LE CHEMIN PARCOURU
L E C H EM I N P A R C O U R U
DÉFINITIF
COLLIGNON
+
AVANCER EN ROULEAU COMPRESSEUR ET NE TENIR COMPTE DES DOUBLONS QU’AU FUR ET A MESURE
«cracks » P. 14
privilégier la première version DANS LE DOSSIER JAUNE, bien plus authentique. Mais ces pages semblent antérieures ou postérieures à ce texte imprimé.
Ne pas tenir compte de la contradiction entre l’écroulement des premières pages qui se reproduit ensuite. Nous verrons ce doublon ultérieurement.
Si je rencontre un doublon je le réduis sur ce qui précède.
1) Nuit à Rossenberg
a) les lieux (trois pages)
1) le bâtiment et ses entours (une page)
2) la chambre blanche, le petit lit de fer, le portrait d’ Henri V de Chambord. (une page)
3) ma compagne à côté de moi (une page) et l'impression étrange des volets hermétiquement clos. (une page)
b) les raisons pour lesquelles nous y sommes, (trois pages) le froid ou le chaud selon les saisons,
c) élargissement de l'espace, sorte de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel d'Issigeac à l'horizontale.
Cette partie est devenue inutile, car tout a déjà été développé dans les paragraphes précédents, avec force détails.
DIX PAGES ( SIX SEULEMENT)
LE PLAN QUI SUIT EST INEPTE ET DÉPASSÉ
2) L'effondrement
a) alors que je me promène, effondrement d'une aile, je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, cf. une illustration de la collection "Tremblements de terre et catastrophes naturelles"
b) les hommes vont sur le terrain (torchis, colombages), (laine de verre, masques) - moi, je suis méprisé, on ne me confie que le nettoyage de la vaisselle, aidé par des fillettes, puits à chadouf
c) Evocation effectivement d'O. qui me traite de Gugusse et de L. qui me remet le moteur en marche. Ne pas hésiter à dévoiler alors leur peu glorieux avenir (digeridoo, Uruguay)
3) Mes lectures (Musset aux chiottes à la caserne, chapitre sur Ulysse dans "Si c'est un homme", ceci avec l'une des fillettes. Mais, "après-midi vaseux".
a) mon bouquin, sa découverte dans les décombres, mon rafistolage, ce que je m'en promets
b) un commentaire là-dessus
c) ma transmission, très chaste, pendant la nuit à la petite fille, cf. Nuit de Mai, "Que c'est beau !"
4) Ma soûlographie en mémoire de l'ermite
a) le menu pantagruélique "Au Paléolithique", "Au Grand Béarnais" à Sarlat, les sauveteurs se restaurent
b) Je suis ridicule et hargneux, cf. le barak hongrois, les cinq litres de vin avec O’L.
c) Une agressivité sauvage, ma paranoïa n'ayant cessé de croître
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5) Le voyage du retour
a) Le trajet à travers le Bocage, avec la petite fille dont nous ne savons pas tous les deux qui est le père ; petite route et cimetière de G., pèlerinage ultra-lent car nous n'y reviendrons plus.
b) le peintre Manolo, les adieux à tous.
c) engueulade magistrale devant la petite fille pour savoir qui de nous deux est le père.
6) Il faut pourtant larguer la fillette chez sa mère
a) l'accueil plus que mitigé, cf. Machinchose à Kekpar.
b) accueil dégueulasse de la fillette, cf. fille de V. à Villaras, écœurant.
c) elle nous annonce qu'elle va l'abandonner chez une autre copine
7) Achat de bouffe cours Dr Lambert
a) je médite ma vengeance en achetant des produits avariés
b) je me lamente sur ma vie ratée, en retraçant la vie antérieure de mon compagnon et de moi
c) le repas est dégueulasse, avec la radio qui hurle sur le jambon d'York
8) Toujours la soirée studieuse
a) Je reviens sur Musset
b) je fais le tour de tous mes bouquins
c) je fais effondrer à mon tour toute ma cabane
9) Coincé dans ma poche d'air, j'attends les sauveteurs.
a) je me sortirai de là, j'irai à St-Flour
b) je ne pourrai jamais, jamais vivre seul
c) j'entends la voix de mon compagnon qui demande qu'on arrête les recherches, on m'arrose de créosote avant de mettre le feu.
Pendant ce temps-là je creuse, pour m'évader, deux cents mètres plus loin.
