ZOHAR SIDONIENSIS - SIDOINE APOLLINAIRE 1

ZOHAR SIDONIENSIS I


Valentinien III

425- 455

Derniers empereurs

Pétrone Maxime

mars-juin 455

interrègne (1 mois)

Avitus

455- 456

interrègne (5 mois)

Majorien

457- 461

interrègne (3 mois)

Libius Severus

461- 465

interrègne (2 ans)

Anthémius

467- 472

Olybrius

juil.-oct. 472

interrègne (4 mois)

Glycérius

473- 474

Julius Nepos

474- 475

interrègne (2 mois)

Romulus Augustule

475- 476

L'Empire romain d'Occident disparaît en 476 lorsque son dernier empereur, Romulus Augustule, est déposé par Odoacre. Julius Nepos fut cependant le dernier empereur légitime, reconnu par l'empereur d'Orient et par les rois des peuples fédérés (Francs, Wisigoths, Burgondes ....) jusqu'à sa mort en 480.

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De la chute de Rome, nul s'est rendu compte . Ce fut pourtant, selon Montesquieu, le début du Moyen Âge : 15 août 476. A supposer que notre 1976 en soit l'équivalent, nous serions au VIe siècle, bien engoncés chez les Mérovingiens, quinze cents ans de décalage :  le Ve siècle sera donc le XXe, le IVe sera le XIX; les invasions du IIIe siècle , l'anarchie militaire et l'empereur Gallien remonteraient pour nous au XVIIIe, la Pax Romana correspondrait à notre classicisme, et l'époque d'Auguste à celle de François Premier – Cicéron, César et autres lunes se trouvant relégués à l’apogée des Ducs de Bourgogne.



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Aujourd'hui l'Italie connaîtrait Théodoric le Grand. Nous autres, Clotaire Ier, fils de Clovis.

Presque rien chez les poètes du Ve siècle sur les guerres entre barbares, chiens se déchirant à même le steak ; mais de mesquins écrivaillons se grattent le dos d’un ours à l’autre, s’expédiant des vers et en recevant, se congratulant sous l’entrechoquement des armes.

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Nous pourrions disserter sans fin sur Sidoine Apollinaire : non pas notre Guillaume Albert Vladimir, mais Sollius Sidonius Apollinaris, impénitent versificateur dont Chateaubriand et Huysmans ont fait le plus grand cas.


Sidoine, dernier Romain. Lorsque croula l'Empire, il comptait cinquante-six ans : c'était alors la fin d'une vie. Pourtant trônait déjà de lui dans la cour d’honneur du Sénat une statue en or, ; mais son inspiration, dès 471, avait sombré dans la bondieuserie : il avait été élu à l'épiscopat d’Arvernis (Clermont),

Il avait épousé .jadis Papianilla, fille du Maître de la Milice et Gaulois, qui plus tard serait empereur, Avitus ; puis, son beau-père vraisemblablement assassiné, Sidoine avait détalé ; ceux de sa haute classe lui confièrent alors la tâche de prononcer l’éloge officiel du propre successeur et assassin de son impérial beau-père : cet exercice avait pour nom Panégyrique – un long discours fleuri à l’occasion de l'investiture impériale. Une façon de « sacre civil ».

Nous reviendrons sur ce schéma.


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Siècle des invasions assurément (après maintes infiltrations) – certes, les Barbares finissent toujours par l’emporter – mais bien plus tard ils se polissent au contact de leur hôte. De nos jours - l'Empire Romain ? connais pas – ça sert à rien.

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Sidoine reste indéfinissable, éponge pathétique ou grand noble avisé. L'Antiquité m'a plombé l'âme au point que désormais nul ne peut plus nous suivre – ni moi personne - heureux pourtant qu'elle se soit effondrée - car il est bon que les parents meurent.

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Sidoine, gendre d'empereur ! s'est-il ébloui de cette promotion ? lui qui faisait déjà partie de la plus haute noblesse gauloise – enfin – disons - depuis l'arrière-grand-père…

Sidoine, bouffon friqué ?

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Comme à chaque époque, tout s’effondr:

Le 21 septembre 454, Valentinien III l’Irresponsable poignarde ou fait poignarder son meilleur général Aétius, le vainqueur d’Attila, par jalousie – et c’est bien le cas de dire que “de sa main gauche, il s‘est tranché la droite » - voyez par comparaison le minuscule de nos convulsions contemporaines…

Valentinien s’étant fait trucider à son tour, son assassin Pétronius et bref successeur avait pourtant épousé sa veuve Eudoxie, mais voilà : elle avait appelé au secours Genséric le Vandale, lequel a pris Rome, qui ne lui en demandait pas tant.


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Ce qui restait d’honorable en aristocratie ne pensait plus qu’à se donner des chefs, des vrais, nobles ou pas. Et des diplomates, des vrais. Mais l’Empire voulait mourir : les Goths passaient le Danube sur la glace, les Huns aux trousses ; des faibles d'esprit dirigent RomeArcadius élève ses poules au palais de Ravenne, désormais capitale marécageuse défendue par des légions de moustiques.

Célébrons Sidoine, gendre d'Avitus, ayant donc épousé Papianilla, fille du futur empereu Imaginer les rapports d'une femme et d’un mari en ce temps-là tient du prodige : soumission, solidarité ? les femmes de ce siècle vivaient-elles toutes le martyre ? nul bruit ne filtre d'une acrimonie conjugale quelconque entre Sidoine et Papianille, qui ne fut ni mégère ni querelleuse. Mais le gendre panégyriste se vit consolidé au sein du clan Avitus, naguère encore Maître de la Milice.

Érection donc du beau-père, Avitus, à la dignité d'Empereur, sur proposition de Thierry (Theodoricus). roi barbare. Immense honneur de quinze mois. Lorsque Avitus, empereur gaulois d'Arles et de Beaucaire, chuta lourdement à son tour dans la plaine du Pô, fut-ce d’avoir aimé trop l'ail ? les putes ? les garçons ? les trois ? Gaulois couronné, grisé par tant d'honneurs, se serait-il surtout préoccupé de courir les boxons ?... il est permis d’en doute Puis on le dépose, on le tonsure, il s’enfuit et se fait massacrer, tandis que Monsieur Gendre se replie - Auvergne aller simple – et s’absorbe prudemment dans sa gestion foncière, recevant sur sa selle d'humbles témoignages d'allégeance et voici que soudain, en 457, Majorien succède au beau-père Avitus - le poète consentirait-il à reprendre du service ?

Oui. Sidoine se voit généreusement rétribué. « Lui seul donnera du lustre à nos cérémonies ; un hochet creux comblera le poète" ! Plus tard Anthémius, "le Fleuri", qui dura presque aussi peu, malgré le troisième Panégyrique du fécond versificateur Sidoine se tourne alors vers l'épiscopat, issue de secours des fins lettrés. Il combattra, nouvel Augustin, sur les murs d’Arverna bloquée (750 habitants : Clermont-Métropole).

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X X X X

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Nous voici tenté d'entonner un vibrant parallèle entre la Chute de l'Empire Romain (Decline and Fall...) et ce petit siècle où nous sommes – chaque génération s'étant crue à bout de souffle, en crête de déferlante, depuis la nuit des temps... Déliquescence, liquéfaction ? quel masque, dans ces ténèbres, pouvait bien porter l’anxiété humaine ? ...Les citoyens du Bas-Empire n'adoraient-ils pas ces braves Barbares, si purs, si humiliés, si crève-la-faim ? Vite ulcérés ensuite par le "manque de respect", par tant de rejets racistes, nos pauvres Ostrogoths émigrés relevèrent les armes : ressemblances bien minces en vérité : mêmes réfugiés pourtant, mêmes ravages sentimentaux de la bonne volonté, rejet de tout militarisme.

Chez les Romains une culture à bout de souffle – de nos jours : dérision, incommunicabilité ou autres sornettes  - tous les siècles charrient leurs insuffisances. Les Barbares, nous dit l’Histoire, finissent toujours par l'emporter : doit-on pour autant laisser faire, sous prétexte que de la mort naissent de jeunes asticots tout frais ? Jamais.


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Souvent nous balaierons la vie de Sidoine : une enfance mal connue, les premiers succès, les épousailles - résistance aux Wisigoths, tout Sidoine enfin, déchiré par la cession de son Auvergne à l’ennemi, et l’indignité de Rome, précipitée de son antique piédestal.


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Sidoine à lui seul n’aura pu renflouer toute une civilisation par la chaleur de sa correspondance. De même notre siècle, par petites groupes de volontaires motivés (en lieu

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et place de l'utopique "réussite de masse") préserveront tout au plus l’héritage culturel en dépit de l'ignorance abyssale de nos dirigeant, pour qui, ne nous leurrons pas, la transmission du flambeau relève du comble de l’élitisme fasciste. Pourtant Cassiodore, Isidore de Séville, aux VIe et VIIe siècles ; Saxo Grammaticus, XIIe siècle, source de Hamlet… et au-delà, tous ceux qui déroulèrent le fil ininterrompu…. "Le grec et le latin, ce sont des langues mortes » - anciennes, ô ignare scientifique, anciennes.

Il m'a toujours plu d'imaginer Sidoine sur les remparts de Clermont : tel Augustin sur ceux d'Hippone ou Ovide à Tomès, revisité par Vintila Horia - Sidoine Apollinaire - trois demi-millénaires avant nous - je n'ai cessé de lire et de relire ces vieux volumes imbibés d’importance et de faux talent.

Cette façon qu'ils avaient tous de s'abaisser, révérences de fausses vierges, pudeurs issues de la plus pure tradition...


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Sidoine, témoin pourtant dune époque grandiose, se préoccupe de mille sottises. Si diamétralement, si dramatiquement opposé à nous. Faisant d'Aragnole, jeune épouse, une brodeuse hors pair, décourageant Pallas même, qui transforma, dit-on, sa rivale en araignée - chute de Rome ? rien ne s'est effondré chez Sidoine, surtout pas les clichés.


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Il naquit dans le moule usé de l’expression latine. Tandis que Rome exténuée cherche de quel côté tomber – sicut vetula flaccidaqué mentula - Sidoine à 37 ans s'avise enfin de la fin de sa propre culture. Il se réfugie palpitant dans les bras de l'Alma Mater Ecclesiastica, seule garantie d'éternel : Sidoine devient évêque. L'empereur et beau-père




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Avitus lui-même n'avait aussi obtenu la vie sauve (pour si peu de temps) qu'à son entrée obligatoire dans les ordres. Seule voie libre à l’ambition sociale.

Nous avons longtemps estimé de la dernière sottise de choir dans le christianisme : Cioran célèbre tel philosophe qui s'enfuit d'Égypte du jour même où il entendit s'élever du Sérapeum d'Alexandrie la première prière chrétienne : début de l'obscurantisme. De nos jours chacun peut bien se forger le petit système religieux correspondant à sa propre impuissance.

Sidoine s'éteignit vers 486, à 55 ans. Tous nos grands anciens sont de jeunes morts. Fût-on premier littérateur de son temps, admiré au point de voir de son vivant sa propre statue d'or au beau milieu du vestibule du Sénat, l'on n'en crevait pas moins à l'âge où nous autres commençons juste à vivre.

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Nous utiliserons le plus souvent la traduction de Pierre Loyen, en Collection Budé. ignoré d'Anglade (« pas même entendu parler », à chacun ses sources bien sûr, mais tout de même…)

Nous aurions aimé connaître ce sieur Loyen, Doyen de la faculté des Lettres de Poitiers, né en 1901, mort en 74. C'est bien jeune. Lorsque Sidoine accède en 471, par la vox populi, aux dignités épiscopales, il traîne (pour nous) un lourd passé d'exécrable versificateu Il s'est résolu à délaisser Papianilla son épouse, fille d'empereur, chacun de son côté entrant dans les ordres. Chose admise en ces temps-là. Sidoine répudia Pline, Virgile et Cicéron, pour ne plus parler que Jérôme ou Mathieu : tel fut soudain son vivier,


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avec autant de pathétique flagornerie au Service de Dieu qu'à celui, naguère, de la Muse païenne. Triomphera désormais, chez Sidoine, un maniérisme devenu, hélas ! religieux : il bafoue, prostitue son talent, si frelaté fût-il déjà, dans ses contorsions de sacristain ; au copiage éhonté de toutes les pensées païennes succède immédiatement le pillage de tout le suc chrétien. Pathos à deux balles, niaiseries de bénitier, sans atteindre toutefois aux diarrhées paroxystiques d'un Augustin, qui se vautre dans des sanglots de sous-merde chialarde. Sidoine n'a pas plongé si profondément dans ces latrines ; il s'est borné à y barbote

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Était-il donc si inconcevable de se présenter la tête haute devant l'Éternel ? préférons à tout prendre les ronds de jambe de Sidoine à ces avalanches intestinales qui laissent bien mal augurer du christianisme à veni Heureusement, notre évêque d'Arvernis s'est vigoureusement soulevé contre la livraison clés en main (le mot n'est pas trop fort) de son Auvergne aux Barbares d'Euric, Wisigoth fratricide ; ce que notre poète paya d'un séjour en prison. L'an 475 en effet, l'Empereur Népos négocie l'abandon de l'Auvergne contre le retour à l'Empire d'Arles et de Marseille – infiniment préférables en effet à l'obscure citadelle des Arernes.

Sidoine, au-dessous de ces pavés mêmes où nous marchons, promena son mètre soixante. Quant au Sidoine du jeune temps, si dynamique, si passionné, si vulgaire, il ne nous est pas moins étrange

L’Empire cependant (revenons en arrière) poursuivait ses longs écroulements. À 18 ans, l'Apollinaire (le nôtre, le Gallo-Romain, dont il ne reste aucun portrait) (fondue, la statue d'or !) – fut acclamé par la noblesse lyonnaise. Laquelle s'ébaubit de sa virtuosité : l'écriture n'est plus qu'un jeu de mots.


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De quels siècles serons-nous l'Antiquité ?...il était une fois, d’âge en âge, une chaîne ininterrompue, atavique et sacrée, des moines de Saint-Michel-au-Péril-de-la-Mer à ceux de Liège ou de Bobbio, entre talibans chrétiens, où l'on grattait et regrattait les parchemins à la plume d'oie ; priant, mourant vite, le temps de passer le relais.

Tous les siècles sont là, chacun dans son costume. Comment raisonnait-on ? nous ne le savons plus. Comment les mortels s'accommodaient-ils de leur si courte vie ? Comment s'imaginaient-ils en vérité que Dieu vivait parmi nous – le contraire eût été inconcevable ? considérez la chaîne humaine au fin fond de laquelle nous tend la main, de l'autre extrémité du temps, ce jeune écervelé sportif qui court après les balles, s'essuie, se rafraîchit d'un Côtes de Bourg ; puis vient son fils.

Son petit-fils fut collaborateur des Wisigoths.

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Puis sont venus les moines incessamment renouvelés, puis une longue procession, de Scaliger d'Agen jusqu'à Mommsen (1871-1903), Wilamowitz-Möllendorf, mort en 31 et qui fut son disciple ; les Doktoren postillonnants de Leipzig et Colmar se saluaient, rasés jusqu'aux bourrelets de nuque. Au sein même des guerres et des exterminations, ils dialoguent et s'affrontent en souterraines controverses philologiques. Dans l'Europe à feu et à sang, de vieux Assis perclus, maniaques dérisoires transmetteurs de mémoire.

Desséchés dans leurs cœur dès leur plus jeune âge, disséquant conjonctions et préfixes, sanglés en gilets d'intérieur et loupe à la main, bouffés de tics et de phlegmons contre les poêles, marmonnant sous les monocles - c'est ainsi qu'ils ont propagé, dans leurs fossiles voluptés, les Institutiones de Cassiodore et les Lettres de Symmaque, préfet de Rome, et de son lointain successeur, Sidoine.


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En bout de chaîne jusqu'à nous, entre leurs pincettes d'entomologistes ; ils ont pour nom Mohr et Sirmont, Thilo, Leo. Ils repoussent de la gueule, sans un instant mettre en doute l'absolue nécessité de leurs billevesées. Hommage en vérité aux Benediktus-Gotthelf Teubner, aux Brakmann ; à Luetjohann, Germain poivre et sel. Me voici compagnon de ces ressusciteurs d'ancêtres, à l'abri de leurs cols de celluloïd, rejetons de moines médiévaux, de Byzance à l’Irlande, sauveteurs du Verbe. Guidés par la lectio difficilior, la lecture la plus difficile : quel scribe du Xe siècle en effet, épuisé de jeûnes et de vigiles, na pas trébuché sur les obscurités d’auteurs...


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Il exista bien avant eux encore, au Ve siècle, un ciel, de l’air, comme ceux que tu vois et respires. L'existence n’y pesait guère ; le moindre manquement, la plus infime négligence, nous eût mille fois expédiés sous le glaive ou sur le bûche Aimaient-ils, ces futurs jeunes morts, leurs enfants avec la même angoisse ? ficelait-on déjà les nourrissons pour muscler leurs jambes ? ...Octave Auguste vivait à égale distance de Sidoine que de nous autres à François Ierde France. Constantin, initiateur du christianisme d'État, correspondrait au temps de Dreyfus. Lorsque naquit Sidoine (420), l'Empire de Rome pouvait encore se considérer comme éternel : en 389 (1889), n'avait-on pas expulsé de Rome  tous les étrangers ?

La décadence ? quand cela ? pantoufles brodées, service militaire interdit aux nobles, tout n'allait-il pas pour le mieux ? LesRomains n’assimilaient-ils pas tous les peuples conquis ? En vérité, l'Empire ne sera vraiment foutu que le jour où les Barbares se substitueront aux instances romaines ; maintenues, mais progressivement étouffées. - Depuis longtemps, lorsque naît Sidoiue, les forces, les lois de Rome « n'ont plus de romaines que le nom », dans la plus parfaite inconscience.


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...J'entends toujours les exclamations méprisantes d’un mari au Musée Archéologique de Tarragone : “Tu parles... des sonnettes, des lampes à huile, des tringles à rideau !” - ô déplorable plouc, ne vois-tu pas que ces sonnettes en effet, ces écuelles et ces peignes, furent jadis touchés, pétris, effleurés par des paumes, des doigts, des souffles, et que c’est eux que l'on vient visiter ? ne t'effraies-tu pas de ce jour où nous ne serons plus qu'une haleine ou ce tintement de cuillère sur ce plat vide ?


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Sidoine monta aux cieux sur un char tiré par les aiglons de l'inspiration, attelés de lierre. Poète, prends ton plectre, et grattes-en ta lyre en carapace de tortue. Livre-toi aux prétéritions par l’intarissable énumération de tout ce dont tu ne parleras pas, ce n’est pas aujourd'hui le moment de chanter (II, 311) la fin du Python divin -

Sur les pas des Anciens je trébuche à mon tour

- le poète évoque le grand Vallia terrassant les Vandales, « recouvrant de cadavres l'occidentale Calpé » - II, 235 - c'est Gibraltar - “avant le [rappel] des Wisigoths en Gaule et leur établissement en Aquitaine.” L'exploit de Vallia ne fut qu'une escarmouche, et les Vandales n'étaient pas (II, 364) « rangés en “escadrons”...que je sache... les Alains leurs alliés s'étaient depuis longtemps ratatinés en route, au nord vers Allainville, non loin de Rambouillet. Son petit-fils donc, “le terrible patrice », glabre, balafré, porteur de la toge civique » en un mot Ricimer, « faisait et défaisait les empereurs” Ce « Richimer » (comme ich)défit donc les Vandales.



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II, 391 : La déesse, nous dit le traducteur, « s'apprête à se mettre en route”, - quelles image, quels émois ressentaient-ils ? « [|Son] baudrier, hérissé de [clous d’or] ‘et non pas de « boutons »…) pris à l'ennemi, plaque sur le côté gauche l'épée dont la garde se dresse »  - hexamètres brillants, périodes balancées. Sidoine s’est laissé extirper de son refuge. Ce texte le montre accablé de millénaire lassitude, anémié des mêmes clichés, emmiellé de héros dégoulinants de siècles. “Passation du flambeau”, «Bascule des cultures », entre voiles funèbres, larme à l'œil et masochisme déploratoire : Sidoine, pleutre fleuri, reçoit en récompense la Préfecture de l'annone – le pain et le vin de Rome.

Il n’a pas pu, il n’a pas su.

Et une émeute, une : “Notre préfet est bien gras ; il ne doit pas manquer de pain, lui.”

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C’est à l’Église que revint la restauration du patriotisme romain du moins catholique . Les Burgondes, autour de Lyon, se présentaient comme “ariens”, partisans du théologien Arius, qui niait la divinité du Christ ; les Francs au contraire se firent “catholiques”, adeptes de la religion « universelle », grâce à Clotilde, princesse burgonde...

Sidoine, chrétien depuis son grand-père, mais pas encore évêque, nous pond éloge sur éloge à la demande ; ce qui indispose dans sa vie, c'est justement cette absence de sentiments profonds : gâté par la naissance, il réagit volontiers à l'Histoire comme on peut s'y attendre ; jamais comme on ne s'y attend pas.

Juste une immense colère, enfin ! plus tard, quand l'empereur Népos livrera l'Auvergne à l’ennemi alors que les Arvernes, eux, ne se sont jamais rendus.

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Il exista en ce temps-là de l'air, un ciel, comme ceux que tu vois et respires. “C'est ainsi, dans sa tenue habituelle, que [la déesse Rome] traversa l'éther limpide et gagna le tiède séjour où naît Hypérion” - le texte latin, en regard, évoque davantage - liquidam transvecta per aethram – II, 405 - belle chute du “e”, “éthré” pour “éthéré” – ajoutons ce gauchissement des accents toniques décalés, si bien que la phrase latine devait offrir un rythme assez comparable au rap de notre temps (la poésie latine avait d’abord été perçue comme une contrainte phonologique hellénisante.)

Rome frottée d’Athènes.

Racine lu par un Anglais.


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L'édition des Poemata de Sidoine présente les panégyriques dans l'ordre inverse de leur composition : tradition bien incommode. Or le Panégyrique initial d'Anthémius nous semble de beaucoup le moins bon : du plat froid, du pathos (épargnez-nous ces « pateauce » dont trop souvent le pédant équeaurche neautre langue) – voici : "décrivez le palais de l'Aurore”. Tout potache des années 60 ( 1800, bien sûr, 1800) resservira les inévitables doigts de rose “...sous le soleil levant, tendu vers l'Eurus » - entendez le vent du sud-est).

Suivraient les incontournables remplissages d’'oiseaux et de fleurs : “aucun humus ne pâlit sous le froid”, « les prés émaillés...” - émaillés ?! - "...de fleurs immortelles", ignorant « les gelées des autres climats” - « Les guérets sont peints d'une flore pérenne » - soupirs et oripeaux...

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Et tout cela pour imiter Claudien. Vous ne connaissez pas Claudien. Moi non plus - les “campagnes se parfument de roses”. Ces minutes que je compte avec impatience sont pourtant mes minutes de vie. “Et dans les champs non cadastrés”, “le grain de l'odeur fragre”. II 413 Ronflons. “C'est là que le palais de l'Aurore offre aux regards, sur des revêtements d'or rouge, le relief de perles lisses incrustées” - II 419.

