C O L L I G N O N
C A R R É D E D A M E S
dédié à Anne Sylvestre
ACTE UN, Tableau unique
Une cuisine traditionnelle, avec cheminée. Une grande table sur le devant, un buffet au fond à jardin. TROIS VIEILLES DAMES debout ou assises tout autour. UN REPRÉSENTANT, UNE AUTRE VIEILLE DAME dans un fauteuil roulant, près d’une fenêtre côté cour, sous un amoncellement de couvertures.
Prévoir un écran, un prompteur.
PREMIÈRE VIEILLE DAME (JEANNE)
WATSON’S INTERNATIONAL ENCYCLOPEDY…
DEUXIÈME VIEILLE DAME (FITZELLE), accent naturel de Toulouse
Tell on… Very exciting…
LE REPRÉSENTANT, petit brun frisé, style taurillon. Les paumes écartées bien à plat sur la table
Alors ? Décidées ?
JEANNE
C’est dit !
FITZELLE, Alsacienne à l’accent toulousain, démerdez-vous
Un petit whisky !
LE REPRÉSENTANT
Si vous le dites…
JEANNE ouvre le buffet, sert un verre de whisky ; FITZELLE verse deux verres de Porto.
C’est du porto.
DEUXIÈME VIEILLE
Et du bon .
Le Représentant boit posément. Les deux vieilles avalent ensemble, côte à côte, cul sec (éclairage:soleil couchant)
LE REPRÉSENTANT, grimaçant
L’Encyclopédie Watson, chef-d’œuvre de la conscience professionnelle anglo-saxonne...
JEANNE
Aryenne…
LE REPRÉSENTANT se choque
JEANNE
Vous n’êtes pas spécialement nordique, non ?
LE REPRÉSENTANT
Niçois.
FITZELLE
Arabe ?
LE REPRÉSENTANT
Tout de même pas.
Silence. Le tas decouverturesur le fauteuil respire doucement.
LE REPRÉSENTANT
Dites-moi…
JEANNE
Oui ?
LE REPRÉSENTANT
Il va où, cet escalier ?
FITZELLE
Il ne va nulle part cet escalier.
JEANNE
Il reste ici.
LE REPRÉSENTANT
Ah bon.
FITZELLE
Porto ?
Elle le ressert d’office.
LE REPRÉSENTANT, la main sur le volume
Une somme incomparable…
JEANNE
Il est bon le Porto ?
FITZELLE
Nous sommes l’Encyclopédie.
LE REPRÉSENTANT
Tout est là-dedans.
JEANNE ET FITZELLE lui tendent la bouteille
Là-dedans.
Il empoigne la bouteille et la vide en roulant des yeux.
De l’âtre surgit la TROISIÈME VIEILLE,accroupie, tisonnant le foyer
LA TROISIÈME VIEILLE, MARCIAU
Pas d’accord !
Un coup de pétard dans le feu, éclairant les visages dans les mouves rougeoyants ; une lueur inquiétante, au-dessous de l’escalier.
MARCIAU, brandissant son tisonnier :
Je ne veux pas acheter L’Encyclopédie Watson.
LE REPRÉSENTANT, tourné vers les deux autres :
Vous étiez d’accord, vous deux. Ça fait trois quarts d’heure qu’on discute.
FITZELLE
Au moinsse…
LE REPRÉSENTANT
Ah tout de même…
Il se dirige en titubant vers la sortie, heurte du genou sur la chaise le tas de couverture qui pousse un cri.
Affolé :
Y a quelqu’un ?
LA QUATRIÈME VIEILLE, SOUPOV, de sous ses couvertures
Imbécile !
LE REPRÉSENTANT se retourne lentement. Il hausse le front, passe son index recourbé sur ses lèvres. Ton doctoral :
« Imbécile » ? Soit. Mais comment l’entendez-vous ?
Il referme le tome sur son doigt. Il en appuie fortement le dos sur la table.
Vous pensez que j’en suis la parfaite illustration.
Les quatre vieilles approuvent vigoureusement de la tête.
Vous n’avez pas de miroir ?
Elles se regardent en ricanant ; MARCIAU, tournée vers la flamme, essuie ses lunettes de fer.
SOUPOV
Tί δ’ἂν αὐτῷ χρώμεθα ; [ti dann autô khrôméta] ?
LE REPRÉSENTANT
Ce que vous en feriez ? Ô courte sagesse, ô sexe imbécile ! c’est folie de courir aux miroirs ; bien plus grande encore de les avoir brisés !
JEANNE
Proxima mors mox auferet nos (sur un prompteur : « Une mort proche bientôt nous emportera ».)
MARCIAU
Sind wir mal noch Frauen ? (Prompteur : Sommes-nous seulement toujours des femmes?)
JEANNE
Noli deridere. (Prompteur : ne te moque pas de nous).
LE REPRÉSENTANT les considère et se rassied lentement(à part) Pas de pitié… (déclamant) « On a vu la vieillesse la plus décrépite et l’enfance la plus imbécile courir à la mort comme à l’honneur du triomphe ».
MARCIAU
Je prends ce tome-là.
SOUPOV, à MARCIAU
Crève.
LE REPRÉSENTANT, se rengorgeant
Georges Bénigne Bossuet...
FITZELLE
On sait.
LE REPRÉSENTANT
...qui n’était pas un imbécile…
JEANNE
Une ganache.
SOUPOV
Et qui puait du cul.
LE REPRÉSENTANT
Que de science !
FITZELLE, très vite
Une buse.
JEANNE, même jeu
Une couenne.
MARCIAU, même jeu
Une croûte.
SOUPOV, même jeu
Un fourneau, une gourde
FITZELLE, accélérant
Manche.
JEANNE, même jeu
Moule.
MARCIAU, même jeu
Noix.
SOUPOV, même jeu
Une tourte.
LE REPRÉSENTANT, fouillant dans sa mallette
J’ai là aussi une estampe. À vendre.
Du plat de la main il la déroule sur la table et se recule vivement. Les têtes des vieilles (sauf SOUPOV) se rejoignent. Ces dernières soulèvent l’estampe.
FITZELLE
Je vois une faux.
JEANNE
C’est faux.
SOUPOV, qui a rapproché son fauteuil
C’est une huître.
JEANNE
Je vois un texte en vers.
MARCIAU
On ne voit rien.
LE REPRÉSENTANT
Facile. (Il se lève pour tourner l’interrupteur. Debout près de la porte à Jardin, la main sur le commutateur, il les considère toutes l’une après l’autre en ricanant silencieusement)
C’est la gravure, Mesdames, qu’il faut examiner.
SOUPOV
Nous avez-vous suffisamment détaillées ?
MARCIAU
Rasseyez-vous.
LE REPRÉSENTANT baisse le bras, tire sur les plis de son pantalon en se rasseyant
La gravure a pour titre « Der Tod und der Tor ».
Elle représente en effet, traitée dans le style de Holbein, un évêque assis, coiffé d’une immense mitre en bonnet d’âne, disputant avec la Mort une partie d’échecs. La Mort est représentée de façon traditionnelle sous la forme d’un écorché assis de profil. L’immense faux qu’elle tient s’incline juste par-dessus la mitre. À son pagne grotesquement déchiqueté pend une riche aumônière, vers laquelle, par-dessous la table, l’évêque tend une main gantée toute garnie de bagues).
LE REPRÉSENTANT, prêchant
« Il est sûr que s’il y a un sou à gagner, l’imbécile l’emportera sur le philosophe » (Voltaire).
Voyez comme il sourit, l’évêque, voyez comme il croit couillonner son adversaire.
MARCIAU
Tout dépend de comment on le regarde.
LE REPRÉSENTANT
La Mort étend le bras. Elle va gagner la partie !
SOUPOV
Sûr ?
MARCIAU
...et certaine. Regarde l’échiquier. (Elle lit)
« Cil cuide engeigner la Mort
Par lui desrobber sa bource
L’imbecille doute encor
S’il a terminé sa course »
LE REPRÉSENTANT
Savez-vous que cette gravure a failli brûler ? (Il montre des taches brunâtres) Plus des coups d’épingle (il lève la gravure) autour du fer de faux… sur l’échiquier aussi, en forme de croix.
JEANNE, qui ne voit rien
En effet.
LE REPRÉSENTANT
C’était pour un exorcisme.
JEANNE
Curieux, ces déchirures.
MARCIAU
Je dirais plutôt que vous l’avez arrachée.
JEANNE, qui examine réellement l’image
Je vois des caractères en transparence.
LE REPRÉSENTANT
Un pa-limp-seste. Rien de plus courant.
MARCIAU
Comment ceci est-il tombé entre vos mains ?
LE REPRÉSENTANT
Après l’incendie de 1614…
FITZELLE
Mais encore ?
LE REPRÉSENTANT
Chocolats Bouinbouin. Complétez votre collection (d’un coup, doctoral) Savez-vous que cette estampe pa-limp-ses-tique s’est trouvée mêlée à l’une des plus fameuses a-nec-dotes de la période révolutionnaire ? (Il appuie sur un bouton dans la paroi, qui débite un enregistrement)
VOIX OFF
« Le 5 thermidor an II, le chevalier de Pierrefonds jouant aux échecs s’aperçut que la main de son partenaire, posée sur un cavalier devant lui, n’était plus qu’un assemblage infect d’os et de tendons. Levant les yeux, horrifié, il sursauta : son adversaire avait pris l’aspect d’une momie suintante. Dans le sursaut qu’il fit, l’échiquier se renversa. Par-dessous se trouvait cette gravure. Le chevalier s’enfuit aussitôt pour l’exil, sans avoir pu réunir ses biens, jusqu’à Brighton en Angleterre. L’autre se retira précipitamment par la fenêtre, en dégageant une odeur pestilentielle. Les domestiques affirmèrent sous serment que dans la rue, l’homme avait repris un aspect naturel, la perruque de travers toutefois. C’était lui que le Tribunal du Peuple avait chargé d’arrêter le Chevalier. »
SOUPOV
C’est combien ?