FIN DU PLAN INEPTE ET DÉPASSÉ
JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE
Il est sur une bosse un espace étrange et pénétrant nommé Calvitie de Vénus, où se dresse une haute maison de bois, conforme aux silos de là-bas : trois étages dont le dernier donne juste au-dessus des cimes. Entre Calgary et Mouse Jaw) où s'étendent ces vastes arpents de blé de printemps.
Le rez-de-chaussée s’ouvre sur un rond de prairie pelé, sans trace de culture ni d'aucune sorte de jardinage. Stoffer Jywes, passe sur sa débroussailleuse, poussant de plus en plus loin pour éloigner les feux. Tout sec et décharné qu’il est, tondeur d’Apocalypse qui range en fin de course jour l’engin sous appentis. Jamie sa femme entraîne qui l’approchent, gauche et souriante.
Le bâtiment présente les volants superposés d’une gitane en bois bituminée, verticale et figée, dont l’entêtant parfum revit après badigeonnage. De rares ouvertures s’étagent sous les auvents.
L'intérieur superpose ses « échelles de meunier », trappes, rampes où se décantent des nuances blond miel. Il fait toujours chaud dans les étages.
I, a, 2
Mon homme et moi bénéficions de l’hospitalité. Il régnerait dans notre pièce un froid glacial, si nous ne disposions d’un chauffage entêtant. Rien qui s'assèche plus vite que ces gazinettes. Nous occupons un lit de fer qui grince lorsque nous baisons sous l'édredon. Sa tête et son pied présentent des ferronneries à volutes et des runes Made in Norway, le matelas fait gouttière au centre et nulle nuit ne me revient en mémoire que je ne l'associe à d'intenses courbatures .
Nous aimons bien notre lit. Ce n'est pas un crucifix qui le domine, mais un portrait de Jacques-Louis David, où s’emboîte un menton dans le cou empâté de Bonaparte. Coucher sous ce portrait serait obsédant si nous ne nous endormions pas très vite. À l’aube et les deux barres de volets tirées, nos yeux rencontrent l’affiche, en face, d’un Christ raviné dont la peau de plâtre absorbe les coulées de sang. Sitôt enjambée la fenêtre nous foulons l'herbe, et les volets pleins vont sonner sur le bois. Mon compagnon refuse de tailler sa moustache.
Parfois je me promène plus d'une heure dehors avant qu'il ne s’avise de s'éveiller. Il sent le fongicide à bois extérieur. Au début j’étouffais sous le poids de ses jambes. En attendant qu’il ait fini de se secouer comme un porc, je me sens utile, je sais où il va. Il ne dort en vérité jamais vraiment. Parfois je ne le sens plus. Nous remmêlons nos membres au petit matin. Ma barbe gratte encore à peine car je suis rasé de la veille au soir.
Nous n’avons jamais froid dans le lit ni la pièce malgré - 25 dehors, grâce aux transpirations des corps grassouillets - Dieu me préserve de sentir à l’aube choquer contre ma jambe un tibia de barres à mine (hommes désagréables, tous, taillés en raboteurs et mous de la bite "vous êtes attendrissants", "ils ont été dans notre ventre", d’après les femmes). Au petit déjeuner nos corps se séparent et c'est le silence, l’air absent au dessus du bol chaud - les yeux lourds et ramenant hâtivement sur nous les pans de nos peignoirs car nous couchons nus.
. L'été la porte de la chambre s'ouvre déjà sur nos hôtes, en salle, bénévoles, souriants, prévisibles. Cet accueil jadis nous raidissait : d'autres que nous pouvaient donc aussi s'aimer : le grand débroussailleur maigre et vicieux, qui mange avec des claquements de Grands Pics du Mackenzie. L’hôtesse tourbillonne avec des chuintement de chouette dépeçant sa proie.
Parfois lui et moi partons dans les bois à nuit tombante fusils cassés, malgré l’interdiction de Saskatoon ou Regina, qui sont bien loin... Le hibou reprend nos cris par nichées entières dans le crépuscule ; et nous apercevons parfois sur la branche son ombre tutélaire - nous rentrons alors, une sorte d’apaisement mort dans l’âme. En vue de notre tour nous refermons sèchement nos fusils.
