de Radio X Y, soutenue par la municipalité.

Gräce aux infos régionales, nul n’ignore les travaux d’adduction d’eau dans un rayon de 12km (trois lieues).

Georges (« Xavier ») méprise en secret toute entreprise collective . Tout ce qui n’est pas solitaire.


Rappel

Les samedi matin, la porte d’entrée reste ouverte en permanence ; un ancien prêtre ouvrier, toujours dans les ordres, anime des rencontres écuméniques, et parle de la faim dans le monde. Chacun s’exprime posément, bien en face du micro, de ce ton morne et détaché qui semble naturel mais reflète bien l’esprit troupeautier : ne pas se faire remarquer. Ne pas sortir du lot. Prouver qu’on n’est pas supérieur aux autres, qu’on ne s’exprime pas mieux qu’eux. « Eueuecuménique » : faire les mêmes fautes qu’eux.

D’où un ânonnement perpétuel, un manque de passion proprement exténuant, des silences, des bafouillements que personne – démocratie ! - ne s’autorise à interrompre.

Pas de musique de fond.

Georges (« Xavier ») dit toujours le plus grand bien de ces personnes-là. Il ne médit jamais de personne.


L’émission littéraire de Georges (« Xavier »), où se produit parfois le libraire des Réaux, Monsieur Pleindemorgue, vient parfois présenter ses ventes en vitrine. C’est atroce.

Lui, « Xavier », critique les livres qu’il veut. Des anciens. Aux auteurs souvent morts. Pas de vagues.

Il a composé des feuilletons, qu’il lit à l’antenne. Il les censure, car il faut bien ménager les curés – il y a donc deux curés dans la vie de Xavier : voilà bien de l‘abondance. Il aime bien ces gens d’Église, qui l’ont toujours intrigué. Il en place volontiers dans ses feuilletons.


« Xavier » prend ses 45 tours dans l’ordre de parution, pièce du fond bacs de gauche. C’est une émission dans l’émission. Il appelle ça La merde comme chez soi. Les curés préfèrent le caca-prout au sexe.


* * * * * * * * *


Au presbytère ville basse, Georges occupe une grande pièce du premier. Tout enfant il avait aménagé un angle en « coin chapelle » : petit autel, crucifix et sainte Vierge. Puis il se dit :

« La comédie a assez duré ».

Il descendit le tout à la cave, sous les bénédictions mentales du curé. Cependant il conserve certains rites en mémoire de sa mère décédée : il compte les livres de ses rayonnages, laissés là par le jeune frère du prêtre mort lui aussi, s’arrête au 47e et le lit tout entier. Et ainsi de suite. Tous les quatre jours, après le shampoing. En effet, pendant son service militaire, son crâne tout ras restait humide. Vingt minutes de séchoir, vingt minutes de lecture. Le séchoir a disparu, l’habitude est restée.

La maison du curé cache un grand nombre d’ouvrages : étagères, recoins, placard à chaussures. Georges-Xavier déteste l’ordre. Le bureau du curé est dans les ordres : tout reste sombre, sobre, impeccable. Xavier-Georges (c’est le même) a lu de la page 1 jusqu’au bout une quantité de bouquins pieux. Il est imbattable sur les schismes des Ve / VIe siècles (nestorianisme, arianisme). Dans sa chambre il ne tolère l’intrusion de nulle main étrangère. Il dessine les cartes de ses pays, les parsème de fleuves et de villages, dont il répertorie les noms sur un registre séparé. Il donne à la Croix-Rouge, à Médecins sans Frontières et aux Orphelins d’Auteuil. Sur un coin de sa table il empile des textes d’émissions radiophoniques ; cette invasion s’étend peu à peu au reste de la cure : l’ecclésiastique a reporté sur lui ses affections paternelles, bien que Xavier ne soit pas noir. Le père Dubreuil, lui, est noir, et s’appelle Bruno (1030-1101). Il s’exprime rarement, s’abîme des après-midi dans son rôle de prêtre, et ses lectures. Il n’a cure d’écuménisme. Il se soucie peu des misères du monde. Il n’a pas de grand dessein apparent. Il dit ses messes et célèbre des baptêmes. Ces derniers se font de plus en plus rares.

Les mariages aussi. Lui ne s’en soucie guère. Il ne fréquente personne, pas même d’autres prêtres. Il ira au paradis, mais il n’y a nul reproche à lui faire. Il est très exactement l’opposé de celui qui anime, tous les mardis sur Radio X – Y, l’émission « T.D.H. »


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L’émission de Xavier passe les mardis soir. Quelle corvée de les préparer ! Il attend la veille. Ôte d’abord de son sac les disques diffusés, puis, sur un verso vierge, trace au stylo le schéma de son émission : deux 45T., la Critique ; deux 45T, Feuilleton, etc. Jusqu’à la fin du Temps Imparti. Il sélectionne ses disques selon une méthode inadéquate. Soient chez lui des rangées de disques parallèles, par ordre alphabétique. Au bout des rangées, il recommence. Les mêmes disques repassent dans un délai de quatorze mois environ. Ce sont là des disques personnels classiques de préférence : la radio, pauvre et populo, n’en possède pas.

Quand le schéma est achevé, sur la feuille froissée, le plus fastidieux reste à faire : intégralement rédiger le Texte Critique. Xavier choisit parmi ses dernières lectures. Il écrit au fil de la plume et le plus rapidement possible.

C’est un maçon de raccroc.

« Mivath, je te trompe, dit-il, je te trompe... »

Puis il corne les pages de 47 en 47 (...94, 141, 188, 235...) déterminant les extraits à lire à l’antenne.

Une conclusion hâtive achève l’ensemble.

« Tout texte écrit en vaut bien un autre ».

