LE JOUR DE NOTRE MORT
Argh, virgule, chienne, virgule, tu la sens ma grosse (biip), (« écarte un peu les jambes que je pêche au large »), rhâ, bourre-moi, je n’aime que toi, grosse truie, virgule, « retiens-toi de péter » je vais partir, je pars, je t’aimerai toute ma vie. Point. Je t’aime, Hinrik. Je t’aime, Betty.
- On se dit des conneries.
- Je me sens ridicule.
- On fait des bruits de bouche, des bruits de cul. » Hinrik ajoute « en amour, tu fermes les yeux, tu bourres et tu jouis.
- ...et ne me demande pas si j’ai mal. Je n’ai pas mal.
- Ces propos de cul m’écœurent.
- Moi je t’aime, Hinrik.
« Tu ne t’appellerais plus Hinrik. Tu chercherais à me séduire. Je serais à une table de café avec des jonquilles dans un vase. Tu me sourirais, tu m’offrirais un verre, je t’entraînerais dans ma chambre juste au-dessus. Il y aurait des jalousies. Je serais excitée plus tard. Surtout tu fermerais ta gueule. Je te déshabillerais doucement, tu porterais une chemise en nylon jaune, tu lèverais les bras et tu me regarderais dans les yeux.
« Je me sentirais amoureuse mais pas trop. Je ferais glisser ma jupe, il y aurait un lit de cuivre à boules jaunes, et je t’attacherais les bras et les jambes aux quatre coins, et tu reviendrais souvent à la terrasse du Soleil Lent », (« ...au bord de la mer, bonjour, Docteur. - Bonjour, monsieur le Sexologue.
- …I am Doctor…
- Tout baigne entre nous. Ma femme est moi.
- ...confirmé ! treize ans de mariage, pas une défaillance.
- Nous avons su garder intactes nos facultés de renouvellement…
- ...d'épanouissement…
- Nous sommes venus vous voir Docteur, pour vous dire que tout fonctionne admirablement bien.
- Depuis tant d’années.
- Nous avons pensé que vous aimeriez nous rencontrer…
- …mon mari et moi, pour vous remonter le moral…
- Merci Henri, Merci Lisbeth, vous pouvez rentrer chez vous, tout se passera bien, ne
vous en faites pas, pour moi également, ha ha... »
L'acte sexuel complet suppose, implique une connaissance approfondie de la sensua-
lité du partenaire. Il est hautement souhaitable, voire indispensable, que les deux
actants soient profondément amoureux. C'est assez dire que la perfection ne se ren -
contre jamais, bien qu'il ne soit pas prohibé d'y aspirer.
Si le jeu amoureux ne devait mener qu'à une gymnastique sans âme, mieux
vaut s'abstenir.
L'échange des souffles par les orifices buccaux facilitera la circulation des forces des deux sexes, ce qui s'appelle la Fusion des amants dans le souffle du Prâna universel et de Dieu s'ils y pensent.
De retour chez eux, les deux sexes poursuivent le dialogue :
« La perfection dit la femme (BETTY) me semble limitée. Pourquoi glisser vers Dieu ? notre exclusivité, c'est le mal.
- Par le mal nous serions, dit l’homme (Hinrik), en phase avec l’Ordre du monde, grands, et Utiles.
La femme s’exclame qu’elle n’en a rien à foutre [sic].
C’était une grande blonde aux longs cheveux tombants.
Elle écoutait trop volontiers les discours mystiques.
Parfois sans effort elle accédait aux cimes les plus escarpées.
C’était une nature contrastée. Hinrik disait Humaine à ne savoir qu’en faire (le cerveau ballottait au bout de ces grands corps d’asperge, et le sexe y tenait une place spongieuse. Et ils s’aimèrent du mieux qu’ils purent.
BETTE collectionnait, six par semaine, à grand-peine au-dessous du seuil de la prostitution disait Hinrik, de la nymphomanie.
« C’était avant de te connaître » disait-elle (« il ne connaissait rien à la nymphomanie », etc.) « Dans les petites annonces se recrutent les plus vicieux, les plus retors « - garçons de café, garçons d’écurie – éjac faciale » - elle en rajoutait, non ?
« C’est bon le vice .
N.B. Les ouvriers sont les plus puritains.
« Le péché ? Vous divaguez mon cher ».
Les femmes sont incapables de faire le mal.
« Si nous nous libérons, le monde tombera
- À d’autres, dit Hinrik. Il cure sa pipe. La femme pour le jeu, l’homme à la guerre, les filles découpées violées par morceaux, bouts d’hostie dans le cul, tous membres jaillissant sous les obus, les ossements se font la malle. Femme égale pléthore. Homme égale néant. En faisant l’amour l’homme doit se retenir de tuer. Celui-ci ne pense pas du tout comme ça. Jamais il ne baise une mouche. Une goutte de sang le plonge dans l’hystérie. « Je veux mettre un peu d’ordre » dit-il à Bette « dans tes prestations échevelées ». De quoi rire en vérité. Répondre « t’es chiant ». -
- Du premier jour où je te connus » dit-il » tu fus avare de tes regards, je ne voyais que ton profil et tes cheveux. J’ai passé tout un an à te surprendre en face. Ton œil était d’un brun pur de choses qui se mangent, tout s’est noué dans notre estime réciproque, j’étais le seul à te désirer, je ne me suis pas contenté de frôlements ni de raisonnements appliqués. » Hinrik domine, ordonne, tantôt l’homme est dessous, tantôt Bette. Il provoque, émet des grognements saccadés. Parfois la sodomie. Parfois le poignet (mystère).Parfois ils s’aiment, ils s’entraident, ils se manifestent de la tendresse, par paroles et en action, tout le jour. Bette et Hinrik ont gagné le concours de la maison fleurie en 88. Soudain, que se passe-t-il M. Hinrik ? sous vos cheveux blonds pâle à l’islandaise, vous, dans un bordel ?
« Il faut bien que je rêve.
- Mes compliments, M. Hinrik. Rêvez plutôt sur le papier glacé (ou sans, comme les femmes). Vous croyez vraiment qu’enfoncer son pinceau dans un trou gluant - gluant : à grand-peine – et cerné de poils rêches suffit à calmer la grosse Démangeaison d’amour (ressentie tout enfant parmi de gros draps gras?) - les aller-retours se succèdent : petites lèvres- col – grandes lèvres – museau de tanche - et que ressent la femme ?
- C’est vrai que les putes s’épuisent à toujours se tenir sur le bord du jouir (« on n’est pas de bois ») sans conclure ?
Ce n’est pas vrai.
Le type, là, au-dessus, au-dessous, il ferme les yeux, il pense « je t’aime », s’il ouvrait leqs yeux, s’il fixait ceux de l’autre – qu’arriverait-il ? se moquerait-elle de lui ? Lui livrerait-elle un beau secret ? en pleurant « ne le regarde pas comme ça ça me gêne » ? Hinrik, le « blond islandais », monte au 28e avec sa maîtresse.
Quelle activité !