Nous ne nous touchons pas de la nuit. Nos armes sur le râtelier de bois, les yeux appesantis, nous ronflons dans le plomb, le volet du matin bat sur les bardeaux, plus lourdement la paroi, les effluves de chicorée montent, et la chouette-coucou nous avertit que le breakfest est prêt. Nous reniflons nos frusques de nemrods, grognant des scènes. Jadis nous vivions plus au sud, près des silos sous la paupière obtuse des thermostats .
Nous devons de l'argent, des services à nos hôtes. Nous venons tous les ans depuis des années, depuis d’Edmonton :326 miles. Chaque été, chaque hiver, nous ramènent chez Jywes et Holly, son épouse. Nous leur devons cela. Ils nous ont acheté la Tour - alors que rien, strictement rien ne les y obligeait. Mais comme ils ont bien vu que rien ni personne ne nous ferait mettre « la main à la pâte », détestant bricoler détestant passer fongicide ou lasure, ils se sont obligés à loger ici en personne, goudron sur goudron, planche à planche - eux aussi possédaient leur pavillon de banlieue, la pêche en week-end au Last Mountain Lake par moins quinze - mais ici, à la Masure, ce sont eux qui entretiennent cette maison.
Est-ce qu’il ne s’était pas agi, à un moment donné, d’un putain de billet de loto gagnant que nous aurions partagés, est-ce que nous ne nous serions pas bien mieux entendus jadis qu’à présent, est-ce que nous n’avions pas échangé nos culs ou nos maris, n’y avait-il pas entre nous de ces secrets qui traînent à l’intérieur des sectes ? canadiens ou pas...
D’avoir senti subrepticement glisser en soi telle queue à vous non destinée, qu’on soit mâle ou femelle – renforce l’impossibilité archi-absolue de toute rupture, lorsque le vent lèche nos volets.
Les nuits comptent plus que les jours, chacune d’elles ici concentre une épaisseur qui plombe, sur tous ces lieux sans véritables noms ou localisations ; densité qui plombe dans un sommeil où nul ne sait ce qui rampe.
1 b) 3)Je n'ai jamais pu déterminer si mon mec (je ne suis pas homosexuel) couche ou non avec le mâle. De notre chambre à deux hommes descend une échelle de meunier qui cause la mort des enfants, au point qu’il faut clore le haut par une tirette dont seuls les adultes possèdent la clé. Mais ce sont les étages supérieurs que je gagne avec lui dans le rêve. Nous sommes tout habillés, fusils cassés, montant dans le noir où nous acquérons la vue perçante des nyctalopes.
Ce ne sont là-haut que des chambres vides comme si le bâtiment se rehaussait à mesure, s’érigeait sous nos pas, de salle d’eau en lavabos borgnes gouttant dans l’ombre, des matelas enroulés dans leurs rayures, et des ampoules grésillant sous la crasse, plus propres à effrayer qu’à éclaircir, et, tandis que s’ébranlent d’en bas dans notre dos, à nous toucher, de lourds usufruitiers de cauchemar qui nous somment de régler nos hypothèques. Ils sur nos talons dans les étages accompagnés du Loup-Bossu qu’ils relâchent la nuit ; ce monstre pose au Wild Art Seven-Two et teint ses pommettes en pourpre dans les contorsions les plus effrayantes.
Courir saccadés dans les étages nous jette dans les terreurs – et tout terrain perdu ramène son mufle au ras du colimaçon et tout le bâtiment se met à trembler. À la mort de nos hôtes la tour subsistera puis s’affaissera sur nous. Rétablissement du courant pour que les ampoules nues cessent de cligner comme des paupières.
2) L'effondrement
1° alors que je me balade, effondrement d'une aile,
2° une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"
3° je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments,
I, 2, a : une page
X
Deux chemins partent de la clairière (tondue par Jywes, traînant sa tronche de cheval) - deux sentiers si raides, de part et d’autre de la haute alvitie, où se dresse la tour ; au point de lutter contre la descente avec autant d’obstination qu’à la monter, tant les buissons, les ronces nous agrippent au passage, nous couvrent la chute ; c’est le chemin du sud qui nous retient le plus.
Celui du nord plus accessible conduirait à l’Étang Travey ; il caresse d’abord à hauteur d’épaule par ses fougères arborescentes. Il se dégagerait de ces petits champignons éclatants (lorsqu’on les foule) un parfum de spores, poussière balsamique.