Certains ouvrages lui sont adressés par l’Association des Auteurs ; ils sont copieusement rossés.


Ce soir il a couvert d’éloges l’œuvre et la personne de Maurice, éditeur décrépit publiant ses souvenirs. Il rend hommage à son honnêteté, le félicitant « d ‘avoir traversé en tous sens le marécage éditorial » ( thème éculé) « sans s’être sali les mains » ; « d’avoir mis au jour tant et tant de talents, de les avoir imposés aux inerties mercantiles » (thèmes éculés) è « d’avoir gardé le cœur pur ». Puis insensiblement, toujours avec respect, il propose quelques boulets rouges enveloppés de feuilles de vigne :

« Pourquoi s’indigner qu’un auteur de Province, loin de tout, n’accorde son amitié à son éditeur que le temps d’une publication ?

« ...pourquoi désespérer l’écrivain isolé – par l’exposition de  tant de magouilles sincères, l’évocation des froissements de tant de marchands de pommes de terre ? »

ET TOC.

L’auteur-éditeur s’en fout.


Le propre feuilleton de Xavier-Georges bénéficie d’une promotion sur les ondes. Sujet :

deux enfants jouent avec lrut sexe dans les buissons d’une commune appelée Montserrat, en Lot-et-Garonne. Des deux côtés dudit buisson, l’instituteur et le curé s’astiquent.

« Le scandale tuera le cœur de ces enfants » ;


Xavier-Georges lit, en soignant ses intonations. Il ne résume jamais les épisodes précédents. Il boit du whisky lorsque le micro est coupé. Cela n’améliore pas sa qualité de voix. Il prend de l’Aotzalmik – Prétéourian pour s’empêcher de boire.


X


« Monsieur,

« J’écoute avec attention votre émission sur *** » - lire « Trois-Étoiles ».

« Vous me semblez un présentateur intéressant, complexe. Le micro, seul interlocuteur : n’est-ce pas frustrant ,

« Je suis une jeune fille de dix-sept ans, très sage, qui vit chez ses parents et prépare le bac. Mon nom est MIVATH.


Georges, ou Xavier :

« Elle joue à quoi, là ? »


La lettre dit encore :

« ...le cachet de la poste a dû vous apprendre que j’habite (...) » - de ch’val ? - « craignant de vous déranger si je vous téléphone en direct – mais surtout – l’art de la lettre se perd.

« Même Papa préfère téléphoner de la Chine (je suis moi-même parfaitement européenne).


Plus loin :

« Nous ne devons pas nous voir, ni chercher à nous connaître autrement, désormais. »

- Un mot de trop » observe Xavier.

« C’est ma façon à moi, jeune fille moderne, d’être romantique. Vous ne m’en voulez pas ? » - l’émission de Xavier-Georges permet à Mivath la découverte de nouveaux auteurs ; moins ennuyeuse qu’un cours, « grâce à votre présentation amusante et si instructive . Maurice me semblait un Vieux Monsieur pétri de bourgeoisie ; vous avez révélé son honnêteté, son audace, ; jusque dans l’âge avancé. »


...Maurice avait combattu l’ignorance, la nonchalance et la cupidité. « Quel exemple d’énergie pour les jeunes ! Comme j’aurais aimé le connaître ! Mais qui sait ? » Xavier : C’est le plombier.


Cependant, il semble à Mivah que Xavier-G. s’exagère les turpitude de l’édition.

« Vous devriez voir les choses de façon plus positive ».

« Soyez plutôt maçon, si c’est votre talent ». Xavier répète avec emphase : ça le fait marrer, le coup du maçon.


« ...Je vous écris de mon bureau, sous la lampe, au premier étage ; près de la fenêtre, dont je n’ai pas baisse le store. L’ombre de ma têt se perd dans les feuillages (ne cherchez pas à repérer mon domicile, vous en avez beaucoup de semblables) ».

« Autour de moi règnent des étagères surchargées. Priorité bien sûr aux œuvres du programme ; toutefois je me permets quelques entorses contemporaines.

«  Que pensez-vous de Marguerite Duras ? j’ai lu Les petits chevaux de Tarquinia, L’amant, et surtout La maladie de la mort. Vous qui êtes un homme, dites-moi si l’imaginaire érotique masculin se présente toujours de façon aussi morbide ? »

Mords-moi le bide, dit-il.


- Pourquoi ne parlez-vous jamais de Marguerite Duras à la radio ? »


Elle va très souvent aussi voir des films. « Êtes-vous attiré par les films érotiques ? Préférez vous Bergman ou Fellini ? Et Tarkovski ? que pensez-vous de Tarkovski ? »

Elle, c’est une inconditionnelle de Truffaut.

Elle espère ne pas avoir importuné Xavier par ses bavardages et lui souhaite de bien continuer ses émissions. Aura-t-elle une réponse ?

« Votre amie, peut-être,

MIVATH

- Quel drôle de nom, se dit Georges-Xavier.


*


En fin d’émission, il lui faut remballer très vite. En effet, la radio ne dispose que d’un seul studio. Les animateurs de l’émission suivante, bien entendu consacrée au Rock’nnn Roll, piétinent dans son dos ou commencent à installer leurs disques et cassettes par-dessus son épaule. Il bourre tout dans un sac, replace les 45 tours dans leurs baquets. « Poursuivi par les facilités d’une musique grossière qu’on prend soin de faire tonitruer » (lettre du 25 novembre), il pousse la sortie blindée. Dans son dos claquent les verrous magnétiques.

Il redescend la colline en voiture et en pleine ébriété. Pour conserver du bruit entre ses oreilles, il a branché du rock à fond. La suspension couine son agonie. Parfois il s’arrête, pour glisser dans les boîtes les « prières d’insérer ». Les immigrés yougoslaves seront très surpris.