LE REPRÉSENTANT écrit une somme sur un papier qu’il pousse vers elle.
JEANNE
Trop cher.
LE REPRÉSENTANT
Comment ?
JEANNE, en russe
Slichkom daragoïé.
LE REPRÉSENTANT se
carre sur son siège
À prendre ou à laisser.
JEANNE
Est-ce votre compagnie qui vous demande de vendre ?
LE REPRÉSENTANT, burlesque et solennel
Certains membres de notre compagnie.
LES QUATRE VIEILLES ÉCLATENT DE RIREMARCIAU s’empare de la gravure et la scrute. Elle tire de sa poche un crayon et du papier, commence à prendre des notes.
SOUPOV, renfrognée, fait un signe de croix orthodoxe en direction de la table.
FITZELLE, accoudée au dossier de MARCIAU, lit distraitement par-dessus son épaule et bâille.
LE REPRÉSENTANT sursaute.
JEANNE, précipitamment
Dieu vous bénisse !
LES TROIS AUTRES, mécaniquement
Et vous fasse le nez comme j’ai la cuisse.
LE REPRÉSENTANT
Quelle heure est-il ?
SOUPOV
Ah que ça va être censément dans les huit heures-z-et demie.
MARCIAU sans lever le nez
L’heure que tu dégages.
FITZELLE
Ma montre s’est arrêtée.
LE REPRÉSENTANT
C’est un effet de la gravure.
MARCIAU
Ça fait tard.
LE REPRÉSENTANT
Oui, quoi-t-est-ce qu’on bouffe ? (en hébreu) Mayèsh lé-êhhol ?
FITZELLE, hargneuse
Y’a pas de chambre.
JEANNE
T’as vu ta tronche ?
SOUPOV regarde ses compagnes
Vous êtes ici chez moi (regardant le REPRÉSENTANT) Vous êtes ici chez vous.
FITZELLE
Ce sera des gaufres et rien d’autre.
LE REPRÉSENTANT fait signe que ça ne le dérange pas. SOUPOV roule son fauteuil contre la table, près de l’âtre, où son visage apparaît en pleine lumière. MARCIAU, sur la pointe des pieds, place la gravure de chant sur la table, légèrement enroulée.
SOUPOV
Personne ne vous attend ?
LE REPRÉSENTANT
Pas même vous.
JEANNE lui tend son assiette vide à bout de bras
Tiens, Azraël.
FITZELLE farfouille rageusement dans le haut du buffet ; les verres s’entrechoquent.
Il va nous taper l’incruste ce blaireau (plus haut) C’est vrai, ça, que tu es représentant de commerce ?
LE REPRÉSENTANT se fouille, se met à poil
J’ai oublié ma carte… J’ai une femme… Deux enfants… J’ai une bi- euh, une sexualité normale…
JEANNE rappuie dessus pour le rassoir.
Assis.
MARCIAU allume deux chandeliers
LE REPRÉSENTANT
Ne vous mettez pas en frais…
MARCIAU désigne la gravure magique, encadrée à présent de chandelles à la façon d’un tabernacle. La gravure doit être de biais par rapport à la salle ;
FITZELLE, désignant la gravure
Ça me brouille l’estomac.
LE REPRÉSENTANT se penche sur JEANNE pour contempler la gravure. En se rasseyant, il effleure son sein – JEANNE étouffe un petit cri. MARCIAU éteint le plafonnier. SOUPOV manipule au-dessus du foyer le gaufrier, qu’elle tourne avec adresse en se penchant sur sa gauche. Les flammes s’égaillent traîtreusement autour des plaques de fonte. FITZELLE puise abondamment à la pile que SOUPOV tente en vain de faire croître dans l’assiette. MARCIAU fait passer l’assiette, essayant d’assurer une répartition équitable.
FITZELLE
Et le rhum ?
SOUPOV
Devant tes yeux. Tu ne vois déjà plus la bouteille ?
LE REPRÉSENTANT
Après tout ce porto…
JEANNE, à son oreille
Je l’ai caché pour vous…
FITZELLE, à la régalade
Et hop ! Encore un gorgeon…
JEANNE
Elle est bien partie. Méfiez-vous.
LE REPRÉSENTANT
Une bouteille dans la gueule, ça s’évite.
FITZELLE
Le dernier, on l’a violé.
MARCIAU
Ce que j’ai pu rire… sur mon escabeau…
SOUPOV
Il courait dans tous les sens… Il ne trouvait même plus la porte…
JEANNE, mimant le représentant précédent
Bon-alors-écoutez-moi-bien-j’ai compris-v’là les papiers-j’me casse-foutez d’ma gueule-plus vous-voir-plus vous entendre-où c’est la porte-c’estça-auplaisur-du balai...(elle halète, froisse des morceaux de paperasses imaginaires qu’elle enfonce dans une mallette, roule des yeux de dément. Les autres s’esclaffent. MARCIAU, enfouie dans sagaufre, pouffe comme un édredon qu’on tape).
SOUPOV, calmée d’un coup
Il a oublié sa camelote.
FITZELLE, même jeu
C’est bien fait. D’abord j’aime pas les Arabes.
JEANNE
Pas un Arabe, il venait de Nice.
SOUPOV
C’est pareil. Au sud de la Loire, tous des nègres.
FITZELLE, outrant son accent de Toulouse
Tu sais ce qu’ils te disent, au sud de la Loire ? Est-ce que tu le sais ?
TOUS
Est-ce que tu le sais ? - Wo-oh ! - Wo-oh ! - Yeah ! - Yeah !
Tout le monde se tait d’un coup et s’empiffre.
LE REPRÉSENTANT, dans le silence masticatoire
Y a pas de cidre ?
JEANNE va lui en dénicher.
LE REPRÉSENTANT, la bouche pleine
Vous bouffez toujours ensemble ? …Je sens comme une onde entre vous…
JEANNE
...surtout entre nous deux…
MARCIAU
Ne l’écoutez pas.
FITZELLE
On parle de cul ?
JEANNE
Fitzelle, cuve et tais-toi.
SOUPOV
Nous parlerons de cul à Monsieur sitôt que Monsieur en exprimera le désir…
SOUPOV tourne plus vite le gaufrier, dans un bruit d’armure. JEANNE souffle à grand bruit sur sa gaufre.
LE REPRÉSENTANT
Depuis quand vous connaissez-vous ?
SOUPOV, long regard vers MARCIAU
Depuis bien assez de temps.
MARCIAU s’est plongée dans des mots croisés
JEANNE
C’est pour moi que tu dis ça ?
LE REPRÉSENTANT se frotte les mains pour en ôter quelques miettes de sucre.
JEANNE, à FITZELLE
On s’est connues les premières.
SOUPOV
Pardon, j’ai connu Fitzelle bien avant toi.
FITZELLE
...Petites annonces…
SOUPOV
Besoin de quelqu’un pour m’aider ?
FITZELLE
Serpillières molles, seaux hygiéniques, le gant de crin sous les aisselles…
SOUPOV
...et sous les seins…
JEANNE, à FITZELLE
C’est vrai, tu m’en avais touché un mot au bal (déclamant) Il est vrai que vous eussiez été aussi ébahie que je le fus moi-même à contempler Fifi vêtue de noir et chapeautée, tricot en bataille et tritaille en bacot, lorgnant libidineusement les ébats zémézabés d’une jeunesse en fleur, battant de sa pantoufle le tempo d’un baïon. Quelle aventure cherchait-elle en ces lieux ?
FITZELLE
Et toi ?
JEANNE, solennelle
J’observais.
FITZELLE
Et qu’est-ce que j’avais de si observable ?
JEANNE
T’étais mon type, t’étais mon genre. Exactement la petite vieille qu’il me fallait.
FITZELLE
On le saura que t’as été gouine trois semaines… « P’tite vieille »… « P’tite vieille »… Est-ce qye j’ai une gueule de p’tite vieille ? …T’avais qu’à te regarder, eh, cadavre !
SOUPOV
À soixante-dix ans on n’est pas vieux.
JEANNE À ta place je me serais sentie flattée de servir de modèle à un écrivain de talent.
MARCIAU, très vite, à SOUPOV
75
JEANNE, même jeu
72
SOUPOV, geignarde
73
FITZELLE, à SOUPOV
Et avant de clamser, tu vas te décider à me les payer, les trois derniers mois ?
SOUPOV
Et les trente-trois kilos de gaufres ? Et la copine que tu as ramenée ? (sans laisser à JEANNE le temps de rétorquer) et la MARCIAU, est-ce que je lui ai demandé de taper l’incruste ? Oh ! Tu en sors, de tes mots croisés ?
JEANNE et FITZELLE
On peut toutes foutre le camp, si tu veux !
SOUPOV
Autant que je crève, dites-le tout de suite ! (quinte de toux)
LE REPRÉSENTANT, au bord de l’extase, susurrant
Je suis de trop, peut-être… ?
JEANNE lui prend le poignet d’un air de reproche. SOUPOV étouffe pour de bon.
FITZELLE, essayant de la redresser :
C’est qu’elle se laisserait bien crever, l’abrutie ! (criant) Les nerfs ! Ça se commande !
SOUPOV se redresse seule en soufflant, les yeux égarés, puis reprend son gaufrier. Scène muette. MARCIAU roule la gravure à côté de son assiette, JEANNE grignote, MARCIAU se remet à ses mots croisés en se tamponnant le front. La fumée envahit peu à peu la pièce.
LE REPRÉSENTANT
Y a pas la télé ?
SOUPOV
Derrière vous.
JEANNE
On ne l’allume pas.
LE REPRÉSENTANT se lève et tourne le bouton. L’appareil est détraqué. Ronronnement énorme. On ne voit à l’écran que des boursouflures intestinales mauves et violavcée :
C’est pas Urgences, là ? Perplexe, il coupe le contact, se rassoit, s’envoie une gaufre.