Lui qui préfère les chambres en boyau, les fantaisies d’étudiante égyptienne, on entre à quatre pattes, on progresse de même, pour se coucher juste – le voici escaladant une grande, grande bonne femme au centre d’un espace immense, sous des verrières, au dernier étage donc, avec vue sur les plantes vertes et les projecteurs ! « ...il n’y a que les aviateurs qui nous voient ».
Ce qu’il aime, ce sont les noiraudes, les Tunisiennes, les minuscules aux seins de momie, on peut se placer dessous comme une bouillotte. Mais les Teutonnes aux grands bras en bataille, aux jambes de cisailles roses, blanches et rapides sous les sunlights… Helda lui fournit bien des avantages, lui offre des sensations, ...c’est une fille aérodynamique, on l’aime, tant qu’on la monte – on pense à elle, après, un peu, on se rajuste, elle sur son épaule, par une belle nuit de juin.
« Je me sens lourd, lassé par tant de prouesses ».
Nous nous sentons inquiets pour Hinrik qui s’invente des mots de tête et des picotements, précis les picotements, voire des suintements, des odeurs même pas très franches, alors, un bon test, une bonne panique, une semaine ou deux d’attente avec neuroleptiques, ils pensent donc tous à passer l’hémotest en même temps, les graveleux.
Ce n’est pas amusant de cacher à Bette l’état où l’on se trouve, de juste doser les calmants pour ne pas débander, car il faut maintenir la régularité des accouplements.
« Je t’aimerai toute la vie, même si nous devons mourir un jour, ou ne plus nous connaître un an, deux, trois »
« J’ai passé avec toi de merveilleux instants.
Résultat positif.
Revenons à Bette : elle aime son ami, explorant avec lui le vaste champ du lit qu’il trouve ou feint de trouver si borné ; il faut à cette femme une activité calibrée, ce qu’il faut de manualité, d’intellect ordonné - mettons préparatrice en pharmacie. Elle lit aussi plus de trois livres par mois, l’histoire se passe en France. Aime Jean Vautrin, Saint-John-Perse à faibles doses, les pièces de théâtre d’Ödön von Horvath et les opera-seria.
Une femme cultivée.
Exerce le sain travail des labos (fenêtres hautes, néons tamisés ; elle est grande, moins qu’Hinrik, brune, un peu de félin dans l’avancée de mâchoire, museau froncé avec taches de rousseur aux commissures). Il est instructif de parler avec elle, malgré les sautes d’humeur (39 ans).
« Séropositif ? Ils exagèrent. Ce sont nos concurrents. Ils disent ça pour t’emmerder. De toute façon si tu reviens chez nous, tu n’auras que de fausses informations. ; tu deviendrais une bête lâchée, une épave à pattes - doute, rongement, Satan.
- J’ai compris.
- Tu n’as rien compris. « Séropo », c’est pas « condamné ».
- Je serai mort dans 15 ans comme tout le monde. Est-ce que je peux coucher avec toi ?
- Non.
- Je cracherai sur nos sexes, un petit lac de crachat qui tremblote !
- Pas de germes dans la salive. Dans ta salive. J’ai déjà des douleurs de tête, toujours au même endroit sous l’os, j’ai oublié ton nom, nous allons jouer, très bien.
« Les articulations du crâne sont dites soudées, du pariétal au temporal, du temporal à l’occipital, par de très fines césures imbriquées comme des frontières politiques : en tenant compte des bosquets, des sentiers, des buissons de mûres…
- Chouette Bette, nous sommes à égalité.
- Pas chouette : mon cancer est vrai, fini de tricher, personne ne veut plus crever de ça. Regarde la radio. C’est sous l’os de l’oreille, gros comme une orange desséchée. Tu sens le jus filandreux, fibreux. Les filaments du film sont des dendrites.
- On ne voit pas les neurones à l’œil nu.
- C’est le fil de mort qui se tend, ça déroule tout le cerveau si tu tires ».
...Délimiter, circoncire, exciser, la mort fait son marché, le cerveau de Bette dans le filet, le chou-fleur dans les mailles.
- Si tu bois tu triche.
- Trop fort, Hinrik ».
Son Hinrik n’est pas le Diable. Il s’épile la barbe avec les ongles ; les champs de blé
après la moisson n’ont plus que des éteules, et des brins de paille. C’est exaspérant. S’il avait le sida, la peau viendrait avec.
- Il a le sida, oui ou non ?
- Il se le fait croire, c’est pour accompagner sa femme, combine entre laboratoires, tu comprends ?
...Une femme brune, bouclée, belle bouche ; un front bas, volontaire, piémontais. Elel aime la bière, ils deviendront gros, très gros ! Difformes…
« Je veille au grain.
- Oui, Hinrik, veille au gras. Ils feront tomber mes cheveux. Il m’appliqueront le protocole de Clermont, douze mois de souffrance, douze mois de gagnés. »
Il y eut cette promenade en forêt de Vercors, douce, au crépuscule d’automne. Leur dernière ! sur un sentier d’après la pluie, aux champignons frais, tous deux déjà ivres (lendemain des photos du labo, bien nette, bien noire, avec une orange bien blanche aux filaments défaits).
Hinrik n’a pas d’enfant, 1m90, éleva les deux filles de Bettte à la façon d’un véritable père. Le soir tombe doucement parmi les chênes et les gamins fantômes à bicyclette surveillés de loin par leurs parents aux voix invisibles, hélant sous les branches et dissoutes dans le gris. Douceur du frère incliné sur la sœur condamnée, de la femme sentant près d’elle une sollicitude inquiète, enlacés l’un à l’autre dans le filamenteux cocon sourds encore à la douleur. Juste ces pointes à lointains intervalles, transpercements fins et perfides du pariétal supérieur en biais jusqu’au sinus gauche ; c’est bref, diffus, amorti- un filet, une toile. « Une bière ? - Quel humour ! une aussi pour moi. - Madame, il est tard et vous avez bu. - Barman, le froid se lève et je bois pour oublier la bière. - Vous n’aurez plus rien ni vous ni l’autre, ce n’est pas l’Oktoberfest ni le festnoz. - Viens Bette, on ne nous comprend pas, on nous soûle on nous jette – larbin, sto-oghe, ça ne te portera pas chance, t’as pas le droit de refuser l’extrême-onction le coup de l’étrier le pied au cul à Dieu.
- Moi aussi je vais crever giclez de là, vous êtes à pied, ça fait longtemps que je vous tiens à l’œil ça fait bien dans le quartier franchement… - Garde ta morale pour ton cul de loufiat, viens Hinrik viens crever chez nous j’ai trois packs de Kro » Quatorze bis rue Desnos résidence Desnos. Huit ans résidence Desnos, le tour de trois pièces par le balcon, le ciel bouffé par la terrasse. Ils montent les marches, ils se tiennent l’un à l’autre. Ils tournent la clef dans le bois c’est le bois qui cède c’est le bordel ! Mais c’est le bordel ! Tu ne ranges donc rien ? Hinrik : Et mon boulot ? Ma thèse Micromagnétisme et bouche bée « Nobody bouges in the cage d’escalier.
