ZOHAR SIDONIENSIS II
ZOHAR SIDONIENSIS DEUXIÈME PARTIE 101
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"C'est ainsi que votre voix ranime l'armée" - "et que votre exemple la réconforte » - ô psychologie de primates, « où d'autres sont passés je passerai aussi, car le premier vous entreprenez les travaux que vous ordonnez" car je suivrai ceux qui m'ont précédé, tous généraux, tous empereurs (lire une thèse de psychologie guerrière il ne s'agit que d'hommes) "dès lors la foule des soldats obéit avec plaisir, puisque le chef se soumet aux lois qu'il a dictées". V, 549 / 552
Majorien sourit d'une oreille à l'autre, passons à ses collaborateurs, eux aussi balayés comme nous. Il y aura encore des premiers, certes, les favoris du dictateur. Mais au moins, nous pourrons toujours nous révolter contre eux, car le mérite, rappelons-le, n’est qu'une force parmi d’autres. On ne se révolte pas contre un premier de la classe. Mais ceux que ronge le sentiment d'infériorité préfèrent que la succession des gouvernements s'opère par la violence et l'arbitraire.
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V 553 - 561
Trop tard, Sidoine ; déjà Ricimer fourbit sa balafre. Bientôt Majorien se tordra sous le poison. "Quel éloge faire aussi de vos comtes, "comites", compagnons ! "de votre maître de la milice" - Ricimer – que sont devenues les grandes familles patriciennes ? - que sont devenues nos armées ? "...seul digne de surpasser Sylla dans la bataille" – contre Marius…À qui s'adresseraient donc ces flagorneries qui suivent ? qui peut être le plus fort au concours des ours ? "Fabius par l'intelligence, Metellus par la piété, Fulvius par la vigueur, Camille par l'adresse" – flagorneries toutes faites, distorsions de l’Histoire, - "Veut-on connaître l'homme éminent qui remplit la charge de préfet sur toute l'étendue des vastes territoires de la Gaule, tendit patulos qua Gallia fines – Magnus, qui ne sera pas autrement cité. préfet du prétoire des Gaules en 458-59, consul en 460" – titres creux désormais. V 553 / 561
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Mais tout doit être aseptisé, feuilledevigné. "Sous l'autorité d'un tel magistrat, le fédéré, vêtu de peaux..." - non, Majorien n’a pas de point commun avec Trajan, qui n’était pas, non plus, un simple magistrat...
X
Les historiens allemands ne voient pas de catastrophes dues aux invasions, mais une transmission de flambeau, une translation d'autorité, une garantie de continuité immortelle... V, 563 Et c'est un fédéré, un Barbare, qui dicte sa loi aux Wisigoths ; un Barbare qui commande aux Barbares, un kapo, osons le mot, qui s'abaisserait, lui, devant un simple huissier "enroué", qui n’impressnnait plus personne depuis les temps républicains ? Et comment s'appelle-t-il, ce meneur ? Théodoric II, roi des Gètes ou des Goths, celui-là même qui avait porté au trône impérial le propre beau-père de Sidoine, Avitus ! Celui-là n'était pas un Barbare ordinaire, il avait été éduqué à la romaine !
Sidoine se garde bien de le citer, pour ne pas rappeler que c’est lui-même qui prononce le panégyrique de Majorien, liquidateur de son beau-père ! "Que dire ici de l'homme qui dirige les tribunaux impériaux" ? là encore, pas de noms ! il s'agit de Pétrus, qu’on ne saurait assez louer : "Non content d'avoir en main la conduite des parties civiles, il partage les soucis du combattant." V 566 Nous attendions des précisions, nous n'aurons que de l'enflure : "Il fait ceci, il fait cela" – éloquence du camelot : "Par son entremise, sub quo, une nation barbare se soumet à vos conditions." C'est beaucoup dire.
V 562 567
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Sidoine se livre alors, une fois de plus, à la prétérition : "Que dire ici de l'homme qui dirige les bureaux impériaux" ? Pétrus, enfin cité, qui plus tard lui sauvera la mise… Les écritures, les archives, cela du moins fonctionna toujours parfaitement ; au temps les plus troublés, sinon les historiens, du moins les annalistes, suscitent un respect mêlé de douce amertume : eux aussi voulaient porter à la mémoire humaine les moindres faits de leur époque si capitale, dont à présent ne reste pas même le souvenir. Tant chaque génération s'enivre de sa propre nullité.
...Cet administrateur donc, proche de l'empereur, tient les rênes des affaires civiles et militaires. Jamais on n'est si bien gouverné que juste avant la grande déferlante. "Ah ! téméraire Clio !" (Muse de l’Histoire, qui s’est lourdement trompée !) Sidoine ici compare, avantageusement et toutes proportions gardées, Guy Mollet ou Antoine Pinay aux Richelieu ou Louvois du Grand siècle.. ! De leur côté, les Burgondes, depuis Lyon, comptaient-ils pour quelque chose l'empire pourri des Romains ? Ou bien ricanaient-ils in petto, « on reviendra ! » Ce négociateur en position difficile s’était pourtant révélé très efficace : "Pourquoi, avec tes faibles forces », se dit l’orateur, « aborder l'éloge de Pétrus, lui par la bouche de qui l'empereur daigne parler au monde, bien qu'il ait aussi à son service un questeur éloquent ?"
Ces flagorneries s'étaient tant de fois entendues que plus personne ne les relevait. C'est donc Pétrus encore, à l’instant, « qui, après avoir reçu des otages » ( c'était la coutume en cas de traité), est parvenu à « éloigner naguère (…) l’épée enfoncée dans notre cœur » - Pétrus a persuadé le haut commandement romain d’évacuer Lyon de la garnison laissée derrière lui par Aegidius, aux ordres de Majorien, ainsi que les Burgondes, alliés des Gaulois : d’une pierre deux coups, car l’arrivée au pouvoir d’Avitus, Gaulois, avec les Wisigoths, un autre aristocrate gaulois ne pouvait-il pas la réitérer, avec les Burgondes ?
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V 574 / 585
Majorien se lève comme l'aube ; il restaurera le droit, les rebelles se soumettront, les Vandales reculeront, roucouleront. L'Empire se reconstruira. Mais le monde est lassé de porter l'Empire. Empereur, tu as vaincu nos factions, à présent dresse-toi au -dessus de tous, exerce le pouvoir divin de la nouvelle création. Lyon n'est que ruine et murailles noircies. Car les Barbares de l'armée officielle n'y sont pas allés de main morte contre les Barbares adverses, Gaulois compris… Il ne reste plus rien !
Notre Sidoine se fût bien accommodé d’une telle succession ; mais ne se compromit pas trop, ce qui lui permit de réclamer le pardon au nouveau souverain, plus un dégrèvement personnel d'impôts, tout de même, au passage…
Pétrus a donc renvoyé les troupes d'occupation, commandée par Aetius : cela valait bien quelques pets de trompette épique ! Péroraison ! Appel à Majorien ! "Et puisque vous êtes venu, unique espoir d'un monde épuisé, lassatis rebus, nous vous en prions, relevez nos ruines et, en passant, jetez les yeux, ô vainqueur, sur Lyon qui est vôtre" – pitié ! c'est toi qui as tué mon beau-père empereur gaulois ! "elle implore de vous le repos, brisée par des épreuves sans mesure" – incendiée, dévastée, occupée ! V 574 / 577
Pas un mot sur le soulèvement gaulois, qui avait soudoyé les Burgondes... Les Romains règlent les comptes des Barbares. C'est tout ce qu'il leur reste, apparemment, à faire : les taurillons sont lassés, ils ont labouré la terre, un peu de Virgile en sauce. Ensuite, nous reprendrons le collier, le sillon sera mieux tracé : comparaison particulièrement incongrue. L'attelage "n'en labourera que mieux ensuite la terre compacte du champ".
Les troupes d'ailleurs "n'avaient plus de romain que le nom". Des Germains venaient piller des Gaulois. "Vous lui donnez la paix, rendez-lui le courage.
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Nous avons dé-liré, Sire, quitté la lira, le sillon, pardon, pardon... V 578 / 580 Tu comprends, ô Grand Houba, nous avons bien travaillé à nous dresser contre Rome, laisse-nous prendre du repos, et nous ferons mieux la prochaine fois.
Et les troupes de Majoriens, magnanimes et intéressées, décréteraient un plan Marshall. "Bétail, récoltes, colons, citoyens, notre cité a tout perdu". V 580/581 "Debout, elle ne connaissait pas sa fortune ; maintenant qu'elle est captive, dum capitur, elle sait, hélas ! tout ce qu'elle fut !"
V 581 / 582
La cohérence n'étouffe pas notre poète officiel. « Nous avons succombé sous les dévastations, sous l'incendie, mais vous venez et rendez la vie à toute chose »V 583 / 584 , même si c’est toi qui l’as fait. Cet écrasement de Lyon marquait aussi un désir d'autonomie gauloise : Victorin, Tetricus, usurpateurs, Gaulois.
Lugdunum Zone sinistrée. Et si tu pouvais m'exempter, moi, d'impôts, moi le poète, ce ne serait pas si mal. Exactement comme si Lyon se relevait d'une catastrophe naturelle. Et même, nous bénirons votre Majesté de ses Bienfaits, nous bénirons les dieux de nous avoir envoyé la catastrophe, si c'est toi qui nous la guéris. Nous dirons : c'était le bon temps ! Heureusement que tu as tout dévasté !
Nos ancêtres (les Gaulois) aimaient le théâtre, les accusés s’exhibaient devant le tribunal en haillons et en pleurs, mais, nous serions bien meilleurs qu'eux - audace ou convention ? rien n'empêche, après tout, d'imaginer la dignité de l'attitude finale. Compte tenu des usages du temps, le plaidoyer de Sidoine prouve une grande habileté, car nul ne saurait refuser de telles sollicitations, déjà exaucées à demi par le retrait des troupes – au moins burgondes.... "La joie revenue, on aime, Prince, à se rappeler le malheur" V 583
V, 574 /583
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V 584 / 591
Le chien lèche la main qui le frappe. La lance d'Achille guérit celui qu'elle a frappé. « Puisque nous fûmes pour vous l'occasion d'un triomphe, notre ruine même nous plaît, ipsa ruina placet. V 586 - c'est pousser très bas la veulerie - si tu changes de camp, Sidoine,du moins, cesse de rampe Quand vous monterez sur votre char de victoire et que, selon l'usage des ancêtres, les couronnes murale, vallaire, civique, muralis, uallaris, civica, noueront leurs lauriers sur votre chevelure sacrée – V 586 / 589
Peut-on exprimer plus de vilenie ? est-ce au contraire une rhétorique habituelle ? Quelle insistance, que de lourdeur ! Et voici la péroraison, du moins sa première vague : le vainqueur montera sur son char, et célébrera le triomphe à Rome. Nous rappelons que le dernier triomphe eut lieu sous Dioclétien, mort en 305.
Les nobles gaulois n’avaient pas oublié que le premier à franchir un mur assiégé recevait une couronne "murale" ; à sauter le retranchement, une couronne "vallaire". Tout soldat sauvant la vie d'un citoyen romain recevait la "couronne civique". Les trois seraient en possession de Majorien. L'empereur concentrait, ainsi, tant de rayons. Mais s'il faut évoquer les fastes brumeux de la République, pourquoi parler de la "chevelure sacrée" de l'Empereur ? Les triomphateurs étaient accompagnés sur leur char d'un esclave de haut grade, qui lui susurrait dans l'oreille Souviens-toi que tu n'es qu'un homme. Alors, le Capitole verra les chaînes des rois (mais on ne montait plus jusqu’au Capitole...) V 589
On ne célèbre point de triomphe sur des ennemis intérieurs. Mais d’autres, Vandales cette fois, permettront un réagrandissment du territoire de l’Empire, donc un triomphe légitime : « Quand le Capitole doré regardera les rois enchaînés, quand vous vêtirez Rome de dépouilles guerrières, quand vous ferez modeler dans une cire
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précieuse les gourbis captifs du nouveau Bocchus africain – V 588 / 91 - ô grand moulineur de formules, penses-tu vraiment que le vieux cou de la divine Rome portera tant de colliers et de jougs ? Cependant Majorien revêtira la capitale de dépouilles ennemies. Il "fera modeler dans la cire précieuse les gourbis captifs, captiva mapalia, du (nouveau) Bocchus africain" – référence datant de la guerre de Jugurtha, cinq siècles auparavant - à Rome, l'Histoire était prise au sérieux.