Qu'en pensait le patrice Ricimer, qui assistait à la déclamation ? puisqu'il donna, selon Anglade, le signal des applaudissements, “un sourire coincé dans la balafre de sa joue gauche” ?


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...Rédiger une “Vita Sollii Apollinarii” en latin d’époque semblerait le seul projet conséquent. Il existe deux biographies, en français moderne. L’une chez Horvath, d’Anglade, prénommé Jean, mort en 2017 à 102 ans, l’autre, à la Société des écrivains, de Guy Azaïs, mort en 21 à 79. Nous voici dos au mu

Nous lisons chez Anglade comment Sidoine un jour fut choisi par son beau-frère, Ecdicius, pour lui succéder à l'épiscopat ; à l'article de la mort, il l’avertit des limites et dangers de sa nouvelle fonction. À vrai dire nous ne comprenons toujours pas cette si soudaine piété (on appelait cela « conversion ») de Sidonius n’était pas simplement la “seule façon de maintenir dans une société en recomposition un réseau relationnel et culturel” : ultramondain, puis ultradévôt, perroquettant de Virgile à l'Évangile, incapable apparemment de se dépêtrer de tout une armature de clichés, mais dépourvu jusqu'à nouvel ordre de la moindre inquiétude mystique, voire d’ intériorité.

De tels itinéraires cependant s’observent de saint Augustin au Père de Foucauld, sans omettre le le siècle de Louis XIV.

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Père de quatre enfants, féru d'honneurs et de beaux vers, précieux et superficiel jusqu'à l'extrême (rites et liturgies sont d'admirables préciosités) Sidoine en trois sauts franchit la passerelle de l’abîme. Spontanément dirait-on, il se surcharge comment a-t-il fait ? - d’un nouveau fatras religieux qu'il nous régurgite ensuite implacablement. Comment a-t-il dépassé la cérémonie, les extérieurs, le prestige, pour accomplir la plus difficile des vertus théologale, la Charité, lui qui n'a pas su nourrir la Ville ? ...pour ne plus priser que la fréquentation du peuple et de sa misère ?

Autre paradoxe, dû à nos ignorances : comment Sidoine pouvait-il organiser la Résistance aux Germains ? Devons-nous estimer que son exemple, sa culture et sa nouvelle dignité suffisaient à contrer les Germains ou la démoralisation de son époque ? L'insécurité ne régnait-elle pas à un point que nous ne pouvons imaginer ? Le message de l'Église aurait donc si brillamment illuminé tout cela ? ...Sidoine ainsi s'opposant, à Bourges, à ce que des intrigants accédassent aux fonctions d’évêque...

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A propos du Panégyrique de Majorien, déplorons le scrupule des éditions, qui, pour des questions de préséance à présent obsolètes, maintiennent le prince régnant à la première place, et ainsi de suite en remontant le temps. Nous revoici donc devant les flagorneries coutumières, où le Guerrier, le Chef tant attendu se voit loué sans réserve – alors que Rome trébuche déjà au bas de sa pente : Roma bellatrix, la lance “ivre du sang des guerriers” - comment peut-on exalter à ce point l'ardeur à tuer ? si les hommes n'avaient pas envie de mourir, les guerres seraient abolies  ? - grades, classifications, décorations et distinctions, procèdent à la fois de nos pulsions de meurtre et de notre fanatisme de la classification : instincts jumeaux spécifiques de l’homme...


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Triompher de l'angoisse en tuant. Fortifier sa puissance  - Majorien, prédécesseur – après l’inconsistant Libius – de Procopius Anthémius, malgré les espoirs aveugles, malgré sa reprise en main, ne pouvait, n’aurait jamais pu redresser Rome. Au soldat romain succédait le guerrier germanique, le Kriege Dans le contexte desséché, exténué aussi, du monde antique : incapacité de renouvellement, ressassement des mêmes thèmes ; chaque époque retape ses vieux chapeaux en les prenant pour des cerveaux.

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Admirons cependant les vers de Sidoine, fussent-ils resucés de Virgile, ou de Claudien, dernières modulations du cygne versificateur. Après Sidoine viendra Cassiodore, Grégoire, Isidore de Séville et tant d'autres ignorés. Rien de plus mauvais augure, qu'une littérature ne soit plus lue que par ses propres écrivains. La poésie latine se survivra dix siècles et plus : Erasme, les deux Nicolas Bourbon grand-oncle et petit-neveu. Le fin du fin de l'éducation du College of Dublin sera d’avoir appris à composer des vers en grec et en latin. Ce qui vaut bien ma foi l’actuel barbouillage de mathématiques.

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Relisons Anglade, Jean, récemment disparu, orné d'une vaste chevalière, en mission de dédicace au parvis de Sainte-Urcize : "N'avez-vous pas tiré certaines indications du Pseudo-Frédégaire ? » Œil torve. « Connaissez-vous André Loyen ? » - il ne connaît pas André Loyen, exégète et traducteur - “Vous êtes historien ?” Pour faire court je dis oui.

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Rien n’est plus croquignolet, chez Anglade, que ce tableau de Papianilla, enceinte en chariot sur les chemins cévenols, l’époux en flanc-garde et suite à cheval, entre gaucherie des dialogues et psychologie bon enfant. Le chercheur, au sortir d’ouvrages broussailleux, se sent déboussolé par cette prose maigre. Puis s’attache à l’étrange destin angladifié de ce fils et petit-fils de préfet gaulois, féru de versification latine.

Ledit gendre du futur empereur engendra deux ou trois enfants puis cloîtra sa chaste épouse après l’accession à l'épiscopat d’Arvernis, « Clermont-Ferrand », 700 habitants.

Et notre évêque prend soudain conscience du dépècement de l'Empire.


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Ainsi Modeste Apollinaire passe-t-il des arcanes poétiques aux lourdes charges épiscopales. Les lettres de notre évêque frôlent l’imbuvable. Fallait-il à ce point bannir les grands auteurs impies ? et nous infliger tout ce que le bric-à-brac ecclésiastique peut avoir de plus horripilant : incessantes invocations à Notre Seigneur, contritions larmoyantes, éboulis sans rémission de Saintes Citation… En accédant à l’épiscopat notre auteur n'a pas varié d’un pouce : révérant l’autorité quelle qu’elle soit, Rome et l’Empereur, Dieu et son Église,


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Dans ces panégyriques aussi bien que dans toute versification du temps, il était du dernier chic de s’adonner aux jeux d'énigmes : César sera « le très glorieux Jules », « le

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descendant gaulois » (il a conquis la Gaule...) «  de Vénus », « l'assassiné des ides de mars ». La plus obscure entité mythologique offrira au gourmet sa pâture et sa consécration de briseur d’énigme.

Un autre tour de force consiste à minutieusement énumérer tout ce dont il ne sera pas question, le raffinement de ce supplice appelé prétérition consistant à tartiner sur trois cent un vers (À Félix, record battu) le fait que l'auteur n’a rien à dire, mais qu’il envoie ce petit mot pour avoir eu le plaisir de l'écrire…



X



Nulle époque cependant n'est si enfouie ou si sanglante qu'elle ne recèle un historien pour la transmettre. Et cette dimension crépusculaire du Ve siècle est précisément ce qui manque aux adaptations romancées - : « Me faire ça, à moi ! à moi qui ai gouverné les Gaules six ans de suite à la satisfaction de tous ! De presque tous ». Plus tard nous est présentée Papianilla, fille d'empereur, pleurant sur son abandon, puis rachetant sur les marchés les plats d’argent offerts par son épiscopal époux - réactions de chaisière (mais qui sonda jamais l'âme d'une chaisière). Laquelle peu après suivit la vocation de Sidoine, se cloîtrant parmi les moniales.

Nous préférions bien sûr pour nos héros quelque langage bien entortillé, conforme aux traces écrites ; maudites soient ces piètres BD où des moines s'écrient en tibétain « Foutez-lui sur la tronche».




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17 X

PANEGYRIQUE D'ANTHÉMIUS II 18 / 360 (second survol)

Exorde II v.18 “C'est vous, Sire, Domine, que nos campagnes ont réclamé dans vos prières”. L'empereur Anthémius « le Fleuri », succédant à deux ans d'interrègne, fut sans doute homme de cour et de cabinet aussi bien que grand militaire et Grec parfumé. Mais le panégyrique de Sidoine reprend à satiété cette espérance folle du Chef Providentiel, dont “la Fortune retarde l'élévation” (sous-titre en marge, v 210) ; “Campagne d'Illyrie contre l'Ostrogoth Valamer”, (v. 223) en 466/467. Nous ne sommes virils qu'à ce prix : le poing sur la gueule. “Maintenant assiste-moi, Péan, (Invocation) dont les griffons au bec crochu sont soumis au docte mors de laurie..”

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La Visite de l'Italie au Tibre (II, 318-347), prosopopée de haute valeur soporifique. Ue jusqu'à la corde. Ces mentalités sont désormais si reculées que nulle passerelle ne semble exister entre eux et nous. Çà et là quelques bribes historiques : “l'Empereur Sévère » (Libius Sévérus) « frappé par la Nature, avait augmenté le nombre des Dieux” - savamment empoisonné par Ricimer, comme ricin, le 14 novembre 465. S'interpose aussitôt hélas dans le texte l'allégorie pompière d’Europe, descendant du taureau toute dégoulinante...

Éloge de Ricimer (358-360)

Ricimer s'oppose aux Vandales : en effet le Vandale nous dit le poète se targue d'un père incertain (le père de Genséric, Godagisel, était roi de la tribu Asding…) .alors que la seule

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chose certaine, voilà bien la mauvaise langue ! c'est que sa mère est une esclave ; pour être aujourd'hui fils de roi, il proclame l'adultère de sa mère.

Il se rappelle aussi, notre Sidoine, que sur le sol d'Espagne jadis le grand Vallia, grand-père de Ricimer, terrassa les escadrons vandales , recouvrant de cadavres l'occidentale Calpé.” Calpé, c'est Gibraltar - gageons que l'exploit de Vallia ne fut qu'une escarmouche, malgré les escadrons de cavalerie des Vandales. Plus tard donc le « terrible patrice”, comme on le nomme, Ricimer, “faisait et défaisait les empereurs”. Il ne reculait pas devant l'assassinat. Sidoine tremblait de révérence devant tout chef, pourvu qu'il se manifestât sous la caution de Rome. Ricimer : un camée le représente, glabre, vêtu à la romaine. On devait chier de peur en sa présence. Mais Rome vaincue faisait encore illusion ; Ricimer ne sera pas couronné empereu Il ne prendra pas lui-même le pouvoir romain. Il fait assassiner ceux dont il est jaloux.

Sidoine fit donc l'éloge d'Anthémius, troisième empereur fait ou défait par Ricimer et ses grosses mains en battoirs - imaginons...


18.

II, 387 – 407 à 449 -

Le Tibre et Rome

Panégyrique, donc, « de l'Empereur Anthémius ». Le sous-titre suivant, initiative de l'éditeur, mentionne "Séjour de l'Aurore" : Anthémius, "le Fleuri", vient en effet de Grèce jusqu'à Rome. Sans presque rien savoir de cet homme, Sidoine se livre à l'un de ces exaspérants exercices : le panégyrique. Attendons-nous à des avalanches de clichés, voire de listes : Il est un lieu de l'Océan, dit Sidonius, tout proche de l'Inde lointaine (407-) – – sous le soleil levant - il est bien entendu que jamais le soleil ne se couche sur l'Inde... puisque c'est le pays de l'Orient.



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Quant à l'Eurus nabathéen, vent de sud-est, Sidoine le fait venir de l'est : "la Nabathée, précise Loyen, [fait] partie de l'Arabie Pétrée" ; c'est bien embrouiller les méridiens. Le printemps y est éternel – et notre entreprise ne connaîtra jamais de fin. La terre ne pâlissant sous aucun frimas jamais n'interrompt son travail. C'est là poursuit le poète que le palais de l'Aurore offre aux regards, sur des revêtements d'or rouge, le relief de perles lisses incrustées – goût tapageur du temps. Compliments ronflants de voleter alors, éculés à en perdre le souffle : « la plupart loueront ta faconde, plus encore ton intelligence, et tous ta modestie » - beau groupe ternaire.

Cependant ne dénigrons rien : ces frivolités sont sacrées ; c'est en récitant du Dante que Primo Levi survécut à son camp. Tel sera le sort des lettres françaises, expulsées de l'enseignement, qu'il faudra bientôt se procurer secrètement et lire dans la honte, sans en parler jamais. Nous nous serons usé les yeux nous autres rats de papie C'est par de tels envois, par ces minces filets, que la culture a pu suivre son cours si menacé : « Oui, j'ai commis une faute, pour n'avoir point encore inséré dans mon ouvrage une lettre à ton nom. » - les célébrités du temps se bousculent pour figurer dans la Correspondance ultérieure de Sidoine .

Même de simples bagatelles. C'est ainsi que jamais Rome ne fut dissoute.


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Sidoine célébra donc trois empereurs successifs, même un peu assassins - pourvu que surnage le beau style, qui tient lieu de toute conviction autre qu'esthétique - et, grâce à la maîtrise de l'artiste, chaque objet considéré paraît plus beau que le reste – détails, surcharges : la diversité disperse les yeux – conception à l'exact opposé de la nôtre.



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Sidoine ignore à peu près tout ce qui ne concerne pas la poésie : listes de fleuves ou de peuplades, juste pour le plaisir des sons - qu'elle paraisse donc, cette Aurore, avec ses foutus "doigts de rose " ! que Latins naturels et bâtards s'en vautrent dans leurs peignoirs ! Sa chevelure peignée se répandait, et de son bras fléchi le peigne enfoncé disposait ses tempes dorées - ultimes flatulences d'une « civilisation à bout de souffle »- deux ceintures en faisceau sur la poitrine, en brassière, et les petites pointes de ses seins loin l'un de l'autre - "Sidoine s'amuse" ? il est bien le seul. - ainsi la reine sied-t-elle sur son trône.

Que de séduction. Surtout ah surtout ! les jambes rougeoyantes ; une vraie perruche, ton Aurore. "La hampe d'un flambeau remplit ta main droite" - la Nuit se tient auprès de la déesse, déjà les pieds tournés, fuyant - immense froideur de tout cela, de ce dialogue entre allégories : c'est alors que l'Aurore, reconnaissant Rome – reu, ro, reu, reu, ro - ...qui venait par la route azurée, sauta en hâte de son siège - Sidoine ne peut plus imaginer que du déjà-imaginé : Rome s'en vient prier l'Aurore - implacables successions de fadeurs – énumération des exploits révolus de sa chère effondrée : ainsi l'Aurore tremble ! ...tant l'Orient dut maintes fois plier sous le joug de Rome ! Rome ne vient pas réclamer ses anciennes conquêtes en Orient... Eh non, bien édentée l'ancêtre – ...ni pour que les casques ausoniens ([zozo])puisent, comme autrefois, l'eau du Gange indien – vision du soldat au bord de l’Araxe, à l’autre bout du monde ! ô poésie militaire ! ô Vieille caserne oubliée !

Sidonius montrera « le consul triomphant saccageant la caspienne Artaxata » Artaxata Caspia, et «dans le pays des archers, le Niphate peuplé de tigres » – ô triomphes, ô rétroviseurs... (443-445)


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Pas de femmes ou si peu dans les cercles précieux de Sidoine. Juste ces déités radotantes : « Je ne demande plus... Je ne réclame pas... aujourd'hui dans mes prières le royaume de Porus pauvre Sidoine, c'est Alexandre qui rencontra, aux bords de l'Indus, ce « Porus », « shah-pour»", « fils de roi », dont le titre devint ainsi nom propre - quelle conscience les Romains avaient-ils des Indiens, des Sères alias Chinois ? Pourquoi n'ont-ils pas eu la curiosité, ces casaniers, ces gratte-sous, d'aller voir ? quoiqu'une ambassade y fût vraisemblablement parvenue vers le IIe siècle – mais Sidoine en est à confondre l'Ethiopie et Caucase – ô monde étroit, ô connaissances désinvoltes, etc. (II 449)

19 II 450-455

Nous avons lu un document admirable et vivace (1878) : la préfecture des Gaules eut beau se replier de Trèves à Lyon puis Arles, elle n'en exista pas moins avec ses charges et ses honneurs, et notre poète ne s'est rien proposé d'autre, n’est-ce pas, que de servir l'État, la Res Publica, de toute son âme. Sidoine est jugé très sévèrement par certains historiens, qui lui pardonnent difficilement d’être passé ainsi d'Avitus à Majorien, le premier plus ou moins occis par le second pas plus tard que l’année précédente. Au point même, toute honte bue, de dîner en sa compagnie.

...Selon l'historien de 1878, les décadences atténuent volontiers les frontières du bien et du mal. Nous y sommes en plein. Dix ans plus tard, Sidoine refuse moins encore d’adresser à Anthémius ce panégyrique ampoulé où Rome, interminablement, supplie l’Aurore, sœur de la Lune et du Soleil, de lui expédier un empereur byzantin, autant dire oriental :

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Je ne réclame pas, dit Rome, le palais d'Arsacès, (II, 450-455) dit la vieille Rome, qui ne se maintint jamais bien longtemps en Médie. Mais il fallait bien remplir ce panégyrique, Sidoine ignorant tout de cet Anthémius - oui, les armées romaines de jadis marchèrent sur Babylone - nous t'avons abandonné tout ce ciel – déchirement des premières scissions, Antoine et Octave, puis Arcadius éleveur de poules et son frère Honorius - mais il faut bien énumérer tout ce que l'on ne veut pas – ce n’est que bien plus tard que Justinien tenta en vain de reconquérir l'Occident. « Rome, ici, se souvient de ses grandeurs passées ». Se la joue « ancien combattant » battu...


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Or, virgule, après Libius Sévérus, "fantoche" (pourquoi donc Sidoine n'a-t-il pas prononcé le panégyrique de celui-là ? Ricimer s’épargna cette comédie) , voici qu'un noble hellène se présentait, obligé de l'empereur Léon, ce dernier lui-même placé sur le trône par d'autres Barbares. Après Majorien sont venus le fameux Olybrius, toujours en vie dans notre langue ; puis Glycerius, Julius Nepos, tous deux déposés ; enfin donc ce noble Anthémius, livrant sa fille Alypia, tendre brebis, au grand Ricimer, qui joue au faiseur de princes.

Sous le frais jour levant et de l'ampoule blême, nous ne cessons de relire ces vieux carmina, si redondants, si ingénus de fatuité. Débris accommodés de Pline et de Claudien ; autodénigrements contorsionnés, pudeurs virginales issues des plus vieilles maniaqueries.

Quant au nouvel empereur de l’Ouest, Anthémius, ne nous inquiétons pas, tout Grec et tout aristocrate qu'il soit, il sera promptement rétamé lui aussi malgré ses mérites, en dépit des flagorneries de Sidoine. Supplications en gigogne…




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Mieux ou pis : Sidoine brosse et rebrosse Ricimer, tout-puissant, dans le sens du poil - Sidoine et Ricimer n’étaient-ils pas tous deux gendres impériaux, le premier, celui d'Avitus, adoubait son ressemblant, gendre d'Anthémius...

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II. 459-461 « Ce présent même ne m'a pas suffi », gémit Rome (nous l'avons laissée, seins

tombants, lippe molle, aux genoux de l'éternelle Aurore). "Je ne dis rien des Cyclades" - mais parlons-en quand même - André Loyen montre beaucoup de sévérité (non sans tendresse) envers la préciosité sidonienne : surabondance de descriptions dégoulinant d’or et de rose, références naphtalinées aux vieilles gloires (Orphée charmant les fauves, Scipion vainqueur d'Hannibal , César enjambant le Rhin) - boursouflures, dithyrambes et métaphores filées jusqu'à moisissure.

S'il ne fallait dire les choses que comme elles sont, comme nous serions vite au bout de nos phrases ! « L'acquisition de la Crète a bien servi ta gloire, Métellus. Cette Crète, c'est à toi qu'elle obéit » - à 532 années de là, splendeurs bien lointaines (demandons-nous comment un texte pouvait être si savamment transmis de siècle en siècle, traducteurs et glosateurs ; s'agissant d'un texte abordé pour la première fois, les embûches, en revanche, se multiplient - en vérité, chers nous autres chercheurs, nous aurons plus vécu dans les livres qu’en vrai - il faut tout de même bien qu'il nous reste quelque chose, à nous les Assis. En vérité, au bord de la fosse (qui est vraie, et non pas fausse, ô massacreurs de ma langue), chacun déploie son néant. Les empileurs de jeux de cubes auront vécu sans cesse une même journée - la mort viendra dans la foulée.

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Je ne suis qu'un de ces latinistes dont les bouquins dépenaillés suscitaient l’hilarité estudiantine– mais leurs cours était comble : comment pouvaient-ils bien manier ces lambeaux ? ...Ces livres pourtant nous auront suivis toute la vie, jusqu’au croûtonnage ; s'en défaire, c'est trahir).


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...Quant à Sidoine lui-même, le voici bien loin d'avoir mouliné toute sa guimauve: "Je t'ai transmis, trop crédule, le testament d'Attale" qui légua son richissime royaume de Pergame à Rome – la note me renvoie au texte de Tite-Live, bouillie de syntaxe molle, sans mise en relief de la moindre expression : ses boiteux parallélismes boiteux rendent les textes quasiment indéchiffrables, sauf aux érudits en voie de disparition, ce qui fera toujours du fascisme en moins.

La faculté dite de lettres à Rennes vient de supprimer l'enseignement des langues classiques : merci Jean-Charles, merci Brel : "Tu gardes l'Épire : tu sais pourtant à qui Pyrrhus la devait. » Cicéron répondra : «C'est grâce à la grandeur d'âme de Fabricius ; on sait que ce dernier refusa les services d'un transfuge qui lui offrait de tuer l'envahisseur - Pyrrhus donc, "Mamelle Slave" : les Romains subirent une raclée à Héraclées et l'eurent dans le cul à Aesculum.

« Je vois que tu étends ton autorité sur l'Illyrie et sur les terres des Macédoniens et tu as des descendants, Paul-Émile ! » - ô poussiéreux élans de fossiles.


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II, 471 - 492

...La déesse Aurore, entartinée de fards, ou plus prosaïquement l’empire d’Orient, prit un jour dans ses rets administrtifs la future Serbie  - « C'est pour moi cependant » poursuit l’intarissable Rome « que le grand Agrippa jadis avait vaincu dans le détroit de Leucade » -la victoire d'Actium se déroule-t-elle encore telle quelle en filigrane, inscrite dans les airs au-dessus des flots ? nous le démontrerons un jour « Tu tiens la Judée sous ta domination » grâce à Vespasien et Titus, grands massacreurs de Juifs. Jérusalem détruite par Titus après l'assaut de Vespasien son père.

Mon Dieu que la conquête est belle...

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X X

Ignoble et bâclée statuette de saint Sidoine dans cette niche murale à Clermont, affligé d'une barbe de père Noël ! Jadis de chair et de sang, tels Paulin de Nole, Paulin de Pella (376 - 460), tous trois appréciateurs éclairés, jugeant les débris littéraires qui les entouraient au moins égaux à tous les chefs-d'œuvre précédents (nous avons bien des lecteurs d'Orsenna) :

« (O'Connolly nous affirme que le fin du fin à la fac de Dublin consistait à disséquer, puis redéféquer avec délectation de beaux vers latins ou hellènes). « Caton d'Utique, qui » - "dütikki"! c'est du finnois ! - « annexa Chypre en 58 avant J.C., fit transporter à Rome les richesse de l'île (Florus, III, 9) » - Caton d'Utique, arrière petit-fils de Caton l'Ancien, tu sais, Jean-Charles, « le Vieux Con » ! celui qui voulait détruire Carthage ! F,ini, le bon vieux temps !