Alors des disques, la radio ?
JEANNE
UN disque.
FITZELLE
Un Requiem. Évidemment.
MARCIAU place la gravure sur le manteau de cheminée. L’âtre ronfle à toute force.
LE REPRÉSENTANT
Ça sent bon finalement, ici.
FITZELLE
D’habitude chez les vieux ça pue.
MARCIAU
Même qu’on entend une grosse horloge, tac… tac… tac…
JEANNE
C’est la Mort qui s’avance, gnac, gnac, gnac
SOUPOV
J’aime pas les horloges.
LE REPRÉSENTANT se renverse sur sa chaise, se passe la mai autour du cou
Je suffoque.
FITZELLE
On n’ouvre pas les fenêtres, non plus.
MARCIAU
Trop froid dehors
LE REPRÉSENTANT, vivement effrayé
Dehors ???!!!
FITZELLE
On ne t’a pas forcé à venir.
JEANNE
Moi je lis.
SOUPOV
Je tricote.
MARCIAU
Et elle pense. (D’un coup) : Les mots croisés, c’est bien. Consonnes, voyelles, hiéroglyphes. Conquête et labyrinthes ! Exemples de définitions, pour « désir » : (elle récite) Inconstant. Ferme. Fugitif. Momentané, ardent.
JEANNE
Avivé.
FITZELLE
Avide.
SOUPOV
Aveugle.
Une pause.
MARCIAU, FITZELLE, ensemble
Déréglé. Extrême.
SOUPOV
Exaspéré.
JEANNE
Exclusif.
Une pause.
SOUPOV, JEANNE, FITZELLE, ensemble
Immodére. Impétueux. Irraisonné !
Une pause.
SOUPOV
Physique.
FITZELLE
Pressant !
SOUPOV
Refoulé.
LE REPRÉSENTANT
Satisfait.
Toutes le regardent avec intensité.
JEANNE
On en est dévoré, miné, éperdu !
MARCIAU
Minet est perdu.
FITZELLE
Ta gueule.
JEANNE
Affamé, rempli !
FITZELLE
Ivre !
SOUPOV
On en meurt, on en brûle, on en crie.
Accelerando
MARCIAU
On l’allume.
FITZELLE
On l’attise.
JEANNE
On l’avive.
SOUPOV
On le fouette.
MARCIAU, ralentissant progressivement son débit
On le borne, on le réfrène, on l’éteint.
LE REPRÉSENTANT, pensif
Il naît.
JEANNE
Se déclenche.
FITZELLE
Croît.
JEANNE
Meueueuh…
FITZELLE
Re-ta gueule. Monte, s’exaspère.
MARCIAU
S’attiédit.
Accelerando
MARCIAU
Désir du gain.
JEANNE
Des richesses.
FITZELLE
Du confort.
JEANNE
De la gloire, des honneurs.
SOUPOV
De l’im-mor-ta-li-té.
Les quatre vieilles sont attentives, SOUPOV tient sa louche, JEANNE pince les lèvres, FITZELLE darde ses yeux ivres.
MARCIAU serre à la main ses lunettes de fer. Elle tend une grille incomplète.
Deux verticalement, monsieur le Représentant. « On s’essouffle à sa poursuite », en sept lettres.
SOUPOV
« Orgasme ».
MARCIAU
Ça colle pas.
SOUPOV
Ben si, justement .
LE REPRÉSENTANT
Vous pourriez retrouver tout cela dans notre Ency…
JEANNE
« Culotte » ?
LE REPRÉSENTANT
...clopédie, qui présente sous le format le plus…
FITZELLE, au REPRÉSENTANT
Mais vous, qu’est-ce que vous en pensez ?
LE REPRÉSENTANT
Moi ? ...de quoi ?
MARCIAU
Jeanne ! si je te dis « poisson gadidé », qu’est-ce que tu réponds ? - comme ça, spontanément ?
LE REPRÉSENTANT
En sept lettres, « bonheur » ?
FITZELLE, froidement
Monsieur retarde (elle s’empare du volume, LE REPRÉSENTANT essaie de le récupérer
MARCIAU
...Vous aviez dit combien, pour les mensualités ?
LE REPRÉSENTANT
...Trente euros ?
JEANNE, au REPRÉSENTANT
Hymen, gland, cul, ça y est, dedans ?
LE REPRÉSENTANT
Certainement – je suppose – vou-lez-vous-lâ-cher-mon-doigt ?
JEANNE
C’est trop !
LE REPRÉSENTANT
Comment çà, trop ?
SOUPOV
Trente euros.
MARCIAU
« Oseille » ! Eurêka !
LE REPRÉSENTANT siffle cul sec le fond d’une bouteille
Parfait mesdames ! La langue française n’a plus de secrets pour vous !
JEANNE
Es kann gut sein...(« Ça se peut bien. ») - les traductions apparaissent sur un prompteur u-dessus de la scène)
FITZELLE
¡Es divertido ! (« Il est amusant ! »)
MARCIAU
I’d rather say : ridiculous ! (« Je dirais plutôt : ridicule ! »)
LE REPRÉSENTANT lui agrippe le bras
Vous ! Vous là ! d’où sort cet anglais de cuisine ?
MARCIAU
Sie hurten mich ! (« Vous me faites mal ! ») à SOUPOV Me l'hai insegnato, vero? (“C’est toi qui me l’as appris, pas vrai ?”)
SOUPOV
Não è impossível (« Ce n’est pas impossible »)
MARCIAU
Κοίταxe πόσο κόκκινο είναι, ο κύριος
Kíta póso kókkino inè kýrios («Regarde comme il est rouge, le monsieur »)
LE REPRÉSENTANT, bafouillant
De votre temps… d’vot’ temps… on passait le certif à 12 ans – à 14 on gardait les vaches…
JEANNE
Bibit,nec scit mentem suam tenere (« Il boit, et ne sait pas se tenir ») Be quiet ! (« Restez tranquille ! »)
SOUPOV
Bleiben Sie ruhig !
JEANNE, traduisant
Calmez-vous (Elle lui serre la main, qu’il retire ; lui sert un verre, qu’il repousse, puis il se ravise et l’engloutit. Le verre.)
LE REPRÉSENTANT va cueillir sur la cheminée la gravure enroulée, la déplie rapidement sur le table
Chaque mot découvre un visage. Ainsi le Jeu Royal…
MARCIAU
Ech-chah mâtt, « le roi est mort »
JEANNE
Schachspiel…
FITZELLE
Scaccchi, chesse, latrunculi…
MARCIAU
Juegar al ajedrez (« Jouer aux échecs »)
SOUPÖV
Szachy.
JEANNE
Xadrez
LE REPRÉSENTANT, haletant
...or, que remarquez-vous, là, sous les pieds de l’évêque ?
SOUPOV
Tsa’bân, orm, medjazz… un serpent…
LE REPRÉSENTANT désigne à mesure les éléments de la gravure
La faux de la mort…
FITZELLE
Die Hippe des Todes.
LE REPRÉSENTANT
En roumain !
SOUPOV
A mieţa (« la mitre »)
LE REPRÉSENTANT, désignant les objets comme un maître d’école
En finnois !
JEANNE
Börekkü (« la bourse »)
LE REPRÉSENTANT
En turc !
MARCIAU
Karath (« la croix »)
LE REPRÉSENTANT, écarlate
Vous inventez !
JEANNE, désignant FITZELLE
¡ Ella si que inventa !
FITZELLE , chantonnant
Djoï, notsi, djash, soudjis (« chien, mitre, faux, rocher »)
LE REPRÉSENTANT retombe sur son siège, cramoisi.
JEANNE, lui tamponnant le front avec un mouchoir
Nous ne comprenons pas un traître mot de toutes ces langues…
LE REPRÉSENTANT, haletant
Mi sciis, ke ĝi estas neebla (« Je savais bien que c’était impossible », en espéranto…)
FITZELLE extrait d’une armoire murale un vieil accordéon octogonal (« concertina »). L’instrument maladroitement saisi d’une seule main laisse échapper une plainte aigre
À la cabreto !
FITZELLE joue et se met à danser. JEANNE l’accompagne. Chantant :
« Cuando vieïra l’aguada
Que maliz en la payn
A pesar del alcalde... » ad libitum, occitan de cuisine… même pas…
JEANNE enchaîne d’anguleux sauts de chats et se marche sur les pieds. FITZELLE en pantoufles grotesques rythme en zapateado mou, et brandit l’instrument au-dessus de sa tête. SOUPÖV tourne et rôtit ses gaufres comme un diable ses damnés. MARCIAU saisit le fauteuil par derrière et roule SOUPOV en rond.
SOUPOV
Les gaufres qui crament !
JEANNE s’interrompt, laissant sa partenaire les bras en l’air et disparaît dans une resserre.
Des pommes !
MARCIAU court au buffet
Du beurre !
FITZELLE, dégageant sa main de la courroie de l’instrument
De l’huile !
JEANNE revient chargée de pommes, MARCIAU tient déjà la poêle. SOUPOV tousse et s’empiffre. Les premières épluchures se déroulent.
MARCIAU
Il faudrait du punch.
FITZELLE
Ça je m’en occupe ! (elle ouvre à la volée la porte du placard. Toutes confectionnent une vaste omelette aux pommes flambées, SOUPOV accélérant de son côté sa cadence de grillade de gaufres.
SOUPOV
Sucre… Oranges… Dépêchez-vous !
Agitation frénétique de bras, couteaux, écumoire. LE REPRÉSENTANT se gave et rote. FITZELLE enflamme le plat, tous les visages se rassemblent par dessus.
TOUTES ENSEMBLE
Un beignet, un ! ...Attrape ! ...Une louchée ! ...C’est fort - t’as mis du cognac ? ...Sugar, please… - Qu’est-ce qu’on peut chanter ? ...C’est trop doux ! ...Il en reste ? ...Il faut finir les gaufres !