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V 591 / 596
Genséric, toujours lui, ne logeait plus dans un "gourbi", et l'on ne saurait parler de sa "'capture". Moi-même, dit le poète, je précéderai votre char : qu'est-ce qu'un Empereur victorieux, si nul poète ne s'est trouvé pour le chanter ? et la littérature devient insignifiante, restera toujours l'historien, Zozime, Socratès, médiocres assurément, mais qui exposent, sans rien omettre, les obscurs lauriers de leur souverain. Nous croulons sous tous ces casques. Ô Majorien Maximus, gonflons nos pectoraux : « Moi-même, à travers les foules massées sur votre passage et leurs acclamations enrouées, je vous précéderai et mes faibles chants, comme aujourd'hui, diront que vous avez dompté les deux Alpes et les Syrtes et la Grande Mer » – le critique ici doit dpnner congé à ses critères - les deux Alpes » comprennent les Pyrénées - .. moi le nain, je porterai sur mes frêles épaules toute ta gloire, et, réciproquement, mon fardeau te rendra glorieux - « ...détroits et hordes de Libye, mais qu'auparavant vous avez vaincus pour moi – ante tamen vicisse mihi - on n’est pas plus modeste…
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V 596-603
Nous ne voyons hélas les derniers vers s'éloigner en cahotant sur les rails que pour pressentir d'autres convois de flagorneries - à vous voir maintenant tourner
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les yeux vers les malheureux et leur montrer un visage serein – l’Empereur viendra
cum exercitu suo, avec son armée, il vous délivrera manu militari du gras Genséric, et tout rentrera dans l'ombre. V 596 / 598
« Il me souvient que vous aviez le même visage, quand consentiez à me faire grâce » - Sidoine se prostitue au nom du peuple gaulois - « vous m'avez fait grâce, alors que je luttais contre vous » - la vie d'un homme en effet, fût-il l’empereur Avitus, ne pesait pas lourd, mais Sidoine appuyait plus ( ne le dit cette fameuse subversion gauloise bien proche de la sécession – flattant le tyran jusqu'en son aspect physique. Sidoine, risques-tu gros ? Tu as reçu des assurances : écoutez ma prière et vos trophées rendront la vie à Byrsa (ancien nom de Carthage désormais vandale), bien loin qu'il faille à présent la redétruire...
Ce triomphe sur Lyon (contre Gaulois et Burgondes) préfigure celui que Majorien ne pourra manquer de célébrer sur Carthage, il en est même la cause, et de toute autre conquête ultérieure pourquoi pas : « le Parthe s'enfuira tout de bon » et non plus pour décocher "la flèche du Parthe" v. 601 « et le Maure s'en ira blanc de crainte » - tu vas blanchir les basanés ? poétaillon !
« Suse tremblera et Bactres, déposant à vos pieds ses carquois, car, quoi ? elle se tiendra désarmée autour de votre tribunal » autrement dit podium - où vivaient ces Bactres ? ...au nord de l'Afghanistan, sur les traces d’Alexandre, qui ne reviendra pas plus que les Bouddhas de Bamiyân – en réalité, Ricimer dirige tout. Et s’il ne désire pas devenir empereur, c’est non seulement parce qu’ils finissent mal, mais parce qu’il s’est mis à mépriser cette fonction vide…
Sidoine imite Claudien dans son ignorance de "tous ces pays lointains" ! Sidoine sera toujours inénarrable : tu as vaincu tes ressentiments ; donc, pour ne pas te contredire, pardonne aussi mes complicités rhodaniennes : ainsi le poète fait-il semblant de quémander une grâce acquise d’avance ; depuis Jules César, la clémence est la condition sine qua non de la Victoire.
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PRÉFACE DU PANÉGYRIQUE PRONONCÉ EN L'HONNEUR DE L'EMPEREUR AVITUS. CARMEN SEXTUM – PRAEFATIO PANEGYRICI DICTI AVITO AUGUSTO – changement de ton. "Préface du "dit panégyrique", pour "Avitus Auguste", celui qui importe le plus, beau-père de notre héros - détrôné sous prétexte d’avoir été surpris dans un bordel d'hommes : Avitus, voilà du viril. Beau Papa Empereur ! père de Papianilla bien-aimée, connue par portrait, "nous étions un homme et une femme, et nous étions jeunes" - tout encombrés ensuite d'une vie entière . Poète, prends ta lyre : ce prélude ne comportera que 36 vers, aussi bien tournés que creux : "tandis que sur sa lyre thrace le poète célèbre par ses chants la naissance de Pallas aux armes sonores" – quant au barde de l'Ismarus, c’est Orphée - ce « barde » du traducteur est aussi incongru qu’un attorney - c'est le vatès, le prêtre inspiré des dieux - Loyen, tu traduis trop – célébrant un jour, sur sa lyre thrace, l'heureuse naissance de Pallas aux armes sonores – toute tourmentée cette préface, une explosion d’inversions jusqu’à la torture – à nous le supplice des versions latines...
Ce fut dans Marathon, cité mopsopienne (en souvenir du vieux roi Mopsopos) « la bousculade des fleuves arrêtée dans leur cours et de la terre accourue » – les fleuves s'arrêtent, la terre au contraire accourt, stop, « laissez-nous un peu respirer » - tandis que le plectre – "le peigne" – fait résonner les cordes d'une douce mélodie – nos gosiers dégoulinent de guimauve, et de tant d'hyperboles, quand on sait que le Caradra de Marathon ne fut qu'un minuscule cours d'eau, et que la terre accourue ne peut s'être ruée aux pieds d'Orphée que sous forme de monticules.
La lyre chante sous les doigts d'Orphée, comme coulent les louanges de la bouche divine : car les "applaudissements" ne sont que dans la traduction.
VI, 1 – 6
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Sidoine écrira tout à fait autrement lorsque les malheurs du temps l’auront astreint à plus de modestie.
Nous voulons pressentir sous les versiculets l'homme que tu as été : Divine, Diua, née tout armée d'une tête fendue : c’est le front de Zeus, d'où naquit Athéna, sa Pensée - bousculade des mots, surnaturelle conjonction de la métrique et du chaos – le français ne saurait rendre cette cavalcade de vocables.
Sidoine prête obligeamment son verbe au grand Orphée, il a trente ans, il interpelle la Divine Athénée, née du cerveau de Jupiter, accumulant dans son panégyrique tous les accouchements illustres, afin d’exalter la gloire d'être sortie du front même de Zeus, que fendit Vulcain de sa hache (césarienne expéditive ) - (ainsi le dieu étrusque frappait-il au front les morts d’un grand coup de marteau de forgeron, non pas pour les tuer comme on l’écrivait dans les manuels scolaires, mais pour pour en faire jaillir l'étincelle divine) - aux temps lointains de la guerre des Géants, Avocat, ah ! passons au Déluge. VI 08
Hélas, Sidoine énumère impitoyablement : Héraklès et Iphiklès, Lucine, déesse des accouchements, qui fit "durer les douleurs de l'enfantement sept jours et sept nuits". N'ayons garde d'oublier Danaé, fécondée dans sa tour par une pluie d'or entre les cuisses - et "le fils conçu par l'or emplissait sa mère". J'admire.
Sidoine "est le seul à faire naître Athéna-Pallas à Phlégra", qui vit la victoire de Zeus sur les Titans. C'était donc enfin le triomphe de l'intelligence, de la mêtis, sur l’hybris absolue des vieux Géants
Zeus se verrait ainsi accoucher de sa propre sagesse : les dieux sans Pallas-Athéna ne sont rien. VI, 18 « Mais la tête de ton père – patrius vertex - ne t'eut pas plutôt mise au jour, ô Sagesse, que les dieux triomphèrent plus aisément, avec ton aide.
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Le vortex paternel. Ah, frappe-toi le front, c'est là qu'est le génie. Musset disait "le cœur". Nous sommes pétris d'impuissance – presque dressée déjà jusqu'à la voûte étincelante du ciel puisque les Anciens vécurent avec le sentiment qu'il y avait là-haut une voûte, l'intérieur d'un crâne (sky/skull) dont nous étions les songes, voûte fixe et ferme, un firmament, ce n'était pas si absurde.
Grâce à toi, Pallas-Athéna, déesse naissante, les dieux surent exactement où frapper, leurs forces ne furent plus confuses - et désormais les dieux ne vainquirent plus que par ton intelligence : tu ne venais pourtant que de naître.
L’empereur Avitus, empreint de cette sagesse palladienne, retendra le ressort qui meut les deux pôles, tout pivotera comme avant. La machinerie des géants n’est qu’un brouillonde l'univers divin,- c’est ainsi que Dieu mit à bas la Tour de Babel… Existe-t-il encore une littérature à ce point baignée de mythologie ?
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Le Pinde, l'Othrys, le Pholoé échappèrent aux bras des Géants – ma danse folle au crépuscule pressant contre mon oreille le transistor qui chantait la Chanson des Géants - si la moindre personne t'avait vu ainsi baller dansantcomme un ours en plein cimetière, tu n'y coupais pas de l'asile - et l'Ossa, brusquement alourdi, tomba des mains de Rhoetus. " C’est ainsi que le Pélion fut entassé sur l'Ossa".
VI, 25-28
Égéon, Briarée (Briareus), Ephialta et Mimas, qui s'étaient accoutumés à lécher du talon le char de l'Ourse, sont abattus. Voilà bien l'agaçant : "fiers de", "étonnés de", "accoutumés à" : de simples dispositions dans le ciel, dans le paysage, assimilées à des dispositions de l'esprit, comme si un toit, par exemple, avait pu se "sentir fier" de couronner tel édifice, telle roche "éprouver de la honte" à se sentir foulée aux pieds, tel fleuve "se réjouir" de couler dans la plaine ou "s'irriter" d'être franchi…
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Avitus, Nouveau Maître, devrait précipiter ces nouveaux Titans, les vrais Barbares bien humains, et rétablira les seuls vrais dieux Romains dans leurs forteresses. Il n’est question nulle part du Dieu des chrétiens. Zt Sidoine, qui jamais ne sut se contraindre, d’énumérer les Géants aux noms coruscants, qui "'lèchent du talon les roues arctiques", autrement dit "le char de la Grande Ourse" : en effet, nous dit le commentateur, les membres des géants se terminaient par des bouches ! c'est du Topor ! du Gourmelin ! "les Titans ont tenté d’attraper le char de l'Ourse, qui s'enfuyait " !VI 27 "La belle chose que de savoir quelque chose". "Encélade", autre géant, se voit "terrassé par ton père et Typhée par ton frère" !- ces vers furent-ils proclamés ou juste écrits après coup ? Sur le point d'être atteinte ou percée, la voûte s'effondre pour notre plus grand bien, afin que par nos limites nous soyons définis sans recours. D'où sont venus ces noms ? Claudien composa une Gigantomachie : "Encélade gît sous l'Etna" – nous nous en contenterons.
VI, 21-28
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VI, 29-36
« Puis Orphée, changeant de registre, consacra tous ses chants à sa mère. Les Muses se levèrent à l'éloge de leur sœur. Scène divine et familiale bien glacée. Ainsi, les Géants, étouffés sous d'immenses pierres tombales volcaniques, ne risqueront plus de revenir comme de vulgaires zombies. C'est pourquoi nos monuments sont si lourds. Mais il faut toujours remercier ses parents : "sans eux je ne serais rien"…
...Rome se redresse aujourd'hui sous le consulat de son nouveau chef Avitus et la splendeur des fastes républicains - la question se pose, un peu tard, de savoir si réellement Sidoine croyait ce qu'il proclamait. Une récente lecture d'un érudit nommé Azaïs laisse supposer que Sidoine ne devait pas être aussi bête.
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VI, 35 / 36 : "Daigne te souvenir de nous, seigneur", Domine papa. "Moi, c'est au père de ce peuple, Avitus, que j'ai dédié ce poème : le sujet est plus grand si ma muse est plus faible - Musa mino Il nous vient Dieu merci d'autres connaissances : Avitus n'était qu'une créature de Théodoric le Wisigoth ; ce peuple en effet allait et venait depuis bien longtemps dans le tissu géographique et social de l'Empire ; les fils de Théodoric, après lui, étendront la domination gothique : Euric n'était pas qu'un tyranneau, ni son fils Alaric II. Tous deux furent de grands rois.
VI, 29-36
R. 110
VII 1 / 11
Voici ce panégyrique d'Avitus, où Sidoine reluit encore de sève fraîche. C'est de loin notre carmen préféré, celui que nous avions failli étudier tout d'abord, privilégiant l'ordre chronologique. « Ô Phébus, toi qui vas voir enfin dans ta course - in orbe - un homme que tu puisses souffrir comme ton égal, garde tes rayons pour le ciel ; Avitus suffit à la terre ». Sourires de connivences, envers ce prestigieux poète. Je voudrais entendre sa voix, savoir s'il déclamait à la Rachel, à la Guillaume Apollinaire, si son timbre était clair, cuivré, s'il y avait du vent, des nuages, ce 1er janvier 456, à Rome ; le consul élu en juillet prenait ses fonctions le premier janvier, et donnait son nom à l'année. On vivait au temps de tel et tel consul, et le numéro de l'an n'apparaissait que dans les Annales, justement.
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VII, 8 / 9 "Oui, Sénateurs, il vous plaît de voir le cumul des dignités et de confier la chaise curule, associée au sceptre" - comment croire en cela ? Existait-il encore seulement des chaises curules ? "croyez-moi, vous donnerez davantage : des chars de triomphe" – le dernier datait de Dioclétien, mort en 311…
C'était un geste traditionnel des consuls : couronner le dieu Janus "d'un double laurier" sur ses deux têtes. Mais être consul n'était plus rien. Juste un titre crépusculaire. Qui croit encore en ces légendes janusiennes ? Ouvrait-on encore son temple en cas de guerre, et le refermait-on en temps de paix ? N'étions-nous pas chrétiens depuis longtemps, quel que fût le sens donné à ce mot ? L'assemblée, chrétienne, sourit-elle de ces pesants enfantillages… ?
Certains prêtent à ce beau-père un esprit serein et contemporain ; que de réformes n'allait-il pas entreprendre, administratives, judiciaires, sociales, un vrai programme de Cinquième république ! que de réformes n'allait-il pas entreprendre, administratives, judiciaires, sociales, un vrai programme de Cinquième république ! Nous préférons encore les aspérités, les inconnues de nos premières sources aux guimauves de nos vieux diplomates.