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Creusons nos galeries, exploitons nos filons : « Mais s'il s'avère possible d'apaiser les vieilles plaintes» de la grande Rome déchue - Rome ou Constantinople, mêmes frissons, mêmes lâchetés. Rien n'a jamais ressuscité les Vieux Empires. Anthémius, à Rome, sort assurément d'une excellente famille impériale d'Orient. Mais le panégyriste Sidoine sait fort peu de choses sur cette bête de cirque encuirassée ; son panégyrique n'est donc plus que prétexte à des successions de tableaux, ou de lieux communs. Ainsi s'explique l’insipide galimatias flagorneur du discours pour Anthémius : «  Qu'il règne longtemps dans ses domaines, l'Auguste byzantin Léon – mais qu'il gouverne mes lois, Celui (Anthémius) que j'ai demandé » - d'où vient cette majuscule, traducteur ? « Que l'astre divin du père d'Euphémie"(à l’épouse, à présent) se réjouisse de voir sa fille (« Euphémie »...) revêtue de la pourpre paternelle (celle de son père Marcianus, ex-empereur à Constantinople !) » - pauvre Alypia embrochée le soir même par un Boche - résignation, curiosité, honte, prière ?

Pauvres femmes crevées comme des outres à 25 ans - « l'astre qui se réjouit » (les Latins se réjouissent de telles platitudes - montagnes « ne craignant pas » d'obombrer la rivière, pluie « hésitante » et autres fadaises - après Anthémus régneront, ou penseront régner, Glycérius, Olybrius passé en proverbe – alors que l'agonie de Rome frappe à la porte. Le poète évoque à présent la fille d'Anthémius, Alypia :

« Ajoute encore à ces accords publics une alliance privée, fais que mon Souverain soit le beau-père heureux (Anthémius) de Ricimer »ce même Ricimer qui fit naguère massacrer le beau-père de Sidoine – embrassons-nous mon gendre ! « Une noble origine brille en eux : vous avez, vous, une jeune fille de sang royal, moi, j'ai un fils de roi » - d'envahisseur, Sidoine ; Ricimer est un envahisseur barbare... fils de roi barbare : "Si tu y consens, tu me donneras l'espoir » (dit Rome) de recouvrer bientôt la Libye"

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"Passe en revue les hymens antiques : aucune union semblable ne trouve grâce à tes yeux » – espérons que Sidoine s'abstienne de nous énumérer toute sa science nuptiale ? Hélas – si... Les oripeaux seront une fois de plus extraits de leurs coffres, époussetés, gorgés d'astuces et d'énigmes. Flattons, flatulons. "Que la Grèce, si elle l'ose, "si la pudeur lui manque" produise ici ses mariages anciens nés dans les dangers – (et) « que Pise » (l’autre, près d’Olympie) « réparant son quadrige, ressuscite Œnomaüs, qui, par la perfidie de sa fille, tomba de son char, quand la clavette (l' "obex", la "cheville ») « libérant les roues, provoqua sa chute" - « Énomaüs », qui s’en souvient ? tuait ceux qu’il battait à la course de char ; sauf Pélops, qui épousa sa fille.



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...Médée – pas elle ! pas elle ! pitié ! pitié ! - « connue de son mari » Jason « par son crime avant de l'être comme épouse » – elle émietta les morceaux de son frère derrière

son char - Atalante ne valait guère mieux, trucidant tous ceux qu’elle battait à la course -

sauf un - « je pourrais rappeler tous les mariages des siècles anciens » - plus sanglants les uns que les autres - tandis que Ricimer, ah ! le Germain, il « surpasse les héros » (et Alypia les héroïnes) – enfoncez-vous bien ça dans la tête.

"Cet hymen, Ricimer, c'est Vaillance qui le préside" - il était tout heureux, le Germain Ricimer : il a donné le signal des applaudissements de ses deux grands battoirs à viande – ah, j’oubliais (sans aucun rapport) le Grand Xerxès «qui trancha le mont Athos et fit courir ses voiles gonflées et ses rameurs à travers la montagne » portage à dos d'homme (Casanova, Fitzcarraldo) mais Ricimer et Monsieur Gendre (Anthémius) éclipseront tout cela - c'est de telles chimères que se repaissait la mémoire de Rome...

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II 514-524 (survol) Depuis longtemps l'Aurore a deviné ce que vient réclamer la vieille Rome, Alma Mater : "Donne-moi plutôt (Anthémius)" – supplie la Rabougrie - l'accord est conclu précise l'éditeur en marge. "L'épouse de Tithon répond alors en quelques mots – savez-vous, ihr Wurmskinder, que Tithon, époux de l’Aurore, ne fut qu'une cigale mâle, toute desséchée ? il avait souhaité l'immortalité, sans préciser "en pleine jeunesse" - il avait donc vieilli, ratatiné à l'infini. 516 Duc age, allons, emmène-le, [douk-agué], mère sainte, il serait mieux ici, Anthémius, à mon service, "montre-toi seulement plus douce à mon égard" 517d’tirez-vous "à mon égard", Monsieur Loyen ? "c'est moi qui la première 521 envoyai ici Memnon" (fils de Tithon-la-Cigale et de l'Aurore) - les colosses de Memnon bruissaient sitôt touchés du soleil levant.

L’Aurore et Tithon avaient envoyé les descendants de leur propre fils au secours des Troyens, à l’est ; alors, ils peuvent bien envoyer Anthémius, à l’ouest !

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L'amour de Rome pour Anthémius présente un contenu bien douteux. La capitale de l'Empire depuis 402, c’est Ravenne, derrière ses marais - mais c'est toujours à Rome que se proclament les Empereurs - nous pouvons douter de l'amour a priori de Rome pour Anthémius, octroyé par Constantinople, pour s’en débarrasser, comme un pion, chez les cancres occidentaux . "C'était la fin. La Concorde unit les deux parties, car Rome était enfin (tandem) en possession du souverain de son choix". 522-523 - pensum accompli ? que nenni : "Maintenant, Antiquité, "fais sonner bien haut", etc - elle ne s'est voyez-vous

jamais montrée avare en grands hommes : l'Antiquité eut elle aussi son Antiquité – la Vetustas...


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II 525-548

Commence alors une effrayante énumération, au terme de laquelle figure le pauvre Soleil Anthémius – hochet d’un Empire poussant ses derniers râles - cinq siècles de pouvoir militaire pour trois de démocratie... Cincinnatus, riche propriétaire ici invoqué, jamais n’eût consenti à effleurer une charrue. Autre légende : impossible à quiconque, fût-il Hannibal le Carthaginois, n’aurait pu dissoudre la roche des Alpes à l'acide...

...Tel consul est allé au galop décapiter Hasdrubal, frère d'Hannibal, pour jeter au retour la tête dudit frère dans le camp de ce dernier "Je reconnais bien là" dit Hannibal en dépliant le paquet cadeau – non seulement "la tête de mon frère", mais "la Fortune de Rome" ; ce consul tranche-tête s'appelait Claudius Nero – ancêtre de Néron. "Mais un vent violent enfle à présent mes voiles", encore, Poète ? ...L'assemblée des auditeurs a bien digéré, Ricimer consulte discrètement sa Rolex. Siste, Camena - "Suspends, Camène" (c'est la Muse) "tes faibles chants, et, gagnant le port" – avec un « t » - échouons sur un fond calme l'ancre de notre poème" – Sidoine est consternant ; il n'est pas encore écœurant.

En ce jour donc, 11 juillet 467 - Anthémius plastronne, phallus en bandoulière, mais depuis bien longtemps les Romains ne sont plus « les Rejetons du Chêne ». Les temps sont accomplis, et non pas ressuscités. Les joues du peuple romain "se réjouiront de recevoir votre soufflet" - c'est ainsi en effet qu'on affranchissait les esclaves : « délivrez d’anciens prisonniers au moment d’en enchaîner de nouveaux » - ineffable finesse…

Il fut récompensé, le poète Sidoine ; il devint, comme nous l'avons dit, préfet de Rome, responsable de l'annone, id est l'approvisionnement en pain et en vin ! Une émeute le refroidit, le dégoûta de ces honneurs. Plus tard, il donnera du pain aux pauvres, sur les chemins d'Auvergne.



FIN DU CHANT II

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C’était pourtant un bien paisible royaume que celui des Vandales. Les mères, sous le règne de Genséric, élevaient leurs enfants, les cultivateurs labouraient leurs champs.Or Genséric, dit-on, désirait épouser Eudoxie, veuve de l'empereur Valentinien III, laquelle s'offrait à lui ; Genséric le bossu, Genséric le difforme, avait donc pillé Rome douze ans plus tôt, emmenant avec lui Eudoxie en otage pour sept ans… Pourtant il n’avait pas commis autant de déprédations que n'en dénoncèrent les catholiques : les Vandales ne vandalisèrent pas plus que les autres .... Ainsi s'achève (explicit, et non pas excipit) le plus creux discours jamais prononcé par Sidoine, tandis que les applaudissements crépitent : les sangliers rôtis tournent sur leurs broches.

Ricimer aplanit les plis de sa toge (an togatus ?) Suit un Carmen Tertium, bien traditionnelle apostrophe de Sidoine à son petit livre, "envole-toi, libellum, parviens à tes destinataires…" - ce grand Gallo-Romain conserva le souci du bien écrire, dans un âge où tout se défaisait. Cependant "l'art de rendre les récoltes abondantes" 1-2 maintenait une civilisation immuable- "Et puis tu osas, Virgile" (Maro), chanter "les armes et le héros" (4) la mort que l'on donne, et le travail de la terre, la charrue et l'épée. Cadavres fertiles. Mars et Mavors, Dieux de la guerre et de l'agriculture très tôt confondus – « petit livre, va, cours », à la gloire de Majorien cette fois qui réduisit à la mort mon beau-père Avitus.

Un nommé Pétrus "je cours sous son astre" (6) – "joua un rôle important (chef de cabinet de l‘empereur) (dans le rétablissement de relations normales entre la cour et les Gallo-Romains vaincus) - les Romains ne s'aperçurent de leur chute que longtemps, longtemps aprèsmême la nostalgie de ce temps-là sentait le renfermé.

X

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CARMEN IV

...Nous trouvons bien plus franc le gouvernement arbitraire, qui permet de bien plus hautes sagesses. "L'expression celsior ira, « ayant surmonté sa colère ») (4) qui ne peut s'appliquer qu'à Oct [kékaok] -tave, et à sa clémence envers les assassins de César cinq siècles auparavant !) Le poète Horace (- 65 / - 8), qui prit alors la fuite comme les autres, Flaccus, "le flasque", "le pendant" - le petit gros aimait le sandwich, une femme devant un homme derrière) reçut son amnistie.

Notre Sidoine, fuyant donc lui aussi sa défaite, fut remis en selle par le nouveau pouvoir, celui de Majorien : « Pour toi aussi, Horace (…) l'inspirateur de tes vers(Octave) fut aussi celui qui t'accorda la grâce » (IV, 9) – Sidoine (Modestus !) opère une transposition bien flagorneuse, malgré sa modestie : « qu'ils triomphent par le style, pourvu que nous l'emportions par notre souverain."

Sidoine avait donc suivi dans la déroute son beau-pèreAvitus, qui n’est plus que « votre adversaire » , « et vous m'invitez alors, ô [Majorien] vainqueur, à n'avoir pas l'âme d'un vaincu » Il s'agit (octobre 456) de la bataille de Plaisance, Sidoine fut, quant à lui, relâché, tandis que son beau-père, Avitus, promu, bien malgré lui, à l'épiscopat, se fit sans doute occire.

Sidoine aurait pu se dispenser de féliciter le liquidateur de son beau-père ; seulement, notre poète eût semblé bouder ; dangereux, alors que son admiration pour l’usurpateur Jovin (Gaulois séparatiste en 411)) - il vient donc mettre au service de Majorien vainqueur « la voix du poète que vous avez sauvé ; votre éloge sera le prix de sa vie. » Serviat ergo tibi… v.13 Sidoine avait l’échine souple. Victor Hugo aimait bien Majorien également : Germanie. Forêt. Crépuscule. Camp. Majorien à un créneau.

Une immense horde humaine emplissant l'horizon.

UN HOMME DE LA HORDE.

Majorien, tu veux de l'aide. On t'en apporte. (...)

La terre est le chemin,

Le but est l'infini, nous allons à la vie.

Là-bas une lueur immense nous convie.

Nous nous arrêterons lorsque nous serons là.

MAJORIEN.

Quel est ton nom à toi qui parles ?

L'HOMME.

Attila.


FIN DU CARMEN IV


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CARMEN V, 1 – 3 SUR MAJORIEN

...Valerius Majorianus s'est pris pour le Sauveur, jusqu'à ce qu'un bon coup d'épée (ou de champignons) lui ait appris qui était le vrai chef : Ricimer. Le jour de l'intronisation de Majorien, c’était pourtant ce nouvel empereur, qui incarnait l’homme providentiel : "Reprends conscience, Rome, de tes triomphes passés : praeteritos (...) triumphos »– nous allons voir ce que nous allons voir : "L'Empire aujourd'hui est aux mains d'un consul » (c’est Majorien) « que la cuirasse revêt plus souvent que la pourpre" - à quoi s’attendre d’autre après la prise de Rome (410) par Alaric ?... premier sac de la Ville qui frappa beaucoup plus les esprits que plus tard la chute en 76 de l'Empire de Rome : "le diadème qui couvre son front n'est pas une vaine parure, mais l'insigne légal de la puissance" – l’insigne, en effet, et c’est bien tout. "Détail important" précise la note 1 : "L'empereur d'Orient, Léon" ("le Lion"), "a reconnu officiellement Majorien (...) » Étrange Orient, sous perfusion, en sursis de dix siècles.... "Les deux hommes d'ailleurs" (Léon de l’Est et Majorien de l’Ouest) « prirent ensemble le consulat, aux calendes de janvier 458" – ainsi accomplissons-nous aussi tous les rites : élections, alliances ou rivalités, sans voir que nos gestes sont morts.

À partir de quand est-il trop tard ? "Le consulat, poursuit Apollinaire, "...grandit l'Empereur" – ô vénérable mascarade : elle a vécu, l'Europe romaine… Ravenne,

capitale d'Empire, à l'abri des marais -

clairons éteints dans la brume de l'aube - "le monde, je l'avoue, avait tremblé quand vous refusiez de recueillir le fruit de votre victoire" – Majorien ne refusait pas : il hésitait... 

Vaincre, certes ! mais pas trop ; sinon, liquidé par le jaloux Ricimer en Chef. Ce manque d'empressement fut en réalité celui de Léon d'Orient, peu soucieux de reconnaître un rival. C'est alors que déboule en plein travers de notre texte l'atroce boursouflure de la "Prosopopée de Rome", où débaculera tout le carton-pâte des panoplies - Roma bellatrix, nous dit la note - "Rome belliqueuse" avait pris place sur son trône, sein nu, tête casquée couronnée de tours". Ce que nous distinguons hélas, en cette année 457 de notre ère, c'est cette lassitude, ce ressassement des mots sans espoir ni répit.



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Quant à la chancelante Rome, "sa réserve accroît la terreur qu'elle inspire" – quelle terreur ? - "sa vaillance s'irrite d'être surpassée par sa beauté" – quelle beauté ? Rome est une hommasse qui fait la gueule. "Le tissu de sa robe est de couleur pourpre; une agrafe aiguë la mord de sa dent recourbée" – assez - Sidoine barbouille. "La déesse s'appuie (...) sur l'orbe vaste d'un étincelant bouclier" l'assistance ronflote sous un crachin de fossiles. Romulus et Rémus, mièvres glyptothétiques couilloncicules, osent-ils seulement effleurer la Louve ? n'ont-ils donc pas compris, nos petits sculpte-dalles du Quattrocento,à quel point ces magots replets souillent la majesté du fauve ? "on aurait eu bien peur de la caresser à cause de sa gueule béante" ô niaiserie !- "pourtant, même façonnée par l'art, elle craignait de dévorer les fils de Mars" – ô profond crétinisme ! - "au premier plan le Tibre" - aurons-nous droit à la "barbe liquide" ? – aux "ronflements d'un sommeil mouillé" bingo – à « la poitrine couverte d'un manteau [filé par] Ilia son épouse ; allongée sur la couche limpide, elle voudrait supprimer les murmures des ondes et assurer le repos de son fluide mari" – le grotesque ici sombre dans le pathétique.

Telles sont les splendeurs du bouclier". Le modèle en effet de Sidoine après tant d’autres se trouve au chant IV de l'Iliade, où l'univers entier se reflète au bouclier d'Achille. Sidoine affuble donc sa Rome d'une "lance au manche d'ivoire", virilement ivrognisée par le "sang des guerriers". Courage ! Il ne nous reste plus qu'à révérer Bellone, déesse des guerrières, "élevant un trophée et courbant un chêne sous le poids du butin. Le trône, d'un seul bloc, est taillé dans le porphyre rouge de la montagne d'Ethiopie (...)" - les clichés s'entassent. Les Romains n’exploraient rien. Ils achetaient, ils pillaient. Simple cupidité de péquenots.

C'est pour l'argent que Rome aura conquis le monde. "On y a joint d'un côté le synnade, de l'autre la pierre de Numidie qui imite - ô douloureux z’hiatus ! – ("imitant") - description, d'ailleurs, venue de Stace (40-96). À l'assemblée des Provinces, chacune

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posera aux pieds de sa maîtresse, Roma, ses productions, comme sur les affiches coloniales de France. Sous nos yeux harassés se bousculent sans fin syllabes et syntaxe : "Sitôt la déesse assise sur son trône, toute la terre à l'instant même vole vers elle" – colon y en a parlé, négro aplati : "L'Indien apporte l'ivoire, (...) le Sère des soieries" (ambassade en Chine du IIe siècle [165]), l'Attique son miel (Atthis mel), (...) – "...l'Arcadien ses chevaux, le Chalybe des armes - ils avaient inventé l’acier - "(...) le Pont, du castoréum (jus de cul du castor) (...)" tant la petite Rome a conquis de terrain.

Et la moulinette s'emballe : la Sardaigne et ses mines d'argent, pauvres de nous! "toutes les fois que le ciel s'emporte, la terre là-bas prend plus de valeur" ! interminable distribution des prix - et voici, pitié ! pitié! La Requête de l'Afrique en pleurs aux joues déchirées, "courbant le front" déjà de toute éternité, brisant les épis bien légers de sa couronne (les Vandales bloquent le grain - ) moi malheuweuse là dis donc, toi donner gwand homme blanc –twoisième pawtie du monde" et cinquième roue du chariot de l’empire.

...Brave général Boniface, qui abandonne à Genséric ses bateaux pour vaincre l'hérétique : "Ce pillard, Genséric (...) tient depuis longtemps mon sol sous son sceptre barbare" –hantise de Rome : virer ces Vandales, qui "n'aiment pas ce qu'ils ne sont pas eux-mêmes" ! grief qui nous laisse pantois.

V 37 / 60

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V, 61-62, 65-66, 69-80, 88-89

Ce racisme social (« ne pas ressembler à tout le monde ») fut donc pendant des millénaires le fondement de toutes les sociétés. "Ô force assoupie du Latium - il rit [Genséric] d'avoir vu tes murs céder devant tes ruses". Les Vandales ont tout emporté - "et tu ne brandis pas ta lance ?" Non – mais il a tout de même fait retraite, le Vandale. Avec ses troupes

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majoritairement berbères… Genséric a regagné sa base, sans encombre, à Carthage,

où il règne sans partage depuis plus de quinze ans. « Ta victoire est désormais certaine, [Rome], si tu combats comme tu as coutume de le faire après une défaite." Mais le temps des Scipions victorieux n'est plus. Et Majorien sera battu, lui l’empereur, sur mer, par des Vandales, avant même d’avoir pu prendre le large...

En + 410, ç’avait été la première prise de Rome par Alaric ; en 455, derechef, avec Genséric - vite, vite, un gros cataplasme de passé : "Mais (...) il te retrouva tout entière, [Rome], dans le bouclier de Coclès – Coclitis in clipeo, beaux cliquetis, beau coup de menton - Rome tombe quand même, deux fois. Des milliers d'homme » - certes, 657 ans plus tôt ! - harcelaient un unique guerrier (…)". Ensuite Porsenna, second avertissement, fut « averti par la mort de son secrétaire, déguisé en roi » - alors Scévola – autre héros du temps passé, s’était grillé la main au brasero, pour la punir d'avoir manqué ce roi étrusque, et "le bourreau » des attaquants « fuyait devant les tortures de l'accusé" – c’est-à-dire Scévola, VIe siècle avant notre ère…

Les temps ont décidément bien changé. Ne nous moquons pas : nous ne cessons pas non plus, nous autres, de ressasser jusqu'à la nausée nos Droits de l'Homme ; de même, mille ans après sa fondation, la Ville de Rome compte bien se tirer à nouveau de ce mauvais pas - or cette fois, plus de coup de talon au fond de l'abîme : deux sièges, deux prises, deux sacs en moins de cinquante ans - encore une fois, « un seul homme", unus, "repouss[er]a une armée entière". Mais en dépit de ces conjurations, Sidoine échoue à redorer les trompettes romaines : Porsenna l’Étrusque avait en effet battu en retraite en – 503, devant le Grand Brûleur de sa Main Droite, mais cette fois-ci Genséric le Vandale occupe bel et bien l'Afrique. Quant au beau vers "L'ennemi qui t'accable est lui-même inquiet", il se réfère à la défaite, bien éphémère, ensuite, des Vandales en Corse face à Rome – miette de revanche.


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Revenons quelque temps en arrière. Tout va si vite. Avant Majorien était venu Avitus. Les Wisigoths, solidement installés d’Agen à Toulouse, suggérèrent, ou imposèrent à l'illustrissime Avitus, précepteur collabo de leur prince héritier, de revêtir la pourpre impériale : un Gaulois, empereur de Rome ! notre écervelé mondain, Sidoine, époux tout frais de Papianilla fille d'Avitus, se retrouvait ainsi en Monsieur Gendre ! qui mieux que lui aurait-il mieux chanté la gloire du nouveau maître ?

Sidoine prononça donc, devant le Sénat gaulois en extase, l'Éloge officiel ou Panégyrique du grand Avitus Augustus, Arverne. Monsieur Gendre, biberonà l'illusion, pensait Rome éternelle – tandis que Ricimer, Suève, patrice bien avant Clovis, tenait tout le pouvoir.


X

Une fois massacré l'impérial beau-père, Sidoine s’éclipsa, car lui aussi avait participé au complot gaulois. Il rejoignit le pays des Arvernes ; quelle est alors la meilleure voie de Lyon à Clermont ? combien tout était dépeuplé ! combien de mares au Diable hantées de brouillards ? Il se fit oublier. Se réfugia dans ses propriétés de belle famille en pleine Auvergne. Parcourut ses domaines, recevant du haut de sa monture d'humbles témoignages d'affection.