Il se gare définitivement, marche à pied dans la nuit froide, en balançant son sac boursouflé de zique. Le vent s’est chargé de pluie, les veines, d’alcool. Autour de lui des rues heureuses, où passent les rumeurs télévisées. Plus personne n’écoute de radios à cette heure-ci.

Passé la porte du presbytère, il retrouvera ceux qu’il aime. « On croirait qu’ici, tout le monde veille un malade. Un cadavre. ». Impression saisissante : d’un seul coup, ne plus rien entendre. Des lumières faibles, un escalier craquant. Perdu chez lui sous le halo d’un abat-jour, le curé Dubreuil s’est plongé dans un ouvrage sévère, qui lui arrache des rires étouffés.

Le jeune et le vieux ne se saluent pas. Xavier-Georges sent sa gorge qui se prend et les tympans bruissants. Il passe en cuisine où l’attend un repas standard trop copieux – poisson fenouil et carottes vichy. « J ‘ironise » écrit-il. Sœur Tatiana se présente de dos, en long sarrau gris évasé sur le cul. Elle attend des compliments et ressert le plat. Elle dit invariablement qu’elle a « bien écouté l’émission », que la partie critique était « convaincante », « servie par une diction impeccable ». Elle émet des réserves sur la « crudité » du feuilleton et les « tics d’intonation ».

- J’en parlerai à Mivath » se dit-il.

*


Parfois, c ‘est la fête : le curé a permis qu’on ouvre la télé. Xavier-G. apporte un morceau de fromage et un yaourt. En général c’est une femme qui a eu des malheurs. Xavier-G. pendant ce temps pense à ce qu’il veut. À quoi penses-tu ?

Aux rats le cou tendu vers la télé ou la cuiller à soupe. Aux vieux et aux morpions, à lui. Mais la plupart des temps règne le silence. Le silence du soir, épais, sans trace d’une présence de Dieu. Xavier-Georges mort n’entendra rien de plus. Est-ce qu’après la mort j’entendrai de la musique ?

Pas même une toux. Pas même une page qu’on tourne.

Parfois Bach, Haendel, Haydn. Moins que la télé. Il a essayé, réussi, dormi. Apprécié la belle musique. Le maçon se lève tôt, les chantiers s’éloignent.

Xavier-G. n’aime pas rentrer de Radio X-Y.


*

« Chère Mivath, Kedvesh Mivath !

J’attends toujours huit jours pour te répondre. Il ne faut pas céder aux coups de tête.

Révolution de palais chez X-Y : nous avons réélu le C.A. de Notre Radio Associative.

À ma droite Jérémy J., gros plein de bière, grossier, factotum.

À ma gauche Petit Péteux, mince, italien, banquier. Veut faire viril. Président cassant. Toujours à tripoter son coupe-papier. »

Comment peut-elle se passionner pour mes conneries.

« Chaque membre du Bureau doit renouveler sa candidature par écrit. Jérémygi a négligé de le faire. Et c’est lui qui fait toute la technique. Problème. Je devrais peut-être lui écrire mot à mot toute la gueulante de Jérémygi ». Il précise que Le Technicien a vomi sa bière.

...je vais probablement vous faire rire, mais…

… je ne sais rien de votre vie…

Le Pète-Sec d’XYZ s’est fait virer par le suffrage universel. Georges-Xavier saute de joie. À la sortie le Pète-Sec tout seul à l’écart, les petits yeux rouges de morveux vexé – le Joujou-Radio qui s’échappe – adieu projets de boîte homo – G.X. ignore comment intéresser sa correspondante. Mivath en réponse commente avec une louable application. Georges envoie par retour sa photographie et demande la sienne. Georges se trouve agréable, franc et dégagé.

Il raconte le Deuxième Bureau ou B2 mais non c’est une plaisanterie –

« …chaque membre a reçu son affectation – ils m’ont bombardé « Chef du Service d’Écoute » pour vérifier non pas les contenus – hélas – mais la technique des présentateurs : diction, « radiophonisme », écarts de langage (« le maire est un radin », « le maire est un gros porc ». Pas de ça chez nous. Radio nulle.J’aimerais la transformer. Le trust du rock règne en maître et on me prend pur un rigolo.

« Bises. »

L’ex-petit chef remonte en reniflant dans sa superboto. Matra Baghera.


X


Cher Xavier (ou Georges ? ...c’est agaçant) – je vous prie d’excuser mon retard. Vous savez que je n’utiliserai plus jamais le téléphone – il m’arrive en fait toute une série d’embêtements.

« Tout d’abord – ne vous moquez pas de moi – mon chat est tombé malade, je tiens beaucoup à lui, j’ai toujours reporté sur lui l’affection familiale qui m’a tant manqué, le véterinaire est pour la piqûre je suis contre.

«  Autre souci : notre téléviseur est en panne – je ne dis pas cela pour votre émission, la seule que j’écoute de bout en bout. Mais les soirées sont devenues sinistres. Mes parents tiennent deux heures face à face à lire dans leurs fauteuils, devant la télévision éteinte ; mon père ne veut pas entendre parler d’une réparation.

« Et puis j’ai raté le permis de conduire.

«  Vous ne m’avez pas souhaité mes 18 ans.

« J’ai un frère, moins âgé que vous. Il n’a que 27 ans. Il m’a toujours traité comme une « petite fille. Il a enfin ! Rrmpu avec sa maîtresse de la Sarthe. Une étrangère en sorte… Il veut partir en Malaisie pour faire un reportage photographique. Je l’entends jargonner du matin au soir.