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Le nouveau consul plaçait des lauriers sur le double front de Janus : ce dernier concluait, il inaugurait. "l'année précédente resplendit du Prince, et celle-ci, du consul".) Mais nous ne voyons toujours pas en quoi l'empereur Avitus, nommé chef des armées gauloises par son prédécesseur Pétrone Maxime, eût été plus enclin à restaurer Dieu sait quelle république : aussi enterrée que de nos jours la bataille de Marignan :"...et la trabée (toge pourpre, très ornée) rehausse le prestige d'un diadème bien gagné". VII 13
"Tu t'alarmes en vain, Muse, parce que l'Auster a frappé les voiles de notre esquif" - vent du sud ? - les Vandales en Afrique du Nord ? plausible en effet. Redisons-le : Avitus est déjà Empereur, et ce premier janvier 456, il "prend les faisceaux", comme à la grande époque. Dorénavant, la dignité impériale sera augmentée de la dignité consulaire, comme si le général en chef (imperator) montait encore en grade en parvenant au sommet de l'État républicain.
C'est véritablement se tromper d'époque. Au Ve siècle, la situation s'est inversée. Le consulat n’était plus qu’une formalité : l’empereur ne pouvait être intronisé sans consulat…" Le frêle esquif n'est plus seulement celui du petit poème jeté à la mer, mais, ici, le char de l’État, qui, plus que jamais, « navigue sur un volcan ».
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R. 112
Et, gonflé d'honneur familial, Sidoine poursuit : "Si nous sommes au début de notre course sur la mer de la Renommée, voici l'astre qui sur l'azur des flots veillera sur nous." L'astre, c'est beau-papa, le wisigophile. "Un jour, le père des dieux jeta du haut de l’éther ses regards sur la terre" : La Fontaine eût évoqué Jupin. Lisant Ammien Marcellin, nous nous apercevons à quel point cet homme révélait aux générations futures des faits qui demeureraient à jamais ignorés... Apprenant à quel point l’historien Marcellin se montre irrégulier, profus en digressions, recourant à des informateurs de plusieurs siècles (aurions-nous l'idée de nous référer à Voltaire pour connaître les mœurs des Allemands d'aujourd'hui ?), et constatant, malgré tout, sa relative survie, nous concluons que le manque de rigueur, de plan et de composition n'affecte pas l'accession à la gloire.
La fraternité, la démocratie, ne passent pas par l'égalité, car ce dernier idéal fauche toute joie de vivre ; l’ambition est la plus noble des passions, pourvu qu'elle ne soit pas la morgue. Mais Jupiter se penche sur nous, partagés entre Dieu et nos propres mérites : "aussitôt tout ce qu'il voit prend vigueur : pour ranimer le monde, il a suffi de son regard (aspexissé) ; un seul signe de sa tête réchauffe l'univers".
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Sidoine, imbibé des préjugés séculaires de son temps, les accepte comme siens. Ou bien, de simples ornements sans poids ? Faut-il lui supposer un « second degré » ? "Bientôt, pour rassembler les dieux, l'Arcadien de Tégée s'envole, à la fois des talons et du front", que nous n'allons pas nous abaisser à appeler Mercure ! - "l'Olympe ! l'Olympe !" s’écriait l'éditeur.
"A peine a-t-il atteint la plaine, et descendu toute la montagne de son aïeul, que la Mer, la Terre et l'Air ont envoyé leurs divinités propres." La note érudite précise que Sidoine imite Virgile : rien décidément chez notre homme qui ne soit de pièces et de morceaux, surtout en ces jeunes années où Monsieur Gendre passe en Classe Impériale. Il ne faut rien de moins que les dieux pour annoncer l'ascension du beau-père au trône.
En pleine assemblée des Olympiens, convoquée par Sidoine et Jupiter. Mercure / Hermès lui même descend de l'Atlas, dans les deux sens du terme : le géant Atlas était le père de sa mère, Maïa lla Parturiente : et tous les dieux d'accourir, de la mer, de toutes les contrées du monde, et tout dégoulinants : "C'est ton frère (...), qui vient le premier VII 23 toi qui as coutume de sillonner les flots doriens, Dorida, », autrement dit grecs, mot oublié , monsieur Loyen,
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mot oublié ! Il a fallu que je consultasse la traduction Jean-François Grégoire et François-Zénon Collombet (1837 !) - comment peut-on négliger Grégoire et Collombet ? … D’abord Neptune, "frère du Tonnant", sur un char vert océan, qui "fend Doris", autrement dit "sillonne la mer, répandant aussitôt la sérénité parmi les vagues étonnées ! » - il nous eût bien étonné, justement, que les éléments inanimés, les premiers venus, n'éprouvassent pas ces exaspérants sentiments si fades et si platement prévisibles, états d’âmes d’aquariums à grands coups de pinceaux détrempés. "Phorcus accompagne les nymphes ruisselantes, et là vous venez aussi, Glaucus, vêtu de glauque", il a osé !quel grouillement ! ça sent la marée ! "Puis, s'avance un long cortège d'autres divinités : Liber couvert de pampres, Mars farouche, le Tirynthien tout velu" VII 29 – tous vont y passer : Vénus nue, la féconde Cérès" – VII, 30, "Diane avec son carquois, Junon majestueuse, la sage Pallas", attributs et attitudes sur chars de Carnaval. "Cybèle couronnée de tours, Saturne l'exilé » (du ciel), la vagabonde Cynthie" VII, 32 qui est Diane - 2 prénoms à nouveau à la mode
Les références renvoient, précisément, à ce passage de Sidoine, lui-même imitateur d'Ovide. Nous nous passerons donc d'en
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savoir davantage. "L'éphèbe Phébus", pfff... "Pan qui sème la panique", récidive, "les Faunes en érection, les Satyres bondissants" Passons de l'eau au vin : le "pampreux Liber", Bacchus qui libère la langue, passons au sang versé avec "le farouche Mars" VII 29 Nous poursuivons par « Cybèle couronnée de tours" - avalanche sans fin ni trêve, quelle foule. Quelle froide pagaïe. Bazar indispensable au genre.
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"Prirent part aussi à l'assemblée ceux qui par leur valeur ont mérité le ciel" VII 34 – suit une autre énumération, celle des héros : "Castor illustré par le cheval", grand chasseur de sangliers, Pollux caestu, "Pollux par le ceste", ancêtre du « poing américain ». VII 35 De fins sourires entendus accompagnent les soupirs excédés. "Persée par son cimeterre", harpe, ce qui ne signifie pas la harpe ; "Vulcain par la foudre", puisqu'il la forgeait - jamais nous n'ouïmes dire qu'il eût été un héros, mais toujours un dieu - "Tiphys » (pilote de Jason) « par son navire", "Quirinus par sa race" (le représentant des Romains figure ici en bonne et flamboyante compagnie ; Romulus était appelé "Quirinus", "l'homme du chêne", et tous les Romains descendent de lui) ; avant de nous moquer, rappelons-nous combien les Français s'imaginent encore appartenir au Pays des droits de l'Homme,
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Nous renvoyons aux profitables articles de Ren
aud Alexandre
et Sylvain Destephen sur les panégyriques antiques, afin de voir si les mêmes éléments se retrouvent de siècle en siècle, à quelles règles strictes ou souples ils pouvaient obéir. Notre métier, vécu hélas comme une contrainte, nous dissuadait de tout fardeau supplémentaire de documentation. Il n’aurait plus manqué que cela. À présent nous voici tout barbouillés sans possibilité d’infiltration profonde : "Qui pourrait chanter ici-bas la cour céleste dont les astres eux-mêmes forment l'étincelant pavage ?" VII 38. Texte ingrat, qui ne peut se sauver que par la digression : il faudrait se référer aux cosmologies antiques. Mais ce serait bien de l'érudition pour tant de carton-pâte versifié, sur lequel roupillent pour moitié ou deux-tiers de Goths, peu versés en mythologie romaine - combien de temps avant le festin ? ...
"Le Père des dieux, plein de sérénité, prend place sur son trône" VII, 39 : courbette au beau-père ? "...puis, s'assoient les principales divinités", priores consedere dei, voir plus haut. "Il fut même donné aux fleuves de siéger en ce lieu, mais seulement aux anciens - senibus." Aurons-nous du moins des indications sur l'étendue de l'autorité romaine ? Parions : le Tibre, le Rhin dont on brise la glace
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pour boire, le Danube et l'Euphrate : "à toi, Éridan, au cours majestueux" – VII 42 c'est le Pô, où se couche le soleil, dont nous trouvons ici l'ancien nom ; "à toi, Rhin impétueux, que les blonds Sicambres brisent pour emplir leurs coupes" - le commentateur précise après tant d'autres que ces derniers sont depuis longtemps fondus dans la fédération des Francs. Et combien nos vieux cuistres n’auront-ils pas radoté ! Remi baptise Clovis en disant Courbe-toi, fier Sicambre : l’authenticité de ces paroles n’est pas contestable. Nous aurions aussi bien appelé Chirac « le Gaulois"ou « le Lémovice »
Le dernier fleuve est donc l' "Ister" ou Danube gelé bord à bord foulé par les chevaux des hordes vagabondes un certain 31 décembre 406 – leurs descendants sont là, devant Sidoine, et un instant se désassoupissent… Ce sont là d'impénétrables visions, des tableaux féeriques, d'un exotisme échevelé s'il n'avait pas déjà plusieurs couches de fards versifiés.
Les Romains s'avisent à nouveau d'un monde extérieur hostile. Coincé entre la sauvagerie nordique et celle du monde brûlé de l'Afrique - encombré de légendes jusqu'à l'asphyxie. Nulle évasion possible. Le traducteur semble toujours interpréter, boursoufler ses phrases. Sidoine déclamait-il, en respectant une cantilation liturgique, ou bien s'exprimait-il avec mesure ?
R. 116 Reste le Nil, "connu surtout pour ta source inconnue", détestable pointe - il suffisait de traverser le lac Victoria, en amont duquel plusieurs
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cours d'eau revendiquent le nom de Nil. Mais une stèle pharaonique avertissait que tout Noir franchissant la limite boréale serait mis à mort, par sa couleur seule. Les Anciens ne risquaient donc pas de découvrir de sitôt les sources du Nil (au Burundi).VII 44Voici qu'on nous annonce une "Prosopopée de Rome ": la ville éternelle sous vos yeux, comme si vous y étiez.
Prise en 410 par Alaric, en 455 par les Vandales C'est alors qu'on vit au loin, procul, descendre des hauteurs célestes Rome au pas traînant » dans ses pantoufles de vieille avachie jusqu'aux seins, « tête baissée, les yeux à terre" VII 45 47 – atterrant - Claudien nous dit-on figurait déjà cette prosopopée de Rome divinisée, mais elle ne s’adressait qu’à elle-même… Chez Sidoine, considérer la vieille Rome suppliant l’Aurore d'envoyer Anthémius à la tête de l'Empire nous comble à l'avance d'une immense benne de cendre... - "ses cheveux pendent du sommet de sa tête, couverts de poussières et non d'un casque – tecti puluere non galea ; à chacun de ses pas chancelants, Rome heurte son bouclier et sa lance n'est qu'un poids mort, non plus un objet d'effroi" – à présent l’image suffirait seule à de telles décrépitudes ; nous ne décririons plus ces « crins pendant » : les accusés se présentaient ainsi devant les tribunaux, ce que nous jugeons indigne - Rome plie le genou devant Jupiter - voilà bien 200 ans que l'Empire est chrétien – condamnée par l'Histoire.
VII, 39-49
La déesse s'embarrasse dans sa lance, « qui transporte son poids et non plus la terreur » VII 48/49 car c'est ainsi que le déclin voit les choses : « le bouclier se colle à ses pas chancelants ». Voici longtemps que l’Empire n'est plus au nord qu'une passoire à Goths, Hunniques et autres. Mais il faut l’exhiber sous un jour
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pitoyable afin de rehausser le prestige de Celui qui la relèvera, le Gaulois Avitus. Les Grecs croyaient-ils à leurs mythes ? Paul Veyne. "Ils y croyaient et n 'y croyaient pas - comment croire au corps même du Christ dans l'hostie? ..pour les protestants, seule notre foi le garantit.
Ce ne sont plus pour le poète que des ornements et des panoplies dont nous aurons la vue bouchée pour plus de dix siècles : « Je te prends à témoin », dit Rome, Père sacré (gros bruit de ferraille) « et toute cette puissance divine que moi, Rome, j'ai possédée » un jour en haut, un jour en bas : cliché connus de tous.
Heureux les humbles ? que non pas. Car l'homme veut s'élever. C'est de sa nature. A la fin il aspire à ne voir que Dieu, et persécute le tout venant.
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"Que m'annonça, dis-moi, l'haruspice toscan avec ses douze vautours ?" - vision obsédante, source jadis de joie et de fierté, les douze siècles de grandeur sont acomplis, les vautours ont fini de tourner.
De même, les sept jours fondateur dans la Genèse ne se sont-ils pas déclinés en sept périodes ? Non, douze siècles sont douze siècles, pas un de plus, ni de moins. « Cette crainte était assez répandue."
."Ah ! pourquoi me suis-je enorgueillie des présages quand j'ai jeté les premiers remparts de mon peuple et que tu ouvris, humble Romulus, le sillon de mon enceinte sur les hauteurs de la colline étrusque ?" VII 56/58 - mais nous avons honte, nous autres Français, de la victoire d'Austerlitz. Incapables de regretter le « bon vieux temps de la gloire ».