Très vite on est venu le resolliciter pour honorer Majorien le successeur (457-461) - Sidoine était-il inconsistant ? Quelle vanité le fit-elle plier ? "Lui seul saura donner du lustre à nos cérémonies. Il n'y en a pas deux comme lui pour chanter les louanges du successeur : un riche hochet comblera le poète" (Anglade). En lui promettant la vie sauve, on le convainquit de renfourcher sa plume pour flagorner, cette fois, Majorien.



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Lequel ne tarda pas (quatre années tout de même) à se faire à son tour dessouder par son ancien complice, l'inexorable Ricimer, Germain jaloux des succès militaire de Majorien. Seconde fuite de notre vaillant poète, Sidoine, autre récupération pour procéder à l'éloge officiel cette fois-ci d'Anthémius – et de trois - plaignons, en vérité ! le supplice des esprits supérieurs. C'est que Rome, voyez-vous, en était encore à chercher l'Homme providentiel. Le formatage séculaire des mentalités romaine et celtique ne pouvait laisser envisager aucune autre analyse : l'homme à poigne, point.

Sidoine se tourna donc vers l'Église, seul moyen de s'en sortir alors sans perdre la face ou la tête. Papianilla et son époux se séparent donc, et deviennent chacun homme et femme de Dieu. Sidoine fut promu à l'épiscopat d'Augustonemetum ou Clermont. Nous sommes en 471.


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Les Romains, ou ce qu'il en reste, désireux de conserver la côte méditerranéenne et la ville d'Arles (Arelatum), les échangent contre les Arvernes. Protestation légitime de l'évêque de Clermont (c'est Sidoine, incarcéré dans la bonne forteresse de Capendu – car il avait défendu sa ville pendant le siège, faisant preuve d'un grand courage physique) - rien n'y fait. Retourné au sein de son évêché, Sidoine se montre bon et brave. chrétien, soucieux avant tout de l'ordre établi : plus de noblesse ? soit, l'Église. La Bible. Plus de Virgile, mais Bible et rebible. Ses phrases deviennent atroces. Il imite, cite, pastiche, recite et calque.

Claudien, Virgile, Ovide. Mais désormis, la poésie n'est plus depuis longtemps qu'un jeu rhétorique, plaqué d'ornements. Érudition de pacotille et de “par cœur”

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(travaux d'Hercule à toutes les sauces), raccourcis éculés : de nos jours, nous aurions “Proust et sa madeleine”, “Montaigne et La Boétie, " Mozart et la fosse commune"- tout est faux. Flatteries familiales, Histoire rafistolées dans le sens des puissants. Légendes si ressassées que M. Loyen, traducteur, émet l'hypothèse que Rome se soit laissée mourir de lassitude. Incapable de se reforger un imaginaire nouveau.

Chez notre poète, comme chez tous, le fond se trouve depuis longtemps dans l'état d'une serpillière desséchée ; ce fut la forme qui morfla : On cherche ce qu'il dit après qu'il a parlé – le fin du fin, ce sont les devinettes - "...je suis, je suis..." - Chevènement deviendrait “le latiniste de Grenoble”, José Bové “le McDocide aveyronnais”. Auditeurs alors de s'exclamer : “Quel talent, ce Sidoine !” - rien à voir avec le spleen de Baudelaire. Le poète véritable est donc celui qui transforme le texte en énigmes ( le « châtelain de Saché » pour désigner Balzac)… - nous pouvons nous extasier de toutes ces dernières étincelles d'une civilisation : la poésie n'est plus que références, clichés dont je déteste autant les abus contemporains (« cerise sur le gâteau » et autres «réponses du berger à la bergère »), que dans l'ntique. Et vaniteusement, nous avons l'audace de nous préférer aux soi-disant lettreux du jour d'aujourd'hui qui se refilent des polycops entre deux performances d'i-pods et ne veulent plus se faire chier à lire du Zola.

Ici l'ordre des mots se disloque, les hellénismes foisonnent, les alambiquages dévalent en torrents imbuvables. Merveille mécanique cependant. Magnifiques résonances à haute voix, virgiliennes certes ou minutieusement guillochées, derniers accents du cygne déplumé. La littérature latine se survivra pendant dix siècles au sein des colonnades écroulées. Mais ceux qui qui lisent ne sont plus ceux qui parlent.

Rappelons toutefois ce subtil gauchissement des accents toniques, dès la poésie la plus ancienne, ceux des mots ne coïncidant pas avec ceux des vers, si bien que le texte devait présenter un aspect vocal assez semblable à celui du rap d'aujourd'hui – viol

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aimable de Rome par Athènes et Alexandrie. Puis Sidoine disparut vers 480, tandis que Childéric Tournai(t) en rond - devinette ! - dans son repaire. ...Cette déesse Rome ainsi donc transvectée per aethra, par les éthers, vole depuis Virgile, depuis Lucain.

Sidoine représente exactement la civilisation qui crève.


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Il s'éteignit, épuisé, à 57 ans. Grands hommes, jeunes morts. Fût-on le premier littérateur de son temps, l'on n'en crevait pas moins à l'âge où tant de nous commencent à vivre. J'ai longtemps estimé de la plus sotte déchéance de choir dans le christianisme. Rien qui donne en vérité davantage envie de vomir que cette phrase ouvrant désormais la messe : « Pardonne-nous mon Dieu parce que nous sommes pécheurs » - n'est-il donc pas concevable de se présenter devant Lui tête haute ? la religion catholique me dégoûte, lorsqu’elle dégrade, d'emblée, la dignité de l'homme. Sidoine répudia Pline, Virgile et Cicéron, pour ne plus parler que Jérôme et Jérémie : tel fut soudain son vivier, déployant autant de psittacisme au service de Dieu que naguère à celui des Muses.

Prose épiscopale plus détestable encore s'il se peut que ses vers. Il y règne plus que jamais, à pleins poumons, une affectation forcenée - pour le surpasser dans ce domaine il n'est qu'Augustin lui-même, qui jouit jusque à la nausée d'invoquer son statut de méprisable excrément… Sidoine Dieu merci n'aura pas coulé si bas dans les latrines du masochisme. Il nous répugne toutefois lorsqu'il recycle les plus basses adulations impériles auprès de saint Loup de Troyes, qui aurait dû l'expulser de l'Église avec pertes et fracas pour pur et simple foutage de gueule. Mais ce furent bel et bien les représentants de l’épiscopat qui incarnèrent, avec de Sidoine et à son pieux exemple, un patriotisme romain au sens religieux cette fois terme.

En effet, Wisigoths et Burgondes s'identifiaient comme “ariens”. Les Francs comme “catholiques romains”. Clotilde, princesse burgonde non-conformiste, convertira Clovis


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au catholicisme. Sidoine, romanophile, mais Arverne, aussi, s'élèvera vigoureusement contre la livraison (le mot n'est pas trop fort) de son Auvergne aux Barbares d'Euric, souverain des Wisigoths.

Mais aucun vers sur Majorien.

R . 38

Certains de nos enseignants seront un jour nos moines. Les clercs, les instruits. En 475, un an avant la chute de Rome, l'empereur Julius Népos (pour lui pas de panégyrique) négocie donc la cession pure et simple de l'Auvergne, qui toujours résisté à la conquête, contre le retour à l'Empire d'Arles et de Marseille - comment mettre en balance le prestige de ces deux illustres cités avec l'obscure Arvernis, future Clermont… Sidoine, au-dessous de ces pavés mêmes où nous marchons, de ce lycée qui perpétue son nom, promena son mètre soixante, stimula le peuple du haut des remparts.

X

...Pouvons-nous seulement imaginer une époque où la campagne grouillait, où les villes ne dépassaient pas cinq mille habitants ? 700 pour Clermont ! Les foules étaient-elles aussi denses qu'aujourd'hui ? L'insécurité régnait-elle à ce point ? Le message de l'Église ne brillait-il pas par son originalité, son utopisme généreux ?

X


Dans les “poèmes” de Sidoine, un fouillis d'ornements obscurcit l'Histoire, tonnes de lierre sur les ruines. Sidoine est le dernier flambeau de l'Antiquité avant les ténèbres bigotes. S'il est à peu près nul à notre goût, il constitue la source essentielle de ce temps-là : soubresauts d'un monde où Sidoine poursuit ses jeux de langue, pressentant que personne bientôt ne la parlerait plus. De nos jours le latin n'inspire plus que mépris et

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hilarité. Merci Jean-Charles, merci Jacques Brel. Nous aussi, aveugles, nez sur notre époque, balbutions en français nos derniers bavardages - à l'autre extrémité du temps. Le fils de Sidoine, son petit-fils, collaborèrent avec les barbares. Puis des moines transcrivirent ses textes. Une marée de moines sans cesse renouvelée. Puis toute une armée d'érudits, de Scaliger d'Agen mort en 1609 jusqu'au XIXe s. avec Mommsen (1817-1903), Willamowitz-Möllendorf son disciple. Nos aïeux portaient chaussettes et fixe-chaussettes. Les élitistes de Leipzig et de Colmar se saluaient bien bas, rasés jusqu'aux bourrelets de nuque et colletés de celluloïd.

Même pendant nos conflits les plus barbares, les chercheurs s'affrontent en allemand comme en latin ; le monde est à feu et à sang, et de vieux égoïstes se transmettent les clés de la culture au-dessus des charniers, disséquant préciosités et conjectures syntaxiques. Frileux résistants. Éternels desséchés. Assis penchés loupes en main et sur le crâne, rongés de calvitie, de tics et de phlegmons contre les poêles enfumés, épelant leurs vers anapestiques et ravagés de vieilles voluptés ; tandis que le monde agonise, ce sont eux pourtant les passeurs de relais, tirant des puits du temps les textes invaincus de Cassiodore, Symmaque ou Sidoine au bout de leurs pincettes. Ils ont pour nom Sirmont, Thilo, Mohr et Luetjohann.

On les insulte, Arthur leur pique le cul de vieux fétus. Ils puent du bec et baisent peu, mais leurs domestiques révèrent profondément Herr Doktor, sans remettre en cause la grandiose nécessité de leurs fariboles. Hommage éternel aux Teubner, aux Brakmann, aux pérennisateurs de la Prusse éternelle, garants des survies et des massacres. Honte et gloire éternelles, car au même titre que tous les moines qui des deux extrémités du monde, à l'abri, de Cork à Byzance, ou bien tombant sous les coups des Barbares, ils ont sauvé le Verbe, ici restituant une préposition, là telle désinence, telle concordance des temps ;

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aimantés par la lectio difficilior , la plus improbable, la plus difficile : quel vieux scribe médiéval en effet, épuisé de jeûnes et de vigiles, n'eût succombé à la graphie la plus commune, ou le « saut du même au même », sources d'inextricables incompréhensions. Ampleur des civilisations drapées dans l'agonie. Ne croyez pas, morveux contemporains, qu'il ait été réservé à notre siècle d'incarner tout le sel de la terre. Il ne restera rien de nos ministricules. En ces temps-là, comment les hommes voyaient-ils leurs courtes vies ? aimaient leurs enfants ? ligotaient les jambes des nourrissons pour les fortifier ?

Nous avons sous les yeux l'ouvrage d'Anglade (j'y reviens), aux Éditions Horvath : tout y commence sur un chariot, medias in res ; l'auteur est plus habile que moi. Songez encore (du coq à l'âne...) aux épaisseurs d'Histoire : Octave Auguste était à la même distance des vivants que François Premier pour nous autres ; Constantin le Grand

serait pour nous l'époque de Dreyfus. Au temps de la naissance de Sidoine, en 420 (mettons 1920) les Romains pouvaient encore se considérer comme éternels... Anglade, ce grand polygraphe contemporain, bagué d'une vaste chevalière en or sur le parvis de Sainte-Urcize et dédicaçant son Sidoine, répondit à ma question par une autre : comme je lui demandais si certains traits de son ouvrage n'avaient pas été tirés du Pseudo-Frédégaire (Sidoine en effet ne fut pas emprisonné à Llivia, mais à Capendu) - il me lorgna, soupçonneux : “Vous êtes historien ?” Pour faire court, j'ai prétendu que oui.

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L'auteur adoptait le mode léger, primesautier ; or il n'est rien qui soit plus détestable à mon sens en écriture ; baguenauder sur cette femme enceinte empruntant des chemins escarpés sur son chariot (raeda), sa nombreuse suite et ce mari qui va et vient à cheval le long de la colonne, me semble du dernier bourgeois : moderne, épuré, jusque dans ces dessins au trait pour illustrer Sidoine, roi de l'entrelacs ! du talent certes, mais de feuilleton. Fadeur et tortillis. Il nous faut des personnages antiques, au maintien noble,

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aux propos compassés. Je conçois Corneille ; je conçois moins Sidoine, jeune, s'essuyant le front et les joues au sortir d'une partie de ballong cong à Bourg-sur-Gironde.

L'auteur assurément restitue à merveille les paysages, les mœurs où vivent Sidoine et ses contemporains.

...Ce sont à vrai dire les papes qui ont repris le flambeau de l'empire romain. Et c'est Rome, et non pas Bruxelles – qui devrait être, et pour l'Éternité, capitale de l'Europe. Loyen, traducteur, décrit ailleurs avec justesse l'immense fatigue de cette civilisation à bout de souffle, toujours référée aux mêmes modèles, aux mêmes comparaisons essorées par les siècles. De toute part l'homme butait sur son passé.

Et rien sur Majorien


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Sidoine fut nommé préfet de l'annone, c'est-à-dire de l'approvisionnement à Rome. Il subit une émeute par manque de pain. “Notre préfet est bien gras ; il ne doit pas manquer de pain, lui.” Il y avait encore des gens qui se considéraient comme romains au sixième siècle.

Ce qui me gêne dans une telle biographie, c'est l'absence totale de sentiments profonds, ou seulement mêlés. Sidoine réagit comme un être superficiel, gâté par la fortune. Comme on s'y attend. Jamais comme on ne s'y attend pas. Aucune tentation, par exemple, de suicide - non pas le suicide à l'antique, mais à la romantique : “Je ne sers à rien et personne ne m'aime”. Je ne pense pas que l'on ait pénétré si loin que cela dans l'âme de ces Antiques. Rien n'est plus profond en effet, ni plus angoissant, vous le savez, que les gens sans profondeur. Il y a ce qui fascine dans Sidoine, et ce qui ne fascine pas ; le fascinant, c'est ce siècle des invasions (d'abord, comme la nôtre, infiltration : comme une

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terre imbibée par-dessous) – et certes le Barbare ressort toujours vainqueur, dit l’Historiens ; après Quatorze vint Quarante, puis Giap, et l’Algeriel’Occident crevant comme les hommes : assurément. Mais ils se battent. Certains. Jusqu'au bout. Les choses voyez-vous présentent de nos jours bien moins de netteté que par le passé : c'est, en particulier, qu'il n'y a pas d'exactions militaires. Tout est plus pernicieux – devant la soldatesque, ferions-nous plus bloc ? ... Les Romains eux aussi subirent leurs collabos, leurs résignés, leurs chantres du métissage enchanté (le métissage accompli abolira tout métissage sous une seule ressemblance... Nous ne périrons pas, assurément, mais nous serons transmis. Ce sont les Wisigoths eux-mêmes, les Burgondes, qui perpétuèrent le Droit Romain.

Clovis se convertit au christianisme ; je n'entrevois personne aujourd’hui de sa trempe – outre qu'il massacra sa famille... Grâce à Dieu je ne vois que des épiciers cramponnés à leur calculette ; nous ne verrons pas la fin de l'histoire : fin de Moi difficile.

Et toujours rien sur MAJORIEN


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Sidoine en son temps demeure difficile à cerner, sorte d' éponge pathétique. Je ne puis l'estimer comme Cicéron-le-Mollasson. Comme toute cette Antiquité qui m'a plombé avant de me nourrir - nul ne peut plus me suivre - ou plutôt je ne puis plus suivre personne. Mais toujours fier d'avoir tiré ma substance de cette civilisation dite révolue, heureux pourtant qu'elle se soit effondrée - Sidoine, gendre d'empereur ! s'est-il montré ébloui par sa promotion ? Il ne le semble pas ; il faisait déjà partie de la plus haute noblesse gauloise – je n'ai rien de commun avec ce bouffon friqué.

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Encore un grief à son égard : d'avoir bafoué son talent, si frelaté soit-il, en des contorsions de cureton. D'avoir prêté sa voix aux niaiseries, à cette religion de fous, à ces répugnants lamentos de bénitiers. L'effondrement d'un empire. Valentinien III faisant assassiner son meilleur général pour des histoires de cul. Passage du Danube par les Goths (376) en pleine fonte des glaces ; des souverains fous, une reine : Galla Placidia. Raconter tant de campagnes malheureuses ; évoquer Rome-Musée, ou Ravenne au milieu des marais, nouvelle capitale ; des ordres lancés par la reine, des chuchotements sous les voûtes. Enfin des fastes, en vers grecs et latins d'une langue qu'on ne parle plus.

X

Nous serions infiniment tenté par un vibrant parallèle entre la Chute de l'Empire (Decline and Fall of the Roman Empire) et notre petite époque. Mais toutes les époques se sont crues à bout de souffle, au moment où la vague se brise. Lisez la magistrale introduction du Temps des Cathédrales, par Georges Duby ; souhaitons qu'un jour lointain, d'autres érudits encore à naître restituent aux fourmis futures le monde que nous avons été.

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Trois points de ressemblance cependant : LA DÉLIQUESCENCE. Tout se liquéfie. Toutes les sanies fuient dans le cercueil - n'y avait-il donc pas de chrétiens virils ? Immense foi, multiplication des sectes et prêcheurs ? Moins de violences peut-être que plus tard. Les citoyens du Bas-Empire adoraient les braves barbares purs, comme nous autres les intégristes ou autres surdiplômés entassés sur des rafiots. De même au Ve siècle juste d'autres fuyards, passant le Danube gelé sur leurs chariots, les Huns au cul... Les Ostrogoths, ulcérés de tout ce "manque de considération", de racisme et de rejet, se sont


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révoltés, ont pris les armes – avons-nous mérité nos attentats ? Ravages de la bonne conscience, amour hypercompassionnel des pauvres. Refus de ce militarisme qui fit la grandeur de Rome. Débats faussés, affrontements stériles (« Les anciens dieux nous punissent ! ») dont la funeste conséquence est que nul ne peut plus émettre quelque opinion que ce soit sans aussitôt récolter sa diamétrale contradiction. Le drame de notre époque, c'est que la sottise s'est mise à penser (Cocteau) : c'est pas moi c'est l'autre. Dérisoire pugilat des pessimistes contre les flagorneurs.

Pleureuses contre bénis de la crèche s'acharnant à démontrer par ax+b que rien ne fut jamais aussi digne d'enthousiasme que le temps présent. Mais ce qui est constant, de toutes les époques, c'est la permanence virulente de la plus crasseuse ignorance...

R. 44

V, 89-107

...Refouillons du groin le texte au vers 84, lorsqu’un sanglier homérique vient s’encastrer dans la déclamation de l’Afrique : c’est le gibier par excellence, celui de l’épieu, qui permet le mieux la démonstration de force physique. Plus tard, le cerf, élancé, christique, détrônera ce monstre velu, bien digne ici de symboliser l’immonde Genséric, retranché dans sa bauge : avec ses boutoirs blancs, son visage sombre. Morceau de bravoure inévitable. Dieu sait de quelle chaîne d’imitations il est issu, de quel pont-aux-ânes.

Rien ne manque : la meute des Romains qui aboient en remuant la queue, qui le débusquent pour « se battre dans la plaine », tandis que la bête se gonfle d’orgueil superbit, mais dans ses buissons, le lâche ! Et hardiment, le traducteur se fend d’un « taïaut » pour nous rendre le « heia » de toutes les langues. Répondit l’écho. Les chiens se sont raffermis à la voix de leur maître Majorien, et tout est rentré dans l’ordre. Disciple e Apollinaire Ducobut, vous avez bien passé votre épreuve. Quant aux universitaires, ils

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n’ont pas manqué d’en faire tout un répertoire statistique. «  ..."alors la rage aveugle dédaigne de sentir les blessures..." - « poursuite »: ce mot désigne aussi le projecteur suivant sur scène l'acteur dans son faisceau.

Voici donc Majorien : "pourquoi remettre les combats ? ...toi que si souvent le ciel même aide à triompher?" Reprends des forces, Majorien, dirige tes armées, repousse les avis contraires et les Vandales rive sud - quid maré formidas, « pourquoi crains-tu la mer ? » - accorde-toi l'estime qu'on te dispute. "Bien plus, ne possèdes-tu pas à présent », Rome, « un empereur éminent" – tibi princeps (...) eximius "dont les siècles prophétiques proclament qu'il viendra pour la destruction de la Libye" : tu débarqueras sur le Rivage des Syrtes et repousseras le Vandale ainsi que les tribus du désert, en cet isthme si mince du monde romain. ("Cette déclaration qui étonne dans la bouche de l' Afrique s'explique par le désir de Sidoine d'enchâsser dans son vers une célèbre expression virgilienne (Enéide, I, 22) – et qui, le troisième, recevra de moi son nom ? Scipion l'Africain vainquit Hannibal à Zama (202), le Second détruisit Carthage (146).

Majorien sera le troisième «Africain » (on prenait en surnom le peuple des vaincus)

- il aura tant œuvré, tant laboré, qu'il recevra nécessairement son dû, des mains mêmes du destin (Bélisaire, en 535, réalisera la prophétie, 80 ans plus tard, ous l’empereur Justinien ). Sidoine recourt aux vieilles recettes (moyennant finances et - honneurs, "au pluriel, au pluriel !") : il embouche la trompette de rigueur : nobles origines, exploits militaires (chaudron de noces barbares en pleins champ glorieusement renversé), espoirs fondés sur cette nouvelle paire de biceps – en vain, bis. Majorien, jalousé, finira empoisonné par le funeste Ricimer.

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"Voilà, Majorien, la récompense que le destin doit à tes travaux" – debent hoc fata labori. Aide-toi, le ciel t'aidera. C'est écrit, mais tu l'as fait quand même. "Pourquoi je désire le voir s'embarquer sur la flotte, entrer dans mes ports (pauvres bêtes), pénétreras dans ma Ville » Carthage : ainsi s'affronteront nos deux vestiges - voir Carthage et mourir - « je vais, si tu permets, le dire brièvement, com-pen-di-eusement, dans l'ordre des évènements." Croisons les jambes sur nos sièges, aiguisons nos oreilles et notre entendement. Il y aura des plaies et des bosses, des chasses glorieuses, de hauts exploits sous de grands chefs, et quelque illustre commandement précurseur de celui-ci : chef des mercenires au service de Rome complètement pourrie.

Pourquoi le souffle de Majorien gonfle-t-il ainsi sa cuirasse ? drapant dans sa ruine les lambeaux de sa pourpre autour de ses pieds plats. Remontons donc jusqu'au "grand-père de Majorien" : "On rapporte que son grand-père gouverna l'Illyricum » étonnons-nous toujours de cette faculté de franchir tant d'escarpements albanais, correspondant à l’Albanie « et les marches du Danube.