FITZELLE
« Quand’yo te foutch la man’ al culo…
MARCIAU
Pas celle- là !
SOUPOV
Quelle horreur !
LE REPRÉSENTANT frappe du poing. Voix pâteuse et terrible.
Moi j’en connais une !
Il se hisse pesamment sur sa chaise. Les rures s’enrayent. La sueur scintille. Il a l’air d’un taureau ridicule. Dressé sur ses genoux écartés, il parvient au centre de la lourde table.
Je vais vous en pousser une bonne…
MARCIAU
Je crains le pire.
LE REPRÉSENTANT, beuglant
Dies Irae dies illa… (ses deux bas battent vigoureusement la mesure)
FITZELLE, ricanant
Il va passer par la cheminée.
SOUPOV
À moins que le plancher ne s’entrouvre, DE PRÉFÉRENCE.
LE REPRÉSENTANT s’interrompt,pivotant sur ses genoux, tendant l’index
Les bouquins, OK, je vous les laisse. Mais la gravure – faut me l’acheter.
TOUTES se récrient
LE REPRÉSENTANT
À vous quatre, ça fait quatre cents (plongeant sa main entre les seins de SOUPOV) ...les biftons !
MARCIAU atteint LE REPRÉSENTANT à la cheville d’un coup de tisonnier
SOUPOV, reboutonnant calmement sa liseuse
Nous achetons.
LE REPRÉSENTANT descend de la table, riant d’une oreille à l’autre. De sa mallette il tire une bourse rouge à cordon. JEANNE y met 50€, FITZELLE va chercher un billet dans son sac à main suspendu à la poignée de la fenêtre. MARCIAU tend son billet.
LE REPRÉSENTANT, tourné vers SOUPOV
Reste 250.
SOUPOV tire des plis de sa robe un porte-monnaie plat et noir à fermeture d’or et le jette à terre.
Ramasse…
LE REPRÉSENTANT enfouit la bourse rouge dans une poche ; souffle grossièrement du nez deux ou trois fois et se dirige vers la porte. Se retournant vers la gravure étalée sur la table :
Ceci vous appartien ! Il repart, se tourne encore : I SHALL RETURN !
Il sort en éteignant exprès le plafonnier. Les femmes se retrouvent à la seule lumière du foyer. On l’entend chanter le Dies Irae en coulisse.
JEANNE, stridente
Foutez-moi ça au feu !
FITZELLE avance la main, SOUPOV la retient au poignet, MARCIAU la fixe, elle relâche son étreinte, FITZELLE étire l’estampe entre le pouce et l’indes de chaque main, la levant ensuite pour montrer les personnages par transparence, et pose la gravure à plat sur le feu, où elle se consume.
A C T E D E U X
Même décor. Lumière gris froid. Brouillard et givre aux fenêtres. SOUPOV, JEANNE assise auprès d’elle. FITZELLE. MARCIAU. La table est encore encombrée des quatre tomes de l’encyclopédie Watson jetés pêle-mêle.
FITZELLE
Il y avait du monde. Les Rubeaux, Nicole Chust, le curé…
MARCIAU
On ne le connaît pas, ton cuiré.
FITZELLE, sombre
Il y était, l’autre.
MARCIAU
Le Niçois ?
Le jour se lève, jaune, malsain. Buée sur les vitres.
FITZELLE, égayée
La dernière fois que je l’ai vu…
JEANNE
Si tu l’as vu…
FITZELLE
Il schlinguait à trois mètres.
SOUPOV
Grand, les joues creuses, un peu raide.
FITZELLE
Qu’est-ce qu’il éclusait les derniers temps… comment il s’appelait, déjà, le curé ? (SOUPOV commence à traver un nom dans la buée) – non, l’autre, le grand roux avec la grosse tête…
SOUPOV
Mon deuxième, il mettait son complet gris fer, il s’assoyait tout raide et on débouchait la bouteille de cacao alcacaolisée.
FITZELLE
La dernière fois c’était plutôt le gros rouge. « Eh la vieille ! » y me dit, »t’as rien à boire dans ton sac ? »
SOUPOV
Il portait une cravate. On se faisait du pied sous la table.
FITZELLE
« Quand t’auras dessoûlé » je lui réponds. Alors il me dit, en se rapprochant : « Aujourd’hui faut que j’boive un coup ; c’est mon anniversaire de mariage ! »
SOUPOV
On était bien pompettovitch, tous les deux…
FITZELLE
La sœur à Chotte, y a que l’curé qui lui est pas passé dessus… et encore…
SOUPOV
Et encore, et encore, et encore…
FITZELLE
« Comment » j’lui dis, « vous avez pas honte eud’ vous mett’ dans des états pareils ? Tu f’rais mieux d’aller soigner ta triple vérole », « oui » qu’y m’dit. Moi j’relève surtout pas, j’me détourne parce qu’y puait, la vache, mais v’là qu’y m’rappelle…
SOUPOV
Je devais lui changer les draps tous les cinq jours.
FITZELLE
Et tu sais qui j’ai vu aux quatre coins du poêle ?
SOUPOV
Y en avait partout. Même sur les murs, des traces que j’ai pas pu ravoir.
FITZELLE, s’exclamant soudain
Ignace ! (SOUPOV redresse d’un coup la tête) Voilà ! c’est comme ça qu’il s’appelle : l’abbé Ignace !
JEANNE, à SOUPOV
Comment, tu logeais ce type chez toi ?
SOUPOV
La chambre du premier, à Monségur…
JEANNE, d’un ton pénétr
Ach, Montségur…
SOUPOV
Non, l’autre, dans le Lot-et-Garonne, près de Fumel.
FITZELLE agite lentement les bras dans la semi-obscurité
...ils étaient quatre à porter le drap noir à grosse larme d’argent, un à chaque coin, bien en haut, pour pas salir le velours…
SOUPOV
Il disait « Ma bite est le cercueil, tu es la fosse » (bien prononcer comme « brosse » et non comme « grosse ») , il me disait aussi « tu sens le pourri ça m’excite ».
FITZELLE
Il a voulu souffrir jusqu’au bout. « Sans morphine », qu’y disait. « Pas de piqûre ». C’est Louise-Anastasie qui m’a tout raconté. « À l’ancienne », y disait.
SOUPOV
Tous les jours il faisait sa promenade au cimetière. Tous les cimetières du coin il les a faits. Même la nuit. On l’a retrouvé complètement zapot au milieu des tombes. « Salut les copains ! On s’amuse à l’intérieur ! » - il n’en a pas parlé, de ça, dans son roman…
JEANNE
Son roman ?
SOUPOV
Il m’en a dédicacé un exemplaire je me demande où je l’ai fourré. Je suis tombé sur des horreurs. Il allait regarder les gosses se tripoter dans les buissons. Et avec l’instituteur par dessus le marché. Il faisaient bien la paire ces deux-là. Sans compter la Lettonne du maître d’école. Je n’ai pas pu tout lire.
FITZELLE
« Tu viens pas nous voir tous les deux ?- Qui çà les deux ? - Ben le Raymond ! t’as pas connu Bernès, tu temps qu’t’étais pute ? » - moi j’étais vexée vous pensez, il schlinguait des pieds, du cul, de partout, que c’était une vrai infection. Avec Raymond l’instite ils habitaient une cabane en planches dans le bois de Monflanque...
Elle rajuste les plis de la couverture sur les genoux de SOUPOV)
MARCIAU fouille la mallette oubliée du REPRÉSENTANT. Elle en tire, à mesure, des cartes routières, un étui à peigne, un carnet.
Augmenter la lueur du lampadaire.
JEANNE s’approche et lit par-dessus son épaule.
« Trom Mersent ». Drôle de nom. (Sans conviction) Il faudrait peut-être le lui renvoyer.
SOUPOV
Il l’a laissée exprès.
JEANNE et MARCIAU explorent les cartes routières.
LE REPRÉSENTANT, voix off
8 février 8h. Pont sur la Tardoire. Forte montée. Plein nord, pluie, femme rousse, seins obtus. (MARCIAU suit du doigt sur la carte) Cimetière de Maisonnais. Cote 284. Nestor Astier, 1920-1972, 52 ans. Bernadette Ouffres, 1898-1943, 45 ans. PPE.
MARCIAU
« Priez pour elle »
LE REPRÉSENTANT, même jeu
Louis Thimeau, Isidore Blas, Ursule Athmann.
Vers les Dognons, « E.W. »
MARCIAU
« Encyclopédie Watson »
LE REPRÉSENTANT, même jeu
St-Mathieu. Sole meunière. Commande : Trois cercueils, Un crâne, Trois « Regrets Éternels ». Tête des clients.
Bruits d’une automobile qui peine dans une montée ; coups de feu (mitraillette, mortier)
FITZELLE
Il pouvait plus parler, on venait de lui faire sa morphine.
SOUPOV
Ça empêche vraiment de souffrir, ce truc-là ?
MARCIAU, suit du doigt sur la carte
« Cromières »… Plein la bouche : crom-crom… « Cussac »…
FITZELLE poursuit par gestes le récit de l’agonie,s’apitoie, s’effare en claquant du bec avec des mines gourmandes, SOUPOV suit son récit muet avec un respect croissant. Recouvrant la parole :
Il roulait des yeux, comme ça, et il essayait de se redresser « Hââ, Hââ », qu’il faisait – puis à un moment donné, il s’est mis à respirer très fort – et il ramenait tout les draps -
SOUPOV
Et puis ?
FITZELLE, très vite
Il est retombé en arrière, la bouche de travers… Il a fallu lui enfoncer la communion…
MARCIAU
Charles Ayant (1901-1978
Christiane Pithuite (1905-1982)
FITZELLE, tournée brusquement vers elle
Il prévoit ceux qui vont mourir ?
SOUPOV se signe à la mode slave
JEANNE
Et pour nous, il y a quelque chose ?
MARCIAU
Il a sauté Limoges. Ça reprend à St-Léonard.