« Mon épée m'assurait plus de tranquillité, quand le tourbillon joint (et non pas les très plats "assauts conjugués") "des Rutules, des Véiens, puis de l'Auronque, de l'Èque au totem de cheval, sans oublier l'Ernique et le Volsque,
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cherchaient à m’écraser. J'étais déjà bien grande, même à tes yeux" (ceux de Jupiter) quand une femme rompit son corps par le fer ("perça d'un poignard son corps souillé") et que, joint à cette chaste blessure tu revins, honneur perdu" - le viol de Lucrèce, bien sûr !VII 61/63 Les mythes ressassés finissent par lasser - « déjà vient le temps où Tarquin et ses alliés étrusques" (forcément, Tarquin l'était lui-même...) "m'enfermèrent dans mes remparts" – avocat, ah ! passons au Déluge. Tes lamentations me font chier, entends-tu le ploc lourd des étrons dans la fosse ! VII 65 l'assistance soupire , car le festin (bis) nous attend ! "Ah douleur ! Pro dolor ! Ricaner, ou rouvrir les bouquins poussiéreux, notre choix n'est guère vaste. "Et Coriolan qui massacra le Volsque en fuite, et le dictateur sorti d'exil qui mit en déroute les Sénons ?" Les exploits de ces grands hommes, tous militaires, s’enseignaient aux enfants romains comme autant d'articles de foi.
Ainsi pour nous les Taxis de la Marne ou la légende de Jeanne d’Arc, l’imposture qui dure…
R. 118 Mea redde principia
"Ah ! " ou "Oh" ! brasier de Mucius ! pro Muci ignes ! pro Coclitis undae ! VII, 65 étranges exclamations ! noblesse exaspérante ! pompeuse distribution des prix ! Gurgès, "qui soumit à mes lois le Samnite", qui ne se lavait jamais l'arthrite ! Marcius Coriolan, qui refusa de fouler le corps de sa mère, Ludwig opus 62, Sidoine VII 68 ! - et le défilé continue "Je revoudrais, dit-elle, "la vie de Fabricius’ (il refusa de faire empoisonner son ennemi), la mort des Decius" (père, fils et petit-fils : les Decius Mus, les Trois Souris) –(aussi rebattus que notre "Liberté, Égalité, Fraternité»
"Je voudrais » clame-t-elle, « ces victoires ou ces nobles défaites", VII, 70 bel et rare alexandrin sous la plume de notre traduttore Loyen. Le texte est en effet passé à l'énumération chronologique, lieux communs à bout de souffle – de même s’épanouissent de nos jours nos inépuisables dictionnaires et
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commémorations - "rends-moi mes principes", mes fondamentaux, redde mihi principia. Il s'échappe parfois d’Apollinaire, Sidonius, des bonheurs d'écriture. "Hélas ! où sont maintenant les pompes « et les riches triomphes du consul pauvre ?" La distribution des prix vire au monument aux morts : Cincinnatus le Bouclé, ce grand propriétaire qui jamais de sa vie ne toucha la charrue ? "La pointe de ma lance » poursuit Rome « a porté l'effroi sous le ciel libyen" – après l’histoire, la géographie – au-dessus des "greniers à blé" de Rome – « au perfide Carthaginois j'ai imposé trois fois le joug » - c'est bien à Rome en vérité d’invoquer la perfidie punique, elle qui proposa que la ville portuaire fût reconstruite 40km à l'intérieur des terres… " Les déclinistes d'aujourd'hui feraient pâle figure…
Ne reste plus à Rome que la gueule et le carton-pâte. Ces formules creuses, inadaptées, n'ont-elles pour autant aucune grandeur ? Les Teutons, « Teutsch », les Cimbres ou Kimmériens, n'apprirent-ils pas à Aix ou à Verceil en – 101 que la terre qu'ils exigeaient se trouvait justement sous leurs pieds, où il faudrait les enfouir ? L’illusion des Romains venait, comme à présent de nos jours, d'un prétendu héros, qui remettrait le monde en ordre - déni pathétique. Vae mihi ! Redressez le rempart de tous ces noms qui firent jadis la gloire de Rome, répandez sur sa tombe les couronnes qui l'ont transformée à jamais en immense mausolée ! VII 78 : "...Quelle était ma puissance lorsque Scipion l'Asiatique, Curius, Paulus, Pompeius "imposaient à Tigrane, Antiochus, Pyrrhus, Persée, Mithridate, la paix, l'abdication, l'exil, la rançon, les chaînes, le poison."
Alors, Sidoine se surpasse : par un vibrant appel aux morts, à Curius (Dentatus, le Dentu) cuisait des navets, et préféra commander à ceux qui avaient de l'or. Comme on lit les victoires sur l'Arc de Triomphe. Que d'autres fassent la fine bouche. Sidoine s'enlise, tartines, versifie pour ne rien dire, énumère des tribus dont le seul nom fait frémir. : "Je ne dis rien du Sarmate (Sauromatem, du Don à l'Oural), ni du Mosque (?), sans oublier les Gètes qui tètent du sang - quant aux Parthes, ils partirent : mais c'est surtout alors qu'il faut les fuir, lorsqu'ils s''enfuient" – la pointe est dans la flèche…
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. Nous ignorons si les panégyriques étaient scandés d'applaudissements enthousiastes, mais ces deux énumérations eussent pu l'être, voire debout ; "Et ce ne sont là que mes exploits terrestres », poursuit Rome ; qui se gargarise de ses exploits ressassés. « La Terre entière ne te suffit pas : tu franchis les océans, toutes armes flamboyantes, jusqu'aux peuplades du soleil couchant. VII 88
Ce sont les Césariens, qui ont découvert de nouveaux rivages. ."César a porté mes armes victorieuses jusque chez les Bretons de Calédonie et il cherchait encore des ennemis, quand les bornes de la nature lui interdisaient de trouver désormais des hommes" coriaces : « …et tout là-bas aussi la terre avait des habitants. Il a mis les Scots en déroute? enquêtons : les Scots sont venus d'Irlande vers l'Écosse, après le retrait des troupes romaines, au Ve siècle.
Sans doute les Romains les ont-ils affrontés. Mais devant ces grands roux aux yeux verts, il avait fallu édifier un mur, derrière lequel les Scots demeurèrent insoumis. .
Ce passage est "farci", dit-on note 20, "d'anachronismes et d'erreurs géographiques et historiques". Sans nul doute. César ne dépassa pas le nord de Londres. Passons à Octave Auguste : "Leucade t'a vu, farouche Auguste » (au nord d’Ithaque), briser la puissance du Phare" (l’Égypte cléopatrique). Du nord-ouest au sud-est, tout tremble devant Rome ! La mer était calme et stagnante, c'était au large d'Actium, un certain 2 septembre de l'an - 31. Nous sommes aussi en - 31 - mais avant qui ?
Rappelons que la victoire navale d'Actium fut due à d'habiles manœuvres ; que la pharaonne Cléopâtre avait épousé son frère, comme il était coutume en Égypte ancienne, car les Dieux aussi se mariaient entre frères et sœur. Cléopâtre entraîna dans sa fuite l'ivrogne Antoine. "Et alors qu'autrefois je me plaignais des limites trop étroites du monde, stricto (...)
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cardine mundi - points cardinaux - désormais la ville même de Rome n'est plus pour moi un rempart." VII 97 Mais "nous avons changé tout cela » : ces Romains ! quels fascistes ! Sidoine Apollinaire, malgré ses prétendues infériorités, n'en est pas moins l'un des témoignages du sentiment d'abandon qui règne sur notre monde. Après cela, seuls les Papes relevèrent le prestige de cette bourgade ruinée.
L'Empire Romain ne pourrait plus être que bigot. Il ne comprendrait plus la partie sud du Mare Nostrum, agrandie en revanche de toute la Germanie, d'où le Saint-Empire Romain Germanique, anéanti bien plus tard d'un trait de plume par Napoléon... VII 86 98
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Se rappeler deux choses : Alexandre jadis, tenant entre ses mains une carte du monde (ou peut-être une sphère) se plaignait qu'il fût trop restreint pour son ambition. Deuxième rappel : la limite de Rome avait été jadis franchie d'un bond, par-dessus le sillon fondateur ; le sauteur sacrilège, Rémus, fut occis sur-le-champ par son frère Romulus. D’aucuns prétendent que Rémus, blessé, parvient à s'enfuir et fonda la ville de Reims ; mais cette version n'apparaissait que sur les emballages de biscuits.
sC'est ainsi qu'un poète écrit l'histoire. Pourtant la destinée de Rome ne fut plus républicaine mais confondue avec ses Chefs : je suis toute dans le Prince", sum tota in Principe, tota principis, "j'appartiens au Prince". Le Prince, entendez l’Empereur, Premier du Sénat. Les rois furent chassés, les empereurs sont venus, les droits du peuple s’étant effondrés d'eux-mêmes, soudain caducs.
Les Romains de Sidoine, douze siècles plus tard, n’ont su conserver cette gloire passée - nous nous gargarisons bien, de même, nous autres Français, de nos fameux "Droits de l'homme" dont nous serions les instigateurs. Les Romains, pour l'éternité, restent « les troupes casquées de la liberté disciplinaire. "
"Et depuis César, je deviens un lambeau d'empire"... VII, 103.
..."moi qui en fus la reine". Ici le discours se fait compact et mystérieux.
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VII, 104 / 110
Chaque empereur alors est rappelé d’un détail qui fait mouche : Tibère se fait sucer dans sa piscine, Caligula se chausse de caligas ou sandales à clous, Vir morte Nero, "Néron qui ne fut homme qu'à sa mort". Belle concision. Galba et Pison, qui n'ont joui que si peu du pouvoir, trouvent aussi leur place. Quel récapitulatif. Quelle crasse cognitive. Nous apprenions naguère à nos disciples toute cette série d'empereurs. Vitellius ne faisait qu'engraisser : "hideuse goinfrerie", « un ventre qui malgré la brièveté de son règne périt trop tard encore, sero perit » - chacun en eut son morceau, déchiqueté qu’il fut par la foule - que d'heures avons-nous passées à enseigner l'histoire des Romains, en dépit des mortifères interdiction hiérarchiques.
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Vespasien, Titus, Pompéi et le sac de Jérusalem. L'Histoire est un contes de faits - « je fus alors la chose de Vespasien" - lui qui ne nous laissa que les vespasiennes à ronger, avec sa tête de pousse-pour-chier. Domitien n'est pas mentionné : sa mémoire fut maudite. Puis vint l'apogée de l’Empire : Nerva adopta Trajan ; on adoptait même des adultes. La paternité se comprenait mieux sous forme juridique et religieuse que sous forme spermatique.
Trajan fut le meilleur des princes. « Honnête, infatigable ». Il mourut à Sélinonte, chez une vieille femme qui refusa de croire que ce fût lui. Rome regrette encore ce règne béni, Sidoine voit pour finir Avitus, son beau-père, en successeur de Trajan, poussé par le souffle de la Gaule, ou plus exactement des Wisigoths aux gros renvois d’ognon : Avitus, le collabo...
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VII 118/128
Nous habiterons la douleur et le deuil, et nous serons priés de penser aux bonnes choses, sans plus. Les dieux sur nous se sont penchés jadis, Romulus fut déifié - en 455 enfin, « la Saturnienne se laisse fléchir » : Junon, fille de Saturne, sœur et femme de Jupiter. Voici ton empereur, ton Avitus, avec tampon de certification divine. Tu as su repousser maintes fois l'ennemi, consulte tes statistiques, enchaîne les calculs de probabilité : je vais (dit le poète) récapituler toutes les fois où tu as vaincu : après les triomphes, les beaux redressements. Tout reviendra. »
Jamais.
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...Second catalogue, Porsenna l'Étrusque en fuite, le soldat Coclès qui nage sur son bouclier...
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La falsification perce au vers 129, car Brennus (« Malheur aux vaincus ! ») ne s'est pas retiré de Rome : après avoir massacré les sénateurs, il avait obtenu son butin, sans être inquiété. Les Senons (de Sens?) n'étaient que des pillards, sans foi ni loi. « Mais Hannibal, plus tard, nous l'avions bien repoussé ». Déjà pourtant le camp carthaginois « se tenait tout proche de nos murs », quand « la foudre accourut devant la porte Colline » (au nord). Rome s’est relevée, sept siècles plus tard, au Vatican, dévoratrice, mais plus jamais guerrière. « Lève tes lumières torpides » ô Rome, « tes yeux languissants » VII 134-
Rome, on s'étonne de tes défaites - que tu te redresses, rien d'étonnant. Le poète à lui seul redresse la Déesse abattue - mais il est des phénomènes naturels contre lesquels la médecine ne peut rien. La patrie s'affaiblit ? ...l’Auvergne, parfaitement, irriguera tes veines épuisées – non - la greffe arverne jamais n’a refécondé la souche romaine...
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VII 143/162
Semences donc « trop lentes. Même en Limagne, à l'est de Clermont. L’Arverne (149) est l'unique espoir du monde, et non pas la Croix. L'Arverne ou Auvergnat sera donc le sauveur, comme jadis l'âme de Vercingétorix, mais en sens inverse ; nous sommes à présent sous Avitus, pour régénérer le Latium. Nos Gaulois pourront-ils renverser le sens de la faveur divines ? ...Que ne feront-ils pas, eux qui furent capables de refouler dans leur camp les meilleurs soldats d'il y a cinq cents ans ? Gergovie, en tête de vers (152) s'appelle aujourd'hui Merdogne. Les Romains, « résistant avec peine », faillirent se faire déloger de leur propre camp. « Mais si j'ai voulu que les Arvernes fussent si forts, c'est que je destinais Avitus à marcher sous ta loi, ô Rome. » Les Arvernes, derniers à accepter le joug de Rome, furent aussi les derniers à le défendre.