Passées les flagorneries viennent les exploits, les "enfances", à la tête de l'armée de métèques dite "romaine". On raconte, fertur, V 107 les prouesses du grand-père : il s’empare de la forteresse d'Acincus : c'était Alt-Ofen,"connu par sa célèbre fabrique d'armes”. Ce fameux aïeul dirigea en effet l'Illyricum : vaste territoire, à l’écart des circulations contemporaines. Ces antiques tardifs se vantaient de leurs si récents ancêtres, palmiers de bien plates racines.


45/46, VERS 107/115

L'Illyrie, la Pannonie sont de rudes contrées souvent infertiles, balayées par les queues des chevaux. Des ordres retentirent, les chevaux hennirent, et les éphémères humains s'empressèrent de s’affronter. Quelques clampins empanachés firent cortège vers

Constantinople, côte après côte, sous le soleil et les averses. "On trouve consigné dans les fastes romains les actes de ce général, ses campagnes contre les habitants de la Scythie" – les Goths ? - "quand ses armées foulèrent l'Hypanis" – "l'Hypanis", c’est le Bug. Exotisme et géographie.

...Théodose, à l'époque où il prit à Sirmium le titre d'Auguste, eut un Majorien, grand-père de l’empereur, comme maître des deux milices, au moment de partir pour les régions orientales de l'Empire." Théodose, dernier empereur des deux moitiés à la fois de l'Empire. l'empereur Théodose, eut la brillante idée de séparer en deux l'empire de Rome, et l'autre non moins brillante de massacrer le peuple de Milan à poil dans une arène, se trouvait donc à Sirmium en Serbie, alors exempte de Slaves. Il prit le titre d'Auguste.

"On trouve consignés dans les fastes romains les actes de ce général" - "les fastes" ("romains » n'est pas dans le texte, mais nous devons toujours, nous autres barbares, nous faire préciser les choses) étaient les jours porte-chance, où se déroulaient les victoires de Rome. On y trouve combien de fois on a levé les trompettes contre "les habitants de la Scythie", V, 115. Puis nous reprenons pied dans le dérisoire,- "et que le vivandier lui-même, saluant les frimas" – salut, frimas ! comment va ? - "se rit en son cœur... des glaces de Peukè"

L’Hypanis, mais c'est un fleuve ! Si les armées le foulent, c'est qu'il est gelé ! Ô exploit ! Si le vivandier l'entame, c'est pour le faire fondre, qu'on puisse enfin boire, par Hercule ! Et ces touchants points de suspension, ne sont-ils pas là pour amener un bon jeu de mots ? .Peukè - n'est-ce pas là cette île au large du delta danubien, où il faisait bien froid dans la

glace, "'mais pas tant toutefois qu'ici" ! Il n’y pas ici de plaisanterie. Juste le rappel du froid et du chaud, que tout général se doit de supporter sans broncher. Cliché antique… de rigueur.

(V, 114 – 115)

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V, 116-125


"Le père du souverain actuel fut le gendre, socerum, du précédent". C'était "un homme de valeur", comment pourrait-il en être autrement, « qui se contenta toujours d'une seule charge éminente", militaire s'entend, afin de suivre son seul ami". Le père de Majorienest républicain, c’est-à-dire attaché à la "chose publique". Honnête et droit, fût-ce dans "les circonstances douteuses" ou "les mauvais jours" - ainsi, pas de dilemme. Il refusa toute promotion, car on lui présenta les faisceaux, oblatis fascibus. Ce fut même la cour qui les lui offrit, « pour l'arracher à son cher Aétius," Mais il resta fidèle. Et c'est ainsi que croissait son prestige. V, 120.

Nous n'avons plus ce sens de l'amitié. Cet ami, c'était Aétius : "sa fidélité, insensible au prix, (pretio non capta) n'en devenait que plus précieuse". Le père de Majorien rappellerait Caton, chacun pouvait lire dans son patrimoine, et même, "gardait tant de modération que le bruit courait qu'il épargnait déjà les biens de son fils" : Latin, paysan, radin, tout en "administrant" les biens publics "en toute souveraineté". "Il était ce que fut autrefois le questeur pour les consuls" : celui qui distribue le pécuniaire aux troupes.

À l'origine en effet, le consul était suivi par son questeur : celui qui distribuait la solde. Cette fonction était alors totalement dévoyée ; les questeurs étaient remplacés par des personnes plus versées en comptabilité. Lui cependant, traitait les deniers publics en fonction de sa loi morale particulière ou plus précisément "en toute souveraineté".

Pourtant nous ne connaissons "ni le nom ni les fonctions exactes du père de Majorien" Mais avoir un père honnête était un bon point : major honoratis : deux mots pour le latin, 7 pour le français – "plus grand que ceux qui recevaient des honneurs" (Péguy opposera l'honneur aux honneurs ("au pluriel, au pluriel !") - or Aétius, général de Majorien Junior, devait se faire trucider sur ordre de l'empereur Valentinien III lui-même – ...ô vieux livres effrangés, affectionnés, que nous avions coutume de railler dans les mains de nos vieux maîtres... V, 116-125.


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V, 126-132

Mais voici qu'intervient la femme d'Aétius. Les clichés se bousculent : une sorcière se déchaîne - pire, une Gothe, qui boit et qui pue l'oignon. Elle reproche à son époux de laisser l’empereur, Valentinien, favoriser Majorien, au détriment de leur détritus de fils : "Mais par malheur, l'épouse du général, jalouse déjà, s'était aperçue que la réputation du jeune homme – Majorien - grandissait" Envahie par la bile » - au moins ! - « elle avait distillé en son cœur de barbare (per barbara corda) un poison intérieur" – femme et barbare : rien à tirer de cette engeance-là. "Aussitôt elle scrute tous les courroux du ciel, convoque les ombres et les constellations, bien au-dessus du foie de crapaud bouilli et autres minuties.

...Pélagie, princesse wisigothe, examine donc des "fibres" entendez les entrailles sacrées, afin de ravir aux dieux leurs secrets, par tous les moyens. L'ensemble des combinaisons chiffratoires (l'interprétation du traducteur me semble un peu forcée : la science (des nombres) aurait amplement suffi). V, 130

Et voici enfin la Médée de carton-pâte ; découpant par morceaux son petit frère qu'elle jette derrière le char de son ravisseur, afin que son père, qui ramasse les débris, ne la rattrape plus. V, 126-132


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"Telle la Colchidienne : Médée se conforme à son cliché : Sidoine substitue aux connaissances absentes un beau vide rabâché : "Elle parcourt l'astrologie, méditant sur les nombres, science suprême, garante de l'équilibre des astres au-dessus de nos têtes «  - car la mathématique règne dans les cieux. Poussière d'étoiles que nous sommes, pourquoi échapperions-nous aux lois d'attirance et de répulsion, fondées sur les mêmes équations ? - « ...interroge les morts, scrute les éclairs, se réjouissant d'avoir ravi à Dieu son secret par tous les moyens" 132 que tout cela serait palpitant si nous n'avions cent fois lu ces affres de la divination ; l'homme d'alors adore les femmes investies de pouvoirs interdits… « Sur la poupe du vaisseau pélasge, elle se tenait farouche à côté de son mari terrifié" – Jason et Médée jamais ne furent mariés – voyez comme les Romains respectent les terrifiantes criminelles, endurcies, près de Jason simple vainqueur de taureaux : voulant s'adjoindre les secours de la magie, dont il a déjà si souvent profité, le voici inféodé aux puissances vaginales.

Le père de Médée qui la pourchasse enterre à mesure les tronçons de son propre fils avec les honneurs qui lui sont dus : interminables rituels pour un bras, pour une jambe - , sans rattraper jamais la meurtrière, prête "à commettre un crime plus impie que l’ assassinat de son frère : combattre avec son cadavre et employer comme traits (tela) les membres fraternels" jetés par morceaux d'un char au grand galop comme autant de cailloux d’un macabre Petit Poucet - "employant comme des projectiles les membres de son frère », à partir du port de Tomis (« La Découpe"...)

En ce temps-là, reprendre une histoire cent fois racontée s’estimait à la mesure de l’originalité de son nouvel auteur ; Apollonios de Rhodes, conservateur de la bibliothèque d’Alexandrie, écrivit ses Argonautiques (traduction par de la Ville de Mirmont) où figure l’amour de Jason et Médée, parce qu’il était presque impossible, plus de 700 ans auparavant déjà, de ressusciter l’attention du lecteur… Notre temps s’oppose décidément bien fort aux critères antiques…

Pour l’instant Jason, "mari" par les faits, se voit terrorisé par sa complice.


50 vv. V 136-139

T'abaisserais-tu, homme indigne, à cette femme ? ...Elle tuera plus tard les enfants qu’elle aura eus de Jason, et tel sera le crime plus impie que la mort de son frère assassiné - Jason se jettera dans le feu. Aucune allusion, devant une assistance chrétienne, aux anathèmes jetés par l’Église contre la Magie. L'épouse d'Aétius se voit donc assimilée à Médée la Magicienne...

Au moins la Bible nous épargne-t-elle (dans son message de profonde humanité...) le détail des coups portés par Caïn. Ici, un frère découpé, le père pleurant les débris de son fils et les faisant incinérer l’un après l’autre ! Mais Sidoine opère un retour en arrière : "Telle encore le jour où elle étouffa le feu lancé par les taureaux (ignem taurorum),136-137 bien qu'elle fût elle-même plus brûlante" : il nous manque ici, passés les ridicules balancés en pleine face, les parallèles de nos puissants anthropologues - « elle enveloppa de flammes gelées le héros tremblant et celui-ci, dit-on, grâce au philtre protecteur grelottait au milieu des bêtes embrasées". Cet épisode émerveille à dix ans, lorsque l’enfant découvre, dans les Contes et légendes tirés de l'Antiquité, ces récits improbables. Le poète ne lésine pas sur les moyens : flammes brûlantes devenues glacées, tandis que le héros, ridicule, tremblote. C'est un jouet, ce Jason. Quelle mouche l'a donc piqué d’aller ainsi subtiliser la toison d'or ?" Flammes gelées" qui laissent froid, sans autre écho que le cliquetis fatigué des mots.

51 V, 140- 146 Retour à la femme d’Aétius

"Donc, quand la femme d'Aétius, depuis longtemps impuissante à se maîtriser, eut appris que l'empire de Rome,, et pour longtemps, était destiné à Majorien, à "ce type" (isti) dit le latin, elle pénétra, les bras déchirés, dans la chambre de son époux et laissa éclater sa fureur en ces termes" - le traducteur prend ici quelques libertés, rajoute "la femme d'Aétius", que nous avions oubliée. La femme «laisse éclater sa fureur en ces termes" – faut-il que le débat en soit tombé là ? Le public masculin sourit : il y a bien longtemps que les hommes commandent. Le Christ a remis les femmes à leur place. Ce général n'est qu'un pleutre à l'ancienne, qui ne mérite que le plus plat mépris. Naguère encore la femme excitait le mari à bander socialement, "c'est toi l'homme, et moi, ta femme, j'ai l'air de me soumettre à un mollasson ». Ici de même, nous lisons, sans la moindre pointe d’humour : "Sans soucis, tu reposes (tu gis), "oublieux des tiens, fainéant, et Majorien sera le souverain du monde" – enfin, ce qu'il en reste – "(ainsi l'exigent les destins)". Ô démesure de l'hystérie ! ô exaspération ! d’une femme, incapable ou empêchée d’atteindre le premier rang, surtout en matière politique ou militaire, s’en prend à son mari ! « Majorien sera maître du monde, mundo princeps Maiorianus erit, "les astres le proclament dans leurs constellations ! » - pitoyable Aétius, qui sera poignardé sur ordre de Valentinien III (21-9-454) (Majorien le suivra moins de sept ans plus tard).

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...Pour inverser l’inexorable Destin, il ne faut rien de moins que les rites magiques les plus effrénées - ces destinées de Majorien, qu'il s'agit de connaître à l'avance, "les hommes les réclament dans leurs vœux » - et Pélagie, princesse gothique hystérique, de s’interrompre : «Pourquoi invoquer les astres, quand l'amour lui a fait un destin plus beau ? " L'amour des peuples. Vox populi, vox Dei. Le peuple, si flagorné aujourd'hui, ne possédait en ce temps nulle préoccupation politique. Peu lui importait qui le gouvernait, pourvu qu'il pût vivre en paix, C'est pourquoi l'histoire des populations et de leurs mœurs, pour passionnantes qu'elles soient, ne doit pas se substituer à celle de la succession des princes et des héritages territoriaux.

L'éditeur peut à présent se fendre d'un sous-titre en marge, Les éminentes qualités de Majorien, dernier guerrier de Rome, venu trop tard, tué trop tôt : Loyen, ignoré d'Anglade, l'affirme et le plante comme un jalon. Attendons-nous aux lieux communs obligatoires : glorieux ancêtres, éducation spartiate, premiers succès (les « enfances ») : "Bien qu'adolescent, il ne se montre jamais avide de posséder : il est au contraire modéré dans ses désirs" – parcus : économe, comme son père, sans doute haut fonctionnaire.

Je ne suis plus qu'un vieux qui a des manies.

149 - 151

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Les qualités attribuées par Sidoine restent d'un païen. Les déliquescences ecclésiastiques de notre futur évêque se compensent ici à l’avance, pour ainsi dire, par une absence totale d'allusions à Dieu ou à l'Évangile. L'empereur, chrétien pourtant, n'incarne pas les valeurs chrétiennes. Son christianisme n'est qu'un badigeon. Plus tard Sidoine s’y engluera. L’enfance du Prince, ici évoquée, la pueritia, dure jusqu’à 17 ans. Ardente, juvénile encore, capricieuse dès qu'elle voit un autre en possession de ce qu’elle n'a pas. Mais chez le jeune Majorien, qui "pauvre encore, distribue déjà des richesses", il s'agit du manque de cupidité personnelle, qualité chrétienne héritée en droite ligne du stoïcisme antique, honnêteté fortement unie chez lui au désir de reconquête : "il ne se contente pas de conseiller de grandes entreprises, il s'y attache" – le mot "grandes" n'est pas dans le texte, le traducteur fait ce qu’il peut.

Le chrétien stoïcien Majorien, sans que le Christ soit mentionné, distribue ses biens et ne désirera pas le commandement pour les avantages matériels qu'on en peut tirer : bonnes payes, beaux vases et blondes avenantes : la largesse, largitio, sera encore appréciée, au Moyen Âge. "Tout ce qu'il médite est haut, il accélère ce qu'il espère" : "Toutes ses pensées sont élevées – totum quod cogitat altum est - mais volonté, d'un bloc. D'une pièce, comme il convient à l'instrument du destin. Pas d'atermoiements. Mais ne nous leurrons pas : flatter Majorien, c'est pour l'instant flatter son complice et ami Ricimer, tous deux naguère sous le commandement d'Aétius ; puis avec Majorien, il a donc renversé Avitus. Mais voici le drame : la gloire personnelle prend le pas sur la patrie : « Ricimer liquide les successeurs sitôt qu'ils prennent la moindre supériorité. "

V, 149 – 151, 66 09 09

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V, 151 / 159


Nous poursuivons pour l'instant comme suit : V, 151. : Ludum si forte retexam, « faut-il à nouveau décrire ses jeux ? » Le traducteur introduit ici un mouvement factice absent de la phrase latine, mais correspondant bien au caractère rebattu d'une telle prétérition : il est de coutume en effet, ô combien, de relater les exploits d'une jeunesse nécessairement guerrière et sportive, depuis Héraklès ou Achille, jusqu’à l’empereur Majorien évidemment. Sidoine Apollinaire se lance alors dans un sinueux rappel mythologique, sous forme d'énigme, Sans doute nous étalera-t-il des records de javelot ou d'exploits cynégétiques : « Une seule de ses journées a surclassé tous les exploits que l'on prête à ton javelot ». Ainsi des « enfances », plus tard, de Roland, Gargantua, et autres.

Notre empereur de Rome se lance donc dans l'archerie :

« Trois flèches lui ont suffi pour faire trembler devant lui un serpent, un cerff, un sanglier » Ce double « f » pour indiquer aux cuistres que les deux prononciations coexistent. Ces trois animaux renvoient sans doute à quelque allégorie symbolique : faudra-t-il dépouiller le Dictionnaire des symboles de Gheerbrandt ? « Moins habile à balancer ses traits contre l'ennemi fut celui... » - début de l'énigme. Il s'agit d'Alcon, sur lequel se déchaîneront tous les calembouristes. Plus fort que Guillaume Tell le Fictif. Il éprouva "plus" de crainte "que" l'enfant : serpentis corpore cincto. « voyant son fils enlacé par un serpent, il éprouva plus de crainte que l'enfant, quand il courut à son secours, jusqu'au moment où, du même coup, il donna le trépas et la vie, » 155/157( une platitude traînait sur le bas-côté, Sidoine n'a pas manqué de la ramasser) «tenant ferme sa main, malgré son cœur tremblant » (et de deux).« Son inquiétude, » « mêlée d'un espoir

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grandissant, l'avait poussé à déployer toute sa science, pour ne donner la mort qu'à un seul des deux êtres dont les corps étaient confondus » - le serpent et l’enfant - exploit ne pouvant guère concerner que des hybrides mythologiques.

C’est donc à juste titre que Sidoine écrit "tout ce que l'on peut faire en un jour avec des traits" (flèches, javelots), "une seule de ses journées l'accomplit" ; Majorien, champion du tir au serpent, ne pourra que desserrer les anneaux asphyxiants du Vandale.


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V 160 / 164

Toutes les enfances de chefs se ressemblent. Nous les lisons pourtant, impatients de surprendre le point précis où bifurque la destinée. Parfois le biographe manque de documents précis. Nul doute, par conséquent, que le jeune Majorien n'excelle au coup de poing ganté de plomb : « Eryx le Sicilien (le Cerdan de l'époque) s'efface » devant lui (or le ceste était interdit depuis cinq siècles) – et « Sparte ne vit pas fleurir pareille science aux temps où l'athlète frotté d'huile » (ils l'étaient tous) du gymnase de Thérapné terrassa Amycus sur les sables des Bébryces » - que de belles syllabes - Pollux casse la gueule à l'athlète Amycus en provoquant son admiration ». V, 160

Attendons-nous donc, passé l'obligatoire boniment de foire, au reportage sportif de rigueur, gueule en sang et que le meilleur gagne. Les dirigeants furent-ils tous ainsi frottés de l’ail des cogneurs, tandis que de puérils ludions lyriques leur léchaient les orteils ? - "Quelle vigueur dans les jarrets !" - dans les pieds, traducteur, in pedibus !  - ou si l’on y tient le jeu de jambes des pugilistes.


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Sidoine en effet ne sait rien. Il meuble. Il antiquise, il imite les imitations -à présent c'est d'Euryale qu'il s'agit, n'y eut-il donc pas un athlète depuis Virgile, fallait-il sans cesse recourir aux anciens ? Oui.

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V 166 176

Voici "le fils d'Atalante", championne de course, dont Sidoine rappelle l'exploit cent fois ressassé : « elle parcourut d'un pied superbe » (je préfère « d'un pied léger, parce que cela se dit LÉVI PÉDÉ , ce qui nous vaudrait à présent deux procès) « l’aride forêt de Némée »("lui dont la mère, volant sur la poussière d'Étolie, avait fait frémir Hippomène", assez ! assez ! – pour "la jeune athlète" (virago, dit le texte) cuisses au vent, « qui s’élance, légère, sous les yeux du public frémissant" – pitié ! pitié ! « effleurant à peine le sol du bout de son pied ».

...Souvenirs de mes dix ans, quand les parents offraient à leurs enfants Contes et légendes tirées de la mythologie, au lieu de les gaver de tablettes ! - hélas, nous seront encore infligés les épisodes de ce conte, sans en omettre un seul détail - rien de vivant dans ce spectaculaire sidonien, rien où vienne battre le sang - les auditeurs après tout s'attendaient à de tels verbiages - notre Hippomène, "se retournant tout pâle, vit qu'il n'avait derrière lui que la moitié du chemin", medium campum, "et que la distance était encore longue jusqu'au but"- tout est rebattu. Les latinistes apprécieront en revanche la langue d’origine, bien plus épineuse, impossible à rendre sans virtuosité :

. « Pressus », « serré de près par le souffle tout proche, flatuque propinquo, ici la fin du vers correspondant à la suspension de souffle, il courait maintenant plein d'angoisse dans l'ombre de son adversaire, lorsqu'au détour de la borne,


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au moment d'être dépassé, il brisa son élan en jetant par trois fois une pomme » - la belle se baisse ramasse les fruits d'or, perd la course. V, 168-176. Jusqu’alors Hippomène courait dans l'ombre de son adversaire" – celle qui le fera tuer - sous la menace immédiate - l'espoir rebondit - trois pommes d'or lâchées sur la piste, préparées, dans sa large ceinture. V, 166/176


Insertion

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LOYEN « SIDOINE APOLLINAIRE ET L'ESPRIT PRÉCIEUX EN GAULE »


Sidoine Apollinaire et l'esprit précieux en Gaule  nous parvint de l'étranger dans un état lamentable. C'est un fascicule des Belles-Lettres, « série de guerre » (1943). ...car aujourd'hui, comme toujours, l'Empire s'écroule. Les grands propriétaires s'en foutent, et les poétaillons entassent leurs vétilles. en rivalisant de flagorneries. N'attendre aucune sincérité. lettre II, 10, 1

La poésie n'est plus qu'un bric-à-brac de références, un ressas sement exténué de vieux mythes. Descriptions coruscantes, écho épistolaires de chants de mariniers. Ou bien petits jeux versiculés sans conséquence. Ils s’entrecongratulent en louanges dithyrambiques : le collègue surpassait Virgile et Homère, et s'il s'était mêlé d'écrire de l'histoire, c'est bien alors que Tacite en serait demeuré... tacite, jeu de mots ! Virgile, qui n'a su composer – le pauvre ! - qu'en



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hexamètres dactyliques, n'était qu'un amateur. La moindre des politesses en revanche exige que l’on dénigre ses propres productions, « bagatelles » ou « jappements de chiots » ; et lorsqu'en toute modestie, en toute verecundia, l'on a reçu sa brouettée de compliments, il est du dernier chic de se récrier : « Il ne fallait pas ! » Aussi chercherions-nous en vain une once de sincérité. Dans l'effondrement de l'Empire, il est sidérant de voir ce ramassis de singes savants rivaliser de contorsions tandis que s'affrontent les armées de Barbares :

« et les poétaillons entassent leurs vétilles ».

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Les plumitifs latins illustrent cette décadence, en pratiquant leurs petits jeux versifiés - Sidoine pourtant, dans ses vers, livre parfois des renseignements précieux, au bon sens du terme. Il adopte la seule attitude possible pour un aristocrate : afficher ses convictions chrétiennes (rappelons que les Barbares sont déjà christianisés, sans croire toutefois à la divinité de Jésus), puis accéder à l’épiscopat. Meilleur moyen, au début, de maintenir son rang social. C'est alors chez Sidoine un déferlement de mauvais goût dans ses écrits, où toutes les figures bibliques dansent un gélatineux sabbat promiscuité par tout l'Olympe. Les fausses modesties d'artiste laissent place aux pires clichés masochistes de repentir et d'adulation, dont le très diarrhéique Augustin

avait déjà fourni le répugnant modèle.