Cuisine sale et bouteilles vides, un sac de MACANI pourri dans le coin, le chien ? Parti i’n’reviendra plus faute de nourriture on boit. Les deux filles majeures n’ont pas quitté l’appartement, l’ivrognerie, l’enfermement les traumatisent, la fac pour se distraire, les meubles du salon sont : un buffet, un sofa de velours piqué, des thèses de physique sur six rangs d’étagères du sol au plafond. La chambre à son tour comprend Deux lits superposés de jeunes filles, depuis dix jours que leurs parents savent la nouvelle ils boivent ils picolent. Ne vous plaignez jamais d’une vie monotone car le Cancer arrive attiré par la plainte on est bien emmerdé par l’odeur alléché MACANI CROQUETTES POUR CHIEN des gros sacs à l’épreuve des griffes à fermeture cousue serré serré.
Avec le chien qui tire la langue sur l’image. Le sac éventré répand un glissement de grains d’1/2 mm³ en étoiles en cœurs aux couleurs ternies (au choix viande légumes protéines vitaminées) ou bien de raviolis, rigate, coquillettes réal des gros chiens (cocker tué par accident de chasse) (ou tué) Hinrik est tombé dans l’avalanche il a la tête en bas le cul coincé là-haut sur la chaise à roulettes ivre-mort il bouffe ses Macani bouche ouverte au milieu des croquettes moisies l’inconscient ! Depuis le temps qu’il est mort ! La nappe expose un grand nombre de 33cl renversées ou vidées debout. C’est vide et ça pue depuis 8 jours il n’a plus bu que de la bière et pas mangé du tout, la tête dans les croquettes enfin pas mangé « humain », ça fait toujours cet effet-là quand on apprend qu’on a le sida l’ébola le cancer absolu la cécité totale – don’t throw la bière into le vide-ordures parce que ça coince, les bouteilles vide, règlement intérieur de copropriété kopro « la merde » en grec « l’assemblée des copros » ça m’a toujours réjoui.
Hinrik ne s’est toujours pas décoincé de son fauteuil à roulettes.
Il remue un peu dans le Macani.
Sa main rame dans le gravier rompu de vieux vomi car le Chien mange n’importe quoi
La Femme a fait dans le subtil dans le sublimé genre Marie-Brizard sur le ventre en compote et les bras devant elle étendus sur la table les femmes c’est plus propre le sperme la vaisselle ça s’absorbe. Entre les bras sur la table au fond façon macramé (séparation de ces deux êtres infoutus de se bourrer dans une seule et même pièce) un dessin de sa main : au crayon gras, bien net, le trait sans repentir avant donc d’avoir bu ou juste après. Bette Novotgarten a dit Je serai putréfiée de potions par introduction d’entonnoirs jusqu’après la glotte, ils voudront que je vive forcément « vive », et j’ingurgiterai paquets, plaquettes, soigner la tête par le ventre.
« Forcément, Bette – ça fera tomber les cheveux, poisseux, filandreux, par petites touffes pour faire marrant, tu te dessineras 1) une route 2) une crête 3) un labyrinthe au choix et tu arracheras tout, sans mal sans complications ni picotis, « Pas trop moche, une bonne tête pas difforme, la noblesse des Kényanes » au fait elles sont excisées « port de tête des Bantoues, perruque ou pas perruque » « je vais me sourire dans le miroir » tes lèvres terniront, gonfleront, pommettes bouffiront puis couvriront les yeux t’as l’air d’un crapaud qui tète et qui étouffe aspire le vide en palpitant c’est dommage putain c’est dommage ils avaient tout pour être heureux. Le salon salle à manger, la nappe et la table ronde et l’étagère à photos, le vaisselier à fines balustrades (assiettes vers l’avant façon dauphinoise) et la bibliothèque du sol au plafond.
Pas une place libre
Des livres de maths, physique, astronomie – pas un Flaubert, pas un Stendhal vous plaisantez ? La science dominera le monde. Un seul ouvrage de médecine, une télé, cette cassette où l’on part des atomes à électrons visibles et des cellules, tissu intérieur des veinules et grain de peau, un homme, son chapeau et sa canne à pêche ; rivière, prairies, Aquitaine, la France, la Galaxie en 1mn 23s – PLUS, près du téléphone, un canapé de reps vert.
À l’hôpital Cochin, le médecin à l’infirmier :
« Nous aurions dû ménager la malade. Ne dites plus tout à trac je vous prie « Vous avez une tumeur au cerveau ».
La fille du premier mariage s’appelle Katrine. Elle est grande, brune, fait du théâtre : ce soir, répétition de Much ado… in French. Katrine est timide ; mais sur les planches, elle les crève : une voix tribale, des yeux, des bras, la liberté des jambes sous la robe de soie perse (amour, menace, trahison : « Toute la lyre », petite troupe et le meilleur plateau de tout Grenoble. « J’aimerais » dit-elle « user de mon corps en vivant ».
« La mésentente des parents du premier lit autant que du second ».
« Résister aux contraintes d’autrui ».
« Comme un bonzaï en pot » - mais scène tendre à l’acte III, le bouffon l’avertit en la tirant à part. Elle ôte sa robe perse en pestant, saute au volant de sa petite caisse anglaise et rue Desnos (St-Martin-d’Hères) son père en extension-torsion bouffe la pâté de chien tête au sol et cul sur la chaise, la mère affalée affalée devant le Ricard vide Coupez tout crie l’actrice tumeur moteur story-board ranger les bouteilles laver l’alcool restaurer la dignité, la grandeur du cancer est de placer l’humain face aux morts immédiates tu sais que tu es foutu(e) ainsi la panique les ronge souffrance ou domination ? La mère s’est levée a trié ses vinyles György Ligeti Le grand Macabre le père s’est redressé regarde sa fille en face et l’accuse de dureté. Il a dans les cheveux les étoiles en biscuit de Mac’ani Croquettes la fille dit :
«Dans douze ans vivant - mais ce ne sera plus toi ». Baisser le son du Ligeti « Vaccin » « Pourcentages de rémission» dans son discours « elle a dit » lui dit-elle « crève d’abord » (« jette les restes aux chiens »
Le chien c’est moi-même
« Je veux des parents dignes, propres et forts » en préparant le repas Ayant enfin Baissé le Grand Macabre Comment peux-tu dit-elle à sa mère « préférer ça toi qui ne parles pas l’allemand « c’est le jeu des trompes d’auto » dit la mère « qui me plaît » - Et nous, et nous ? crie-t-on à la porte. - Qui est-ce qui crie sur le palier ?
La porte s’ouvre. Catherine serre sur son cœur les deux petites sœurs du second lit. « Attention » dit la grand-mère « à mon panier » derrière elles. Tous s’attablent autour des provisions sorties de leur emballage, c’est la bonne humeur, le soleil, le père bourre le Macani dans le vide-ordures. Alors, tous se rappellent les bons souvenirs, les petites sœurs éclatent de rire la bouche pleine, la grand-mère les réprimande en riant, laissons parler Dinah la plus jeune, treize ans avec des boucles blondes :
« Papa nous coursait avec la hache, on s’est enfermées à trois dans le cagibi près du vide-ordures et Papa criait comme un fou Ouvrez ou je vous défonce le crâne » tant que ça n’est que le crâne « heureusement les pompiers sont venus et ils ont emmené Paps dans l’asile de Froidmont » - - C‘était y a trois semaines c’est passé tout ça » dit Bette et passe la main dans les cheveux de sa fille. Dinah :
«...même qu’après il a fallu tout ranger nos chambres parce que Papa s’était décroché tous les fusils du râtelier, le 1937 Lebel et même la crosse en bois de la mitraillette ; et y criait qu’ils y viennent ! qu’ils y viennent ! Et nous on répondait du fond du cagibi Qui çà ? Tous, tous ! il gueulait.