JEANNE
De Noblat ?
MARCIAU
De Noblat.
SOUPOV même jeu.
JEANNE
Tu crois en Dieu maintenant, Souponievchka ?
SOUPOV
À tout hasard…
MARCIAU
C’est comme tes origines russes. On n’en croit pas un mot.
SOUPOV très digne
Mon premier mari était de Dniéproguess///
MARCIAU
Quinze mois de mariage, tu parles…
FITZELE
En tout cas y a pas la queue d’un cruifix
JEANNE
Pas plus que de miroir.
MARCIAU
Vu ta gueule ça vaut mieux.
FITZELLE
Onze heures ! Faut qu’j’aille chauffer la soupe à mon homme!(à SOUPOV) Je reviens juste après pour la tienne.
VOIX hors champ, solennelle
Depuis combien de temps qu’elle se le trimballe, la FITZELLE, par tous les temps, d’un éclopé l’autre, rue Boudard, rue Pelleteux, faire pisser le vieux, faire chier la vieille… Les vieux, ça perd la mémoire, ça parle seul dans la rue. Tous les passés se valent. Des anniversaires de morts, de mariages. Les gros sabots. La pluie fine. Le vieux qui tombe de sa chaise. Frotter le sol, tendre l’assiette, ravauder, se confier à la mort le long des façades, entre deux piaules.
A C T E T R O I S, PREMIER TABLEAU
Le décor est sensiblement le même. Simplement, un éclairage différent permet de constater qu’on se trouve dans un autre intérieur misérable, avec un VIEIL HOMME, cette fois, dans un fauteuil médicalisé.
FITZELLE
J’te prépare un potage.
LE VIEUX
Hnnn hoan…
FITZELLE approche une assiette pleine, traînant après elle une chaise paillée. LE VIEUX la lui renverse méchamment d’un revers de bras. Son regard est dur.
FITZELLE
Crève ! (elle s’essuie les yeux)
DIALOGUE OFF
FITZELLE : Té, ça fait longtemps qu’y bande plus… Et y fodré engcore que je le suce…
JEANNE : C’était quand la dernière fois ?
FITZELLE : Ça fait longtemps qu’j’y fais plus attention… Je suis pas une obsédée comme vous…
DEUXIÈME TABLEAU
Nuit. FITZELLE se promène en clopinant. Les yeux charbonnés, sur la tête un catogan à oreilles de Mickey. Une palissade de terrain vague. Des grues dardant leur antenne aveugle. Chantiers béants. Au coin des sentiers les rôdeurs se concertent. FITZELLE porte un cabas gris bourré de pelotes et de légumes.
UN RÔDEUR
...Ouais, plus d’emmerdes que d’oseille…
FITZELLE sourit. Au bout d’une place mal tracée, une enseigne rouge s’étire sous quinze étages de béton : TAXI-CLUB. Fort grésillement du néon. Elle attend. Sur les pavés rougeoyants passent des ombres d’ivrognes des deux sexes. L’enseigne s’éteint. Grondement de la ville. Devant la porte assombrie une ombre remue les poubelles et s’éloigne. On entend tinter dans sa poche un trousseau de clés.
Comment va mon fils ? ...Comment va mon fils !…
L’OMBRE revient sur ses pas en vacillant. C’est un homme qui porte un complet de confection. Brun, assez laid, il sourit dans le vide. De la tête aux pieds il ressemble à un nounours qui se dandine.
FITZELLE
Pardonnez-moi Monsieur je vous aborde comme ça en pleine nuit n’allez pas vous imaginer, vous voyez comme je suis habillée ça n’est pas mon genre – parce que dès qu’une femme aborde un homme on s’imagine tout de suite - surtout une vieille comme moi qui aborde un jeune homme comme vous -
L’HOMME s’arrête, les mains dans les poches.Il cherche des yeux dans le noir. Il n’a jamais cessé de sourire dans le vide, on voit les lames blanches de ses manchettes.
FITZELLE
D’habitude je sors « en cloche », le vieux manteau la voiletteet hop, je trottine le long des murs. Comme un vieux rongeur. Personne pour m’enquiquiner. Et regardez comme c’est bête les hommes, il suffit qu’aujourd’hui je sois sortie en cheveux avec ça – elle désigne une espèce de catogan serre-tête en velours comiquement posé sur le sommet du crâne - eh bien vous voyez le type là-bas qui traverse, il m’a abordée, il voulait coueher avec moi, c’est terrible tout de même pour une femme je me demande à quel âge je serai débarrassée, je l’ai remballé, il a insisté, je lui ai dit « Mon vieux t’as l’air con », je ne sais pas moi je serais un homme on me dirait « t’as l’air con » ça me vexerait mais lui non il remettait ça tenez le v’là encore qui traîne, ne vous en allez pas tout de suite…
L’HOMME, débit lourd des gens du Nord
Les hommes, c’est tous des cochons.
FITZELLE
Tenez l’autre jour je monte dans une voiture en stop – je ne le fais plus c’est trop risqué – à peine cent mètres toc ! tout de suite, la main sur la cuisse ! Je lui ai dit « merde » et je suis redescendue ! « merde », je lui ai dit comme ça, je ne sais pas, je serais un homme…
L’HOMME émet un sifflement de mépris.
FITZELLE
Vous me permettez de dire ça, vous comprenez ce que je veux dire, j’ai tout de suite vu que vous n’étiez pas comme les autres, au fond vous voyez, vous les hommes vous n’avez pas de veine, vous n’êtes jamais sûrs de bien tomber, vous allez vers une fille et toc, vous êtes refusés, souvent moi quand je vois les jeunes filles faire les coquettes moi tel que je vous le dis j’aurais préféré être un homme : attaquer!L’ennui c’est que vous n’avez pas plutôt fait un mouvement vers une femme, toc ! elles vous font marcher, c’est fini, mais si vous restez là dans votre coin sans bouger alors là… - moi je suis Spychologue, c’est de la Spychologie ça Monsieur, je n’ai pas fait d’études mais j’ai beaucoup lu, je sais bien comment elles font allez, les femmes, et puis les hommes aussi, c’est le manège éternel, et si vous restez sans bouger vous êtes sûrs que la femme va aller vers vous, sinon c’est les femmes qui choisissent et ça c’est vrai dans le fond elles auront toujours l’avantage.
L’HOMME fait un pas de côté.
FITZELLE pose la main sur le bras de l’homme
Mon fils, mon fils…
L’HOMME
Plaît-il ?
FITZELLE
Vous connaissez mon fils, Denis, Denis Fitzel…
L’HOMME rejette la tête en arrière
...travaille plus ici…
FITZELLE, lâchant son bras
Attendez, attendez – si vous pouviez lui remettre…
L’HOMME
Je ne sais pas où il est.
FITZELLE, fouille nerveusement dans son cabas, un genou levé
Juste un petit message…
L’HOMME se fouille, il n’a ni papier ni stylp
FITZELLE
Mais Fitzel, Klaus Fitzel, vous l’avez bien connu…
L’HOMME
La Ficelle ? Ça va faire trois mois qu’il est pati.
FITZELLE
Mais vous avez l’air si…
L’HOMME rit silencieusement, découvrant ses dents sous la lumière
FITZELLE est parvenue à retrouver un bout e crayon
Vous avez de ses nouvelles ?
L’HOMME, inexpressif
Il est à Paris, je crois… Marseille, je sais plus...
Il fait trois pas, FITZELLE le suit
FITZELLE
J’aurais bien voulu voyager… la Bulgarie, la Roumanie, l’Australie…
L’HOMME
De beaux pays… (il s’aloigne)
FITZELLE, le prenant par la main
Laisse-moi lire…
L’HOMME
Je vais m’installer à mon compte, à Rouen, avec Klaus…
FITZELLE
Klaus…
L’HOMME
Klaus Titzmann, un ami…
FITZELLE tire de sa poche une poignée de bons de réduction
50c de réduction sur le prochain achat de…
L’HOMME
Donne. (Il le fourre dans sa poche ; une étiquette rouge lui échappe dans le caniveau)
FITZELLE la ramasse, l’essuie sur sa jupe, le rejoint
J’habite à côté, la petite rue à droite…
L’HOMME
Moi je tourne à droite, alors…
FITZELLE
Excusez-moi Monsieur je vous ai abordé comme ça en pleine nuit n’allez pas vous figurer…
Elle pousse une porte et
TROISIÉME TABLEAU
OU ENTRACTE, CHANGEMENT DE DÉCOR
...nous retrouvons le tableau du début. FITZELLE bouscule la porte, s’essuie les yeux
et se déchausse en trébuchant sur le paillasson. Ôte son châle en reniflant. Odeur de vieux deuil – cierges et suie mouillée.
MARCIAU
La porte !
SOUPOV, voix de cou, adipeuse
Qu’est-ce qui t’arrive ?
FITZELLE reprend péniblement son souffle, comme au fond d’un aquarium, secoue son parapluie
MARCIAU ricane en silence, la désigne à l’infirm, avec une pitié dans les yeux
Elle finira bien par y laisser la peau, dans ses enterrements…
JEANNE conduit FITZELLE par le coude jusqu’à la table
Je te prépare une camomille (JEANNE allonge le bras vers un carnet au centre de la table) Qu’est-ce qui peut bien t’attirer à toutes ces mises en terre… Tu ne les connais pas, tout de même, tous ces cadavres.
SOUPOV, grave
Toute mort est une connaissance à moi…
MARCIAU
Tu fais plutôt une tête de découchée.
FITZELLE
...Y reste du rhum ?
SOUPOV
Obsèques à dix heures trente.