« (…) Cher Georges,

(…)

« ...nous sommes allés trop loin la première fois

(…)

«  ...mon père est ingénieur hydraulicien. Il gagne beaucoup, j’espère en profiter un jour !

C’est lui qui conçoit les barrages. Il m’a conçue aussi, ah, ah. Il doit retourner en Chine. Mais il n’a pas appris le mandarin. Il se sert de l’anglais « ce cancer linguistique de la planète ». L’anglais avec l’accent chinois, c’est épouvantable.


« Cher Présentateur,

J’ai bien fait de te tutoyer ; ça n’engage à rien ».

Mais si pense Xavier.

« ...pour en revenir à mes parents…

Oh merde…

« ...je me demande ce qu’ils vont devenir à la retraite. Ils vont être l’un sur l’autre…

(…)

« ...ci-joint une photo. Suis-je ressemblante ?

Mivath déteste se faire photographier. Tout ce qu’elle a déniché, ce sont deux clichés « de film », « développés du négatif au positif ».

Ça lui fait les yeux graisseux, les joues larges, et longues, quelque chose d’ingrat et de fort, beau ou laid à volonté du regardant. À la loupe, Georges-X. repère une horrible demi-taie près de la glande lacrymale droite qu’il n’avait jamais observée au naturel…

X


X X


Chère Mivath,

Un de mes maçons de collègue m’a prêté un livre. Je me suis trouvé devant un étalage de platitudes British que j’abandonne pour vous écrire » je devrais la tutoyer

« ...il n’est question que de pluie et de beau temps, de l’état des jardins et de la vie insignifiant d’un couple du Shropshire ».

Comparant en revanche les politesses anglaises et les courbettes japonaises Lumières dorées sur la colline, Ishiguro) – Xavier s’aperçoit avec bonheur qu’il est possible de réhabiliter « ces petits riens qui rongent ». Insulaires d’Orient, d’Occident, s’obsèdent sur ce qu’il faut faire, ne pas faire. Le can’t.

Le regard paralyse le muscle. Mishima : «Un ouvrier agricole, trop désiré, succombe la nuit dans un champ de riz ».

- Réveille-toi, Xavier.


X

Ordre du jour

- table de mixage du Studio II

- remplacement de l’antenne après la tempête

- installation du parallèle-antenne, qui permet d’enregistrer toute émission diffusée.

- financements : municipal, départemental, régional, national

- dettes envers la SACEM

- politique publicitaire : en faire, ne pas en faire ?

- ne faut-il pas préférer la parrainage – euh, le sponsoring ?

- It’s much better, dit Xavier-G. Personne ne comprend la plaisanterie.


Chère Mivath,

Je croyais préserver ma place toute fraîche (d’animateur!) en me faisant coopter Memre du Bureau Administratif. En pénétrant les arcanes de ces cerveaux-là.

...Pas du tout…

ils ne parlent que… d’administration, budget, technique (…)

Mon rêve serait de transformer Radio X-Y en un genre de France-Culture local. »


Xavier (Georges) a tort d’accorder tan de prestige à sa mince activité d’ « animateur ». Il ne peut, il n’ose exposer son quotidien de « maçon ». Il ne saurait en parler à Mivath. Un maçon ne pense pas.


Il entre aussi beaucoup d’injustice dans sa façon de considérer ses « compagnons d’antenne ». Il parle d’eux à sa correspondante ; il remplit son rapport :

« Lozonoï me court après. Il veut à toute force m’adresser la parole. Il se sent attiré par mon émission, il en a fait augmenter la durée. Il me répète qu’il adore mes plaisanteries. Je ne les fais que pour lui.


Lozonoï veut interviewer Georges (X.) dans son émission à lui. Tous deux se couvriraient de fleurs.


« Lozonoï malgré sa rondeur de ventre ou peut-être à cause d’elle m’attire physiquement - mais qu’est-ce que je vais chercher… » - peut-être obtiendra-t-il des confidences parallèles.


Xavier (G.) se sent trrès seul quand il revient, de son travail, et plus encore de sa « radio ». Le curé noir est assis dans son fauteuil, la Sœur penchée sur la pâte à tarte, et tous deux silencieux comme après la mort.


Cher Xavier, que d’histoires ! que d’histoires !

« Est-ce que vous ne vous rendez pas compte à quelle point cette allusion finale et pas très fine à votre homosexualité pue son vieux piège ? Comme si je ne savais pas que les Hommes tentent d’intriguer les jeunes filles par de prétendus « penchants homosexuels » ? ...de simples signes marqués sur nos corps – pas d’interdit ».

Voilà bien une idée de jeune fille, pensa G. X.

« La frontière (sinueuse) ne passe pas, cher présentateur, entre homme et femme. Juste entre « Personnes de sens » et « Personnes de tête ». C’est pourquoi il n’y a pas de lesbiennes.

Il n’y a que des copines qui se rendent service complète G.X. Air connu. Ah la conne.*

« J’ai moi aussi, Georges, ma cour et mes fidèles – toute une platée de centres d’intérêt. Vos potins de radio – deux fosi par semaine – manquent singulièrement d’intérêt.

« Cependant,parlez-m’en toujours.

(...)

« Au programme : Proust, Flaubert.

(…)

« Votre maçonnerie m’émeut : priv de sensualité, gâchant la vie et le mortier, vous abordez les œuvres de façon (…)

« Combien vos émissions me font rire (et m’instruisent !)

«  Mon frère se porte sur l’alcool. Il prend de si surprenants clichés sur le Honduras, le Mexique – si convenus dès qu’il revient en France…

« Mon petit chat va mieux.

«  Et pour vous enfoncer jusqu’au bout, j’ai un amoureux, un amoureux attitré, qui me fait l’amour (je participe un peu). Étudiant comme moi, sans besoin de mortier pour se colmater, barbe et lunettes, doux, pervers. Il m’oblige à des choses que j’ai la perversité de lui refuser.

