LEGITIME DEFENSE
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LÉGITIME DÉFENSE
La rue s’allonge droite entre deux rangées de poteaux électriques. De là-haut tombe tous les trente mètres un cône de lumière. Il est midi.
Je reviens à pied du cinéma.
La rue est déserte.
Dernier poteau dans quatre-vingt dix mètres puis le noir : Quartier-Neuf.
Avant-dernier poteau. Par-dessus l’épaule s’alignent ces petits points brillants qui descendent et s’enfoncent au ras de l’horizon.
Un autre point brillant, mobile, se rapproche de mon dos. Une bicyclette. Devant moi nos ombres s’amenuisent, et soudain se rallongent à mes pieds, sitôt dépassé le centre du cercle au sol. La bicyckette s’ést perdue, mon dernier faisceau d’en haut tremblote, comme essoufflé en bout de ligne, voici le noir, le lent dégradé de la lumière sur le revêtement rugueux. Je ne dois ni ralentir ni courir. La route tourne, nuit de nouvelle lune, juste les étoiles. Tu bouges t’es mort je sursaute, il croit que j’attaque et je mords sa main, il m’empoigne et je frappe, je frappe la mâchoire il tombe je frappe à terre à coups de coudes et de genoux, son sang colle à mes mains.
Et même, j’ai le sang-froid et les yeux de lynx pour repérer le revolver qui luit quelue part et j’envoie comme ça deux-trois-quatre balles, des volets claquent en lançant des lumières – promis dans deux mois l’éclairage public - et je vois du sang qui me coule vers les pieds. Alors je me suis mis à courir parce que personne ne m’aurait cru, et je sais qu’en plein jour il y a une prairie en contrebas où je pourrai balancer l’arme et j’entends il est mort ? un médecin – par là ! par là ! - je comprends : ma oropre direction. J’ai tracé dans mon silence un vaste demi-cercle dans la prairie restée obscure – et je me suis réfugié chez moi, par la petite porte arrière.
Je me suis assis.
Mes mains mes bras tout agités de tremblements, tout le haut du corps. J’ai bu de l’eau. Me suis passé sans allumer de l’eau sur le visage. Le brouhaha d’ici soixante mètres dehors sans éclairage de voirie par lenteur administrative. Bienfaisante incurie. J’ai revu ma scène en détail, les poils dressés sur l’avant-bras, de plaisir de tuer dont je riais nerveusement dans mes illustrés, d’abotd des frappes instinctives, puis une conscience plus nette, en pleine lucidité, puis ces quatre tirs volontaires, prenant bien soin de ne pas sembler viser, même sur le corps étendu déjà mort. Puis le revolver se cabrait sur ma paume. L’homme était mort, quand j’avais asséné sur la tempe un dernier coup de pied, cousues Goodyear.
« - Qui était-ce ? »
Je revivrai ce geste. Dans le passé, dans mon futur aussi.
Pour oublier ce rappel je bois. Ce que je trouve et me perdra,
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Légitime défense I
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