MARCIAU, assise, jambes repliées, les pieds sur le barreau de chaise ; elle tient une revue de mots croisés ; hennissant, le buste incliné :
Le Destin ! « Pom-Pom-Pom-Po-o-om »… «Elle y croit ! « Il reviendra ! » « Juger les vivants et les morts ! » - tous ceux qu’on s’est branchés ? ...Tiens Fitzelle, viens donc apprendre à ne plus tousser, à couvrir tes épaules… (elle les lui entoure avec le tricot ; l’entraîne sur une chaise au coin du feu)
SOUPOV
Tu piques de gauche à droite… L’aiguille droite dans la première maille… par dessus, comme ça…
FITZELLE a pris un tricot, s’applique, lèvres serrées, épaules hautes ; MARCIAU, à côté d’elle, corrige la main rhumatisante.
SOUPOV
Je l’ai toujours eue, cette pipe, et bien avant toi. Je ne l’ai jamais cachée.
JEANNE tire de sa poche une revue poétique
Y a même pas d’images. Mais je suis publiée. J’ai mis le pied dans l’embrasure. Le vieux truc du représentant.
Le tricot s’allonge entre les mains de FITZELLE comme une vie sans but. MARCIAU de ses bras courts papillonne autour de ses épaules toujours relevées.
JEANNE
Nous sommes moches. (Un temps) Même pas piteusement. Juste moches. (Elle dévisage FITZELLE ; elle pense aux enfants qu’elle-même n’a pas eus, tout un passé absent sous les chipoteries et les tours de cartes...°
Saint Louis de Gonsague jouant à la balle, son précepteur lui de:anda ce qu’il ferait si la fin du monde était annoncée d’ici vingt minutes . « Je » répondit-il « continuerais à jouer à la balle ».
SOUPOV
Et comment…
JEANNE
C’est une force de connaître ses faiblesses.
SOUPOV
Pascal.
JEANNE
Tu es sûre ?
SOUPOV
Non, là j’invente.
JEANNE, imitant l’éditeur
Faudra me couper cinquante pages… Et puis ce dénouement, ça ne vaut rien. - Oui Monsieur l’Éditeur. Ben voyons Monsieur l’Éditeur.
SOUPOV, bâillant
J’ai entendu ça à la radio.
JEANNE
Ils tripotent les manuscrits…
SOUPOV
Tant que c’est pas les petites filles…
JEANNE
Quand je serai archiconnue (désignant le lino d’un doigt vengeur) ils viendront tous se traîner à mes pieds… ils éditerons jusqu’à mes notes de blanchisserie…
SOUPOV
Pour toi ce sera de noircisserie…
JEANNE, postillonnant
À quatre pattes que je me foutrai, sur trente-neuf bureaux, avant d’être la quarantième à l’Académie Sans Fraises !
SOUPOV
À l’Acacacadémie.
MARCIAU
En attendant Godot.
FITZELLE
Eh b cong…
MARCIAU
Tu t’es bien regardée, à poil ?
JEANNE
Parfaitement ! et moi ça ne fait pas dix ans que j ‘ai rien eu dans le ventre ! Qu’est-ce que vous avez toutes à vous étrangler ?
SOUPOV
On ne s’étrangle pas, on rigole.
FITZELLE
Même qu’on se fout de ta gueule.
SOUPOV
Éventuellement.
JEANNE
Vieilles taupes… Tas de cadavres… (tournée vers SOUPOV, à mi-voix) Petite crotte de cerveau frétillant dans sa graisse… (elle s’installe et lit, promenant par-dessus ses lunettes un regard circulaire et avantageux) (JEANNE fait les gestes ; VOIX off, solennelle)
Mon chien Pataud
A le nez gros
Et lève la patte
Sur les tomates.
JEANNE, suite :
Pour chatouiller les seins sous les chemises claires… (suffoquant d’émotion)
Au loin résonne le tocsin
Il apporte le témoignage
que la vie court vers son déclin -
L’UNIVERS DE L’HOMME SE MEURT !
(Elle laisse retomber son bras .Autour d’elle règne la plus complète indifférence)
(au lieu de lire, elle récite)
Feuille fille, fille-feuille
Tu commences à te farder…
Feuille-fille est destituée
Au trottoir son corps est rendu ;
Feuille-fille s’est ptostituée
Le ventre à tous les vents, le cœur à tous les pieds… (ambiance longue pluie, asphalte et chien mouillé) (hurlant) :
SOUPOV, TU N’ÉCOUTES PAS !
SOUPOV
Mais si… Ma pauvre…
JEANNE
JE NE SUIS PAS PAUVRE !
SOUPOV se retourne péniblement sur son siège, atteint l’interrupteur. Lumière froide de plafonnier. MARCIAU allume aussi le lampadaire)
On va toutes crever…
FITZELLE
Pas toutes à la fois.
MARCIAU, qui a reprisses mots croisés
En tout cas on ne s’attendra pas beaucoup…
FITZELLE
C’est les gros qui crèvent d’abord
SOUPOV
C’est les plus chiantes qui partent en dernier.
MARCIAU
Passé la premire, ce sera l’effet domino…
JEANNE
Plutôt crever !
MARCIAU, à JEANNE
Toi il te faudrait des morts pittoresqies… Avec des bons mots, des faux départs…
JEANNE
Parce que tu t’imagines peut-être qu’on aura tout son temps ?
SOUPOV
Nous sommes immortelles. Nous passerons toutes à la postérité.
MARCIAU
On se joue notre tour de crève aux cartes ?
JEANNE, à FITZELLE
Tu as peur de quoi ? ...du Père Fouettard ?
MARCIAU
Y aura rien du tout ! Vous entendez ? (elle frappe sa feuille de ses lunettes fermées)
Sacré nom de Dieu !
SOUPOV se signe à l’orthodoxe
Tais-toi...
MARCIAU
Paraît qu’on débite de drôles de choses quand on crève…
SOUPOV même jeu
Tais-toi .
MARCIAU
Même que les tiennes, elles seraient vraies !
SOUPOV, glaciale
Je vous enterrerai toutes !
MARCIAU
On t’enfoncera du coton hydrophile dans le cul.
SOUPOV
Tu t’exerces déjà, et pas avec du coton.
FITZELLE
...Du beau marbre, avec des lettres dorées ; une grande croix noire dessus, tout en longueur. Je voudrais un beau grand poêle, avec des larmes d’argent. Et puis il y aurait mon fils, avec ses trois enfants. Une grand-messe avec du Bach et du Verdi.
JEANNE, cessant d’écrire
Tu ne préfères pas te faire brûler ?
TOUTES se récrient
MARCIAU
Je suis sûre que tu aimerais être embaumée.
SOUPOV
C’est déjà fait. Même qu’elle a déjà choisi son powêêême…
JEANNE
Quatre cercueils, quatre cimetières, quatre orientations...
A C T E T R O I S D E U X I È M E T A B L E A U
Utiliser un film projeté, ayant pour sujet un gigantesque carnaval, comme Dunkerque, Bâle ou Cologne. Convoi funèbre : la chaise roulante poussée par MARCIAU, SOUPOV toujours bien vivante, apprêtée, maquillée, embaumée. Robe jaune à ramage, décolleté bateau. Rumeurs de foule. SOUPOV salue de part et d’autre. FITZELLE porte d’immenses ailes isocèles. MARCIAU sous deux élytres de cétoine vert vif. JEANNE enrobée dans un fourreau « feuille morte », son rouleau de poèmes à la main.
JEANNE
« Je veux un bal », elle avait dit.
MARCIAU
« Un bal où on se remue le baquet ».
FITZELLE salue également. Vent, soleil, éclairage alternativement faible et violent, figurant le passage de nuages (écran de fond de scène)
VOIX OFF
C’est un cortège extraordinaire.
Tout à fait Thierry…
(Chœurs, fanfares)
Le ciel reluit à présent comme une armure sur toute la largeur de l’avenue. La foule compressée danse sur place, femmes, enfants, soldats. (Vastes rires) Les baudruches tombent des balcons, et même d’un hélicoptère. (Fanfares) ‘Sur l’écran : confettis, fleurs, saucisses, enfants en bas âge, chars [Gibet de Montfaucon, « La Mothe-Picquet », une araignée, des clowns en rang d’oignons soufflant dans des trompettes en bois) (Crécelles, pétards, chiens) (Sur l’écran, seaux d’eau glacée) (Cloches) (Glaces, gaufres, pralines) (La foule s’écarte sur le passage du fauteuil roulant, que FITZELLE à présent fait tourner, puis rattrape)
SOUPOV
Je suis heureuse. Une chance que j’aie pensée à pisser avant de sortir.
Le cortège parvient à l’Hôtel-de-Ville. Le conseil municipal,sur une estrade, débouche les bouteilles. La foule s’ouvre devant LES VIEILLES. JEANNE brandit son rouleau de poèmes. Clowns, danseurs, cloches, haut-parleurs publicitaires. SOUPOV et son fauteuil sont portés en triomphe. Acclamations. LE MAIRE, de son verre tenu à bout de bras, indique l’entrée de l’Hôtel-de-Ville. FITZELLE, JEANNE et MARCIAU se rajustent.
TROISIÈME TABLEAU
Intérieur de l’Hôtel-de-Ville. Bruits assourdis. Il fait sombre, flambeaux aux murs (appliques Louis XV), peu à peu l’on distingue une musique d’époque. Les VIEILLES se sont regroupées, SOUPOV au centre, flanquée de la grande JEANNE et de la minuscule MARCIAU, FITZELLE derrière, à la barre. À perte de vue le parquet luit sous les flambeaux, ciré à mourir.
SOUPOV
Piégées… DEMI-TOUR !
Quatre personnages masculins glissent vers elles du fond de la piste. MÉNESTREL, immense, en démon brun à prements rouges. Puis LE PUCEAU, L’OURS et LE REPRÉSENTANT NIÇOIS. L’OURS se place derrière FITZELLE qu’il saisit à la taille. JEANNE sent sur son épaule la main du PUCEAU. Le REPRÉSENTANT NIÇOIS s’incline jusqu’au sol devant MARCIAU.
MÉNESTREL, s’emparant du fauteuil
Absurdité, chère Hélène !