- Dire, déclama la comédienne, qu’il va falloir se trouver un homme pour sortir de là. Ça ne m’amuse pas de trouver un homme.
Hinrik l’Islandais était seul de son sexe, le repas se mangeait, la réflexion jeta un froid mais tous se sont ressaisis.
L’autre sœur, ni Dinah ni Catherine appelons-la Irène a quinze ans, elle se tripote plus encore que la cadette. Irène quinze ans admire Catherine vingt-quatre ans. Quand les parents ne sont pas là c’est Catherine qui tient la maison. Après le dessert chacun repart dans la petite Austin de la comédienne : Hinrik entre en se pliant comme un double mètre, heureux de prendre le soleil.
Quant ils sont perdus de vue, Irène quitte le balcon d’où elle les a vu disparaître, ferme la fenêtre et donne à sa cadette de quoi travailler : des mathématiques, un dossier d’Histoire et de l’anglais dans le texte. Irène étudie le Tome III de l’Encyclopédie, tiré au sort sur une liste. Elle apprend ainsi d’étranges choses qu’elle n’aurait jamais eu l’occasion de considérer, tel cet article sur Berthollet « découvreur de l’eau de Javel », ou l’histoire du bouddhisme. Plus tard ses connaissances dépasseront le monde.
Le soleil sur les livres va de gauche à droite. Une mouche qui bourdonne. Irène par écrit récite un poème qu’elle composé : sur un inconnu qu’elle ne sera plus obligée d’épouser. Puis se retire dans la chambre sur l’île du bas. En fin d’après midi les parents reviennent. Ils sont condamnés, pour le faire court. Le grand air leur a fait du bien, ils montent l’escalier sans dire un mot. Sans être avinés. La grand-mère a dû les bourrer d’Étronyl. Irène en prend aussi parfois pour se calmer les doigts, étrange idée.
Les parents font des yeux larges, en soleils de Van Gogh. Ils secouent lentement la tête et se tiennent aux épaules. Pas très fameux pour le sexe, l’Étronyl ; bientôt leur teint vire faïence, Père décroche le téléphone, forme un numéro et devient plus pâle encore. « Dinah vite, rassemble tes affaires » dit l’aînée ; au téléphone le père balbutie décomposé, les deux filles s’éclipsent sans être vues. En redescendant l’escalier, Catherine l’actrice répète qu[‘elle] en a marre de [s]e faire tancer comme une bouse.
Plus tard, chez le père : un compteur tourne, à fond, au-dessus du canapé de reps vert. Il indique la somme énorme due par le téléphoneur. Bette et Hinrik, dans leur détresse, utilisent le téléphone à tout va. Ça donne :
« Allô Catherine. »
Leur entretien, la veille, fut extrêmement houleux. Des expressions diverses (fille du premier lit) ont volé très bas. La fille aînée de son côté n’a rien envoyé dire, mais l’a envoyé soi-même. Froire et supérieure, tels sont ses termes. « Vous m’avez élevée, et encore. Je ne vous dois rien. Le plaisir vient pour celui qui donne. J’ai illuminé vos années de jeunesse ! Vous êtes atteints ? Je me reconnais en vous.
- Là n’est pas la question, a répliqué la Mère. Ce n’est pas ta lutte.
- Je me souviendrai de vous » dit la fille, je frapperai la bête sur la gueule. »
Pendant ce temps le compteur tourne. Bette dit à part qu’elle ne va tout de même pas insulter sa fille. Hinrik réplique : « Elle survivra ». Dit encore : « Il faut insulter le merdecin ».
- Je n’ai plus rien à perdre ? C’est cela ? »
Le Couple se dit qu’ils feraient bien l’un et l’autre de cesser de boire. Que des condamnés devraient se comporter plus dignement. « Nous vivons seule », dit Bette qui raccroche.
- Qui a voulu la garde des enfants ?
- Je les place, beugle Bette, chez ma mère, pour leur éviter de voir ça. Papa Maman crèvent au ralenti.
- Mauvais titre. » Il montre la table couverte de canettes. Droites, couchées, arrêtés dans leur chute oblique. La grosse odeur qui s’en dégage. Homme et Femme se sentent mieux : les bouteilles puent, la rémission se passe à s’engueuler comme des poulpes en boîte. «Les enfants sont toujours confiés à la mère » dit Hinrik (répète que c’est par pitié que tu as interrompu le divorce, répète-le). La pipe du téléphone s’est mise en biais. La voix dit : « Nos lignes sont à votre disposition de 7h à 22 (…) le sida ne s’attrape pas en donnant la main (…) les couverts (…) ni par l’éternuement, ni par cunnilingus » ni par les deux à la fois. 24/24 ils disaient – message après le bip sonore Hinrik se met l’émetteur sur le cul et pète Hinrik tu es con dit Bette même avec le cul ce serait con – sont à vôôôtre disposition » l’Islandais les traite d’analphabètes mais qu’est-ce qu’ils ont foutu au coures préparatoire Les petites choses prennent toute la place dit Bette.
Hinrik dit qu’elle ne veut plus être touchée.
- Tu m’achéverais dit-elle.
- Ce n’est pas un cancer ce n’est pas un cancer ce n’est pas – à vôôôtre disposition position position -
- Je raccroche en vrai ?
- Laisse, c’est fascinant.
après le bip sonore que dirais-tu s’il y avait un vrai quelqu’un...
- ...bip visuel ça n’existe pas…
- ...ce que tu leurs dis à SOS Cancer 08 90 -
- ...je ne téléphone pas à ça.
- Tu l’as fait l’autre jour-
- ...juste un ren-sei-gne-ment
- SAIGNEMENT ?
- TA GUEULE. «
Ne rencontrer aucun patient. Ne rencontrer aucun mourant. Ne pas confesser. Pas encore habitués. Jamais. Commence par cesser de boire. Tu bois plus que moi : pour une femme…
- Nous n’avons plus d’amis plus d’autres
- Bien trier les positifs, les négatifs…
- Personne qui vienne
- C était déjà le cas l’année d’avant, l’année d’encore avant-bras
- Hinrik, quand on divorce on ne le crie pas sur les toits -
- Við hrópum það ekki frá þökunum
- j’allais le dire après le bip sonore le téléphone hoquète et cogne, au sol. Ils sont partis Lamagistère et Thueyts. Ils encontrent un vieux d‘octante-sept ans qui les emmène tourner le coin de sa ferme on va se boire une prune ils pénètrent à trois dans la salle commune plongée dans l‘obstrouducurité;
« Alors comme ça v’zétiez pas au courant dit le plouc. Assoyez-vous je vais vous chercher ça.