Avec Avitus, le Gaulois pouvait encore se faire illusion. Nous avons remonté puis redescendu le cours du temps. Sidoine rappelle tous les ancêtres de son glorieux beau-père, en vers abstrus. Que d'ancêtres ici entremêlés, dont Philagrius, arrière grand-père, fut le premier maillon.
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On n'appellera plus tes aïeux par leur nom, mais par rapport à toi : Grand-père ou Grand-oncle d'Avitus. Ô rengorgements ! Loin de te glorifier de la gloire de tes ancêtres, c'est toi qui fais rejaillir sur eux ton éclat d'à présent » - de qui suis-je donc l'obscur bisaïeul ? avant quel Christ vivons-nous ?) - « je chante les armes et l'homme » disait Virgile: « Toi seul , Avitus, » conclut Sidoine, « ennoblis tes aïeux. Je veux faire connaître les exploits d'un si valeureux héros, tanti / gesta viri, et retracer brièvement ses premières années ».
Soyons bien pompeux. Encensons le ventre rond de sa mère. Sombrons dans l'emphase. Laissons à Jupiter le premier rôle (nous l'avions oublié : la première personne du singulier, c'est lui – mais personne n'y croit plus) - la panoplie olympienne encombre les poètes pour plus de mille années encore. Si le père est effrayé, c'est de voir son enfant promis à la gloire, des serpents, des torrents de feu ? rien n’est précisé : « des augures favorables »… - Pour justifier ces présages, le père d'Avitus va donc forger sa progéniture à la dure – autres clichés : courir nu-pied dans la gelée blanche et casser la glace avant de boire.
R. 128
VII 176/197
Le futur empereur, dont rien en fait n'a laissé entrevoir l'avenir, commence par « l’illustre Cicérons », avant de se lancer dans les combats de massues ; à défaut de la guerre, la chasse, dès l'enfance. VII 178
Sidoine ici se surpasse : il nous apprend d'abord que le gibier est enragé, une femelle aux « babines ensanglantées » qui surgit devant notre jeune homme à peine sorti de l'enfance, sans armes (« trop jeune ! ») - mais comme « des fragments » (de rocher) se trouvaient là, sur le sol, ce héros en balançe un bon bloc sur le rictus verdâtre d'une louve - « le roc demeura dans la blessure ». Ce que Sidoine n'a pas relevé (le voilà déjà dévié sur Hercule, brute proto-humaine) c'est que la louve, avant d'être un fauve, représente aussi la nourrice de Rémus et Romulus : ceux-là tétaient le lait, Avitus en aurait-il tété le sang ? Tremblons, lecteurs assoiffés de lutte : Avitus le Gaulois règne son compte au sanglier, l'étrangle à mains nues comme un simple lion de Némée. Avitus subjugue les dogues avec un collier de chaîne et leur enseigne à débusquer les fauves, feras, de leurs tanières, la truffe permet de repérer à l'odeur,
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sans traces matérielles : miracle du flair ! jusqu’où le louangeur ne s’abaisse-t-il pas ! !
La seule tache de poésie est ici de nommer les boutoirs de la bête les « lunes », blanches sous la gorge noire, traduite par «hure ». L'arme du chasseur, c'est l'épieu qu'on enfonce, en un coït mortel. Alors, en un raccourci prodigieux à travers les siècles, Sidoine nous présente l'idyllique, le préhistorique tableau du mâle qui revient de la chasse, ô Lucrétius ! sous les regards béats de sa famille, présentant la sotte hure hérissée réduite à la mutité.
VII 176/197
VII 198 / 204
Vite, vite, une comparaison, poétique : le défilé du coucou suisse au grand complet.
Sera-t-il dit que tout matamore paradant avec une tête de sanglier (pas la sienne) nécessairement montera sur le trône !
Oiseaux divins que la nature donne et divulgue afin que le peuple connaisse l'avenir ! Mais c'est lui, Avitus, qui aime les oiseaux, les volatiles, pour les tirer ! « La chasse aux faucons », nous dit la note, devenue courante en ce temps-là, restait inconnue de Rome jadis… Avitus de Beaucaire améliora la chasse au vol, au point de l'avoir inventée ! coups de becs à travers les nuages, per nubila !
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R . 130, mot 44 : praestat, vers 211
VII 206/211
Avitus « vainc les oiseaux par le vol », à tire d'ailes. Ensuite, le chasseur lui subtilise sa proie. Quand on sait chasser à ce point, les Grands de ce monde ne peuvent que venir vous trouver pour monter sur le trône. Chasser, pêcher, empaler d'innocents asticots : quel prestige...
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Avitus intervient donc : jeune, isolé, il obtint en 418 l'abolition d'un impôt punitif, pour avoir soutenu l'usurpateur gaulois Jovin, qui n'a régné que quelques mois en 411 avant d’être exécuté à Narbonne. Ainsi l'incapable empereur Honorius put-il continuer son règne. Mais cet impôt coercitif n’avait pesé que cinq années.
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Honorius (384 – 423) avait associé au pouvoir l’époux de sa sœur Galla Placidia : Constantius, ex-adversaire du Gaulois Jovin. Et c'est ce même beau-frère qu'Avitus, Gaulois, ose affronter. Constantius (qui promettait la vie sauve aux usurpateurs, puis les exécutait), admire ce jeune Avitus aussi sage qu'un ancien ; donc, Rome, sèche tes larmes : tu as devant toi un maître négociateur, un chef, Duce, VII 214 - mais bien que les pouvoirs balayent les usurpateurs, les Goths se sont installés sans demander : il convient de les ménager. Ils ont persuadé Avitus de se hisser sur le trône impérial. Au moins, celui-ci n’est pas romain, mais gaulois…
Sidoine mentionne cet accord d'installation des Wisigoths. C’est Théodorus, « otage de haut lignage », livré par les Gaulois au prédécesseur de Théodoric (Wallia, son beau-père), qu'Avitus, plus tard, sous le règne de Théodoric, exige à présent de récupérer dans son entourage, car il serait de sa famille. Avitus, vêtu paraît-il à la romaine (qui peut l'affirmer?) se tient désormais devant toute une cour wisigothe en peaux de bêtes. Il affronte ces fauves apprivoisés de frais, installés de même. Il n’est pas encore couronné. Face à lui, son ami le roi des Goths,Théodoric Premier, « Wisigoth » (qui n’est pas Théodoric le Grand, « Ostrogoth », ) à Toulouse.
Théodoric a déjà mérité son égalité, avec ce que les Romains présentent de plus noble. Mais il n’est pas un agneau qui se jette dans la gueule protectrice du loup romain : « C'est ta tendresse qui plut au roi farouche » - Sidoine construit, le traducteur badigeonne : « (chose admirable…) que pour avoir été délicat, tu aies plu à ce roi féroce ». Avitus « peu à peu apprend à t'apprécier pleinement » « et du fond de son cœur et de ses sens il veut que tu soies à lui » - Avitus, vouloir ?
« Mais tu méprises », ô Avitus, « de traiter plus haut un ami qu'un Romain ».VII 225 Avitus, condescendant ? L'analyse, à bout de souffle, cherche en vain une caution antérieure, de sept siècles : « C'est ainsi, Pyrrhus, que tu voyais Fabricius « inflexible » - mais le Romain d’alors, un vrai, parlait en vainqueur… tandis qu'Avitus n’est qu’un protégé… VII 228.Tu es pauvre, ô mon cher ennemi Théodoric. Tu veux acheter la protection romaine… tu n'es qu'un roi - ton or est sans valeur, « pour un Romain ». Les contorsions de Sidoine pour faire accroire que les Romains maîtrisent la situation, grâce au respect qu’ils inspirent encore, n’inspirent en vérité que la pitié.
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Placé sur le trône par Théodoric Ier, Avitus tiendra moins d’un an, écrasé par de vrais Romains : Majorien passé sous les ordres d'Aetius (« Écius »), avec le concours de mercenaires « Scythes » ; Aétius avait vaincu maintes peuplades aux noms retentissants : les Juthunghen (du Jutland en Bavière), les Vindélices en Bavière aussi. Les pompiers courent d'un feu à l'autre, aux frontières toutes proches…
R. 133VII 236 / 244
Chaque tribu défile encore, longue chute malgré la course de l'un, les javelots de l'autre, « la natation des Francs, le bouclier cliquetant des Sauromates, race de lézards ? VII 236 Quant aux Scythes, ils étaient juste bons à se réfugier comme alliés dans les rangs des Romains, qui les tenaient en laisse bien sûr… - des races multiples : les Sauromates, devenus invincibles depuis qu'ils sont sous les ordres romains… Le Salien au pied solide : vaincu lui aussi, enrôlé ! Avec le Gélon, fameux par le maniement de la faux!
En vérité, la chose est plaisante.
Les Romains digèrent, assimilent, toutes les supériorités d'autrui ! mais tant de germes les contaminent, que vous ne pourrez plus les extraire ; ils se combattent l'un l'autre, mêmes armes ici ou là, et Rome suffoque sous ces sangs-mêlés, s'imaginant les dompter : « Tu surpasses enfin, pour l'endurance aux blessures, ces guerriers », mercenaires barbares, qui, dans l'affliction, cachent leurs larmes dans le sang de blessures volontaires » : ils « se labourent les joues de leur lance et rouvrent, sur leur visage menaçant, les rouges cicatrices de leur plaie. »Le texte est beau.
C'est ainsi que l'armée romaine joue au « creuset des nations », ce qui risque d'amener au même résultat que notre « vivre-ensemble ».
Adoncques, oyons le « Combat singulier contre un guerrier hun de l'armée de Litorius ». Plus de 50 vers : « Dès ces premières campagnes » ne correspond pas du tout au texte latin. « On lui confère à lui, tout fier, le titre d' « illustre ». autant dire de Haut Dignitaire : « Avec sa cuirasse d'écailles » si commune ensuite, et « portant le visage blafard » – sous la rouge aigrette d'un grade élevé - Avitus, pas encore empereur, « rapporte chez lui ses armes ternies par la vie des camps », dans la cité qui deviendra Clermont.
VII 236/244
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VII 244 / 260
« De nouvelles guerres « éclatent « , Avitus Superman, toujours pas empereur, a repris du service. Ce jour-là, dans l’armée « romaine » de Litorius, qui a vaincu la « bagaude » armoricaine (le « bagad ») - ce sont des bandes agglutinées de marginaux, de vagabonds armés, pillant tout ce qu’ils peuvent. Telles sont désormais les missions des généraux. À moins qu’ils n’affrontent des barbares avec des troupes d’autres barbares : Litorius emploie des cavaliers « scythes », autrement dit « hunniques ». Et ces mercenaires ne se gênent pas pour dévaster le pays arverne, se comportant « comme en pays conquis »...
L'armée romaine de Litorius apporte bientôt plus de ravages que l'ennemi. Pourtant Litorius est un lieutenant d'Aétius (« écius »), vrai Romain de la Bulgarie romaine. Or un de ses grand barbare, « plus brute que les autres », tue un Serviteur d'Avitus l'Arverne. Parvenu sur les rives du Styx (plus solennel qu'un enfer chrétien) le Serviteur sait déjà que l'autre partie de son propre corps, le maître Avitus lui-même, viendra le venger, Avitus, plus Arverne que Romain, personnellement atteint, se déchaîne, bondit, crie « aux armes ! », dégouline de sang, s’émousse le glaive sur les Barbares et taille dans la viande. C'est à ce prix sans doute que sera sauvé Empire Romain.
Les portes s'écartent – que dis-je, Avitus « arrache les portes de leurs gonds », carrément, « le Courage, la Douleur et l'Honneur lui font escorte ». À Rome, il est héroïque d'affronter la mort, surtout quand on va la donner, la porte elle aussi est sortie de ses gonds…
R. 136
VII 269/278
Sans répit Avitus attaque à coups de pique ses propres alliés, les Huns, et par le trépas d'un grand nombre, « il compense le fait qu'un seul homme lui reste caché ». Et comme rien ne se fait sans illustre modèle, c’est Achille en personne que l’on évoque, « en quête du Phrygien Hector. Ces « viles hordes », il les « rue à bas », le sol s’alourdit par le sang répandu.
R. 137
On livre au grand homme le fauteur de trouble. Avitus va montrer à ce barbare boréal de quel bois gaulois il se chauffe. Et encore », ajoute-t-il, je suis bon : « Déjà ma colère t'a beaucoup accordé ; et si j'avais écouté ma virilité, tu serais déjà mort. J'ai accepté que tu te
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battes – à présent je t'ordonne de cesser. Il est bon de tuer quelqu'un qui se bat. »
« Ainsi dit-il » Il saute en plein milieu, en terrain découvert. L'adversaire ne se dérobe pas. Et sitôt que les poitrails s'affrontent, la foule frémit de désirs adverses » (peut-être bien que l'on parie), et, suivant de près tous les coups, « reste suspendue à l'évènement » - premier assaut, deuxième assaut, troisième assaut: le futur beau-père transperce de sa lance haut levée l'homme sanglant «Il atteint les confins du dos, « ayant rompu son thorax deux fois transpercé » (à l'entrée, à la sortie).
Et ce n'est pas seulement le thorax, mais bel et bien la cuirasse qui se trouve transpercée. Et la double blessure met fin à cette vie hésitante : obligeamment, le traducteur précise que cette vie-là se demande par quelle blessure elle va s'échapper. Avitus a passé l'épreuve physique. Reste l'épreuve diplomatique.