Et ce sont les textes de Sidoine qui transmirent à travers siècles, jusqu'à Chateaubriand, jusqu'à un Huysmans, leur propre potentiel d'admiration. Juste après Sidoine, les textes administratifs eux-mêmes de Clovis se vautrent dans le galimatias, où le choix des mots se trouve systématiquement le plus opposé à leur sens premier, tandis que le peuple, qui ne lit plus, qui n'écrit plus, comme tous les peuples de toutes les époques, sombre dans la langue la plus abâtardie. Pourtant nous avons sur le tard adoré, de Sidoine, ces coruscations, ces heurts de syllabes, ces beaux balancements ; jamais ne me lasse de rappeler sur mes lèvres les éclats de ces vieilles orfèvreries syntaxiques...





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Pour le reste, jungle et salmigondis de références et de clichés. Les philosophes ne sont plus connus que par un bon mot ou un tic, ne sont plus abordés que par l'intermédiaire de résumés ; les descriptions abondent, surchargées de couleurs rose et or, les femmes de la mythologie ressemblent avant l'heure à des sapins de Noël, on n'a plus rien à se dire et les Latins se sont épuisés à ressasser Orphée, Médée, Scipion vainqueur d'Hannibal et autres passages du Rhin par César. La poésie précieuse est devenue un embrouillamini de métaphores filées comme des perles, un condensé de tout ce que le goût peut produire de plus boursouflé.

« Il offre à son lecteur » poursuit Loyen André « un décor de féerie – non sans le ramener sur terre par l'évocation réaliste des bruits de la route et du fleuve : entre lesquels s'élève l'édifice : «Des incrustations de marbre aux reflets variés courent sur la voûte, » - tougoudoup, tougoudoup, « tracent leurs dessins chatoyants sur les vitraux d'émeraude – on ronfle. Sur la façade s'appuie le triple portique d'un atrium, fier – fier, il est fier le portique - de son marbre d'Aquitaine (…) « D'un côté, c'est le bruit de la route, de l'autre, le vacarme de la Saône – le vacarme de la Saône ! - [où] le chœur des bateliers lève vers le Christ » ça faisait longtemps « son refrain de marinier, tandis que les rives lui répondent alléluia » - répondit l'écho  - c'en est au point où même la note 11 fait figure de


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halte reposoir : « (...) Il s'agit de la cathédrale Saint-Jean, à Lyon, où des fouilles récentes ont fait retrouver sous le chœur les restes d'une église gallo-romaine. » Sur le plan de l'église, Sidoine constitue un témoignage valable du point de vue archéologique. Il s'agit aussi d'inscriptions chargées d'orner les plaques, objets, bibelots. De façon astucieuse, « on trouve chez [Sidoine] des inscriptions destinées à accueillir le visiteur à l'entrée de la piscine ou des bains d'Avitacus, » - aujourd'hui Aydat, dans le Puy-de-Dôme, « des invitations à dîner, des billets accompagnant un cadeau » - Aydat consciencieusement défigurée par les pavillons de week-ends...


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« Toutes ces petites choses » convient le commentateur « tirent leur valeur de la manière parfois exquise avec laquelle un sentiment vrai est mis en relief, ou encore d'une pointe finale, d'un jeu de mots plaisant, d'une malice gentiment amenée : « La nuit dernière a attaché quatre poissons à mes hameçons ; j'en ai gardé deux, accepte les deux autres/ Ceux que je t'envoie sont les plus gros et rien n'est plus naturel : n'as-tu pas la plus grande part de mon cœur ? »…...

Ou encore : « C. XXI » Viens avec ta femme, hâtez-vous tous les deux, mais l'an prochain... vous viendrez trois : c'est mon vœu. » - atterrant. « L'œuvre de Sidoine », poursuit le courageux Loyen, « n'offre qu'un exemple d'épigramme galante : cette éclipse du genre est révélatrice de la situation faite à la femme dans la société du Ve siècle. » ; voici donc une vision plus galante :

Bienheureux le métal qu'enferme l'éclat du métal et (caressant) la bouche de votre Majesté, plus éclatante encore, car lorsque Elle daigne y plonger les lèvres, c'est son visage qui communique à l'argent sa pureté » - le français ne rend que très imparfaitement la magnificence de ce rond-de-jambe ; nous avons apporté quelques adoucissements euphoniques à la traduction. Euric avait assassiné son frère pour parvenir au trône, et occupait l'Auvergne: excellente occasion pour glorifier son épouse Ragnahilde. Pas très regardant, Sidoine… Ailleurs, « le déséquilibre initial entre le sujet traité : un

incident de la vie quotidienne et l'étendue du poème (...) est masqué (du moins on s'y efforce) par le développement de brillants lieux communs

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Le chapitre IV se poursuit comme ceci : « On peut regretter que Sidoine n'ait pas limité son activité poétique à ces jolis bibelots. Il se trouvait, hélas ! à l'étroit dans le cadre resserré de l' « épigramme ». Sa faconde naturelle, le goût de son époque l'entraînaient vers les développements plus amples et son ambition vers la « grande poésie ». » Notre commentateur a de l'humour, non dépourvu d'une certaine tendresse : « Si l'on reprochait à mon poème dit Sidoine d'être trop long et de dépasser les limites de « l'épigramme », on prouverait clairement par là qu'on n'a lu ni les Bains d'Etruscus, ni l' Hercule de Sorrente (...) ni aucune des Sylvettes de Stace, mon préféré - mis à part que Sidoine est à Stace ce que Dubosc est à Bedos, Stace lui-même étant à Horace ce que Bedos est à Beaumarchais. « Ainsi, » poursuit André Loyen, «  Sidoine (…) s'autorise du précédent des Sylves » - « pour consacrer lui aussi de longues pièces (…) aux menus sujets de la poésie de circonstance.»...

Nous vous renvoyons à Sidoine Apollinaire et l'esprit précieux en Gaule par André Loyen, en 1943 maître de conférences à la faculté des lettres de Rennes, car nul n'est parfait. Rennes a supprimé sa chaire de grec, en attendant celle de latin, voire de littérature française. Voire de tout.



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62 v. 177/184

Rejoignons le texte en V, 177 - cinq vers touffus comme des taillis : "Qui voit à cheval Majorien méprise le fils de Léda » - d'abord, "Majorien" ne figure pas dans le texte - et « le jeune héros aimé de Sthénébée », c’est Bellérophon. dompteur du « cheval ailé"- Pégase, comme chacun sait - modèle de St Georges et de saint Michel qui écrasèrent leurs dragons respectifs. Bellérophon « supprima d'un seul coup trois existences », la Chimère - à la fois chèvre, lion, et serpent par la queue. « Si les destins t'avaient fait naître alors, intrépide Majorien, Maioriane ferox ! tu aurais exterminé le plus d'ennemis possibles  - «  tu n'aurais pas permis que Castor connût les rênes" (de cheval), "Pollux le ceste" ("Castor et Pollux, le retour"), "tu aurais ridiculisé les trophées de Bellérophon" - petit-fils de Sisyphe, lequel engendra tous les Atrides.

Les auditeurs gallo-romains et autres sourient d'un air entendu - (de quelles pâtées marécageuses nos cerveaux actuels ne sont-ils pas gavés, à grand renfort de Droits de l’hommisme, d’égalité des chances et de vivre ensemble ? La préciosité remédie à sa fadeur par la surabondance.

Quant aux emphases syntaxiques du traducteur (« Saisit-il un bouclier ? (... ) Veux-tu connaître sa maîtrise... ? ») elles sont d'aussi mauvais goût ma foi que Sidoine lui-même - «...dans le lancer du javelot ? » Le poète ne se sera fendu que d’un parallèle de plus à l'avantage de Majorien bien sûr… Ces quelques vers constituent un imbroglio de la plus

belle moûture - on pense à autre chose rien qu’à le lire. Les allusions du poète peuvent bien renvoyer au chant onze de L'Enéide, que l'on n'étudie plus, car il est bien connu que Virgile a moins bien réussi ses passages guerriers. « C'est avec moins de force que »

R (Thésée) "perça de sa lance marathonienne Créon » ) - V 192 193 c'est bien de l’oncle d’Antigone, qu'il est question - curieux télescopage en vérité. REVU

R 63

V 193

Grands hommes, à vous la gloire, à nous la graine. "C'est avec moins de vigueur", poursuit l'increvable Sidoine – "que la déesse vengeresse (…) brandit la foudre contre les Danéens" – la peste, sur l'armée grecque de l’ Iliade... quelle actualité tout de même… Quant à la faculté de discerner le juste et l'injuste, nous n’y croyons pas : la culture, ni même la connaissance, ne garantissent pas une grande âme, ni la noblesse ou l’impartialité d’un jugement. Images, images encore : l’autre Ajax, fils d’Oïlée, empalé sur les récifs et vomissant des flammes – splendide - alors que le public se racle un peu la gorge : Parva loquor, « Soyons brefs ».

V, 196-198

Que nous reste-t-il ? l'attitude. Et quelle attitude plus légitime, en temps de troubles, que l'érudition ou son semblant ? « ...lorsque la Grèce eut sa nuit de Troie et un embrasement semblable » - je suis écrasé - mais passons aux choses sérieuses, « plus graves - le latin relance, le français se repose encore. V, 199,« toutes les fois que tu fais la guerre, [Majorien] est à tes côtés, pour s'instruire, non pour combattre ». Majorien accomplit ses "enfances", et s'exerce à l'art militaire. La femme d'Aétius, vainqueur d’Attila, exprime ainsi sa jalousie : « Il feint d'être ton disciple, il vise au contraire à devenir ton rival » car souvent l'élève dépasse le maître. Toujours ce rempart des convenances pour ceux qui ne visent qu'à les violer. Toujours les uns s'emparent du travail, de la gloire d’autrui. « Il hait tes victoires et il aime ceux que tu as vaincus » – les Huns, aux Champs catalauniques. « Auprès de lui, Alexandre le Grand, que tourmenta pourtant la gloire de son père, ne fait que sommeiller » - Plutarque et Quinte-Curce attestent de cette jalousie d'Alexandre. C'est une bonne chose sans doute que de vouloir dépasser son père ; mais nos contemporains voient d’un mauvais œil ceux qui souhaitent la gloire, préférant aux héros les survivants, ceux qui se sont cachés pour pouvoir le dire ! REVU

R 64

« Quel royaume procurer à mon fils » (Gaudentius) dit la mère « puisque j'ai perdu mes droits au trône wisigothique » par son mariage avec Aétius » - « si Rome m'oublie » - car un décret de Rome suffirait à la redorer par la restitution d’un trône barbare - « si par surcroît, super hoc, mon petit Gaudentius » - « fiancé, nous dit Loyen,  à la seconde fille de l'Empereur, Placidia, vers 454 » - touchante idylle  - « ...est écrasé par le destin de Majorien ! » - c'est bien l'empereur lui-même qui poignardera plus tard le grand Aétius...

« Ah ! celui-là ! » poursuit l’épouse acariâtre. « La Gaule déjà et toute l'Europe chantent ses louanges » avant même qu'il ait atteint la pleine puissance de l'adulte ! On était jaloux, le pouvoir et la gloire se désiraient tout crus : "Que faire, malheureuse que je suis !" Ainsi la situation se trouve-t-elle inversée : le grand Aétius n'est plus qu'un incapable, incapable de transmettre un héritage quelconque à son fils, tandis que son disciple, Majorien, convoite la place de Gaudentius, fils de la reine déchue. Le héros serait-il à ce point méprisé ?

...Voudrait-il frustrer son épouse d’une royauté ou d’un empire par le biais de leur fils ? Le destin des peuples dépend-il à ce point de ses dirigeants ? qu’importe le destin des peuples … certains relégueraient volontiers Attila en bas de page pour lui substituer de mornes considérations économiques sur l’éternelle condition paysanne, ici, au Ve siècle... V 199/207


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XXX


Sidoine possédait un fort sentiment d'appartenance à la nation gauloise. Sa famille avait soutenu l'usurpateur Jovien. Peu soucieux de s'appesantir là-dessus, le poète déroule une de ces interminables litanies de philosophes ou d'auteurs connus, ou de cours d'eau, pourquoi pas : les petits Romains apprenaient ces listes par cœur, sans même savoir les situer sur une carte. Il est vrai que les cartes nous semblent bien s'être réduites à des itinéraires, comme celui de Peutinger. Majorien s'est donc

baigné dans les flots glacés du Rhin, de la Saône, du Rhône (site de Lyon, sa ville natale), tous les cours d'eau, dix, même le Lez – c'est celui de Montpellier : sans doute, nous dit Loyen, ce fleuve rappelait-il quelque chose à Majorien personnellement. V 207 / 209

Mais l'énumération se poursuit, que Majorien se soit ou non effectivement baigné dans ces cours d'eau ; estimons-nous heureux que le prétendu poète ne les affuble pas chacun d'une épithète - "le Lot, l'Allier, l'Aude, le Wahal" – ne manquent plus que Seine et Tamise ! Il fut donc partout, ce vaillant Majorien ! Capable de bondir d'un bord à l'autre de l'Empire ! quelle admiration ! quelle aigreur chez cette virago ! Même, la voici contrainte de reconnaître que ce subordonné "a bu l'eau de la Loire coupée en morceau à coups de hache" ! Cette liste pourtant présente un intérêt historique, chacun d'eux renvoyant sans doute à d'authentiques exploits, contrôlables, du nouvel empereur Majorien. « Quand il défendit Tours qui redoutait la guerre », bella timentes, car il s'agit des Tourons, « épisode de l'agitation bagaude », « tu n'étais pas là » Les bagaudes, bagad, ce sont des groupe de brigands, Cela s’était passé vers 448, lors de ces mystérieuses révoltes : des troupes, des bande à contours variables qui parcouraient tout l'ouest de la

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Gaule, en révolte contre tout, administration, empire, impôts, contraintes sociales de tout ordre, et qui préféraient, n’ayant plus rien à perdre, lutte à mort contre tout et n'importe quoi - séparatistes ? Saccageurs par principe  ? sectataires de la terre brûlée, jouissant et hurlant avant de se faire massacrer ? Refusant les impôts, les métiers héréditaires obligatoires (loi de Constantin (312). Spartacus, le gladiateur, avait un projet. Pas eux. Poings brisés des victimes sur les battants clos de l'absurde contrat social. V, 208-211.

La Wisigothe a plus entendu parler de Majorien, pourtant bien jeune encore, que de son époux ! La femme consentait bien à devenir esclave, pourvu que ce fût du plus grand des maîtres ! "Peu de temps après, vous combattiez ensemble dans les plaines ouvertes de l'Artois, que le Franc Chlodion avait envahies" - Chlodion le Chevelu, bien sû C'est la première fois que l'on mentionne son nom (Cloio) ; il fut le père de Mérovée. Il fonda le royaume des Francs dont devait hériter Clovis. Un combat va se dérouler, où Clodion sera vaincu : "Il est en ces lieux un carrefour où les routes aboutissent à un étroit chemin ; la chaussée resserrée, placée sur pilotis, traverse au bout d'une longue distance le bourg d'Héléna dominé par l'arche d'un pont et en même temps un cours d'eau" – où retrouver ce lieu ? aux environs d'Arras, mais encore ? Le pont en question était-il un aqueduc ? "C'est là-bas que tu avais pris position, et Majorien à cheval combattait au pied même du pont. Son compagnon d'arme, c'est Aétius.

Il s'agit d'une escarmouche réelle cette fois et non mythologique : "Par hasard, sur une colline proche, on célébrait bruyamment un mariage barbare et au milieu des danses nordiques la nouvelle épousée était unie à un mari aussi blond qu'elle." Belle victoire en effet sur une noce. Chlodion même y figurait-il ? Le récit se déclame devant Ricimer, ne l'oublions pas. Il est Suève. Il n'aime pas beaucoup les Francs. Il se prétend régisseur de l'Empire romain. Sidoine peut donc se moquer d’un mariage "barbare", tandis que

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Ricimer célèbre un mariage digne, chrétien, romain. Mais le grand orchestre va tonner : "Majorien, dit-on, leur fit mordre la poussière" – ce qui suit substitue aux repères géographiques, qui seraient si précieux, de plates expressions de tous les combats : "son casque résonnait sous les coups et sa cuirasse, opposant ses écailles au choc des lances, détournait de lui la blessure » - Majorien serait donc remonté du pied du pont, où il combattait, vers les arrières où se tenait une noce insolente ? "On put voir alors briller sur les chariots, plaustris rutilare, les parures en désordre du lit barbare, les plats amoncelés pêle-mêle, le festin qui allait grossir le butin, et les ennemis, aux boucles parfumées, emporter leurs chaudrons couronnés de guirlandes odorantes" V 224 / 227 – en voilà toujours deux qui ne seront pas près de se reproduire.

Ricimer, patiemment, sourit dans sa balafre : ces Francs ne sont-ils pas ridicules, avec leurs manières de rustauds, qui mêlent charrettes et vaisselle d'or, grossiers chaudrons et guirlandes ? Le contraste serait ridicule, si la prétention du poète ne l'était encore plus : il transfigure une lâche attaque en héroïque fait de guerre... Ils ont heurté les chaudrons de leurs lances, et c'est tout juste si l'on n'a pas vu le cul de la mariée. "Sur le champ grandit l'ardeur guerrière et Bellone plus fougueuse brise les flambeaux de l'hymen" pour les inverser, je suppose, en flambeaux de funérailles. "Le vainqueur s'empara des chars et de la jeune épousée".

Nul doute que les noces civilisées de Ricimer pourront, dans leurs fastes, éclipser les grotesques simagrées de ses anciens camarades de race. Et inlassablement, Sidoine repasse les plats refroidis, chargés d’introduire le descendant des rois Suèves, Ricimer, au sein du Panthéon grécoromain : il les aura même surpassés puisqu'une fois de plus les anciennes légendes (noces troublées jadis par les Centaures…) - se voient taxés d'infériorité. Qui ose parler de déclin ? V , 217 231


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...Les Centaures, beurrés comme des mules, voulurent violer ces dames, les Lapithes Hadudul répliquèrent à coups de pierres, et
ce fut la plus sanglante ba


taillebourreèpif d'ivrognes de toute l'Antiquité, dont un bas-relief de Mickey l'Ange nous restitue le décervelage. Nos Centaures ratatinés se réfugièrent sur le mont Othrys - quel boute-en-train, ce Sidoine ! il est, nous dit la note, le seul qui ait ici donné un rôle actif aux femmes, qui participèrent au bourre-pif général.

Et comme décidément la matière manque, Sidoine se fend ici d’un "Portrait des Francs", plus barbares que vous, ô vaillant et civilisé Ricimer qui as trucidé mon beau-père : "Mais ne célébrons pas davantage les luttes fratricides (iurgia fratrum) des fils de la nue" (Ilion, violeur de nuages, avait engendré les Centaures…) - Majorien dompte aussi des monstres" – car les Francs sont effrayants "leur chevelure rousse, tirée vers le front, s'étale sur le sommet du crâne". Nous avons cela dans nos rues. "Leur nuque dégarnie reluit, ayant perdu ses poils raides" – nous tenons dans ces vers la première description réaliste, depuis Juvénal, de ces Francs : "Dans leurs yeux pairs » poursuit l’auteur « brille un clair regard".

Ajoutons que "leur visage entièrement rasé ne laisse aux soins du peigne que d'étroites moustaches", tenues cristae . V / 242 "Ils se plaisent", les Francs, "à lancer dans les vastes espaces leur rapide hache à deux tranchants", la francisque, "en prévoyant l'endroit de sa chute", "à faire tournoyer leur bouclier", "à dépasser d'un bond le javelot qu'ils ont brandi et à tomber avant lui sur l'ennemi", nous retrouverons des échos de Sidoine jusque dans Les Martyrs de Chateaubriand. "Dès les années d'enfance, ils ont un amour viril de la guerre", belli maturus amor : amour d'homme fait, qui vient de la mère". Notre corps est un mystère insupportable. V / 250

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Mais "si (…) la mort les abat, non la crainte - sans s’avouer vaincus, ils résistent jusqu'au bout et il semble qu'alors leur courage survive à leur dernier souffle" "Qui es-tu ? ...et quel est dans ton œil ce manque de lumière... »

S'il prend un jour le pouvoir, si regna tenebit, futur simple, c'est pour lui que tu triomphes." L’époux subit l'aiguillon de ce venin : "Les destins ne permettent pas ici de demi-mesure : si tu répugnes à le frapper, tu seras son esclave." V 259 Le tout ou rien : "Si le Chaldéen suit la bonne voie dans l'observation des astres" – et personne n’en doute - si le Colchidien connaît les simples" – et comment ne les connaîtrait-il pas ? - "si le Toscan sait faire jaillir les éclairs... » – voici venir, une fois de plus, le fléau de l'énumération pédante - « vois, conclura Pélagie la Gothique : puisque tout ce que je viens de dire est indiscutable, ce que je vais dire ne le sera pas moins : "si les oracles de Lycie sont sages, si le vol des oiseaux peut dire notre destin » - nulle trace du Dieu des chrétiens… "...si enfin vos chants prophétiques, Phébus, Thespis, Dodone sont vrais" – car qui doute des dieux doute de Rome - "après notre mort, ce Julius [Majorianus] sera Augustus" – allusion à la tétrarchie mort-née; de Dioclétien, 285 - "Étouffe-moi, ma rage !"

Prends garde, Aétius, ô vainqueur d’Attila : tu seras seul contre tous, comme Prométhée contre les dieux ! prépare ton foie ! "De quel côté vas-tu te tourner ? L'un emporte son destin vers les sommets du monde, ad culmina mundi, tous les deux y aspirent." ...Majorien, bien sûr, et son compagnon d’armes Ricimer, qui  sert lui aussi sous Aétius – il faut, tous les deux, les flatter, ou les assassiner. Ricimer, ici présent ce jour, tend l’oreille au premier rang, à l’évocation de ces menaces naguère proférées contre Majorien et lui-même, placées dans la bouche d’une furie, alors qu’ils triomphent ici main dans la main.

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"Lève-toi » disait l’instigatrice, et attaque-les en même temps à l'improviste." V, 270, "Tu ne pourras en immoler aucun, si tu veux que les deux meurent" : cette perfide insinue sûrement "aucun tout seul" ; il faudra donc s'occuper des deux amis à la fois – "enveloppe l'un dans le réseau des perfides caresses" sed necte dolosas blanditias uni – observons la similitude de racines entre necto, "ligote", et "neco", "assassine"…

70 V 273 / 279

Ou bien donc cette ignominie s’accomplira, ou bien l’orgueil romain se fendra d'un ultime sursaut - "cependant que tu frapperas l'autre de ton épée » - contorsions d'agonie de l'honneur ! "Mais pourquoi ces paroles vaines ?" V 273 C'est toujours ce que disent les bavards et vardes: "Inutile de prendre trop de précautions : il doit vivre pour régner !" Le fils d’Aétius, Gaudentius, devait épouser la fille de l’empereur… mauvais choix...