Il ouvre un buffet dans le noir. « Jamais n’na fait aussi chaud à Pâques.
- Notre coup de téléphone vous a surpris.. .
- ...ben oui… vous m’demandez si j’ai des nouvelles eud ‘Nano » - y avait que nous pour l ‘appeler Nano - « je croyais qu’il avait travaillé avec vous aux Impôts, à Tarbes ! Vous ne pouviez pas savoir que Nano était décédé depuis six ans ! ...ça dû vous faire un putain de choc !
- Vous aussi » répond Hinrik.
- On s’y attendait, répond le vieux en se resservant d’eau-de-vie – depuis un an – mais je vous reconnais, vous ! Votre mère, elle était pas d’Islande, de par là-haut ?- puis comme à lui-même elle avait toujours le mot pour rire !
Bette qui l’interrompt Mort de quoi ?
- ...des couilles, cancer, excusez le mot – et il a bien souffert, allez, on peut dire qu’il a bien souffert »…
Bette s’est demandé un peu plus tard si elle n’aurait pas mieux fait d’en profiter pour se confier au vieux qu’elle aussi… on se serait sentis moins seuls.
« Avec ce vieux ?
- Tu trouves plus juste de clamser à 87 ans, Hinrik ?
- En tout cas sa poire était bonne.
- Ses pruneaux ».
« Allez donc voir mes enfants » leur avait dit le vieux, au bas d’la pente, passé l’tournant. I vont vous montrer les photos. Ils vivent ensemble, c’est l’frère et la sœur, à 50 ans i s’sont installés dans l’vieux bâtiment, l’année où qu’j’ai voulu faire de la vigne mais ça s’vend pas… » Il les avait regardés repartir, le bras levé devant les yeux pour se protéger du soleil, ou pour dire adieu.
Chez les frère et sœur aînés de Daniel P. dit Nano, ç’avai él la grosse orgie. On bouffe bien en Ardèche. On avait tué le « canard gras », jusqu’à la grande Institutrice qui s’était invitée au dernier moment et bouffait comme quatre en fermant les yeux. Le frère avait la bouche pleine : « Regardez, c’est Nano dans les vignes, il coupait les grappes et vous les avez chargées vous ne vous reconnaissez pas Monsieur Hinrik ? c’était y a longemps…
- Pluis de vingt ans.
- Et la fois où... »
La fois où…
Ils choquaient encore les verres et les souvenirs ; l’Islandais en avait d’autres, lointains, préhistoriques, tout est si lent à vingt-et-un ans. Et tout revenait. Il revoyait la frange de Nano juste au-dessus des yeux, la voix lente, comme attentive, et les oreilles écartées. Les photographies se succédaient. Il se ressemblait. Le soleil dans l’œil et se protégeant de la main. En auvant. L’air d’un petit soldat. « Sa première femme » avait dit le vieux « m’avait prév’nu : ça allait mal. Qu’elle disait. Il a les boules toutes rouges. Faites le soigner ».
À Largentière, Hinrik se souvient que Nano, le mort, courtisait la fille du maire (« le maire d’alors disait-il). Il passe chez elle. «Qu’est-ce que vous venez faire ici ?.. on est resté cinq ans mariés, le temps de fabriquer ces deux-là » - une fille, un garçon, basanés comme père et mère, faux timides et rires sous cape. Des sournois. Bien sûr qu’ils n’ont jamais revu leur père. Bien sûr qu’ils ne savent pas de quoi il est mort.
« Il a souffert le martyre » affirmait le vieux. La fille du maire finit par faire visiter le jardin, l’appartement où Nano n’a jamais mis une couille. Bette ayant demandé un effervescent pour le mal de tête, la divorcée-veuve s’était assouplie : elle se met à les observer en infirmière, à demander la personne à demander en cas d’accident – son premier mari est mort, dit-elle, « cancer mal placé », et les visiteurs disparaissaient dans leur voiture, désappointés d’on ne savait trop quoi. « Je vous demande bien pardon », disait le médecin dix jours plus tard, « mais vous n’avez pas trop mal pris mon… diagnostic de novembre dernier ?
- Écoute bien, Docteur : c’est ton problème, tu gères (tourné vers la femme) c’est le vrai bouffon ce toubib, c’est toi qui l’a choisi ?
- Non, Hinrik ; c’est ton médecin à toi – c’est comme ça que tu lui parles ?
- Je ne vais pas le confesser non ? le consoler, le border, l’enculer ?
Le Diafoirus claque la porte, ils éclatent de rire et en sanglots passe-moi une bière.
« C’est crétin tout de même d’avoir tout rompu avec le passé, les enfants » - Hinrik grimace, il s’était imaginé que le cancer au moins pimenterait sa vie, hélas, passée la première surprise et l’agitation suivante, l’angoisse tout de suite et l’ennui prélude au divorce, exercice : se prendre la tête entre les mains et se persuader, les yeux dans les yeux, qu’ils vont vraiment mourir.
Jamais le suicide n’obsède les agonisants.
Ils luttent tous c’est bizarre (pourquoi se débattent-ils dit l’étrangleur tout serait fini si vite et sans douleur) – ils ne boivent pas tous. Une ivresse intime, sourde, vibrante – la mort n’est qu’un surcroît d’ennui. « Tu ne joueras plus » dit-elle, « tu ne feras plus l’enfant - d’enfant » ou « Séropositif la belle affaire – douze ou quinze ans devant toi – téléphone à tous tes amis » que nous n’avions pas. « Allô ici le docteur Muller je suis avec le cancé… l’oncologue, on vient de boire un bon coup et j’avais pensé comme ça que vous pourriez venir comme ça tous les deux à l’hôpital, on vous filerait des blouses blanches et vous diriez à tous les patients vous avez ceci vous avez cela tout ce qui vous passe par la tête et vous allez voir la tête de buse qu’ils vous font ça pourrait vos distraire – non ?... vraiment pas ?…
- Tu te déguises en femme avec une baguette chaude dans le cul et tu se suicides avec ta fiotte ça te va ? »
Tout le monde raccroche en même temps.
Personne n’est venu.
Hinrik et Bette se haïssent au point de ne pouvoir se passer l’un de l‘autre. « Je vais à Clermont. - Quoi foutre à Clermont ?
Bette gagne, avec enthousiasme. Ses yeux creux s’agitent dans leurs orbites. Ce qui l’amuse c’est d’éviter l’autoroute pour jouir aux virages d’Yssingeaux. Sur un terre-plein de gravier au-dessus des ravins. Ils aspirent à fond, prient, chantent comme des extravagants. Après les cantiques, Hinrik préfère bouger Ma tête est vide. La mienne pas du tout. Plus jamais dit Bette. Hinrik qui rit. Arrivés au Puy le premier soir, nous avons trop admiré le trajet. Ils s’épuisent dans les six vieilles rues qu’ils ont découvertes. Ne montent pas au Rocher Corneille. Il n’y a rien de mortel au Puy.