« Ceci pour vous montrer, cher présentateur, que je ne vis pas seule, et qu’il vous faudra changer l’esprit de vos billets. » Xavier se demande comment elle o bien pu s’en rendre compte. Voici sa réponse :

« Chère Mivath,

«  Si vous êtes à ce point entourée, apprenez ou rappelez-vous que je mène au contraire une vie très repliée.

« Une fois par an, nous nous réunissons entre animateurs afin de nous sentir unis. Nous nous apercevons que nous nous ignorons : tu fais ton émission, je fais mon émission, repasse-moi un peu de méchoui ».

« Je n’éprouve aucune attirance pour ces gens, qui font commencer la musique à Eddie Mitchell. Quand je leur parle de Diderot, ils me rotent à la gueule en disant « ça en fera toujours un ».

« Vous ignorez sans doute aussi la solitude du micro, cette boule de mousse au devant des lèvres. Jamais le moindre coup de téléphone, l e plus petit courrier ».

Plus loin :

«  (…) de façon à se rendre bien odieux.

«  Les maçons ne parlent que de pendre les fiottes par les couilles, boivent le rouge au goulot et regorgent d’histoires belges ».

Le mortier, la pierre et la brique, ça écorche, ça crevasse.


X


Le curé Dubreuil n’a fait que son devoir. Jamais il n’adresse la parole à qui que ce soit, en dehors des sermons du dimanche. D’aussi loin que Xavier se souvient de lui, il le voit engoncé dans son fauteuil, lisant des œuvres de piété. Xavier le soupçonne d’un cal au cœur.

Sœur Tatiana n’est pas épargnée. Corps de jument. Le soir elle lit dans l’autre fauteuil, comme le curé. Xavier dans ses lettres s’épanche sur l’effrayant silence des soirées, qui ne cesse d’engluer l’atmosphère. Le soir tombe. Les pages se tournent. Xavier poste son message. Mivath est un excellent dépotoir. La prochaine fois il la demandera en mariage.


X


Cher Xavier,

Mes parents me proposent un prétendant ! qu’en pensez-vous ? Jamais je n’aurais soupçonné cela !

(…) Ma mère Hélène soigne les autistes, avec toutes les ressources de la psychiatrie et de l’antipsychiatrie. Mon père, lui aussi, se penche à longueur de journée sur le béton et les déclinaisons du béton (armé, fibré, ciré…) - il construit parfois des barrages en Chine.

« Ce qui me surprend est de me sentir flattée de cette proposition de prétendant. Je suis traitée comme une fille d’importance ! Esclave, mais princière. Distinguée de toutes ces greluches qui font du gringue à toutes les braguettes. À moins que je n’aie du sang chinois ; quand mon père s’absente, il reste ici quantité dAsiatiques d’importation…

« Je me regarde dans la glace, comme toutes les autres.

«  La solitude au fond de moi.

«  La flatterie, et la contrariété de même ». (Multiplication des sautes d’humeur ; accès de prostration ; tous les clichés de situation – il se trouve que je les ressens).

« Je me sens humiliée ».


X


« Il s’appelle Jean-François. Qu’il est laid ! comment se fait-il qu’il ne m’ait jamais fait compliment de ma beauté ?

Georges-Xavier, plutôt que de battre le rappel de ses souvenirs, contemple un petit cliché noir et blanc pas plus grand qu’un ongle de pouce : un visage tavelé, des yeux louches attaqués par cette taie qu’il n’avait pas observée d’abord, au niveau des glandes lacrymales.

« Mon prétendant » dit-elle « est un timide négligé, au caractère juste ébauché, l’air qui se veut Méphistophélès mais vicieux, con. Il porte un bouc et des lunettes de myope. Nous nous touchons parfois, début de l’amour, façon raffinée. Ma condition est de tous les temps.

«  IL se croit raffiné, mais il n’y arrive pas.

«  Après tout c’est mon prétendant à moi. Ce n’est pas celui de mes parents. L’essentiel est que je reste imparfaite, et d’entretenir des relations imparfaites. Une femme comme les autres.

« Il est ma preuve et mon choix.

«  La vie est un rôle.

X



- J’écris partout, répond Xavier. Je reçois peu de réponses. Les vôtres me sont chères. Mes contacts épistolaires s’étendent de la Haute Provence aux lacs de Finlande (on m’envoie des cassettes de pulimanni, excellent!)

« Revues littéraires, maisons d’édition, m’adressent catalogues sur catalogues.

« Quand j’étais jeune, mes gardiens n’appréciaient pas trop mes correspondances avec les jeunes fille des quatre coins du monde : deux Siciliennes, des Niçoises, deux Américaines. Nus entretenons de beaux débats souvent orageux.

« Une Française, même d’Armor, m’eût semblé sans intérêt.

«  À présent, c’est chez nous, en banlieue de Troyes, que je trouve les attraits de la distance, puisque vous ne permettez plus de nous voir ».


Georges fait le joli cœur. Xavier, c’est le même, l’Animateur. Toute sa correspondance n’est qu’une fausse modestie. Il laisse entendre que s’il voulait, n’est-ce pas… cette posteuse de lettres qui peut-être évite de mettre le nez dehors… il scrute à l a dérobée les visages dans les rues -

- comment prononce-t-on Mi-vath ?

- l’adoration mène à l’humiliation

- toujours avoir deux fers au feu

courte philo de quadragénaire


Une sexagénaire lui écrit :

« M. Xavier Chérasse, Radio X-Y, rue *** » - attend quelque chose de lui. Aligne de grands compliments. Habite les Ardennes et s’appelle Andrée – soixante ans – pourquoi pas ?