Or l’époux Aétius, vainqueur des Huns, en a plus qu’assez entendu. Il se "soulève de colère" : "Contiens les vœux impies" – la classe – "de ton cœur en délire. Quoi ! je pourrais ordonner la mort d'un innocent ! qui réclamerait un châtiment pour les destins ?" Majorien en réchappera. Sa vie dépendait donc d'une scène de ménage. Chez les Wisigoths, une furie peut renverser la destinée. Chez les Romains, non : "Mon épée te frappera au cœur, Majorien" – la sorcière a gagné ! - eh bien non : "si Phébus brille la nuit...", autrement dit jamais - hélas en effet, ce sera encore une de ces infinies diarrhées d'impossibilités, que l'on appelle en grec les "adynata" : "et la Lune le jour" – mais on la voit souvent de jour – "si les deux chariots de la Parrhasienne accomplissent dans la mer leur révolution" –petit chariot-grand chariot, Petite Ourse Grande Ourse, le bas de page renvoie aux Métamorphoses d'Ovide, "si le Tanaïs aperçoit l'Atlas" et certes il n'est pas près de le voir, ronflez, auditeurs hauts gradés, «si  le Bagrade » où nous avons vaincu Carthage  « voit le Caucase » - Sidoine trompette de plus belle : "...si les barques


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façonnées dans les troncs de la forêt Hercynienne sillonnent, au lieu du Rhin, l'Hydaspe de Nabathée" – mais susciter notre hilarité, voilà qui serait bien impossible...

V 279 / 284

72

Lequel auditoire, qui sait, sourit avec finesse à tant de bon goût, -"si l'Espagnol boit au Gange" (septicémie), "si l'Indien vient de la tiède Erythrès puiser son eau dans l'Èbre d'Ibérie" – à moins que Castor ne s'inonde du sang de Pollux. Évidemment. Qui songe à trucider son jumeau. Ou plutôt, voir la fondation de Rome - donc, jamais, moi vivant, mon épée ne frappera Majorien. Pas plus que Thésée ne frappera Pirithoüs - manquent Achille et Patrocle, Pylade et Oreste– fin du parcours du combattant : de descriptions en catalogues, nous avons eu bien de l'héroïsme. "Cependant", poursuit ce général vainqueur, "pour que je n'aie pas l'air de dédaigner ton ressentiment, Majorien vivra, mais il sera pour quelque temps privé de son commandement pour un temps" – on cède à sa femme, mais le poing sur la table. Femme aux yeux verts, aux cheveux d'or, plus forte que les hommes dit Ammien Marcellin. Mélusine wisigothique.

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Et c'est bien à regret : "Hélas ! il pouvait nous devoir sa fortune, si tu n'avais pas jugé que ce fût chose funeste." Le général Écius n’en est pas moins superstitieux. Cette disgrâce passagère permettra toujours au futur empereur, Majorien, de compléter ses expériences militaires par des pratiques de propriétaire terrien ami de l'ordre - bienheureux limogeage : après avoir appris l'obéissance, puis le commandement, Majorien, sachant mettre à profit son retour à la glèbe, convertit donc sa disgrâce en stages préparatoires ! Il aura ainsi étudié l’administration des domaines et le labour…

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ainsi ne fondera-t-il pas son pouvoir sur la seule expérience du soldat. "Il suspend donc ses armes, et féconde de son soc le ventre vide d'une terre stérile" ("abandonnée" : c'est largement interpréter le mot sterilis, qui signifie peut-être, étymologiquement : "laissée en l'état"). Quant au "consul courbé", c'est une fois de plus le grand Cincinnatus, "le bouclé", aussi peu laboureur que Jeanne d'Arc bergère – increvables légendes ! - contraste de la lance et de l'aiguillon, des haillons supposés au tapage vestimentaire, de "l'humble foyer" à la "toge palmée" - chute sur bubulci, "bouvier" !...

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V, 305/318

Mais voici que Valentinien III poignarde Aétius, ce général sauveur : 21 septembre 454. "Pour réunir plus sûrement les immenses troupes du disparu "à la garde du Palais (palatinos turmis), Valentinien prie alors Majorien de revenir" : il reçoit le titre de comes domesticorum. Autant dire "comte du palais". "Mais Valentinien III, l’assassin, "n'avait pas l'affection du peuple" : "il expia par l'épée le crime odieux de son épée" – mais oui, l'Évangile ! "et sa mort précipita encore votre chute" – car ce traître d’empereur est nuisible jusque dans son châtiment même : sitôt que l'homme dans sa présomption veut se dresser au-dessus de sa motte de terre, les faits l'y récrasent... "Dès ce jour les destins favorables filaient sur leur quenouille d'or le règne de l'empereur actuel" – Majorien - "...mais ils voulurent éviter à un héros ( [a-un-é]...) "l'impopularité des malheurs publics".

Majorien, contrairement à nombre de ses prédécesseurs, n’a pas hérité l’autorité transmise par un autre empereur ; mais il n'aura dû son ascension qu'à son propre mérite. Ce fut toujours un problème que les successions au trône, à Rome : pour avoir un fils, il fallait, en effet, partager le lit d’une femme...

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"Majorien, après les souffrances de ta captivité", celles de Rome en personne, "a créé l'empire qu'il possède". Il serait digne pour un peu de Camillus dit Camille, " second fondateur de la ville de Rome",V, 317

Sidoine survole les siècles, passe à Trajan, « fils bien-aimé" (mièvrement : « chéri ») de Nerva, fils adoptif évidemment, car la puissance paternelle à Rome ne s'embarrassait pas de charnellité, mais se haussait à l'institutionnalité. "Pour être Germanicus » (général glorieux mort en 19) « par le titre, il avait dû l'être d'abord par le mérite" - Trajan donc avait gouverné la Germanie Supérieure - la pensée ne se distingue pas ici par l'originalité. Les faits remontent à près de 400 ans. Sidoine récapitule : "Jadis, après la Caprée de Tibère" (Capri), "après l’apothéose honteuse de Caligula" (celle de sa sœur…) - "la censure de Claude" (...il intronisait des sénateurs gaulois… Majorien vient justement de les écraser, Sidoine n’en est pas à une flagornerie près...) - "la cithare et les noces de Néron, après la splendeur du miroir immense où le fameux Othon se contemplait (...), après les cinq mille victimes » (animales…) « condamnées à disparaître dans le gouffre du ventre fameux de Vitellius, c'est (…) après des travaux semblables" (à ceux de Trajan) "que Vespasien avait été choisi pour Empereur" – longtemps avant Trajan – beau bric-à-brac....

En somme, depuis et y compris Tibère, l'Empire n'aurait connu à de rares exceptions près que des incapables demi-fous : Tibère se faisait sucer par des nourrissons, Caligula niquait ses sœurs, Néron bouffonnait ; puis le mouvement s'amplifie pour le bel Othon (qui s’admirait tout armé, la tante !) ; et Vitellius le Gras, déchiqueté plus tard par la foule en délire, "2 000 poissons et 7000 oiseaux" précise la note - la tirade s'achève donc en rejet sur le frugal Vespasien, qui vécut de peu, et rétablit la dignité après l'Année des quatre empereurs. Et c’est ainsi que Majorien fut nommé général en chef le jour même de l’assassinat dAétius… (V, 318 / 327).

Quel curieux hasard.

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C'est ainsi que Sidoine enserre en son lasso les règnes antérieurs, bousculant les chronologies. Après une telle galerie d'ancêtres, Rome voit se dresser devant elle Genséric le Vandale, lointain successeur – 600 ans ! - d’Hannibal à Carthage : "Mais ne va pas croire que je reste imprenable, dit l’Afrique, devant la puissance d'un brigand". "Les vices de sa vie » poursuit-elle « ont consumé en lui la vaillance de sa race" – allons-nous céder aux délires vineux de ce dégénéré ? "sa barbarie de Scythe" (Genséric, un Scythe ?!) "est soutenue non par ses forces mais par ses « appétits »; les yeux plus gros que le ventre.

Le thème du confort avilissant, de la pauvreté virile ! "Genséric, s'étant emparé d'immenses dépouilles, a déjà perdu toute sa force dans le luxe" ! exactement comme Hannibal à Capoue : « Tu sais vaincre, mais tu ne sais pas tirer profit de la victoire » - avec la différence qu’Hannibal n’a jamais pris Rome, lui, tandis que le roi des Vandales règne à Carthage depuis plus de 20 ans, et vient de piller Rome en 455 (après la première mise à sac en 410 par le Wisigoth Alaric…) - Genséric  « puissant par la lance », et dont l’armée n’est pas si minée par la débauche que l’Afrique voudrait le croire… La plate pompe fanée du vocabulaire ne saurait masquer l’impuissance.

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V 332-341

« Il arme maintenant mes propres entrailles pour lui-même » poursuit l’Afrique « et contre moi » : autrement dit, ses habitants. "C'est par son tribunal que je suis lacérée, captive tant d'années, malgré mon courage, accablée de châtiments, ayant engendré ceux par qui je souffre" – "Rien ne s'accomplit par nos propres armes" – ô Afrique ! "mais par les Gétules" (des sables sahariens), "les Nomades, les Lybiens, les Garamantes et les

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Autololes, l'Arzuge" (passage au singulier), "le Marmaride, le Psylle, le Nasamone", beau fatras onomastique. "Le fer n'ignore plus rien de la puissance de l'or", nos Africains préféreraient-ils le fric au combat ? Devant ce riche couard, les meilleurs guerriers sauvages se débandent ? sa couleur est pâle, le vin et la graisse blafarde le tiennent sous leur poids, son estomac encombrée d'orgies ne permet pas que s'épanche son souffle empuanti. Pittoresque ignorance, verdeur pataude du Latin ignare !

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« Ses proches mènent une vie semblable, Par est vita suis", "les porcs" ? "Ce n'est pas ainsi qu'Hannibal Barca se perdit", mais si ! "La déchéance d'Hannibal fut moins prompte", mais non ! au pied du mont Gaure (célèbre par ses vins) au-dessus du lac Lucrin, et, sommet d'impudence, jadis, les "bras noirs du Massyle" se sont ébattus dans l'onde pure ! ...plus jamais ça ! - « et les corps fortifiés par la guerre mollissaient dans les délices de Baïes » - toujours ce rabâchage du passé - suscite-moi donc, au moins, un vengeur , afin que Carthage ne combatte plus contre l'Italie" – les Germains Vandales ont décidément bien pris le relais… là encore, traducteur, pas de "Majorien", mais nous avons parfois besoin d’une solution au jeu de la devinette.

Ainsi parle l’Afrique, ravagée, qui "gémit de douleur" et dont "les larmes viennent seconder la prière." Et Rome réplique : "Suspends tes longues plaintes, ô ma toute dévouée : Majorien te vengera au nom des dieux." Politesses de déesses. Majorien donc, déjà maître de la milice et de la cavalerie sur le continent, devra bien plutôt le trône à sa proximité avec "le terrible patrice" : Ricimer, encore et toujours. Pour Gibbon, pour Victor Hugo, Majorien aurait pu tenir tête aux circonstances - "Je veux en quelques mots » poursuit Rome « te rappeler quelques faits" – suivra donc un éloge du nouveau souverain. V 342 / 353

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V, 354-360

Mais Sidoine se borne à des allusions dans son Panégyrique. "Depuis le jour où Théodose » (Premier) « rétablit dans la possession commune du pouvoir le frère de son bienfaiteur qui avait été chassé du trône et fut plus tard étranglé par la main d'un Grand qui devait lui-même se donner la mort, ma chère Gaule est demeurée jusqu'à présent inconnue des maîtres du monde et les sert sans les connaître". Les auditeurs comprenaient. Nous autres, plus guère. Le "bienfaiteur" de Théodose, ce fut Gratien, qui le fit acclamer comme empereur avant de mourir (383). "Sidoine aime les énigmes", nous dit-on en note.

Théodose, donc, remercia son bienfaiteur, de façon posthume, et restitua la Gaule (beau cadeau) au frère de ce dit bienfaiteur : ledit frère, Valentinien II, fut mis sous la tutelle d’un haut gradé germain allié, puis retrouvé pendu à 21 ans (392) . Et ce haut-gradé, Arbogast, se suicida – coupable, ou non ?... Théodose mourut d’hydropisie en 394... Et depuis cet étranglement mystérieux, la Gaule obéit, mais de loin, à des maîtres qu'elle ne voit plus jamais : Honorius (mort en 423), Valentinien III (en 455, assassiné). « Bien des choses sont mortes à cause de cela » (ex illo multum periit) "c'est la raison de sa profonde décadence", comme traduit Loyen, qui tire "profonde" de sa profonde.

Or les souverains occidentaux de Ravenne (promue capitale en 402), au lieu d'apparaître à tout bout de champ pour annoncer que rien ne va changer , restent cloîtrés, énigmatiques et cruels : "l'empereur, quel qu'il [soit], reste enfermé ». La transparence en effet avilit les gouvernements, qui se voient exiger des comptes de tous les chiens galeux. Mais Ravenne, sur l'Adriatique, protégée par ses marais et ses moustiques, n’en demeure pas moins facile à investir : "Le malheureux monde romain, dans ses

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contrées les plus diverses, fut régulièrement ravagé". Tout souverain, oriental ou non, doit en ce temps-là déléguer aux armées de vigoureux généraux, afin de ne pas sembler se dissimuler frileusement. "Quelle vie aurait pu plaire, quand le chef avait besoin lui-même d'être guidé ?" Ce qui nous ramène à la relativité de la notion de chef...

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Sentiment général d'abandon. bien reflété par Sidoine. Les Romains étaient-ils des imbéciles ? Notre liberté, leur servitude, est-elle et fut-elle un mirage ? Conclurons-nous que tout est mirage ? "Méprisée pendant tant d'années, la noblesse végéta". Remplaçons : Méprisée pendant tant d'année, la connaissance végéta", les professeurs de latin ne furent plus considérés. "un vaillant, pour prix de ses services, ne remporta que la haine de l'État". Il s'agit d'Avitus nous dit la note ! Mais quels services a-t-il rendus, ce brave beau-père ? n'a-t-il pas été viré de son trône parce qu'il était gaulois, et méprisait les sénateurs romains ? "Notre empereur répare tous ces torts et, accroissant ses forces par celles des fédérés, il porte chez toi la guerre en y faisant d'autres guerres, car le plus difficile, c'est d'y aller, non de combattre" – une promenade militaire, en somme…

Majorien n'avait, pour toutes forces, que celles des "fédérés". Il projette de traverser le Mare Nostrum pour attaquer le gros Genséric. Les Burgondes de Lyon et les Wisigoths se sont vus enrôlés après avoir été vaincus. La flotte se forme donc dans la baie de Carthagène. Terimus cur tempora verbis ? "Pourquoi perdre le temps en paroles ?" Nous allions vous le dire, chère déesse, chère grande dame. Majorien vient trop tard. "Il vient et il triomphe" – à d’autres... V, 361 / 367


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V, 368-378




Sur ce, mes sœurs, reprenons nos filages ; ce qu'on devait se sentir femme, quand on filait ! doux ou pas. Ainsi s'achève cette longue, lente, ampoulée conversation entre déesses de bon ton. Le titre suivant devrait nous épargner d'autres propos de salons de thé : Victoires de Majorien, précise l'éditeur. Enfin du viril.

Apollon, les Muses, peuvent bien devenir muets : c'est à présent Mars qui prend le relai. Des gamelles et des bidons. Hélas, Majorien, tu viens trop tard. Hélas, Marine, etc. . À chacun désormais de se trouver un protecteur, un seigneur, un patron. Voici le sauvage Alaman : ennemi héréditaire ! Souvenez-vous d'Arbogast ! ce dernier fut pourtant intégré à l'Empire sous Théodose le Grand. Aux abris ! "tous les hommes" (« Alle Mann") se sont furtivement glissés à travers les "vastes solitudes", et déferlent à présent par les défilés de la chaîne Rhétique (Grisons, Vorarlberg) : à toi, Majorien : colmate ! Ils avaient ravagé le territoire romain ! entendez-vous dans nos campagnes ! Il arrive dans les plaines Canines ! près de Bellinzona, Svizzera Italiana.

C'est alors que Majorien va se rafraîchir d'une petite victoire : contre 900 hommes – finis les grands chocs : le règne du mesquin n’a pas de fin. Il se fit donc un massacre de maraudeurs - « tu envoies ton fidèle Burcon » : d'ailleurs, ils viennent là pour tuer : le maître l'ordonne ! Même sans paraître, il fulmine sous les armes de son lieutenant,et tue par amour ! pour son peuple, évidemment… Et si l’engagement reste mineur, c’est qu’il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup de soldats pour vaincre. N’est-ce pas.

Notre immense Majorien remporte la victoire, non seulement de loin, mais avec une poignée d'hommes – miracle ! miracolo ! "C'est à toi qu'est due l'heureuse issue de cette guerre ! Felix te respicit iste euentus belli !" (V, 383) car on ne vouvoie pas, dans


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l'antiquité -"c'est à toi que cela renvoie !" - romaines aussi, car tu agis sur ordre, sur délégation, sur mandat.

Tu n'es pas, Majorien, ce genre de francs-tireurs qu'on voit partout. C’est le descendant politique d'Auguste qui t'envoie. Tout cela pour une escarmouche, pour deux ou trois thorax plus ou moins transpercées. Mais le "maître de la milice", c'est lui, Majorien ! Il interprète les ordres ! Sans les perdre de vue, il prend ses propres initiatives !

Partant, comme nul Auguste n'intervient, mais un maître de la milice en fonctions, et que les deux expressions figurent dans une construction parallèle, il s'agit d'un présage ! Auguste il sera, empereur donc, pas plus tard que le 28 décembre 457. Juste après l'intronisation, autre combat, sur mer : tu as cette fois encore le peuple derrière toi. La plèbe, la curie, le soldat, le collègue (de consulat supposé-je). (V, 388). Nous sommes en 458. Première année de règne. Gonflons nos biceps et faisons force de rames : le soldat Maure, bien vivant, vient importuner le pacifique laboureur de Campanie. Ça ne va pas se passer comme ça ! Les Maures ne sont après tout que les auxiliaires des Vandales !

Allez, prépare-nous Le Cid : "Nous partîmes cinq cents..." - une petite râclée contre les Maghrébins. Le Vandale, ce flemmard, envoie combattre à sa place (comme c'était déjà le cas en Suisse avec les Alamans) : le Maure captif va faire des captifs. Tu es très fort, Majorien, contre des mercenaires. V, 392, 61 07 12. Suivent les indications fiévreuses de toute la topologie guerrière. Et comme en ces temps-là les historiens ne juraient que par César, nous avons droit aux creux et aux bosses, au chemin qui passe par là, sans oublier la rivière et les bouts de forêt. Il y a même la mer, un port, et l'armée du


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héros. V, 394. Reportons-nous à la page française : Sidoine embrouillerait César même. Que l'armée dite romaine avait coupé l'ennemi en deux, nous l'avions compris, l'honneur est sauf. Et c'est la plaine qui sépare la mer d'un côté une colline de l'autre – nous qui pensions l'affaire en pleine terre ! Et il ne s'agit pas d'une gorge, d'un resserrement, mais d'un méandre. V, 395. L'eau s’y ralentit, les alluvions s'y déposent en boubée, un petit port fluvial peut s'établir. Ce serait près du Volturne, fleuve de Campanie. Ne voilà-t-il pas que tout ce beau monde reflue vers les hauteurs. C'est très lourd, un pieu de palissade. On ne peut pas considérer cela, décemment, comme un butin. Mais les poteaux, trabibus, se révèlent des navires ! V, 396. les Maures sont vaincus ! D'où sortent tous ces peuples ? Leurs troupes en débandade se regroupent en trois : les uns débarquent des chevaux dociles mais cruels sur le champ de bataille, les autres guerriers se réfugieraient sous leurs boucliers "en tortue", la troisième part tend ses arcs et ses traits empoisonnés, tirés une seule fois mais nuisibles deux…

D'autre part, les Maures ne sauraient "faire la tortue", tactique éminemment romaine, mais ils ont revêtu, déjà, leurs « uniformes cottes de mailles » ! V 399 Et comme on ne saurait exprimer simplement des choses simples, il faut nous infliger un "serpent textile", oriflamme sans doute, dont la gorge se gonfle de zéphirs adaptés. Un "dragon de toile". Dans 18 ans, ce sera le Moyen Âge, mais nul n’en saura rien. Et Sidoine, au lieu de préciser le lieu, par exemple, nous étourdit des fulgurances de son étendard : la peinture mensongère dépeint une fausse faim par la béance de sa gueule, et l'air, par ce panneau de tissu, figure la fureur, chaque fois que son dos mobile s'engraisse de vents, et que pour finir, surprise ! son gros ventre boursouflé ne capte qu'un vide excessif, "ne peut plus contenir l'excès d'air qui le gonfle".

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V 407 / 424

Mais revenons à notre valeur militaire tardive et vaine : notre chef insuffle du courage même aux lâches. Donc le fer tombe partout, un mort, dix morts, en pleine gorge. Les falariques ont à peine le temps de se succéder : ce sont de lourds javelots, "lancés parfois par machine"- deux hommes d'un seul jet – et un cheval. On utilise des aclydes : des piques – tout ce qui transperce. Autant travailler dans les abattoirs. Jarrets tranchés, têtes qui sautent - nous autres contemporains sommes des cerveaux mous, imbibés de conscience ; de quelles barbaries descendons-nous ? Nous pratiquons les "frappes chirurgicales", tandis que dans tout le camp de Majorien, on achève les blessés.

Le Vandale a tourné le dos ! La civilisation est victorieuse… Les cavaliers d’Afrique, honteux et démontés, regagnent les navires à la nage ; ils les dépassent, même, et doivent revenir du large ! humour soldatesque. C’est le moment de rappeler quelque bonne victoire passée, celle de Dentatus :

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Pyrrhus en effet, vainqueur comme on le sait à Héraclée (280) puis Asculum (279), « avait répandu sur vos terres des armées d'innombrables mercenaires, les Kaons, les Molosses mordants, les Thraces, les Macètes » qui ne devaient pas être si différents des Macédoniens, tous trapus, féroces, assassins. Il avait dévasté la pâle Énotrie et même Tarente qui dégoulinait de parfum : et crânes de dégringoler en pyramides. En 275, Pyrrhus d’Épire était vaincu par Dentatus à Bénévent.

Et cela remonte à 600 bonnes années. Qu'est-ce qu'on leur a mis aux Anglais à Castillon ! Tous les nôtres sont percés de la poitrine, tous les leurs percés du dos.V 433 434 Chef et premier des pirates, qui voulut épouser la sœur de son roi !... aveuglé par la

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poussière, abattu par les javelots. "Portant les traces de sa fuite honteuse." Nous ne savons pas son nom : Genséric ne combattait plus, devenu gros et gras. Son gendre donc s'est fait battre en son nom. Et c'est ainsi que Rome est grande. V, 424 / 440

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V. 441 / 453

Se demander si toute l'histoire de Rome n'est pas une vaste campagne militaire. Les vaisseaux de Genséric (il me plairait assez de posséder une biographie de ce grand Vandale) se seraient-ils dispersés dans la honte ? V 441 Tu construis une flotte, tu la tisses, tu la charpentes : le vous de la traduction n'existait pas en latin ; il introduit une nuance de déférence bureaucratique singulièrement affaiblissante. Nous trouvons plus de respect dans le grandiose tutoiement romain.