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Il devient donc Préfet des Gaules. C'est assez dire son prestige. Et c'est toujours Jupiter qui parle, et prononce le serment par le Styx : « Je t'en prends à témoin, sombre Styx » - temet, Styx livida, testor - « le héros fut l'un de mes Préfets » - la Gaule, la vraie, « pâlissait devant la colère des Gètes » autrement dit les Goths, le Préfet honore l’ années 439.
Avitus va remettre tout en ordre.Récapitulons : l'invasion s'étendait librement, les troupes romaines, composées de Huns, ne sont pas les dernières à tout ravager. Litorius et ses cavaliers s’était efforcé de reprendre Toulouse aux Goths, mais fut capturé, exécuté par les Goths. Il n’empêche que les Wisigoths de Théodoric Ier ont éprouvé une crainte extrême, et « rien n'est plus redoutable qu'un homme qui a eu peur », formule à graver dans mes tablettes.. Il ne te reste rien, ô Rome. Ta couronne est tombée dans le crottin hunnique de tes propres alliés. Mais Avitus, argu-ant de sa double appartenance d’âme, romaine d’une part, « wisigophile » de l’autre, a renouvelé le traité » : celui de 418, qui donnait l'Aquitaine aux Wisigoths ; cela finira par apaiser Théodoric Premier, bien fâché d'avoir eu peur. Avitus ne doit pas vraiment en être la cause…
Mais les Goths veulent encore une frontière rhodanienne…
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R. 139
VII 309/321
• «Il suffit que tu aies ordonné ce que sollicite le monde », quod rogat orbis. Tu es, l'incarnation de l'ordre-des-choses, du bon-sens, et de la Ville, de Rome, qui elle seule concentre la volonté de l'univers ! VII, 309, 64 06 30
• « Une lettre d'un Romain annule tes victoires, ô Barbare. » Le papier contre l'épée. Quel homme que cet Avitus. « Que les armes le cèdent à la toge ». Très beau. De Cicéron. En attendant, ledit Barbare, paraît-il terrifié, se cure les dents. Avitus fut aussi important contre les Wisigoths que Sarkozy dans le conflit géorgien, bien oublié. Le brave Avitus peut se pavaner sur ses chiffons de papyrus. Il applique les lois, il les inspire. Le voici Préfet du prétoire. Autant dire de nos jours Général de Division de la garde républicaine.
Avitus Beau-Papa sera prince, chef, empereur et même impérateur. Avitus, connaisseur des combats cruels ? ou marionnette de ce Théodoric II ? incapable ? un docte spécialiste du Grand Siècle, j'entends le XIXe , assène que les Panégyriques ne furent que zéro, littérairement parlant.
• Certes. Mais encore fallait-il préciser que nombre de détails historiques, même vus par le Beau-Fils, nous restituent, malgré la brume et l’emphase, une réalité narrative. Juste avant Attila. Sidoine Gendre put s'adonner non pas à la culture des choux, mais au retrait à la campagne, dans ses terres, pour se livrer au fameux cher otium d’Horace et Pline : lettres, lectures, poésie. Et dans ce ciel à peine voilé, l'invasion de ces monstres pourtant abondamment utilisés comme auxiliaires, les Huns – d’autres Huns. Voici les Nords, les Ours, les Arctiques – jusqu’au XVIIIe siècle, « l’Est », diplomatiquement, c’est « le Nord » . VII, 309/321.
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VII 322/330
C'est une avalanche, une précipitation de Barbarie : le « Ruge », le « Gépide » qui suit, sequitur, le « Gélonien », tous au singulier, autant d'individus vagues, affublés d'adjectifs rugueux, autant d’allégories, tous issus de l'infernal chaudron des malheurs - qu'importent s'ils ne sont pas géographiquement repérés ou onomastiquement justifiés : ça débaroule, ça
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débacule, le Hun, le Bellonote (d'où sort-il?), le Neurien de (pas encore) Namur, si difficultueusement par César écrasé, « le Bastarne » (entre Carpathes et Dniepr) – mais tout cela, c'est du Barbare.
Ces gens-là voyez-vous se mêlaient, se mêlaient, sécessionnaient, obéissaient à tel chef puis tel autre, demande-t-on à chaque insecte son essaim d'origine ? « le Bructère se déchaîne », il sera plus facile de vaincre tous ceux-là, chaque peuple avec son défaut, son arme, sa tactique, son point faible. Tibère avait vaincu les Bructères. Rome, c'était l'Un. Les Barbares, c'était l'Autre. Nécessairement vaincu, victible. Rome l'Unifiante cédait à l'assaut des vermines aux noms hérissés de mandibules et de consonnes. Le Franc (déjà Clovis est en vie) se voit attribuer un vers entier, lui « dont le pays est baigné par l'eau du Neckar couvert d'ulves » - un trait de nostalgie, c'est bien beau, le pays des Francs, bien traître, enveloppé d'algues ».
Abattons leurs arbres, comme l’ont fait les colonisateurs compagnons d'Énée. VII, 321-325. Les dryades et hamadryades furent inventées afin qu'on n'abattît pas les arbres en trop grand nombre. Ils ne devaient céder à la cognée que si des prêtres, ou druides, déclaraient que leur nymphe les avait désertés. Un pont de bateaux fut construit sur le Rhin. L'expédition de César fut retenue par la légende ; mais nous voici désormais 500 ans plus tard, au temps d'Attila, qui s’est répandu parmi les « campagnes » belges. Alors « le grand » Aétius, en tête de vers et de légions, avait quitté les Alpes, et s’était dirigé plein nord ouest à étapes forcées, à la rencontre d’Attila, le méchant à moustaches. Mais il n'était pas bien fort, notre Aétius , sans même un vrai Romain dans ses troupes. VII, 322-330
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VII 330/342
Il était bien malencontreusement crédule, notre brave Aétius : l'armée des Goths allait lui manquer, elle ne se joindrait pas (adforé) à ses propres troupes (le fils de Sidoine, Apollinaire comte d’Auvergne, qui déshonora son père, fut défait à Vouillé, dans l’armée arverno-wisigothe écrasée par Clovis ; Arcade plus tard, petit-fils du poète, souleva l’Auvergne une dernière fois, contre les Francs. Mais en 451, les Wisigoths tiennent tout le pays. Les Romains les utilisent ; vont-ils se déclarer contre les Huns ? non : prudemment, les
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Goths se sont retranchés dans leur camp. Attila, lui, n'a pas de camp. Il n'est pas du genre à se calfeutrer en attendant l'assaut. Pour le Romain, une seule solution : rassembler «tous les notables » (de son armée peu nombreuse ? mais où les trouver ? ...du lieu où il se trouve à sa première étape?) et tendre le dernier ressort de l'énergie romaine : l’éloquence.
Notables d’applaudir, et de pousser leurs troupes en avant.
• Parmi eux, svelte et jeune encore, se trouve Avitus, le salut », «qui n'a [pas] attendu les prières d'Aétius pour obtenir la gloire ». Avitus retourne les situations comme un doigt de gant, puisque les ennemis, les Goths, sont finalement redevenus nos alliés ! Avitus est le précepteur du dauphin wisigoth. Il convaincra les Goths dont il est l'homme de confiance : et c'est bien grâce à la gloire d’Avitus que les Barbares ont cessé de se ruer sur les Romains. VII, 330-342,
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VII 343/350
Et s'il est vrai que les Goths, ou les Gètes, « toujours hostiles aux Romains », à toi accordent la paix, c'est que les peuplades accordent davantage à l'homme qu'à la nation. «Va, assure à nos aigles la victoire -fais en sorte », poursuit Jupiter, qui a bien du souffle depuis le vers 123 ce qui en fait 213, « que les Huns, dont la fuite a naguère ébranlé notre puissance, servent cette fois mes intérêts en subissant une seconde défaite ». L'habileté oratoire implique ici de bien opposer la défaite des Huns auxiliaires, en 439 devant Toulouse, et la défaite à venir des Autres Huns, les Mauvais Huns, ceux qui ne se sont pas enrôlés dans l'armée « romaine ».
...C'est ainsi que les Huns repousseront les Huns… mauvais calcul ? Non : Aétius repoussera les hordes (c'est ainsi qu'on les appelle) d'Attila, en 451. Et sur cette prophétique allusion, Jupiter se tait. Et comme Avitus, beau-père pourtant chrétien, donne à l'ancienne divinité une « réponse favorable », les « vœux » divins devinrent « une espérance » humaine. Regonflé, Avitus « part comme l'éclair », ce que confirme Jordanès : c'estAvitus qui « excite au combat la furie de nos nouveaux serviteurs » - preuve s'il en était besoin que Rome sait parfaitement apprivoiser et discipliner, ingérer (funeste illusion !) les éléments barbares les
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plus hétérogènes. Mieux encore le Hun et surtout le Goth, marchant « derrière les trompettes «romaines » « accourt à l'appel de son nom » : le Barbare est en rang, il est enrôlé, en ordre – simplement, on tolère à ses escadrons de cavalerie, « romains », d'être « vêtus de peaux ».
R. 143
VII 351 / 361
Voici que ces mercenaires s’attellent au patriotisme : ils serviraient même s’ils n’étaient pas payés - quel triomphe ! Avitus avant même d’être empereur incarne l’espoir du monde » - Sidoine invoquant le Phénix, « oiseau de Phébus », qui renaît de ses cendres. Toujours est-il qu’Attila se pousse de l’épaule au portillon, de plus en plus près, lui… (Majorien, futur successeur d’Avitus, se trouve pour sa part bien éloigné des champs de bataille).
Rome voit donc plonger du ciel le vautour de la fin des temps .
Le cycle des vautours, 12, un par siècle depuis la fondation de Rome, s’achevait… VII, 351 / 361
R.144
« ...et les Goths de s’imaginer qu’ils ont déjà pris Rome et que la terre entière va céder à leur frénésie ». Sur ces Goths, ancêtres des Gueux, avaient régné Théodoric Ier, puis Thorismond, assassiné par Théodoric II son petit frère affectueux. Mais nos Gueux vont éprouver l’intelligence exceptionnelle de leur grand Thierry/Théodoric II. Ce ne sera pas sans une longue périphrase appelée « comparaison homérique » : en avant donc pour la chasse aux loups,
« Infecte digression mille fois rebattue » :
d’abord nous voyons bien les loups saliver devant « les lourds effluves », les pets parfums des brebis des deux sexes : « leur appétit en est stimulé, aiguisé », ils portent sur leurs visages, les loups, la réalisation de leur rapine de loups, trompant le jeûne de leur rictus tombant, ce qui veut dire leurs sales mâchoires large ouvertes. (v. VII, 362/367)
R. 145 mot 12, praeda v 368/387
Entendez craquer dans l’imagination prématurée des méchants loups la proie contre le palais : et passez sans transition aux vaisseaux de guerre des pirates, « fendant sur un esquif
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cousu la mer verte ». VII 369 371 ; ainsi qu’au Boche, l’Alaman, qui, chose curieuse, de guerrier conquérant sur la rive droite, devient citoyen sur la gauche (...de même, lors de la Guerre Sociale (de - 90 à - 88) les villes italiennes avaient obtenu le droit de cité, sauf celles qui s’étaient révoltées pour l’avoir - fallait demander poliment… Cinq siècles plus tard, au contraire, les grandes gueules l’obtiennent. Voici nos Alamans citoyens de Rome. Cela rappelle d’une part « si on te frappe la joue droite, tends la joue gauche » (la plus belle claque de ma vie), et d’autre part le fameux « il a voulu me casser la gueule, mais t’as vu comment j’ai paré avec le nez ? » « Avitus, maître de la milice » claironne le titre en marge : et même, « Maître de l’Infanterie et de la Cavalerie », comme on disait avant Constantin : « c’était le seul remède à la situation ».
Hors de question de rater un cliché: Avitus (après tant d’autres) se voit affublé d’une pioche (un « hoyau ») et d’une « courbe charrue », et revoici Cincinnatus, le Bouclé, pourvu de « ses riches domaines » et n’ayant pas plus touché un mancheron que Jeanne d’Arc n’a gardé de moutons.
Nous aurions aimé en connaître un peu plus sur ces mutations effectuées de part et d’autre du Rhin, apprendre ce que pensait Sidoine de cette mascarade, plutôt que de récapituler cette éternelle et fausse image du « pauvre laboureur » « aux « portes d’osier », passant directement de la condition paysanne la plus misérable à la seconde magistrature de l’Empire : surpris, le pauvre, en plein chargement de grain sur l’épaule… VII, 368/387
R. 146
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Avitus, pas encore empereur, mais « investi d’une lourde charge », obtient la soumission des Alamans « Les attaques du Saxon faiblissent, et l‘Elbe contient le C(h)atte prisonnier de ses eaux marécageuses ». La question est de savoir si la seule nomination d’Avitus a provoqué cette prétendue obtempération des Barbares… Le coq s’imagine faire lever le soleil - « Ils ont depuis longtemps disparu de la carte ».
Loyen souligne qu’ « Avitus n’a pu remporter jusqu’ici que des succès diplomatiques ». Avitus a seulement « renouvelé le contrat de fédération », il a confirmé les « conquêtes » des
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Germains, le tout en trois « pleines lunes », trois petits mois, et « dirige ses pas vers les peuples et les campagnes tenues par le Goth farouche ». Mais cette fois-ci, c’est vers un peuple ami qu’il marche - quel homme !