...L’Andrée des Ardennes envoie des textes, une chanson dont elle a composé les paroles - « interprétée par mon neveu cf. cassette »

Xavier se sent-il important ?


À sa suite sur l’antenne deux individus de sexe féminin diffusent une émission de rock’n roll et l’une d’elle est fraîche et tendre avec des yeux de chèvres, et l’autre est toute plate de visage comme un yaourt kalmouk - « elles me disent vous » - comme il est vieux !

Les deux femmes lui font des pincements de cœur. Disons le mot : un désir de soumission à conserver surtout à conserver par devers soi.

Il voit des lesbiennes partout

« Je ne peux souffrir tant d’indépendance » et parfois les hommes de ces femmes les accompagnent au studio X-Y mais ils rivalisent de santé, de sève… Xavier tire son épingle du jeu. Il échange avec tous des lourdeurs égrillardes, les Mecs aussi le vouvoient – juste ces pincements de cœur

que de femmes autour de lui !

La folle des Ardennes brûle sur papier d’ardeurs indésirables. « Jésus » revient trop souvent dans ses phrases. Xavier devrait faire attention aux phrases je ne suis pas écrit Mivath une décharge municipale et juste après sans ponctuation plus je vais me marier plus je vous désire c’est un peu fort.


L’émission qui lui succède s’appelle POLYROCK. « Du rock au féminin » (c’est leur slogan) – lettre de Mivath :

« Vos états d’âme ne m’intéressent pas.

« Je veux un homme sans histoire comme un os à sec.

« Je n’aime pas les compliments que vous taites à POLYROCK.

« Si vous faites exprès d’être si maladroit.

« Jamais je n’ai douté de vos souffrances »

- mes souffrances ?…

(« il faut me désirer franchement sans mentionner d’autres femmes car vous obtiendrez tout de moi

Sauf bien évidemment la possession physique 

En réalité vous ne me plaisez pas

Je dois trouver moi Mivath des compromissions

Édifier d’étonnants échafauds »

Plus bas :

« Le dépît que vous m’inspirez

Doublé de celui que je vous inspire »

Toutes folles ou c’est moi ?

...Mes parents dit-elle voudraient m’imposer un jeune homme blond

« Les visages lisses cachent des couches insondables

Le sien, cher Xavier,

Me montre un aspect pur où je ne vois qu’un crâne

Et des yeux globuleux bombant à fleur de peau 

C’est une race éteinte avant que d’être née »

Mivath encourage pourtant son prétendant à des visites fréquentes afin dit-elle d’émousser son adversaire en le contraignant aux contemplations sans fin. C’est pourquoi conclut-elle Xavier ne peut vraiment s’éprendre des POLYROCKS

« aussi nous serais-je à tous deux reconnaissants de nous borner à l’échange de lettres

« P.S. J’ai encore déménagé. Poste restante à Tours »

Moi aussi j’habite Tours

Mivath poste ses missives de différents secteurs. Chacun ses jeux. Savamment alternés. Toute possibilité exclue de se présenter à un domicile.

« C’est absurde » pense Xavier. « Devrais-je tomber amoureux de toute femme une fois croisée dans la rue ? »

Il pense aussi qu’il serait judicieux d’espacer les courriers ; il se sent toujours démuni devant lemicro : qui m’écoute ? et pourquoi ?

À l’attaque. Il les aime tous. C’est décidé.

Émission Polyrock. « Le rock au féminin ».

À sa droite, Premier Prénom, Bretonne aux cheveux striés, ramenés à l’avant. Visage en cœur.

À sa gauche, Second Prénom, visage plat, éphélides, pommettes balkaniques.

Telles sont les visages qu’aperçoivent du lit pendant leur service les fous siestant, à l’Hospice Sainte-Euve derrière les haies de clôture. Ces dames sont infirmières en psychiatrie. Et tous les mardis, Rock’n’Roll.

Xavier l’animateur apporte tous ses soins, tandis qi’elles attendent dans son dos, à chacun de ses gestes. Il se surprend même à choisir ses disques, indépendamment de leur date de parution.

Ce soir-là elles arrivent plus tôt que de coutume – importunes, puis indispensables.

Elles attendent et se concertent. Xavier pousse le son, pour qu’elles admirent son esprit. Il se trémousse entre ses écouteurs de mousse et son tabouret de skaï. Il intercale dans ses tubes des phrases en langues étrangères, bénit les disques et leurs interprètes, affecte de grands airs de gravité. Mais entre son dos et elles deux s’étale

une grande vitre d’observation. Quand elles passent la tête à heure fixe par l’embrasure, elles ne manifestent aucune impatience. À l’Hospice on voit de tout.

Premier et Second Prénoms l’aiment et le respectent.

Comme elles ont vingt ans elles lui disent vous.

Il est bien entendu qu’il serait de la dernière indélicatesse de sous -entendre la plus faible allusion que ce soir au désir.

Comme tout homme il espère des choses.

Elles disposent par-dessus ses bras leurs premiers disques et pousse,t des boutons sans buit. S’informant l’une et l’autre à voix basse, l’indicatif, très long, permettant toutes les manœuvres.

Quarante secondes suffisent à laisser place. Aucun des trois corps n’effleure l’autre. Jamais de ces horribles bises. Je préférerais passer longuement la main sur vos seins.

Il l’a vraiment dit.

Il demeure un instant près d’elles en début d’émission. Leurs gestes sont précis, leurs disques, excellents.