Il se redresse, fait un signe. Air de valse. Des valseurs sortent des tentures. Chaque « ANGE GARDIEN » entraîne sa VIEILLE. Pour faire virer SOUPOV, MÉNESTREL s’aide de deux immenses crochets que lui a tendues un DOMINO, et qu’il tient à bout de bras ; et à coups de crochets, face à lui, il fait virer sans fin le fauteuil roulant. SOUPOV tend les bras au vide et valse éperdument, transfigurée, pathétique.
LE PUCEAU est immense.Son visage se couvre de plaques rosâtres. Son nez est fort et busqué, son haleine intenable, sa physionomie féroce. L’OURS (que l’on a rencontré devant le bar nocturne) a conservé son complet rouille. Il se dandine, lugubre, indifférent. MÉNESTREL en ricanant désigne à la SOUPOV , d‘un coup de son menton fourchu, MARCIAU et le NIÇOIS frisé. Puis tous ramènent les danseuses épuisées au buffet, à l’autre bout de la salle. FITZELLE refuse de boire. L’OUrs BRISE avec humeur son verre entre ses doigts. Le REPRÉSENTANT NIÇOIS prend MARCIAU par la taille et, lui renversant le buste, lui fait ingurgiter malgré elle toute une flûte de champagne.
LES QUATRE HOMMES n’ont pas cessé de sourire : LE PUCEAU exhibe ses gencives marbrées de rose, L’OURS montre les crocs, boit au goulot. Les serveurs, guêtres et perruques, demeurent impassibles. La musique se tait, les couples dansent encore. On n’entend plus que les pas, et les robes qui se frôlent. Résonance extraordinaire, mate, répercutant chaque froissement, chaque claquement, égarant l’oreille.
SOUPOV
Où est l’orchestre ?
MÉNESTREL désigne, sur une tribune, en mezzanine, un orchestre de bal en costume XVIIIe siècle. Il attaque un quadrille Second Empire. Le chef se tourne vers MÉNESTREL, bras levés, quêtant son approbation. MÉNESTREL acquiesce avec la plus parfaite satisfaction. Une foule de danseurs et danseuses en crinolines parcourt en tous sens les espaces cirés. Le galop ébranle la salle, des lustres au parquet. Les HUIT PERSONNAGES s’assoient à l’écart, inclinés l’un vers l’autre au sein du vacarme.
JEANNE, au PUCEAU
Comment t’appelles-tu ?
LE PUCEAU
Gabriel Archange.
Il écarte les lèvres pour sourire. Son haleine est putride.
MÉNESTRELdéambule gravement, roulant sa conquête, tendant sa jambe moulée par le collant, avec un sourire narquois de sous-Méphisto. HÉLÈNE SOUPOV tend à bout de bras sa main à baiser, cherchant à soulever son corps. Entre deux saluts, elle cherche à parler à MÉNESTREL mais ne peut voir celui qui la maintient.
SOUPOV
Te souviens-tu de nos folles nuits ?
MÉNESTREL
Tu te trompes, Soupovnia.
Une marquise à pendeloques de cristal s’incline devant eux dans un grand bruit argentin.
SOUPOV
La mort avait ton visage de loup.
Un homme noir, svelte, s’incline encore devant eux.
Et pourtant je ne peux te voir.
MÉNESTREL
C’est que tes yeux sont morts, Soupovnia.
SOUPOV
Pousse-moi… (On se retourne autour d’elle) MÉNESTREL, de ses crochets, à coups de jambes et de coudes, la mène en cercles devant lui. SOUPOV rit, s’agrippe aux accoudoirs de ses doigts gras bagués de pourpre et d’or. Tous deux reçoivent des révérences. SOUPOV tend les bras vers les cavaliers, MÉNESTREL la fait virer, plus lentement désormais, Valse aquatique, longs sanglots liquides. Une basse gronde. Atmosphère étouffante.
L’OURS ET FITZELLE dansent face à face. L’OURS lève une patte après l’autre et retombe en levant les épaules. FITZELLE se tortille, plie les coudes, grimace. L’OURS gronde en découvrant les dents : il aime danser. FITZELLE a peur, danse encore. L’OURS pose les pattes avant sur ses épaules et plonge la flamme morne de ses yeux bruns dans les siens. Ils se balancent tous deux d’un pied sur l’autre en quelque vaste branle de matelots. SOUPOV se dore comme une oie au bout de ses crochets. LE REPRÉSENTANT agite grassement devant MARCIAU ses boucles de Niçois et ses fesses moulées.
MARCIAU
Représentant, tu ne sais rien.
LE REPRÉSENTANT
Petite vieille en vert, tu sais bien que je sais.
MARCIAU
Qu’as-tu fait de ta faux ?
LE REPRÉSENTANT
Où est passé l’archevêque ?
MARCIAU
Pourquoi t’es-tu enfui ?
LE REPRÉSENTANT
Tu l’as brûlé avec sa faux dans l’âtre.
LE REPRÉSENTANT ouvre sa veste, garnie de poches intérieures où s’entrechoquent les flacons. Tout en valsant, il en tend une à MARCIAU ; ils boivent au goulot, il referme sa veste, MARCIAU se frotte contre lui en riant au cliquetis des bouteilles.
La musique engloutit progressivement tous les gestes.
SOUPOV, à Ménestrel
Est-ce mon tour ?
MÉNESTREL
Tu seras la dernière.
SOUPOV exulte et agite les bras sur son fauteuil.
JEANNE, au PUCEAU
Tu empestes.
LE PUCEAU
C’est le sperme qui me remonte aux gencives.
La valse malaxe les couples aux quatre coins de l’aire. Les QUATRE HOMMES se jettent un regard. La musique s’arrête progressivement. Les couples ont peu à peu cessé de tourner. L’OURS balance son mufle
au-dessus du chignon de FITZELLE. LE PUCEAU fripe son crâne ras tavelé de rose. LE REPRÉSENTANT croise les bras sur sa veste clinquante. Les verres de MARCIAU prennent des moirures de pétrole.
LE REPRÉSENTANT rouvre alors son habit à deux battants et brandit une bouteille de brandy. Acclamations. Chacun fait mine de se ruer sur lui avec des rugissements de convoitise. LE REPRÉSENTANT débouche la bouteille avec ses dents et la jette à la volée par-dessus les mains tendues. Il tire d’autres bouteilles et les jette. Elles sont toutes saisies au vol, nulle ne se brise. Les QUATRE VIEILLES autour de lui se servent directement, chacune à son niveau. Grande multiplication de bouteilles à travers l’assistance. MUSIQUE DE QUADRILLE OU DE GALOP. Les couples se remettent à danser, boivent et bavent à pleins goulots. SOUPOV roule à terre, L’OURS la pousse du pied, elle remonte sur sa chaise sans cesser de boire.
MARCIAU, au REPRÉSENTANT
Tu n’as plus rien sous tes fringues, Représentant ? (ce dernier s’est retrouvé tout nu sous sa veste)
LE REPRÉSENTANT
Nous serons seuls à ne plus boire.
MARCIAU
Tu as du ventre. (Il la soulève) La terre au-dessous de moi ! - Jeanne, il veut m’asphyxier ! Ses dents claquent, éloigne-le !
LE REPRÉSENTANT
Parle-moi de l’Ours.
MARCIAU
L’Ours entrouvre sa fourrure, et la FITZELLE y fond ! Il la mâche, il l’absorbe…
LE REPRÉSENTANT
Je perds l’équilibre !
MARCIAU
La culotte des ducs étincelle !
MÉNESTREL bondit par-dessous les couples, arrondissant les bras en couronne, et parvenu au sommet de sa courbe il gonfle les poumons, reprend appui sur le vide comme Nijinski, ses jambes rouges fulgurent, la foule l’acclame en agitant ses flacons éternellement remplis.
LE REPRÉSENTANT
Que je te descende. Tiens-toi. Je suffoque à ras de sol, dans la poudre et le musc. Nos danseurs deviennent étranges : épaules hautes, sourcils rapprochés, mâchoire lourde. Ils ont fourré leurs poings dans leurs poches. (L’éclairage baisse. Soudaine impression de froid. JEANNE, au fond, courbée. Son cavalier la soutient par la taille et se penche à son oreille. On n’entend plus que le son déformé, criard, des violons).
PROJECTION
JEANNE parvient au bord d’une gravière inondée, aux berges taillées net. Des «blousons noirs » l’acculent à la berge » (sans jeu de mots). LE PUCEAU, sans la toucher, lève le bras. JEANNE tombe à l’eau. Son ombre coule au fond du miroir. LE PUCEAU se retourne. Ses yeux sont sanguinolents, ses lèvres encroûtées, des rides profondes labourent son visage. Du bas du nez au menton. Sur le plateau, TOUS sont témoins de la scène. MARCIAU pousse un cri. LE REPRÉSENTANT se tourne vers elle, son visage exactement semblable à celui du PUCEAU sur l’écran. MARCIAU s’évanouit. Fondu au noir.
A C T E I V
Premier tableau – Retour au décor du Premier acte
VOIX OFF
SOUPOV est devenue très sombre. FITZELLE se trouve toute désemparée, enter MARCIAU , qui tombe fréquemment dans d’éprouvantes rêveries ricanantes, et SOUPOV qui ne desserre plus les dents. SOUPOV et MARCIAU croisent le regard de celles qui savant tout.
SOUPOV
Passe-moi le journal.
MARCIAU tire les rideaux coulissants. SOUPOV, sans lâcher le journal, se penche afin de recevoir dans son dos les coussins et la bouillotte glissés par FITZELLE. MARCIAU enclenche le bouton de la première chaîne. SOUPOV laisse tomber le programme à terre.
FITZELLE, se laissant aller sur son siège
Maintenant qu’elle est morte, on va peut-être pouvoir regarder la télé tranquille.
SOUPOV
Pub.
Sur l’écran, squelettes ambulants du Tiers-Monde
MARCIAU
Pas possible, y a un truc.