Les Goths occupaient alors la Gironde. Et Sidoine rapporte ici ce phénomène aquatique appelé « mascaret », où surferont un jour les amateurs d’eau sale : « L’Océan, poussé par la marée, fait refluer la Garonne et la répand à travers champs » - pas de digues à l’époque. Les Romains considéraient avec l’effroi de l’ignorance cet impressionnant phénomène. Certains s’imaginaient de gigantesques cavernes engloutissant ou rejetant les eaux. « La mer envahit le fleuve ; le flot amer escalade les eaux douces, et, jetée avec force dans le lit de la rivière, l’onde salée vogue sur des profondeurs qui lui sont étrangères ».
Sidoine reviendra sur ce phénomène hydrologique dans un autre poème. Et de même que la mer couvrait la Gironde, de même les Germains recouvraient les peuples et les terres. Mais Avitus est arrivé ! Quels exploits diplomatiques devons-nous encore attendre ? empêcher une guerre : - Avitus n’a pas même eu le temps d’arriver : par appréhension, les Vèses (ce sont les mêmes) « répriment leur courroux » ! VII 388-400
R. 147, VII 401/413
Et de quoi sont-ils « courroucés », les méchants « Vèses Goths » ? ...de ne pas pouvoir repousser les Burgondes ? Revêtu des pouvoirs d’ambassadeur notre héros vous dénoue ce vilain nœud gordien à lui tout seul. Il nous étonnerait beaucoup que l’assemblée « scythe » - !!! - restât paralysée, suffoquant de crainte ! ...qu’on ne lui refusât la paix et l’alliance ! Nous aimerions savoir qui fut le plus arrogant, du conquérant ou du conquis. S’il y eut respect mutuel et simple technicité. En même temps fantasmagorie mythologique (Phaéton fut précipité de son char : il s’égarait, ce fils du Soleil) – jamais on ne vit de panégyrique sans divinités…
Les Scythes, ou pour mieux dire les Wisigoths de Théodoric II, auraient donc suffoqué « dans le fond de la mer changé en poussière » : que va dire Avitus, immense fondé de pouvoir de Rome ? Mais Soleil-Phébus, « dans sa clémence », « éteint l’étrange embrasement » de Phaeton - Avitus va parler ! Rome dicte sa loi ! Rome qui branle dans le manche ! Voyez l’inversion , le déni de réalité. Rien n’a plus de sens. Sidoine chante. Avitus beau-père va
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donc se diriger vers Toulouse, capitale wisigothique, avec escorte et faste, alors que ce serait aux invasifs d’implorer leur grâce à à l’Empereur. «Le hasard voulut qu’un Goth d’une certaine importance, après avoir reforgé sa faux » en « l’aiguisant avec un silex » (variante barbare de Cincinnatus derrière ses bœufs, « prompt à s ‘échauffer aux éclats de la trompette », ne rêve que plaies et bosses » : mais
R. 148 voici le chef - je voulais dit le Goth - reprendre le combat, mais pour moi, pour les Goths ! « Finie la guerre, rendez-nous nos charrues ! » Nous avons déjà fait la paix de 439 à 451 ! (il ne compte pas les années comme nous) - « si je me rappelle la période d’inaction qui a suivi l’ancien traité de paix, « ce n’est pas la première fois que celui-là » - Avitus ! - « m’arracha mon épée » des mains ! ignobles négociateurs qui font tout capoter !
C’est assez bien vu : ce soldat n’est pas le chef en chef. Il éprouve de la « honte », « ô dieux ! » - une fois de plus le glaive cède à la toge ! « quand ton amitié à mon égard s’exerce à mes dépens ! » Au lieu d’agrandir sa part, le peuple des Goths se soumet à son roi, qui se soumet à Rome ! ô Avitus en grande pompe qui s’entend avec notre roi dans notre dos !
Ne t’en fais pas, brave Wisigoth, en démocratie, tout se passe de la même façon, mais voici - « qui l’aurait jamais cru ? « ...que les rois goths veulent obéir » - la note de Loyen indique une résignation pleine de rancune… « Il est moins glorieux de régner » ! Ici intervient une articulation, un revirement : « Je ne peux même pas dire que si tu refuses le combat, c’est pour masquer ta lâcheté »- dommage, je te trancherais bien la gueule. « Avitus est en train d’apaiser le conflit » : ce grand Gallo-Romain représente plus que lui-même, il est impressionnant, son ami Messianus vient avec une armée beaucoup moins aimable.
Vraiment très intimidant : « une fois de plus nous déposons les armes ». Mais c’est bien parce que c’est toi, fils de pute. « Que te reste-t-il à désirer ? Que nous ne soyons pas ennemis ? » Et c’est ainsi, parce qu’il le faut bien, parce que l’ennemi romain avec son armée germaine brandit l’estime qu’on lui porte et accessoirement la menace : « Je serai ton auxiliaire », cit le Goth. « Ainsi me sera-t-il permis de combattre » - tant que tu es vainqueur, même vainqueur de nous - mais à la première défaillance, fin de l’alliance : façons germaniques...
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À présent donc Rome régnera sur ses fidèles grognards…
« Tandis que le Wisigoth (Vesus) roulait ces pensées en son cœur insensible » - du moins jusqu’alors, car là, bruni, il se montre réfléchissant - « l’entrevue avait eu lieu ». Il ne s’agissait que de renouveler le traité d’alliance, et nullement de refuser à l’envahisseur quoi que ce fût ; mais priorité à la flagornerie : « Le roi et le généralissime s’étaient arrêtés l’un près de l’autre » - Avitus et Théodoric II, assassin de son frère Thorismond. Place à l’enflure. Nous ne saurons jamais ce qu’il en fut.
VII , 415 - 434
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La mode actuelle est de bien dénigrer la notion d’invasion : « tout cela » nous dit-on « est bien relatif ». L’Histoire est donc si malléable ? Des ouvrages paraissent sans cesse à propos de la Chute de l’Empire, l’Invasion ne s’est-elle pas réduite, n’est-ce pas, à une succession d’escarmouches ? ...ces braves gens n’étaient que des peuplades mourant de faim, qui venaient un peu brutalement de mander à manger aux frontières – toutes ressemblances, etc. - « (Avitus) portant haut la tête » (et le Goth) « rougissant de joie » : nous enfonçons les barricades du ridicule. Le petit Paul chez la Ségur, digne représentant de la race blanche ! toise le sachem avec la tête à claques d’un morveux blanc appelé à régner.
L’Amérindien ne survivra pas aux massacres, mais ici, Petit-Paul Avitus veut péter plus haut que son cul d’Auvergnat. Et, de ce tableau de concordance totale, Sidoine tire une préfiguration inepte : cette jonction des mains diplomatique « rappelle » que les Sabines, jadis, se sont précipitées à poil entre les soldats qui s’entretuaient pour elles. Dieux merci, le Grand Avitus et le tout petit Théodoric n’étaient pas dénudés ; et tout cela pour justifier que Toulouse et le Palatin se targuaient d’être «de Pallas », selon Martial, selon Ausone...
Le chant VII se poursuit : "Le Vandale, profitant de la surprise, par une attaque brusquée, s'empare de toi, [ô Rome] » (deuxième, en 455) - n'était-ce pas Eudoxie qui les avait appelés, pour épouser le roi Genséric, ce gnome ? n'était-ce pas le moine Boniface qui, avant celà, déjà leur avait ouvert les portes de l'Afrique du Nord ? Cette seconde prise de Rome fut ressentie moins scandaleusement que la première - "...et un Burgonde » (habitant de Rome parfaitement inconnu), « par ses perfides excitations, te fout une telle rogne que tu trucides
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ton empereur" Trepidas iras, ce sont des colères qui trépignent, et non pas les "accès de fureur" ! VII, 443. ...qui fut donc ce Burgonde, ou plutôt ce Burgondion ? quel intérêt aurait-il eu à soulever ainsi la lie du peuple ? nous ne le saurons jamais. Quant à l'empereur du moment, ce trouillard, ce Petronius Maximus, qui n'a pas suffisamment anticipé la défense de Rome, il fut massacré : « Petronius Maximus fut lapidé par la populace », elle-même « affolée par l’approche des Vandales », donc avant la prise de l’Urbs – se suicider avant la mort étant de loin la meilleure façon de s’en débarrasser.
VII 434/443
R. 150
Lapidation donc de Petronius (31 mai), pillage méticuleux du 2 au 16 juin 455, plus encore que par les Goths quarante-cinq ans plus tôt - poste impérial ô combien exposé ! "lamentable forfait" ! et c'est à ce couard qu’Avitus doit succéder ? ...à ce gnôme de Genséric, victorieux, surgi de Carthage, lieu maudit depuis des siècles ? Sonnez, « perfides trompettes » ! VII 445. "Ô destins, quelles calamités nourrissiez-vous !" VII 446 – à ces rappels archaïques, combien l’Historien n’eût-il pas préféré ces détails de batailles, sublimes soubresauts de l’honneur ! Ici, les Romains, contraints et forcés, restituent la rançon des anciens Carthaginois vaincus. Les Goths, de loin, apprennent prudemment "l'exil du Sénat, les malheurs du peuple, le meurtre de l'empereur, la captivité de l'Empire" (plus encore que les détails d’un improbable combat, c’est le retentissement de la seconde catastrophe qui fracasse la muse de Sidoine, jusqu’auprès des Wisigoths).
Si jadis les échos des victoires emplissaient de respect les voisins de l’ancienne Rome, ce sont maintenant ses défaites qui aiguisent les convoitises. Il faudra donc que ce soit un Arverne, téléguidé par « le sénat wisigoth » et « la coutume des Goths », qui vienne de Beaucaire, afin de succéder au Romain mou Pétronius, juste capable de se faire massacrer.
À Beaucaire donc se tient une assemblée wisigothe sale, grumeleuse du dos, mais vigoureuse, régénérescente : « les tissus ternis se graissent sur les maigres échines » (belle traduction), bel exotisme, péronés de cheval, genoux nus, verdoyants vieillards VII 444-457
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VII 458/488
Ainsi donc le sénat wisigoth se tient. Il est pauvre, celui-là. Respectable. Ce peuple barbare, sujet d’un roi, s’honore d’une sorte de sénat consultatif. Le roi wisigoth prend la parole : : « Je préférerais, je l’avoue, goûter encore dans la tranquillité du domaine paternel (patriis in arvis) un repos bien gagné » - après une carrière qu’il se complaît à récapituler : « trois commandements militaires » et quatre fois préfet ; choses vérifiables – mais c’est plutôt le général Litorius qui agissait, Avitus jouant les mouches du coche diplomatique – chut, chut ! Silence gêné aussi sur Petronius, lapidé par la populace, qui appela le beau-père de Sidoine « du prétoire à l’armée » - le prétoire des Gaules s’entend : Sidoine élargit le rôle de son beau-père, qui fut mandé, mandaté, adoubé pourtant à Rome par Pétronius, empereur de dix semaines (mars-mai 455).
Mais celui dont Avitus était l’homme lige, c’était Théodoric Ier le Wisigoth - le « noble vieillard », « l’ami » - Sidoine glissant aisément de l’histoire réinterprétée au mielleux étincelant : «Je vous demande de respecter l’ancien traité » - qui stipulait que ledit Théodoric ou Thierry ne franchirait pas les limites de la Narbonnaise.
Bref, Avitus le Sauveur tient le premier rôle dans le discours. Il traitait, n’en doutons pas, « les affaires des Goths »VII 471, c’était un brave homme désireux d’honneurs modérés, décernés (pourquoi non) par un Barbare à peu près savonnetté. Discret, avisé, Avitus ! « toute mon influence » dit-il à Théodoric « s’en est allée avec ton père »- mais non, mais non… 65 11 12 VII, 475.
Avitus s’adresse à son faiseur d’empereur, Théodoric des Wisigoths ; il rappelle que le père de Théodoric avait assiégé Narbonne, dont les habitants criaient famine ; mais rien ne sert de régner sur un tas de ruines et de mourants. Alors, prétend Avitus, l’orateur, « ses conseils » à lui ont fait leur effet : le siège fut levé - voit-on qu’un Avitus , même respecté ! même précepteur de son fils ! - puisse déstabiliser un souverain wisigoth ? notre Loyen lui-même parle dans sa glose de la part, minime sans doute, d’Avitus dans (la) délivrance de Narbonne ». Avitus, ici, agite les arguments larmoyants, le geste de la nourrice à qui l’enfant Théodoric II le préférait lui-même, malgré son sein sec. Des larmes coulent.Me voici moi, Avitus, ton papa nourricier, ton biberon adjoint, et je vais t’aider encore. Et comme je suis ton tuteur pendant que ton papa s’en va-t-en guerre, tu dois obéir au défunt et
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me placer sur un trône. Sinon, c’est que tu « restes insensible à ma prière et refuse(s) la paix ». Applause, please, la foule réprouve les combats ». Très très émouvant. VII, 488
Et comme de tout temps nos braves historiens
Ont aimé les discours qui ne servent-à-rien,
voici la belle Réponse de Thierry II des Wisigoths :
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VII 489-512
« Ahem, Brrem : « Tu demandes la paix comme si j’étais mon père. Ça fait trop longtemps que ça dure, mais puisque c’est toi, on va te la donner, ta paix, afin que les paysans puissent cuisiner leurs légumes. Mais c’est toi le plus fort, toi le Romain dont on voit souvent le dos. Donc, c’est nous qui demandons à te suivre.