Des jeunes femmes de vingt ans s’extasient sur les mêmes titres que lui. Du temps où le rock avait de l’avenir. Mais elles sont molles. Modestes. Sans excès. Où il faudrait forcer le ridicule. Comme lui. Qui ne leur dit pas Impliquez-vous ! Elles s’appliquent, et manquent – de si peu- le naturel


X X X X X


De Mivath à Xavier :

« Voilà bien de l’invraisemblable : vous n’avez pas dissimulé votre âge. Mais votre passé. Qui peut atteindre votre âge sans avoir vécu ?

« En vérité votre femme, la vraie, lis toutes mes lettres et se moque de moi.

« Vous ne courez peut-être pas les bordels ».

Georges répond qu’il ne peut raconter sa vie point par point, que des liaisons l’ont brisé, qu’il a fait souffrir autant qu’il a souffert / sans pour cela faire d’histoires

« ...qu’aucune femme ne l’avait retenu plus de (…)

« et toute cette sauce à l’usage des femmes.

Xavier-G. schématise.

Il n’est guère sorti du presbytère (il dit : la cure).

Les femmes qu’il a connues se sont effrayées de cet attachement au sombre et à l’humide. Il conservait une peau parcheminée et ses oreilles roses s’écartent de son crâne.


Chère Mivath,

« Ces murs, ce plafond, me pèsent.

«  La cuisine est mon point d’appui, avec droite le grand meuble de biblothèque et l’évier de granite à gauche. Cette installation me fascine. Je vous écris face aux fauteuils (…)

« Présence de Sœur Tatiana, petite et active, lisant pour l’instant sur un fauteuil de femme plus petit. »


- Bien, répond Mivath au téléphone (accent berrichon), vous regorgez de femmes.

Passée je ne sais quelle période d’abandon les revoici, bien matérielles. Vos deux soubrettes de micro vous attachent, vous ne parlez plus que d’elles, sont-elles connes ! Croyez, croyez en leur pure amitié : je vous parle en connaissance de cause. ».


La tendresse sans sexe est leDiable.


Chère Mivath, J’ai liquidé l’Ardennaise, tout seul et vite. Le ton montait à la tendresse : confidences, photo du petit chat dans les pelotes, j’ai dit « Venez me voir à Troyes » 160 km. C’en était bien fini des cheveux au bol, des romans d’elle-même criés sur les marchés. La Correspondante Usurpatrice haussa le ton, évoqua Jésus-Christ et Dieu, Xavier, peu au fait des furies bigotes, eut la faiblesse de répondre :

No sex, No sex, No sex,

« tel est le triple catéchisme de toutes les religions.

« Je ne saurais croire qu’en un Dieu qui saurait baiser

Réponse « Seigneur Jésus (…) montrez à Xavier-Georges la voie de la lumière »


* * *


Le Directeur :

« Dans notre établissement, nul ne doit être ou se croire supérieur à l’autre »

La station XYZ se casse la gueule. Un gros barbu à cheveux lisses, Timothée, tient absolument à interviewer Georges – X. Lequel instinctivement recule. Timothée s’invite au débotté dans son studio d’émission. Il s’installe sur une petite chaise blanche qu’il déborde de toute part. C’est Timothée qui rit aux bons endroits et tousse en direct. Bientôt il branche son micro personnel, intervient, place ses disques à lui, ses dédicaces à lui, jusqu’à son propre éditorial.

De tout cela pas un mot à Mivath, peste Georges in petto.

Un soir, le Directeur Élu, Nouzeau, petit rond sympathique, s’en vient passer l’inspection. Timothée n’a pas réglé sa cotisation, Timothée est viré. « Chère Mivath,

« Vous ne voulez savoir que mes hésitations ». Notre maçon a des lettres. « C’est chiant ». Mais il y a des limites. « Trouvez donc un homme, de nos jours, qui ne voudrait parler que de l’amour ? 

« Je vous dirai qui je préfère, de la Polonaise ou de la Bretonne.

« En tout cas je n’ai pas traîné. J’épouse la plus piquante, la Bretonne.

«  L’autre prendra son tour.

«  Contrairement à ce que je croyais, elles ne couchaient pas ensemble ; elles se rendaient juste de petits services (je cite) cinq ou six fois par semaine »

Xavier-Georges à présent se demande ce qu’il va faire de cette épouse dont il confond souvent le prénom avec celui de sa bonne amie.

« Mon épouse estime que j’ai eu beaucoup de chance de m’en tirer aussi neuf, aussi libre, après que ces curés bien élevés m’eurent élevé à son niveau. Il est miraculeux que mon sexe fonctionne. Xavier-Georges ! Quelle trahison ! Je parle ajoute Micath de celle qui n’a pas été choisie. Un seul instant suffit pour gâcher une vie.

« Tenez, mon prétendant, poursuit-elle, je l’épouse. Il m’avait caché, voyez un peu, qu’il était cancéreux : sous les cheveux, autour des oreilles, trois cicatrices mauves : cartilage à progression rapide. Ouvrir plus profond. Jusqu’à extinction de voix. Il résister longtemps. Et moi ? On dit que les cancéreux savourent tout. Se renseignent sur tous les âges qu’ils n’atteindront pas : vous qui passez 40 ans, est-ce qu’on ne se sent pas en phase avec soi-même ? Pas du tout. La plénitude, n’est-ce pas ? Si vous l e dites. Exact.

Eh bien, j’ai changé de prétendant. Le grand blond a disparu dans la semaine sitôt confié sous le sceau du secret. Le nouveau s’appelle Q.

Mes parents l’ont estampillé. Comme il a les cheveux longs, personne ne l’interroge sur le tour des oreilles.

Pour le mariage, vous vous rendrez à la mairie le 11 à 19h. Vous serez témoin, avec Mme Sule, saine d’esprit, en fauteuil. Vous aurez peu de chance de vous revoir, sans obligation de vous séduire.