Pas plus qu’à Clermont. Leurs pieds traînent. Ils aiment les Beaux-Arts, à part de Clermont centre, et la petite librairie près de l’Assomption, « Notre-Dame ». Et ls pierres noires, le vent froid de toutes saisons, de la rue Blaise P. parmi les murs de lave. Improvisation à mi-voix de litanies, St-Sidoine onzième évêque de Clermont. Le prêtre de garde les laisse faire inquiet, de long en large dans la nef mais cautionnant cette prière
Sidoine versifieur
Sidoine saint plagiaire
Sidoine au grand nez grand siffleur de plats
Intrigant de cour, seul qui sache écrire,
Sidoine gendre d’Avitus empereur, patriote et gaulois,
Toi qui pues de la bouche après le repas
joueur de balle en prairie,
Baigneur intrépide en eau froide,
Sidoine supplicateurs des Goths,
Auteur du madrigal à Raghnahilde
Mauvais suiveur de Virgile
Sidoine défenseur des murs des sept cents habitants
Répétiteur exégète des Textes Saints,
Sauveur des écoles et infect rhapsode
Entêtant de métaphores rances
Sidoine éteint dans la paix du Seigneur
Ora pro nobis prie pour nous bete für uns reza para nosotros Amen ve Amen
Et le curé au loin approuve
« C’est mon poète » dit Hinrik, premiers temps du Christianisme, Attila et les Grandes Invasions » Bette n’en savait rien tu ne m’avais dit-il jamais rien demandé Explique-moi répond-elle, Hinrik évoque l’enfance, la mère aimante et les Belles-Lettres, les trois Panégyriques aux empereurs successifs, Barbari ad portas et l’ancienne statue de Sidoine au forum, honneur que l‘on réserve aux morts – qu’avait-il écrit ? Des sottises répond-il, des vers sur Marie et sur les apôtres et des lettres à tous les évêques de son temps, Loup évêque de Troyes, ceux de Lérins, Bazas, Éauze
Plus tard il a veillé à l’établissement d’écoles pour patriciens, à ne pas fermer d’écoles, à maintenir le flambeau par les siècles des siècles, car la nuit s’étend, s’étend... »
Complètement tombée. Retour par le Col Sinistre de Mano dominant l’invisible Clermont parmi les bosquets de pins chauves et la pluie s’était mise à tomber, route étroite et tournante aux longues giclées de torches que tiennent des gendarmes sous leurs capuches effrayantes et grotesques, enfin de gigantesques engins de chantier (chacun portant au front l’étoile trépidante et John Deere en grosses lettres sur fond jaune. Pelleteuses brouillard crachin scratcheuses et la nuit -
- redescendant sur Clermont dans les virages de l’ancienne route - Hinrik et Bette blottis surleurs maux respectifs, peur du peu de secours de toute chose en général car le seul recours est de se vivre comme mort dès un âge assez tendre. D’aucuns en venant même à voir la fin comme assignation définitive de toute chose comme tous l’appréhendent, ni effroi donc nausées de grossesse excluses.
La mort était juste, le juste total d’une opération, dont les instants restants seraient mâchés de toutes saveurs possibles comme une gomme trop longtemps pétrie -
- ils aperçurent sous les premiers feux la procession des prêtres descendant la rue balançant de vagues bannières en tête des fidèles ;aux molles harmoniques. Et s’approchant de toute la lenteur du véhicule débrayé voici qu’ils distinguèrent les traits de saint Sidoine évêque de Clermont menés ainsi devant les premiers pressings ouvrants leurs grands yeux blancs rectangulaires. Étoles et habits de pauvres frôlaient à présent les vitres hermétiques, à travers quoi parvenaient maintenant distincts couplets et musique d’une mélopée de ces temps-là, où l’on chantait l’éloignement, l’extincttion tremblante de « lumières qui nous guidaient », d’un monde ayant « tourné sans nous – sans nous attendre », et de lions exténués venus gratter « en vain le fond de la rivière – où – ils venaient boire » avec ce poignant hiatus entre [ou] et [i]
Et du sein de cette bouffée d’humains partaient, étouffés, lancinants, les battements d’une lourde batte crêpée. Infiniment funèbre au rythme des pas. Ce sont ces chants encore qu’ils entendent mêlés à l’orgue, sur les prie-Dieu jumeaux de St-Victor-des-Arniers. La lumière est rouge. Il faut poser l’un près de l’autre ses genoux, poser sa tête dans ses mains. Nous autres individus nous savons que nous sommes mortels – au point d’abandonner toute communion - « rien que le bruit de la mer / pour seule réponse. Les organes restent d’odeur modérée. Il règne une tendresse de lenteur, de mousse et de respect – d’une débauche ralentie aux lentes jouissances, violentes, nippones, négligemment contaminantes à tout petits traits blancs.
Rien de plus apaisant que l’absence.
Quand les sons se sont tus, nos avons vu dans le creux de l’abside une masse où ous se tenaient par l’épaule sous la lumière mauve. Bouger disait Hinrik. Au volant d’un antique modèle sans regarder ni les cartes ni derrière soi. Il est mortel de s’arrêter. Les corps s’enfoncent et font de la terre. L’automobile est une tombe qui roule. Conscience d’une douleur sourde, présence de la fin battant dans les tempes suivant les lents réseaux de lymphe pour l’honneur des lâchetés dit-elle c’est en mouvements que nous mourrons jure-le sur les routes négligées ponctuées de virages serrés, de cols et de sites classés, course inégale et kilomètres succédant aux kilomètres au fond enfin des vallées ils aperçoivent les brumes électriques sur les grandes villes Pantin Lille Grenoble Noirmoutier, bondées d’agonies et de thérapeutes et surtout – personne – personne - une pure délivrance.
Plus la moindre pitié.
Plus le moindre conseil.
Plus le moindre ami qui vous lâche en bout de course.
Juste des fournisseurs 54F – 100F les deux.
La ville où je mourrai est une forteresse dit l’Islandais aux yeux morts de chimio.
La ville où nous séjournerons reprend Berthe présente à son entrée une longue avenue d’ormeaux qui menait au château suivie de maisons plates et pressées soigneusement parallèles ».
De part et d’autre de l’entrée se trouvent deux courts obélisques ornés de trophées en bas-reliefs, casques, piques et drapés. Entre ces deux gardiens désormais les manants déambulent… Ils ont exposé leur asphalte et leurs pantalons, sans compter leurs voitures à pétrole. Il n’y a plus de seigneurs. Le séropositif désœuvré Hinrik dénumérote les chaumières pour y substituer ses chiffres personnels. Il use pour cela de grosses craies de trottoir. Les trois mille habitants hochent la tête avec indulgence.
Dans ce dédale imaginé Hinrik avance sous les coups d’œil furtifs. Le ciel reste gris car les saisons se sont confondues dans une éternelle humidité froide ensuite viennent ces rues étroites où nous finirons.