Tant il se coupe d'arbres que la forêt tombe dans la mer, afin de construire les pirogues guerrières : Agamemnon faisait tomber autant d’arbres flottants. Mes hommes, je vous aurai tous connus bien mieux par les livres et les vers que par les paroles vivantes. Et vous coupez, coupez si bien que de nos jours les côtes d'Italie du sud ressemblent à des gisements de gypse. Les arbres étaient touffus jusqu'au bord. Résineux, corses, opaques. Odorants. Il doit bien s'en trouver encore, savamment replantés. "Tu n'envoies pas moins de bois sacrés que d'eaux » (par tes fleuves) - apostrophe désuète aux monts Apennins, mais qui n'est pas rendue dans notre langue - rien n’est plus incongru que ces apostrophes surgissantes…

    Et c'est la Gaule à présent, malgré les impôts dont on l’accable, qui se réjouit de ne pas en sentir le poids. Et je ne sais quelle haïssable formule littéraire ou trope, consistant à comparer, à rapporter le présent à l'échelle du passé : en plusieurs fois ; les Atrides

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  • d’abord, puis Sigée le Dorien, qui assiégea Pergame. Tu as confondu (je me tutoie moi-même avec assez de verve) avec Sichée, premier époux de Didon – le cap Sigée présente encore un « tumulus d’Achille »…

Il nous reste à subir l'éternelle référence de Xerxès qui aurait percé d'un canal Dieu sait quel promontoire afin de raccourcir le passage de ses bateaux : en faisant le tour, tout simplement, il aurait gagné du temps. Il a même, ce Xerxès, méprisé les flots et, tenez-vous bien ! jeté un pont sur le Pont... V, 441 /453

87 V 455 / 472

Je salue ici mon ouvrage obscur et vaguement bouffon. J’invoque les profondeurs de l'Hellespont, les grondements de la cavalerie sur l'abîme (persultaverunt). V, 455. L'obsession du passé serre encore et toujours à la gorge. Cependant, nous avons surpassé les Anciens, les noms propres d'alors se voient éclipsés : le port Leucadien d'Actium, au large duquel Antoine vira de bord en plein combat pour accompagner la retraite de Cléopâtre, n'avait pas vu de telles multitudes, les bateaux cachaient la mer à touche-touche.

Les flèches couvraient le ciel, L'Égyptienne venait combattre pour Antoine qui l'admirait, l'adorait, subjugué, et le lâche Antoine participe de la nature supposée des femmes. Tous obéissent bien plus à la "féroce Cléopâtre". V, 459 Les barques fauves chargées de poix noire portent des guerriers noirs. Beau contraste de tigre dont l’Égypte est dépourvue : Cléopâtre incarne les monstres. Et "Dorida" serait donc la "mer" grecque, cherchant à reprendre son souffle sous le poids des carènes ptolémaïdes, dernière pharaonne.

X

  1. Que notre histoire est courte au-dessus des abîmes du temps. Majorien, empereur du Trop Tard, ne règne que par le fer, à l'ancienne, à l'ancestrale, sans luxe ni grand train, l’or et l'argent dont on s'est emparé sera exhibé au Triomphe. "Je préfère"

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  1. disait le fameux Dentatus "commander à ceux qui ont des plats en argent". Respectons les lieux communs. Ils sont aussi exacts que les mathématiques. Les louanges de Sidoine tournent à la permanente commémoration ; à l'annexion, à l’instrumentalisation des gloires d'autrui. Lorsque Alexandre mourut, Ptolémée fils de Lagos fonda sa dynastie. Jamais pourtant Majorien n'envisagea de reprendre pour son compte l'Égypte à l'Orient. Après Sidoine Justinien voulut reconquérir l'Ouest : les Goths lui résistèrent ; les pages de l'Histoire sont de lourdes dalles que l'on ne retourne pas si aisément.

  2. Tout tombeau est clos à jamais ; les violateurs ne trouvent que des restes, et quelques éperons d'argent. Sidoine agite les fortes lances du chef : mais celui qui reste, Majorien, n’est plus qu’un homme seul avec des mercenaires. L’échafaudage n'eût duré qu'un temps, celui d'un Gengis-Khan, d'un Tamerlan, d'un Bajazet - Majorien, que pouvais-tu à l’Occident, avec ton "rigide essaim" des barbares du Bas-Danube ? Que feront-ils contre d'autres barbares ? Tous ceux que Sidoine énumère, dont il déverse les noms, tous ceux qui vivent sous l'axe languide, entendez le pôle immobile ? Car tu confonds, Sidoine, le nord et l'est.

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Sidoine s’imagine qu'enrôler des mercenaires sous les enseignes romaines est signe d’assimilation et de victoire. Grossière erreur : les Barbares n'ont pas été conquis, mais sont venus contaminer les troupes de Rome. Ils habitaient "sous l'Ourse parrhasienne", sub Parrhase ursa. Parrhasis est la cité natale de Callisto, transformée par Junon en Grande Ourse justement : arcadienne, arctique, du pays des ours  ! et ils nous craignent, nous, les Romains… Ils ne nous craignent plus, Sidoine, et depuis bien longtemps…

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Sidoine suppose tous ces peuples tremblant devant Majorien - assurément pas de froid - n'y avait-il donc pas d'hommes libres, de fous, de simples curieux ? si, mais ils ne déclamaient pas de panégyriques. Ils n'énuméraient pas de peuples disparates pour le plaisir d'entrechoquer les sonorités. Ainsi les Bastarnes, qui craignent les enseignes romaines : ce sont des Germains. Les Suèves, nous les connaissons : partis de Stuttgart, il atterrissent au Portugal. La Pannonie, c'était le Viennois, jusqu'à Buda-Pest (pas un Magyar en vue en ce temps-là). Les Neuriens venaient de Lituanie : Sidoine l'ignorait. Les Romains raisonnaient comme les Américains, qui situent la France quelque part entre la Colombie et le Cambodge.

      Le Hun ! Parfaitement, le Hun tremble devant les enseignes des Huns ! Car l'armée romaine enrôle ces semi-humains, ces monstres aux yeux enfoncés ! puisqu'il faut bien reprendre les préjugés de nos braves bâtards du Ve siècle. En avant pour les Gètes, les Daces, conduits par Derdi (Dace) - les Alains avec un h pour faire farouche, les Bellonotes, alliés d'Attila (nous avons vérifié), Rugus, le Ruge, venu de l'embouchure de l'Oderempilons, empilons ! sur le Burgonde, le Vèse, l'Alite, le Bisalte, faisons rouler dans l’abîmes les crânes ostrogoths, « pirustes » (reconstitution hasardeuse de Wilamowitz-Mollendorff, 1848-1931), sarmates. Fais-en les esclaves de Rome, termine avec les Mosques. Remets-nous du Caucase, du Don - nous ne pensons pas que les buveurs du Don se préoccupassent de l'existence ou non d'un nommé Majorien qui gonflait, à 100 lieues de là, ses petits biceps - même plus la peine d'aller se battre à l'autre bout de l'Europe : un engagement, la signature d'une croix, et les voilà vaincus, sous les ordres d'un officier romain. Alors, bien entendu, ces populaces mal


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      dominées se révoltent. Les Goths, ancêtres des gueux, vont réclamer (à supposer) une augmentation de solde, ou la selle chauffante. Majorien va froncer les sourcils, et leur faire rentrer les poils dans le cuir, à ces rejetons du Danube (les divinités fluviales excitaient encore l’imagination); le barbare, "plus indompté que jamais", frémissait sous le joug, comme un étalon qui a besoin de se sentir un maître sur le dos – rassurez-vous, vaillants barbares ! Notre empereur tout frais va vous dompter bien profond, malgré ce chef imaginaire appelé "Tuldila" (n'est-ce pas plutôt Wulfila, "P'tit Loup" ? évêque, et non chef de guerre !) - ces poètes, comme certains contemporains, chevauchent la fine arête séparant l'Histoire de la divagation ; ils étaient si terribles, nos Goths, qu'ils se font comparer aux femmes Bistonides, qui en Bistonie, en Thrace donc, parcouraient les sommets en brandissant des torches et en violant tout ce qui portait verge.

Nul n’ignore que les femmes, hystériques, parviennent à un bien plus grand degré de sauvagerie que les pauvres hommes, qui sous leurs peaux de bêtes camouflent leur zizi grelottant.

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Elles dansent nues, ces hyènes, jusqu’au milieu des frimas : les folles sont insensibles aux attaques du froid. En cas d'ivresse, bien plus encore. Elles descendent aussi, ces exaltées, dans les champs du Strymon, fleuve fils d’Océan, et se dispersent dans le plus simple appareil sur l'incontournable chaîne du Rhodope – ô bienheureux Antiques !

Leurs femmes, moins : toute l'année confinées... Parmi les rochers hyperboréens, il est question d'un "Hismare nébuleux" , "couronné de nuages" - "Sidoine mêle sans vergogne Thèbes et la Thrace" : l'Hèbre en effet, avec un H, c'est la Maritsa bêlée par Sylvie entre Grèce et Turquie d'Europe. Et pendant ce temps-là, nos Bacchantes

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continuent de tourbillonner, brûlées de chaleurs. "La troupe errante s'adonne au sommeil" – "en même temps s'apaisent les orgies », de même que " la flûte à deux branches ne renvoie plus le souffle" ("qui l'animait", rajoute Loyen). Mais une Bassaride, revêtue de la bassaria ou peau de renard, injecte un second, un troisième souffle à la troupe épuisée.

Elle entoure son thyrse de feuillage, doté de pouvoirs magiques et divins. Notre Bassaride mélange le renard et le faon ; elle s'en "hérisse" ? l'hystérie chorégraphique, la peau du jeune animal nous paraissant peu suspecte de hérissement – toute femme en transes renvoie l’image d’un débraillement sans fin...

Tout l’opposé d'une première de magazine. Elle pue. Elle est périlleuse. Les "initiés odrysiens", qui les accompagnent, ont tout intérêt à jouir d'un priapisme sans défaillance sous peine de circoncision jusqu’au nombril. Majorien "diffère le châtiment", – les Bacchantes de Rome furent exécutées en 186 av. J.C. - nous l'avions oublié - « mais tu étais l'auteur d'une plus grande effusion de sang, sanguinis auctor maioris", en te montrant clément. V, 500 – comment cela ?…

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V, 501-510

- le général se fait déborder par sa base, qui le défendra malgré lui – et les traîtres enfin châtiés, nous pourrons nous retourner contres les véritables ennemis. Il est donc procédé au partage du butin pour tous ceux qui ont prouvé leur dévouement par leur "esprit de discipline". L'exemple terrifie les uns, et réjouit les autres par la récompense qu'ils reçoivent. Ce sont là des mœurs de loups, des mœurs de meute, et aussi de Romains, de


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Germains, de tout ce que l'on voudra, rigoureusement inaccessibles à nos civilisations..

Les exécuteurs ont enfreint les ordres de clémence de l'empereur, mais la totalité de l'armée, enfin, ce qu'il en reste, se voit en effet invitée à se partager "les dépouilles » des exécutés. Majorien a laissé faire : l'essentiel est en effet de préserver la peau de Majorien, même en dépit de ce dernier. Quant aux autres, ils en profitent sans avoir bougé, car c’est très bien aussi, de ne pas bouger. Sidoine invoque l’exemple de César : en gagnant les champs de bataille de Pharsale, il avait apaisé toutes les discordes par le fer, "coupant ses propres membres, sua membra secans, V, 507, « taillant dans sa propre chair", "il pleura ceux qu'il avait frappés".

La différence est que César ne possédait que des soldats romains, et qu'il voulait le pouvoir pour lui seul. Il ne pourchassait pas les Barbares. Majorien, cinq cents ans plus tard, a profité de la sédition de certains Goths pour raffermir ses forces. "Mis à part qu'il ne restait dans cette armée "romaine" pas un soldat véritablement romain...

Après quoi Majorien, renforcé, se prépare à "la traversée des Alpes". Nous souffrons à l'avance des innombrables développements qui nous attendent, sur les troupes d'Hannibal, composées de Barbares hostiles, alors que Majorien conduit des Barbares alliés.

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"Déjà, en plein hiver, vous gravissiez à pied les Alpes marmoréennes, les sommets qui s'élancent vers le ciel et le rejoignent, (V, 511) les rochers de verre » (c’est la glace) »t la pluie sèche » (c’est la neige) - quinze siècles plus tard, "le bronze s'agitant dans le marbre" signifiera, chez d'Annunzio, les cloches retentissant dans les clochers - « « parmi les aiguilles » (cimes aiguës) « menaçantes » (V, 512) … « En tête de colonne, à l'aide

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d'une pique, vous vous frayiez un chemin et assuriez vos pas glissants". (V, 514). Aux éléphants près, c’est très carthaginien. "Au milieu de la montée, le gros de la troupe, maxima turba, s'était mis à frissonner jusqu'aux moëlles" : V, 515 pas très chaudes, les jupettes sous la cuirasse. Nous sommes au mois de décembre, "en plein hiver" dit le traducteur, ce qui est inexact astronomiquement parlant. Pour un Romain, fût-il du Ve siècle, ces paysages escarpés représentaient le comble de la laideur. César faisait tirer les rideaux de sa litière pour ne pas voir ces paysages dégingandés. La troupe commence à "geler jusqu'aux moëlles" (V, 516) et non pas à l'intérieur des défilés, mais là aussi on gèle quand même. Rude épreuve pour un Latin, s'il en reste.

Nous aimerions apprécier le réalisme de ce passage, si nous n'avions la certitude quasi certaine d'un pêle-mêle de clichés. V, 511 - 518

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V 518/521

Majorien, chef d'armée, serait capable, mais trop tard, de rajuster sur l'épaule de Rome les lambeaux de son empire ; mais les Germains sont là, perfides, jaloux, et cet empereur-là, lui aussi, sera assassiné.

Dans ce passage, Majorien supporte le froid, le chaud, l'épuisement, et par son exemple galvanise la troupe, comme tous avant lui : Hannibal, encore, les Scipions, etc. - ..."car la pente était forte et les hommes, enfermés dans des défilés [dan-dé-dé] monsieur Loyen, [dan-dé-dé], "reculant au lieu d'avancer, pouvaient à peine se traîner sur le sol gelé." V 516 Plaisant tableau. Ne craignons pas les déclamations : "Alors un de ces guerriers dont le char avait foulé les » [fou-lé-lé] monsieur le traducteur, [fou-lé-lé] « glaces de l'Ister, s'écrie : « je suis claqué » (« plutôt périr par le fer »)

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Le brave guerrier se plaindra aussi longtemps qu'un agonisant d'opéra. Il préfère mourir par le glaive. La gelure lui semble une honte pénible. Observons avec quel soin les noms et adjectifs s'entrelacent pour figurer l’emprise corporelle de la rigueur hivernale. Pourtant les anciennes tuniques (et non jupettes) avaient cédé la place aux guêtres fourrées des alliés huns.

Notre guerrier réfractaire manie la glace et le feu, brûle et gèle à la fois. Comme un amoureux de la mort. Poursuit de ses assiduités militaires un jeune chef inconstant de 30 ans, Majorien, qui ne tient pas en place, qui résiste à toutes les fatigues – un chef, que dis-je ? un "roi", car les Germains n'avaient que des rois, et personne au-dessus. Ils vivaient dans le froid. Mais les autres rois et leurs peuples, quels qu'ils soient, restent bien au chaud dans leurs retranchements : autrement dit la tente, cuir étanche, confort rudimentaire – tandis que « nous autres » inversons les saisons : sous la tente en plein hiver.

Les Romains et assimilés surpassent les Barbares ! J'aime mieux les combats et le froid qu'apportent à tous le repos de la mort".

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Plutôt crever. Pauvres tribus barbares ayant passé le Danube sur leurs chariots… « Je vais vous montrer, moi Majorien, ce que c'est que la vaillance romaine."Un engourdissement", poursuit l’infatigable

guerrier, "enchaîne mes membres dans une raideur paralysante ! mon corps, brûlé en quelque sorte par l'ardeur du froid, se meurt". Il meurt en vers sidoniens. "Nous suivons


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un jeune homme". Sequimur iuuenem. "Majorien a dû naître vers 428 ; il a trente ans." Il porte toute la jeunesse du monde, il est "attaché sans fin à la peine".

Vraiment quelle pitié. Le vaillant guerrier asiatique incapable de survivre aux Alpes - ridicule ! "Les plus braves, quels qu'ils soient, rois ou peuples, sont enfermés aujourd'hui dans le camp, castris modo clausus, ou même se reposent sous la tente, au soleil." Quel bavard ! pas de travail dans la neige ! ...cette neige où les jeunes citoyens romains se trempaient pour s'endurcir aux travaux militaires… Majorien commande aux tribus, et même aux éléments ! "les ordres de Majorien seront pour la nature la loi", lex rebus erit. Voilà de l’ironie.

...La tente est amère à nos engelures. C'est vous, Mon Général, qui commandez aux saisons : un coup de baguette, et l’hiver devient soleil ! Quelle outrecuidance ! Car ma soumission n'est qu'apparence. On voit bien que vous appartenez à une race supérieure, ne venez pas nous tenter par votre surhumanité -- ô chef, qui crèveriez de honte de céder aux intempéries.

Il serait temps de se taire, mais notre Barbare ignore les règles de la sobriété, il amplifie comme un vulgaire poète précieux gaulois : "et il pense", le Majorien, "qu'il se ferait du tort, damnumque putat, à redouter la colère des éléments, même s'il ne peut les affronter qu'à ses dépens." Mais note contestataire est lancé : "Dans quelle nation dirai-je qu'est né cet homme qui lasse l'endurance d'un Scythe comme moi ?" Vous préférez en prendre plein la tronche, que vos soldats se les pèlent, plutôt que d'y renonce Vas-y donc tout seul ! Tu veux surpasser les Scythes ?



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Mais personne ne sait où logent les Scythes, le poète n’en voit que le nom, qui sonne bien ! les Scythes occupent le nord de le mer Noire, de la Caspienne, le Kazakhstan : pas trace de Germains.

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V, 530 - 535

Et c'est un Romain, ce prodigieux Romain, qui nous coiffe sur notre propre poteau ? Il aurait un climat plus rude que le nôtre ? "De quelle tigresse" - buvons du lait de tigresse, cela ne rehaussera pas l’originalité littéraire. Elle est d'Hyrcanie, la tigresse - "a-t-il bu le lait, tout enfant, dans une grotte" – "d'Hyrcanie" ! Et Loyen d'ajouter : "Notre "Scythe" se souvient de Virgile" – mais combien reprirent Virgile… V, 531 "Quelle terre plus rude que mon pôle l'a élevé ?" - axe meo grauior –V 532 "voici qu'il rallie au sommet de la côte » bravo le mono « ses escadrons transis et il se rit du froid car chez lui seul la chaleur du cœur l'emporte", ah, tirons l'échelle, tirons, je vous prie.

Habituellement, le Chef transmet aux subalternes la chaleur de son corps et de ses convictions : il échouerait donc ici à rétablir le contact ? "Quand je suivais les trompettes du roi du Nord" - il s'agit d'Attila, venu par Metz, par Lutèce (intervention de sainte Geneviève) par Orléans (intervention de saint Agnan), jusqu'à Rome (intervention de saint Léon) (trois légendes… tranquille), "on me disait que les armées de l'empereur romain et la maison des Césars étaient à jamais endormies dans la mollesse". Romani principis arma, ronflaient dans le luxe ! Valentinien III en effet n'était pas réputé pour sa bellicosité - "mais aujourd'hui", poursuit notre intarissable barbare, "rien ne me sert d'avoir perdu mes premiers maîtres, si je devais trouver en ce pays un roi courageux"- "pour le Scythe, Majorien est un roi". Titre jadis maudit pour les Romains…

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X

V 538 / 539

La république, la « chose publique », n’est pas nécessairement démocratique : les plus courageux, les plus riches et les plus ambitieux sont couronnés par le suffrage populaire, sous la protection desquels il importe de croître, comme un champignon à l'ombre d'un chêne. Ainsi semble se perpétue la constitution féodale et naturelle des hordes humaines.

Ce qui prime pourtant, malgré les convulsions, c'est la construction mentale collective. Si tu veux renoncer à la lutte vulgaire, retire-toi, cultive tes vertus pour le Dieu qui est en toi. La nature humaine est bien faite aussi longtemps qu'elle se borne au vaste royaume de l'individu ; pour ce qui est du collectif, n'y songe plus. Toi, le lièvre, médite, écris, et n'attends de récompense que de toi, car Dieu est profond dans le creux de ta tête. "Il s'apprêtait à en dire davantage," V 538 - 539 pitié ! - "mais, du haut d'un rocher vous ranimez son ardeur par ces paroles mordantes" – le verbe domine la foule, et tandis qu'elle suit sa chimère, se tient tranquille – mais il est trop tard, Majorien ; le temple s'effondre.

Il reste ferme cependant sous tes vastes épaules : qui tient le verbe tient son monde.

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V 540 / 549

"Qui que tu soi, Quisquis es, toi qui redoutes les pentes glissantes dressées sur ta route : brise la croûte des eaux gelées, entaille la glace, fais-toi un escalier de l'élément liquide." Le concret. La chose à faire. Magnétisme/Action. Ici et maintenant. Renouveler Hannibal, se hisser sur l'obstacle pour vaincre – ici, creuser un escalier de glace.


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Ici, le corps. Il ne cessera pas, du haut de son roc, de haranguer les troupes ? Mais Majorien monte encore : tu marcheras sur les eaux, comme jadis tu franchis le Danube. Rappelle ta jeunesse et les exploits de tes ancêtres. C'est un ordre. Peu importe où je sois né : toi, Scythe, barbare, tu naquis pour m'écouter, pour me suivre - quelle indiscipline, quelle honte ! C'est l'inaction qui cause le froid" - – otia figus habent.

Mes guerriers. À l'écoute d'eux-mêmes et du temps. "Dis-moi ? Numquid ? La nature m'a-t-elle donné le double corps d'Hylée [le Centaure]? » - double forme implique-t-elle double endurance ? - "Pégase, de ses ailes, a-t-il secondé mon avance ? – non, Majorien, tu n'as rien de double ni de miraculeux - "Calaïs et Zétus me donnent-ils leurs plumes ?" - non, tu ne ressembles à rien de tous ceux-là, griffus, pourvus de sabots et d'ailes (« fils ailés de Borée d’après Ovide ») " pour voler sur les croupes neigeuses de ces massifs" – lourd appareillage - car si je peux le faire, tout le monde peut le faire, chanson hélas trop connue. Vos frigora frangunt Est-ce vous que le froid, vous que les Alpes paralysent ?" vous les Barbares, vous les durs à cuire, vous les durs à geler, du Nord, qui voulez régenter Rome ? Rome soulève sur le monde son mufle décrépit - « il faut que dès maintenant je m'attache à vous dédommager des frimas : je vous donnerai un été sous le ciel des Syrtes". V 549 "En Afrique, après la victoire sur Genséric". Il a de l'humour - « vous avez trop froid, vous aurez trop chaud ! »

Mais jamais ne sera vaincu Genséric le Vandale - ses successeurs régneront sur Carthage jusqu'à l'arrivée des musulmans) - Attila s'est replié. Mais c'est pire. J'ai abandonné mes anciens maîtres, celui-ci est pire. Ce n'est pas la promenade promise ! C'est qu'ils se redresseraient, ces Goths, ces Scythes, ou de quelque nom qu’on les veuille appeler, après avoir vaincu Attila ! V, 540 / 549



 

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