« Au menu : pas une église, des salades, un vacherin « Toque Blanche ». Vins légers à volonté. Vous me verrez, mais ne pourrez pas m’approcher. Trouvez le restaurant « La Carpe qui tète ».

L’attrape-Quiquette.

« Rhabillez-vous. J’hésite à vous rémunérer ».


« Revenons à cet infortuné Prétendant Premier, « L’Évincé » - rappelez-vous mon enthousiasme désespéré : « Une esclave ! mais aussi - une reine !

Cette fois, j’ai choisi. Papa,, et Maman, l’ont juste « estampillé »…


Cher Xavier-Georges,

    Le Premier Prétendant (l’Évincé) – le blond fade - assistera au mariage avec renfort de famille.

Xavier-Georges compte bien se trouver des Prétendantes au Mariage de Mivath. Il oublie qu’il a lui même ...prétendu s’être marié…



Cher Xavier,

J’aurais voulu pousser la plaisanterie : vous apprendriez par un tiers que je suis un homme, et que j’ai remplacé, au pied levé, la véritable Mivath.

X

X X

Georges-Xavier se prépare avec méticulosité. La veille au soir, il a parcouru 12km pour trouver un confesseur qui ne fût pas le Père Dubreuil.

Mon père je m’accuse de n’avoir pas la foi.

Xavier-Georges se demande s’il doit, pour cette circonstance, prendre sur lui une lettre de Mivath, sa correspondante.

Traversant le Faubourg Ste-Oye à bord d’une de ces petites voitures indescriptibles, Xavier-Georges repense au Père Dubreuil.

« Si tu n’as pas la foi, Dieu y pourvoira – est-ce que la mariée sera en blanc ? »

Tout de même, Sœur Tatiana, qui n’aurait jamais, mon Dieu ! partagé la couche du curé chacun vivait aux deux bouts de la cure), avait grommelé dans sa cornette : «Qu’est-ce que tu lui trouves donc, à cette fille ? »

Xavier lui rappelle, aigre-doux, que ce n’est pas lui qui se marie, mais elle, Mivath, et que ses lettres à elle débordent de culture et de finesse.

X

La mairie représente un cube « Napoléon III » aux bandeaux de pierre, au pied d’un rocher. Pour les noces, tant de femmes portent la robe blanche qu’on ne peut distinguer la Mariée. Comme si c’était voulu. Des gens rient et parlent entre eux comme les habitants d’un même village. Il ne manque m$eme pas de cousin braillard à qui on demande de se taire : il en fait trop.

Un père, une mère, ayant baisé, ayant souffert, viennent à Xavier avant qu’il ait claqué sa portière ; ces deux parents éphémères le présentent à trois personnes aussitôt disparues et qu’il oublie aussitôt. Il ne veut pas poser de question, car Mivath doit rester un mystère. Il ne peut aimer qu’un mystère. Elle écrivait :

« À la mairie, placez-vous à côté de moi. Vous signerez l’acte de mariage, car vous serez mon témoin. Pour cacher notre relation épistolaire, j’ai fait croire à mes parents que j’avais choisi mon témoin dans l’annuaire téléphonique ».

En ce temps-là il y avait encore des annuaires. La lettre continuait :

« Mon père fera semblant d’être jovial. Sa calvitie vous plaira beaucoup. Mais parmi les photos prises à la dérobée, il sera facile d’en trouver une qui le montre les yeux baissés, attitude où il se livre sur lui-même.

« Ma mère sera fardée jusqu’aux yeux, poudrée, bouclée. Sur une des photographies qui ne manqueront pas d’être prises, elle repliera d’un geste vif sa cape sur son avant-bras horizontal. Ce tic lui convient admirablement.

« Quant à toi, j’y reviens, sois bien appliqué, inscris ton nom en bas de l’acte, près de moi à me toucher. Tu ne pourras pas voir mon visage, car je porterai une coiffe à bavolet latéral. »


Tout s’est passé comme prévu, Monsieur le Maire a fait une allocution dans son écharpe, à son écharpe.

Mais alors, à la grande surprise de Xavier, les deux familles prirent le chemin de l’église St.F. Le mystère tournait au bizarre, comme on le dit d’une mayonnaise. Founo Boraï, le marié, condamné par ses taches éruptives, imposait apparemment l’intention religieuse de ses épousailles. C’était trop fort !

Xavier, à St-Fernand, se renfrognait. Il ne voyait plus de sa place la robe de mariée, mais les bras du prêtre, en vert et blanc, levés ou baissés selon les bénédictions.

L’étape suivante s’appelle « Restaurant ». Xavier sortit de son engourdissement et jugea de ce qu’il voyait, de plus en plus défavorablement. Un grand blond, immédiatement reconnu comme l’Évincé Principal, prenait sans permission des photographies tandis que chacun découvrait sa place : au ras du sol, sous le nez ou débout sur une chaise libre, qu’il essuyait ensuite. Quand il le pouvait, il poussait de sa main libre les sièges sous les fesses du convive. Après quoi il se mit à fleureter, d’une voix de fausset, avec les trois fillettes apparentées regroupées en contrebas du bout de table. En deçà de l’inconvenant, mais toujours au bord du malaise.

Founo, nouveau marié, s’est adressé à l’Évincé, mais de façon très naturelle, sans intention de scandale. Il parla du beau temps, se renseigna sur sa situation sociale,et révéla son propre métier : libraire-papetier.

Founo souffrait d’un défaut de prononciation : un léger chuintement au bout des phrases, chose à présent très courante pour tous. Et comme on pouvait le craindre, la conversation se fit plus tranchante : Founoboraï se mit à ironiser sur la cérémonie, sur ses participants, voire sur le sens du mariage y compris du sien propre.























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