Les voici parvenus à l’écart de toute famille ou connaissance, aux voies resserrées débarrassées de leurs ombres mêmes. Reste la maladie et le ciel bas de la journée. Ainsi s’exprime Bette à l’encre sur ses feuillets postumes : impasse aux Chevaliers entre deux murs aux portes aveuglées qui ne donnent que sur le canal – jardins détrempés et lavoirs _ impasses prolongeant leur cul-de sac au ras de l’eau, relents de pisse et de chiens mouillés. Pas de traces d’enfants.
Bette et lui rebroussent chemin plus loin encore, où la grand-rue laisse passage aux grands camions tout ferraillants de bidons de lait pour les GARÇONS et FILLES des pensionnats qui se succèdent ici. Une scierie détrempée puis un boulevard de terre blanche au long d’un canal de ceinture, et de tout petits ponts je vois des jardins clos, minuscules, des boîtes aux lettres aux noms illisibles (pluie).
Aux Archives figurent en bonne place des esquisses de Philippe de P., historiographe de Louis VI le Gros. Ce sont de gros cartons qu’on étale sous le néon, sous l’œil d’un soupçonneux subalterne, par dessus l’épaule. Le papier vergé tourne dans un frottement, révélant planche après planche des nus semi-drapés, des perruques effondrées, puis retombe en son étui tandis que le garde bâille vers les toilettes, où il est permis de fumer. Bette un jour voulut se glisser dans la Réserve afin de s’y faire eenfermer.
On ne trouve aux Archuves aucun ouvrage médical, sauf uen Encyclopédie aux pages arrachées. Rien qui indique le moyen de guérir. Juste la Collection Belles-Lettres, ou des ouvrages notariaux, des vies de médecins à rouflaquettes : ils soignaient les pauvres gens, et certains croyaient en Dieu. La salle de lecture est longue et basse. La lumière vient mal. La table unique au vingt-trois sous-mains étire son ovale sous les abat-jours. On voit des crânes d’hommes penchés. Si je reste là tout l’hiver pense la jeune femme je prendrai l’odeur des manteaux ici détrempés sur les patères d’entrée) ; Bette couche avec un homme influent et se trouve employée, en sous-sol, poussant le chariot à livres sans prendre le temps de lire. Parfois au bout d’un couloir Bette s’assoit, ouvre un volume, vite rappelée à l’ordre par un coup de sonnette : elle empile aussitôt les commandes qui montent en surface sur un grand plateau de bois. Elle ne voit plus de la journée que de longues étagères souterraines, soutenant sur les planches en métal des tonnes de papier. Elle étouffe. L’homme influent est muté. En cas de migraine, elle monte au tabouret sous le soupirail, au ras des herbes : c’est le parc. Parfois un chien flaire la grille : Bette lui parle, le persuade, et le chien ne pisse pas.
Puis elle redescend parmi ses rayonnages, comme un cerveau à angles droits. À la lettre S, elle a consulté Sade, Sollers et Sartre. Elle parcourt aussi les actes notariés. Personne ne demande ces choses-là. Elle est oubliée là, tombée dans l’allée du lit, un peu plus bas que le plancher. Ce qui la repose. Juste ces maux de tête qui qu’elle apaise au soupirail, au ras des chiens. C’est un musée, un tombeau. Sans autre bruit que les roues et les pas. Elle ne supporterait pas de musique, demanderait qu’on lui parle à voix basse. Un jour on lui trouvera d’autres tâches en surface : au-dessus des lecteurs habite Monsieur le Maire, et au-dessus du maire les combles, d’autres archives, et le toit et le ciel.
Sur un fauteuil de skaï à sa disposition, Bette prolonge les siestes d’hiver et médite sur sa mort.
Pendant ce temps l’Islandais court la campagne. Il s’est vite acheté une voiturette. Les villages se ressemblent tous : des sacs de pierres meulières baptisées « maisons », devancés de jardins vert sombre : herbe d’hiver, l’humus ou la feuille jusqu’au quart des troncs, rosiers pourris, manches à bêches. Les perrons montent entre deux rampes à ras de marches et butent sur des portes closes.
Sur le plateau les villages se terminent par -court ; l’église à l’écart dont on fait le tour dans les tombes, sous la pluie mais avec de belles éclaircies. À marche forcée Hinrik rejoint les trois calvaires délimitant la commune, éloignés l’un de l’autre, le dernier tournant le dos aux champs du nord. Le vent souffle durement un message de vie.
Entre le mur et la pelouse de la Bibliothèque, Hinrik fait marche arrière et recueille Bette en sortie de sous-sol. Elle a dans les narines le relent des papiers abandonnés. Aussi l’air intérieur du véhicule provoque souvent chez elle des étourdissements. Comme la pluie continue, elle ingurgite avec Hinrik dans un boyau nommé « restaurant » une paire d’œufs au plat. Le cafetier louche et sourit. Pour finir une île flottante dit-elle, étonnée par la douceur de sa voix dont le cancer, pensait-elle, aurait pu la priver. Hinrik fait venir les cafés je serai en retard dit-elle mais peu importe. À la table voisine un gros nez rouge engloutit ses pâtes qui retombent ; sur deux murs court un rang de coupes cyclistes gagnées par le patron, avant son strabisme : J’avais un bon coup de pédale.
Les deux agoniques se chuchotent des conneries, se tiennent la main, refont surface dans la cité, tout en rond dans ses remparts, en balançant les bras. Sur leurs pavés ils se tordent les pieds, les passants s’affairent dans leur petit cocon.
Il y a la coiffeuse, le pharmacien et la libraire : « Avez-vous lu Croisade des Albigeois, de Pierre des Vaux de Cernay ? dans l’original à gauche, traduit à droite – je vous le commande ».
Ils restent longtemps cuirassés dans les livres. Bette n’en est jamais lassée. Pour vivifier les relations avec la libraire, Hinrik achète régulièrement jusqu’à l’Almanach Vermot de l’année qui vient, sans bien savoir s’il en verra le bout.
Hinrik et Bette ne parlent plus personne.
Juste à leurs fournisseurs. Je te donne, tu me donnes.
Les médecins de la Petite Clinique Privée couvent de tous leurs soins ces nouveaux venus si éphémères.
Ils explorent les recoins de leur ville. Tissant des banalités sur les murs, les pignons, mascarons qui sont des « têtes grotesques décorant des clefs d’arcs » ; sur des souvenirs ressassés pour en saisir la totale signification, car ils n’en auront plus d’autres ; des lieux communs de bien-être, car la douleur ne se fait pas sentir. Quand ils ont tout bien découvert, ils aboutissent à cette impasse herbue entre deux murs – donnant sur le canal : Impasse des Chevaliers dite « du Tisserand », toujours longée de murs aveugles, avec ce petit décrochement d’une porte en bois. Lorgnant dans les cours intérieures, bosselées de pavés du temps des diligences. Alors, inquiets soudain, par des cheminements secrets, ils envisagent la mort à leurs trousses comme un gluant espace. Malvigny est une tumeur maligne, aux alentours larges, sains, frais. Le vent salin fouette les betteraves potagères, à coups de serpillières du nord-ouest, de linges claqués sur la gueule J’en ai ma claque répète Hinrik bundan bıktım en turc Méthode Assimil, qu’il étale sur le volant, à l’arrêt. Enchanté de geler en relisant Barbey.