« Tu vois, Maître, j’adore t’obéir». Mais il est désagréable de voir ainsi le poète subvertir, inverser les mots et les circonstances, et transformer Théodoric II en solliciteur : « C’est grâce à tes lois que nous avançons, bref tu es notre pion poussé sur l’échiquier mais nous t’obéirons comme des Barbares. « et si tes désirs se trouvent contrariés, c’est que les Goths l’ignoraient ». « Car c’est de toi, que j’ai appris « les antiques propos de Virgile », la jurisprudence et la poésie. Ainsi s’amollit ma rudesse scythique, et tu m’apprends que tu veux la paix ».
Et Théodoric II, en bon flatteur, évoque son « obéissance », l’ancêtre commun aux deux peuples (il s’agit du dieu Mars). Autre train de louanges : « en dépit des siècles écoulés, le monde ne possède rien de meilleur que toi », passe encore, « et rien de meilleur que ton sénat » VII 503 - le sénat romain n’est plus rien, depuis des siècles. Il règle les affaires courantes et pérore dans le vide. Le Wisigoth, quant à lui, ne prétend à rien de moins qu’effacer la prise de Rome en 410 par son aïeul Alaric. Ce raid nocturne et victorieux n’avait eu pour motif qu’un retard de tribut. Mais ce qui ternit Alaric, « c’est de t’avoir prise », ô « Rome ». VII 506 « Nous te restituerons [nous autres Wisigoths] les signes, les aigles impériales, mais la Ville, nos ancêtres l’auront prise et pillée en vrai. Tu seras empereur – ce sera l’os que nous jetterons au fantôme de Rome : « Je vais pouvoir expier les ruines
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d’autrefois [d’Alaric] en te vengeant des ruines présentes » (reprise et repillage par Genséric, roi des Vandales). Et tout est inversé de la façon la plus impudente : c’est donnant-donnant : « Je donne mon alliance ; mais à condition seule que ce soit toi, l’Empereur » Avitus ne sera qu’une image au bout d’un manche. « Si tu refuses, nous attaquons ta grand-mère patrie » ; si tu veux bien jouer le fantoche, nous ne l’attaquerons pas. « Je suis l’ami de Rome, quand tu es généralissime ; si tu es Empereur, je suis son soldat »
Tout à fait conforme au droit germanique : on ne s’allie que de chef à chef. C’est substituer le protocole germain au protocole romain. Voilà donc Avitus allié de la tribu wisigothe, bien plus que l’inverse.
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VII 513-519
Il existe un trône vacant. Tu ne seras donc pas, ô Avitus, un usurpateur. Je te suggère, moi Wisigoth, de t’en emparer pour le plus grand bien de la patrie romaine. « Non, ce n’est plus pour moi un but suffisant (non sufficit istud) que d’éviter le mal ». Protège-toi, pauvre Rome. Tes coupoles s’écroulent sur toi - la Gaule et les Wisigoths persuadent fortement le beau-père de sauver « le monde ».
La Gaule ? oui, wisigothique. Le monde ? oui, dit « romain ». Alors, le traité d’alliance est renouvelé. Sidoine nous présente un beau-père pensif, réduit à se servir des Wisigoths contre les Vandales. Rome n’est plus qu’un croupion. Comment l’esprit avisé d’Avitus ne se rend-il pas compte du désespoir glacé de toutes ces entraves ? Gaulois d’accourir, et de dresser un tertre d’acclamation et de proclamation.
Jusqu’au bout, nous autres humains, nous envisageons une fusion, un « vivre ensemble » entre Gaulois et envahisseurs. Avitus se rend donc aux arguments et aux acclamations : y eut-il une foule aussi enthousiaste ?...
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Sidoine nous montre son beau-père très préoccupé : devra-t-il adhérer à la fable des peuples extérieurs s’emparant du trône impérial pour le relever, fût-ce au prix d’un séparatisme à la Jovin, appuyé par les Burgondes, ou se rendra-t-il compte qu’il n’est plus ZOHAR SIDONIENSIS 148
qu’un pion dans l’expansionnisme wisigothique ? Sidoine témoigne de la prétendue surprise d’Avitus lorsqu’il s’aperçoit que tous les Gaulois (ce qui permet une ample énumération) lui ont préparé une tribune, un « tribunal », pour planter le décor de sa consécration : Avitus, responsable, le front lourd, acceptera le fardeau en pleine conscience de sa mission, sans bien savoir précisément laquelle.
R. 155
530 SQQ ;
Alors Sidoine évoque un discours récapitulatif, attribuable au préfet du Prétoire des Gaules, Tonantius Ferreolus Rome s’est trouvée sous un Prince Enfant, principe sub puero - Valentinien III : âgé de 7 ans lorsqu’il parvient au trône, il s’est retrouvé à 33 ans face à l’empire fissuré de toute part et s’est même retrouvé assassiné pendant une revue. Les Gaulois « sont dans la plaine », plus ou moins séparatistes, sensibles à toutes « les blessures de la patrie » - non plus Rome, mais notre Gaule… Avitus, au secours - ah !… Rome nous dédaigne… Ce sont « les funérailles du monde », quel décliniste aura jamais ces accents ? « la vie fut semblable à la mort » : »suivons le char funèbre de l’empire », c’est beau, c’est funèbre, collons au texte, « satisfaits de supporter même les vices d’une maison décrépite » : ce thrène semble sincère. Gaule, redresse-toi : tu fus punie de ton plus ou moins séparatisme - pourquoi Avitus est-il resté fidèle à l’éphémère Petronius Maximus ? parce que ce dernier avait fait tuer Valentinien III, meurtrier d’Aétius ? Quels étaient tes liens avec ce fantoche de onze semaines ? ceux de la stricte légalité ? Toi, mon beau-père, tu aurais fait mieux que lui !! toi, l’ami d’un roi wisigoth qui a trucidé son frère afin de régner...
Tu as pu repousser les Huns grâce aux Goths de Théodoric, le fratricide, et aux troupes d’Aétius, mais tu veux virer les Vandales ! « Les plus hautes destinées t’appellent ». Hélas.
R. 155
À présent, Rome ressasse : nous ne sommes plus rien. Les défaites nous tiennent lieu de cauchemars. Lorsque tout s’effondre, personne n’est plus là pour « briguer » ni même « postuler », ni même, horreur ! ...«candidater » : il faut une éternelle paire de burnes cirées
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de frais pour qu’un gendre les astique. Ô tristesse, ô marasme ! L’Histoire, c’était quelque chose. Comme une crotte momifiée qui ne peut plus tomber. Et d’un coup, de façon saisissante tout de même, Sidoine ou sa Muse passent au présent. Sa lucidité accable : Urbi et orbi. Le monde est, gît dans Rome. VII 557. À sa tête végétait un profiteur, l’empereur du mois, juste capable d’épouser la veuve de Valentinien III – et de rompre les fiançailles de la fille d’icelui avec le fils de Genséric le Vandale - le prétexte est tout trouvé : les Vandales avancent leur flotte. La foule a lynché Petronius Maximus, lâche imperatoricule – le suivant, c’est Avitus – chiffe de bonne volonté. « Montez sur ce tribunal » VII 558 (petit tertre gazonné d’où le chef harangue ses troupes)
Douze siècles bien sonnés, douze vautours bien plumés - les représentants gaulois rassemblés dans l’enthousiasme n’auront fait que « ratifier le choix de Théodoric II » , lequel part illico guerroyer en Espagne contre les Suèves : au moins, il avait couvert ses arrières … Avitus n’aurait donc servi qu’à cela ?... « Il nous fera toujours penser à un avocat devenu ministre de la guerre » (Loyen). Et jamais l’empereur d’Orient, Marcien, n’acceptera de transporter ses troupes à travers mer jusqu’aux Vandales, tout là-bas, en Occident...
VII 552/564.
R. 156, VII, 564/575
Autrefois, bien autrefois ! s’était dressé le général Camillus dit Camille, qui réduisit en cadavres les Gaulois agresseurs - les Romains de jadis sont appelés à la rescousse : aujourd’hui comme avant-avant-chier, le Sénat reste incorruptible : en effet, les dieux (et non le Christ) sauveront le monde grâce à la pauvreté ! « Tu es choisi pauvre » ! VII 568
La Patrie t’ordonne d’ordonner – mieux encore, le chef barbare ne voudra t’obéir que si tu es loin au-dessus de lui. De même, le valet ne condescendait à servir que si le maître était à la hauteur : « Si tu commandes, je serai libre ! » VII 571 L’argutie est jouable. Misères du discours ! les soldats sont des Wisigoths, et l’assemblée du peuple, des Gaulois. « Le fracas des applaudissements emplit la cité d’Ugernum » - et tous ceux qui défilent en train au large de la Tour de Beaucaire ignorent que là, quelque part sous le sol, Avitus a reçu son diadème impérial. « Assemblée préparatoire », précédée elle-même d’une entrevue à Toulouse, où
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Théodoric a fait semblant d’apprendre au Beau-Père que Pétrus venait de se faire massacrer, et qu’il pourrait bien être, lui Avitus, le suivant sur le trône en attendant pire. Sitôt dit, sitôt fait. Les Gaulois, enthousiastes, recrutent des gardes du corps
R. 157 – VII, 576/ 591
Voici notre beau-père paré du « collier militaire ». À lui seul, il devra soutenir le ciel, comme Atlas - ornement mythologique de rigueur, mais en dépit des meilleures bonnes volontés, il est impossible d’apercevoir la moindre trace de second degré chez Sidoine. Avitus ne porte-t-il pas désormais «les insignes de la souveraineté »
Avitus enfourche sa plus belle haquenée, sur le chemin de Rome. Quel homme.
Ne viendra plus désormais, passé cette crête sommitale, qu’une péroraison, ainsi que l’écrit Loyen dans son texte : un dernier ronflement de tambour. Ne s’agissait-il pas aussi d’une fierté gauloise, in extremis et one more time confortée dans ses aspirations d’indépendance ? « Le vent du Nord, nous dit Loyen, « apporte au Midi (c’est-à-dire aux Vandales de Tunisie)
des nouvelles peu rassurantes pour eux ».
Certes, une négociation a remis sous l’autorité romaine les Pannonies, autant dire Vienne et la Hongrie d’aujourd’hui. Mais l’Afrique est un plus gros morceau, bien autrement coriace. Une petite promenade militaire ne suffira pas à repousser Genséric le Gnome, Genséric le Hideux, venu du Rhin à Carthage...
VII, 576-591
R 158
Haussez-vous sur vos pourries cothurnes, Muses, évoquez ces aigles entrechoquées, et que les divinités puissent réamorcer la pompe, car la diplomatie d’Avitus ne pouvait rivaliser avec la cavalerie barbare. « Un vol d’oiseaux favorables fit tomber de tes épaules ton manteau de citoyen » : où voit-il des oiseaux, notre bon traducteur ? « Et toi, tout heureuse, laetior, de posséder aujourd’hui un tel prince » «Rome notre mère » (emphase à la Nisard) « relève tes joues » de vieille peau « et dépose ta honteuse décrépitude… »
vii, 592/597
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R. 159, VII 597 ad finem
Un Arcadius imberbe, olivâtre et vide, peine à soutenir sur ses avant-bras le sceptre et Dieu sait quel autre hochet. Son regard ne reflète qu’une immense lassitude de mioche. Soixante-cinq ans plus tard, Avitus, lui, a l’âge de déposer les armes. Mais il a reçu la bénédiction de Rome, « antique mère des Dieux, c’est tout dire. S’élève alors de l’assemblée proclamative un hurlement de joie, aussi disproportionné que celui d’une fin de meeting rochelais. VII 599
Un petit coup de Parques fileuses ne saurait nuire « pour tes règnes », à grand renfort de « fuseaux volubiles », qui tournent, infatigable rotation de la sphère céleste :« Voici un souverain d’âge mûr qui te rendra la jeunesse quand des empereurs enfants t’ont rendue vieille ». Ô vœux pieux !
VII, 597-602
R. 160, CARMEN VIII vers 1 à 18
Ici s’éteint une grande voix, poussée par le souffle lyrique. Ne subsistent que des braises pieusement recueillies, où palpitent les vers refroidis sur la pelle des siècles. Aux formules et titulatures s’enchaîneront ces commentaires pompeux et précipités : le poète à présent s’adresse à ses vers. Il les traite d’ « essaims », ce que le traducteur ne semble pas avoir compris. Les abeilles sont compagnes des muses. Mais les fastes impériaux ne dureront qu’un petit an et demi : « Restez donc sur place, ô bagatelles ; vers où vous hâtez-vous ? Le dédicataire, Priscus Valérien, nous aime. Amat. VIII 4
Mais Priscus jugera ces vers en éminent professeur : « Tous mes nouveaux titres de gloire », nous confie l’auteur, « ne me servent à rien » : la suite nous éclaire : il s’agit de « mon airain », ma statue de bronze, que je suis modeste de mentionner pour affirmer, en trois vers, que je n’en parle pas. Et versiculets de s’exclamer : « Partons, partons ! tu ne nous retiendras pas » un wagon est là, qui nous tend les bras : partons ! partons !
Mais Priscus, de la belle-famille, «sait apprécier un poème et, s’il est prompt à juger, il est lent à mépriser ».
Ô lents effritements de la gloire, ô Bouvard, ô Pécuchet. « Une fois lus, je t’en prie (hoc rogo, livre-les au bûcher (rogo) – le premier rogo a tout l’air de signifier « je t’en prie », mais en lisant le second rogo, qui, lui, signifie vraiment « je t’en prie », nous nous rendons compte que le premier signifiait, en fait, « le bûcher » - ah ! laissez-nous, de grâce, respirer !
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