LE PRÉSENTATEUR, voix riche, pleine, grasse, avantageuse
Voici les faits, Mesdames et Messieurs. C’est à vous qu’il appartient d’agir.
SOUPOV, se frictionnant
Mon dos… Mes vertèbres…
VOIX OFF
C’est toute une vie d’encaustique et de sacrifices qui se désagrège dans ce fauteuil. Toute la poussière qui remonte des éponges au cerveau, bloquant des ides. La télé, et les vertèbres : tout ce qui reste à la SOUPOV
LE PRÉSENTATEUR
Ils sont des centaines, des milliers, des centaines de milliers qui réclament votre assistance. Ces images se passent de tout commentaire.
SOUPOV
MARCIAU, tu as pensé à fermer le gaz ?
Paeaît à l’écran le visage du PRÉSENTATEUR. Gueule d’apôtre plein-cadre. Les joues peut-être un peu moins rondes, le teint juste pâli.
SOUPOV, d’un coup, cesse de geindre. Tout un passé affleure à sa mémoire, toute une vie de mère, qui a vu la guerre, tant de privation, tant de deuils ; chargeant son soupir de toute l’affliction, de toute la compassion qu’elle a pu rassembler, elle s’exclame :
Mon Dieu, qu’il a maigri !
ACTE IV, Tableau II
VOIX OFF
Le mois de juin fut terrible.
De part et d’autre de l’infirme, MARCIAU ouvre à deux battants la fenêtre aux vitres colmatées de crasse. Le caniveau pousse des relents graisseux. MARCIAU fait claquer sa langue : elle a soif. Bourdonnements de mouches. Trois heures sonnent.
FITZELLE hésite sur le seuil et entre
Je lui ai préparé une salade fraîche. Elle chasse les mouches, puis reste là. On entend les respirations de SOUPOV, somnolente. FITZELLE tourne la tête de façon saccadée, comme un oiseau de basse-cour, sur tous les points de la pièce. Elle déplace mécaniquement le bougeoir sur le manteau de la cheminée, passe le doigt sur la poussière et l’approche de son nez en grimaçant. Elle aspire l’air à petits coups.
Tu ne crois pas qu’on devrait refermer la fenêtre ? …La salade, il aimera ça...Ce que ça pue...(Elle se gratte) J’en ai repris deux fois. (Elle s’approche de SOUPOV, la regarde sous le nez) Tu vas tenir encore longtemps, comme ça ? Tu t’es netttoyée ce matin ? (Un temps ; FITZELLE regarde les mouches sur la table). Tu as pensé à balayer ? Il y a du courrier de Marseille ?
MARCIAU veut dire quelque chose, mais aucun son ne sort de ses lèvres. FITZELLE tire de l’eau tiède à l’évier, rapporte le verre en l’écartant de son corps ; SOUPOV se redresse dans son fauteuil, s’agite, geint en faisant sursauter sur son giron ses pattes recourbées. MARCIAU boit rapidement, désigne de la tête SOUPOV à FITZELLE qui secoue l’infirme. SOUPOV pousse un ronflement brusque, sa tête se redresse, ses yeux sont égarés. MARCIAU saisit le jeu de cartes.
SOUPOV mêle longuement les cartes à même la table, en tire une.
As de pique.
FITZELLE
À qui t’as pensé ?
MARCIAU
Chacun pour soi – un sou le point ?
Jeu silencieux.
VOIX OFF
À regarder SOUPOV, sa carne plombée, à écouter les radotages et les absences de FITZELLE, il lui semble bien, à la MARCIAU, qu’elle partira la dernière.
SOUPOV lève sur MARCIAU un œil éteint, MARCIAU cligne des paupières en vérifiant ses cartes dans la main.
FITZELLE Soixante-quinze.
SOUPOV Tu viens de te rajouter quarante points.
MARCIAU s’écrie
La foi ! Il n’y a que la foi ! Elle étend ses dix doigts sur la table. Sérieuse : Esprit ! Es-tu là ?
SOUPOV pliée de rire
Bououououh !
FITZELLE hausse convulsivement les épaules.
MARCIAU exaspérée souffle par le nez comme un cheval, veut renverser la chandelle de sa main. On entend des coups à la porte.
LE REPRÉSENTANT, du dehors
Qu’est-ce que vous branlez là-dedans ? On vous entend glapir du bout de la rue !
FITZELLE, paniquée
C’est lui !
LE REPRÉSENTANT fait son entrée
Et alors ? On ne me remet plus ? (tourné vers SOUPÖV) Et le fric ?
SOUPOV
Le fric ?
FITZELLE se recule sur sa chaise, terrorisée
On n’a plus rien !
LE REPRÉSENTANT
Six mensualité de 79 euros !
SOUPOV tire péniblement 50€ de ses plis de tablier.
LE REPRÉSENTANT fait claquer le billet dans ses doigts et l’enfourne dans son pantalon.
Vous devez bien avoir un magot quelque part ! (Il progresse vers SOUPOV, comme pour la soulever.
FITZELLE
Attention !
SOUPOV se lève d’un coup, poing tendu. La couverture tombe au sol. Ses jambes, gras poteaux œdémateux, vacillent sous sa jupe sale. LE REPRÉSENTANT se recule.
Foutez-moi le camp ! Plus vite que ça !
LE REPRÉSENTANT reste figé, sourire niais et crispé. SOUPOV va se rattraper à ses revers. SOUPOV retombe sur son siège en hurlant.
MARCIAU zssaie de la relever
Aidez-moi donc !
LE REPRÉSENTANT saisit gauchement les jambes de SOUPOv
SOUPOV
Prenez mes bras !
MARCIAU et FITZELLE, délicatement, la soulèvent par le bassin. LE REPRÉSENTANT, détournant la tête, s’épuise à hisser le buste sur le fauteuil. SOUPOV souffle, à demi essoufflée. LE REPRÉSENTANT reste bras ballants, la considérant d’un air stupide. MARCIAU lui désigne la porte d’un coup de menton. LE REPRÉSENTANT reprend alors précipitamment sa mallette et ressort.
SOUPOV sort de son engourdissement,
On va toutes y passer
MARCIAU
Eh ben comme ça tu y resteras dans ton cimetière !!
FITZELLE se dirige vers la cheminée pour s’emparer du cognac. MARCIAU le lui arrache des mains, la bouteille se brise au sol. MARCIAU balaie les débris avec une petite pelle en plastique. Forte odeur d’alcool. SOUPOP pleure à petit bruit comme une fontaine qui se mouche. MARCIAU reverse les débris dans une poubelle. FITZELLE sursaute. SOUPOV reprend son attitude hiératique, les yeux droits devant les mains à plat sur les genoux. MARCIAU s’est remise à feuilleter le carnet de route du REPRÉSENTANT. FITZELLE gémit plus fort. MARCIAU lève la tête, s’approche du siège de FITZELLE : FITZELLE vient de mourir.
A C T E I V troisième tableau
MESSAGE SUR ÉCRAN avec ou sans VOIS OFF
Trois semaines. SOUPOV, cramponnée à ses couvertures, observe de tous ses yeux ce petit être terne, MARCIAU, qui s’obstine à vivre sur sa chaise basse : visiblement, elle ne l’a pas comprise dans ses martingales. SOUPOV s’effraie à la perspective de rester la dernière, et MARCIAU n’est pas moins effrayée. Elle sont peur à nouveau l’une de l’autre. SOUPOV n’est plus qu’une masse geignante, un effondrement qu’il faut pourtant manipuler, soulever, nettoyer. Les soins les plus intimes de rebutent pas MARCIAU, mais gênent considérablemement l’impotente. SOUPOV n’ose faire appel à nulle autre. Elle expie.
Acte IV, tableau 4
Cf. l’intérieur missérable pour vieux. MONSIEUR HERVÉ lui aussi en fauteuil, à contre-jour. Il porte une casquette et tient une canne. Mur vert sale horribleet crieur. Odeur d’urine. Demi-obscurité crasseuse, plus sombre encore que chez SOUPOV.
MARCIAU
Bonjour Monsieur Hervé. Je suis venue voir s’il vous manque quelque chose.
MONSIEUR HERVÉ ne dit mot. Un mâchouillis pénible de vieillard qui se chique l’intérieur des joues. La lumière permet à présent de distinguer la mâchoire en mouvement, les sourcils blancs et rapprochés, l’air méchant. MARCIAU s’approche, il veut la frapper de sa canne. MARCIAU dévie ke coup de la main, la canne tom,be à terre. Ellr sr penche pour la reprendre, l’homme la suit des yeux, elle la lui rend.
MARCIAU explore la cuisine. Sous l’évier, de l’eau de Javel, un paquet de lessive/ De la vaisselle dans le buffet. Au réfrigérateur, un beurrier gratuit. Dans le buffet, quelques maigres provisions. MARCIAU fait frire uen omelette. HERVÉla suit de ses yeux hostiles. Parfois il se tord la moustache en un tic rapide.MARCIAU le fait manger, car il ne veut plus se servir de ses bras. Il avale sans rechigner ni baver. Elle le fait boire de temps en temps.
MARCIAU
C’est bon ?
MONSIEUR HERVÉ émet quelques sons inarticulés. Puis sa tête s’incline, il se met à ronfler. L’odeur d’urine s’accentue. MARCIAU prend sur le buffet un cahier relié ; se met à écrire. SA VOIX, off
16 avril
C’est comme si tu étais mort depuis hier. Juste ce poids dans la tête et sur la poitrine.
Noir. Lumière.
VOIX OFF DE MARCIAU
26 avril
Voilà 17 ans que je t’écris tous les jours. La SOUPOV ne crève toujours pas. Moi j’ai toujours été prête.
Noir. Lumière.
VOIX OFF DE MARCIAU
On enterre la vieille demain.
RIDEAU, s’il en reste.
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Bulletin d'humeurs, anticonformiste et très conformiste à la fois.
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