Exercices de dispersion.
Les quatre bars du bourg. Lait fraise et Coca pour narguer l’ankylose et préserver la lucidité des Gens Sobres. Répétent à deux les phrases turques opaques, inadaptées exprès, quand le vent évadé secoue l’habitacle, et que l’air en sifflant s’infiltre. Encore un bar. Comptoirs incompréhensibles tant les buveurs déforment et tuent la langue d’ici. Et du siège avant où l’Islandais s’est replié, il fixe le va-et-vient de formes humaines emmitouflées. En vérité comment nouer connaissance avec le premier d’entre eux à base de carcinomes ventriculaires ? Bette n’est plus qu’une femme brune hébétée, ni Elle dans sa cave ni l’autre au dehors n’aurait voulu saisir le sens des mots sursis ou rémissions. Vicieux, désespéré dernier recours. « Comme tout le monde » ? Non pas. Qu’ils se recherchent, ou qu’ils se fuient.
Qu’ils boivent, ou qu’ils cessent de boire.
Ils prennent une même quantité de vin, sur leurs œufs au plat, crevettes papillons et yaourts. Du blanc sur les sablés.
Une chambre à Malvigny. Pour eux rien qu’une turne, disait-on. Une cambuse. Rustique, et même rude. Rien de bien sexuel à vrai dire, du moins pas souvent, du moins pas toujours. Juste là tout le temps qui passe. Angoissant un peu. Par trois lucarnes ils ont vue sur trois pentes de toit, d’ardoise. Et vus d’en haut, les gens qui vont et viennent, les vivants qui ne vous voient pas. Hinrik et Bette, quand ils dînent ici, se font des farfalle parmesan. Le plus souvent chez La Hulotte, restaurant cher, au rythme lent. Ce qu’il y a de plus désagréables, ce sont les jours de congé. Tous les moments aussi d’après le travail, d’avant le coucher. Ceux qui vont mourir me comprennent.
Et puis encore, ce que l’on trouve à Malvigny, «ce bled », cet « étui à chancres », c’est le froid. Humide, pénétrant, ironique avec ce vent léger, ce petit vent de faux printemps : des éclaircies, des pans de ciel bleu, soudain cette bouffée carrément aigre, de queue d’hiver.
Malvigny se traîne à rebours du temps. Comme à contre-temps ; l’Islandais se reprend à s’imaginer malade. Se prend la tête à deux mains pour jouer à la tumeur, les coudes sur le volant.
Il ne supporte plus l’exiguïté de la chambre là-haut.
Il découvre un troisième restaurant, à petits carreaux.
« Refoutons le camp.
- Où çà ? »
Hinrik s’est fait à l’inconfort bourru de ce bourg du Vexin. Revêche, tourne-en-rond, où l’on contracte des amitiés solides qui tissent les existences austères. Il parle aux petits commerçants. Bette a trouvé une place, d’où elle ne sort guère.
Mais BETTE a une sainte horreur de toute espèce de travail, y compris et surtout celui-ci, et pousse tant qu’elle peut, tant que nous le pouvons encore, à une définitive errance. Hinrik renâcle, en pourparlers qu’il est avec la mairie, pour l’obtention d’un caveau rue du Gros-Orme, au cimetière. Justement les symptômes s’aggravent, des gestes moins précis, des maux de tête plus pressants, au point de s’écharper la nuit sur le palier sous les yeux ameutés des locataires un petit couple si calme si sympathique et Bette dès l’aube tourne la clé de contact et s’enfuit.
Contrées d’accourir à la pelle, sur fond de cancer (ou sida?) « C’est pourtant vrai ! » s’écriait Hinrik en monologue, chacun souffrant plus que l’autre. Il s’exhiba alors une analyse ancienne au papier déjà jaune. « Tous cancéreux, tous sidaïques » ajoutait-il sombrement.
Hinrik, récalcitrant naguère, devint le plus ferme adepte de bougeotte : « Ainsi tu es revenue ? » Quel manque de résolution chez cette Bette. « Ça vient ce voyage à deux ? Ça vient ? » Quelle sotte. Répétait-il à longueur de soirée dans sa mansarde. Il voulait mourir, mais non sans avoir tout vu, ce qui voulait dire ne pas mourir. Bette revenue donc sur sa décision (faiblesse, faiblesse…) lui répondit qu’il s’agissait moins de voyage que de suite (parlant d’expérience immédiate). Ils avaient de l’argent. Comment ne pas mourir après cela ? Comment ne pas mourir tout court.
Inversion des convictions. Bipolarité. Choisissez.
Retour aux sources. Nul. D’abord en Pologne, solution de facilité ; bourgade podolienne rasée reconstruite à l’identique, où la population conservait en tiroirs culottes et chaussettes d’avant l’irruption teutonne. Hinrik, très blod très pâle, fut très bien accepté. « On voir nien qu’il est de chez nçus » répétaient les babtchiè en hochant leurs tête sous le foulard. Et Hinrik profitait des poulets-myrtilles, car pour lui, on trouvait du sucré-salé piéroghi.
Hinrik et Bette s’astreignirent à compter les crénaux ou redans des pignons. On en trouve de comparables rn pays flamand. D’en haut sur les pavés nos souffrants pouvaient entendre et voir les charrettes garnies d’un seul gros porc ou d’une pyramidee de patates. Hinrik trouvait à redire à tout, rappelant que le dernier ancêtre polonophone de Bette remontait à 1849 - « tout au plus un seizième de sang ».
Toutes leurs conversations extérieures se font en allemand.
« Tu n’apprends même pas le polonais.
- Tu connais l’islandais, toi ?
- Oui. Ja.
- Ici nous ne deviendrons rien. »
Les voici qui s’attardent, changent de direction , dans une grande cité à demi portuaire, aux longues maisons de longs panneaux de pierre. La roche était bouchardée de motifs dits vermiculés, sous prétextes qu’ils évoquaient les helminthes décompositionnels à) tout esprit normalement constitués. Il y avait aussi, dans cette grende ville, des voies montantes encombrées de livraisons en double file, des places où s’embrouillaient les véhicules, et des affiches aux déchirures fantastiqueent superposées que lacéraient les petits pisseurs de palissades.
Une très haute cathédrale était asphyxiée de déjections colombines autrement dit de merde de pigeon. Et le cancer allait rongeant toujours, charriant ses immondices jusqu’aux extrémités des veines. Hinrik, au pied des murs noircis, traînait sa peau de plus en plus jaune. Parfois il entrait dans des restaurants tout simples, fleurant la gargote, affublés des nominations « chinois » ou « thaïlandais ». Avec des cèpes bien périgourdins qui font bien dégueuler quand on en mange trop. Hinrik s’empiffrait à s’en éclater, tant que la peau du ventre lui tendait.
Désorlais il be pouvait s’assoir sans se débraguetter, sous le rebord de nappe, jusqu’au périnée. Il se demandait non sans perversité si le cancer ne s’attrapait pas, voire en se transmettant, déménageant d’un individu à l’autre. Bette ne l’attrapait pas, quoique cancer et sida ne soient pas incompatibles.
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