Et je les parcourais, alternativement, déplorant le peu d’espace offert par ces bois ancestraux, tandis que mon compagnon de lit gisait raide. Je songeais à cette canne entre nos corps placée. C’était la pente sud, et mes nombreux passages dans ses broussailles rendaient enfin moins piquants mes agrippements, lorsqu’il me sembla ouïr un craquement sourd sous mes pieds. Des éboulements se dégagent au sein des fourrés. Remontant la pente essoufflé, retenu de mes deux poings à terre, j’ai ressenti que le Grand Hercynien Canadien, à l’abri des séismes, subissait cette fois une secousse bien véritable.
Tout le monde a déjà ressenti cela : cette sensation de nausée, cette perte d’équilibre et de tout repère, angoissante question de sa propre existence, et dans ces engourdissements, cet abandon, une douceur infinie,. Je voulus courir vers la cabane, dont plusieurs épines me séparaient dans les fourrés. Les arbres autour de moi criaient sans s'abattre ; ils seraient mon cercueil en m'ensevelissant - il existe ici une espèce à baume remontant à un millier d’années.
Peut-être la houille fourre-t-elle ce sol où j’adhère mais qui donc planterait des chevalets parmi les lianes blanches ? Pourtant c’était un jeu. Mes paumes s'écorchaient. Les racines m’entraînaient dans leurs facéties déviantes. Puis le sol recouvrit sa stabilité. Je courais sur les aiguilles. Puis tout ondulait de nouveau comme un serpent tampant, d’autres lacets se dessinaient à la moyenne cime des buissons. Amour terrifiant de Nature, danger non dépourvu de délicatesses où je ne risquais rien aussi longtemps que ne s’ouvrait pas sous moi de crevasse aussi vite close qu’ouverte. Le bâtiment quand je le découvris m’offrit l’image d’une invraisemblance absolue, car il s’était effondré, non pas à la verticale mais de côté, laissant à nu son quadrilatère de terre noire. - Les convulsions de la tortue ou du lynx qui nous portaient s’étaient orientées de telle sorte que les volants d’écorces étagées restaient cousus l’un à l’autre comme autant de grands pans d'écailles.
Puis d'un coup, au-delà d’une flèche de bois capricieusement propulsée à la verticale, toute l'habitation de Mont Shaïle s’était affalée vers le nord en épine dorsale cassée, un long chevauchement de vertèbres d’espadon mille fois rompu, léviathan fossile désenfoui, et la terre sous moi se déroba encores. Et par-dessus cette longue carcasse planait la poussière de sciure, le parfum fort et la saveur des particules en suspens où naissent les vocations forestières, écharpe odorante et blonde, sans aucun soupçon d’incendie.
?
Les arbres m’avaient masqué ce vaste effondrement de feuilles. J’ai voulu cueillir du bout des doigts cette poudre merveilleuse, et je pensais qu’ainsi s’effondrent les empires. Enfin pensais-je cette prison n’existe plus - champignons et insectes la dissoudraient. Je longeais ces poutrelles, ces planchers désormais verticaux, priant pour que cet suspension divine se prolongeât, dans le même angle
Et rien, Dieu soit loué, n’était plus reconnaissable, ni la chambre aux hideuses images, ni celle des deux monstres condamnés à leur sexe respectif, seule peut-être la tondeuse à gazon exbibait son large postérieur de cuir : je distinguais les deux ellipses dessinant le cul d’un certain Jywes.
Alors je me soucie des humains. Qui restait vivant, qui était mort, le cheval, ou l’homme à la tondeuse - notre grasse hôtesse virevoltant au milieu des tartines ? Mon compagnon chasseur, sale dans ses treillis (military fatigues) et qui ne me touchait plus pendant la nuit ? (...je ne l’aurais pas supporté, aussi longtemps qu’il ne se serait pas lavé) - c’était vraiment, j’y revenais toujours, l’odeur m’imprégnaitt tout entière, que je sentais palpiter en moi - pour combien de temps ? - parfum de sciure - à la moindre senteur de cadavre qu’adviendrait-il en deux jours au plus tard – je palpe la cire et le bois sans plus encore Tu jouis du spectacle, palpe le bois frais sans plus m’inquiéter de ceux qui vivent l’une de ces matinées il est faux que tu souhaiterais le moins du monde la surrection des morts ni même l’éventualité d’une survie de tous.
...Que tous miraculeusement désenchevêtrés s’extraient soit du labyrinthe épargné soit de son prolongemet désarticulé. Voici relevé comme d’une mule et s’ébrouant de même Jywes de Boer désarçonné de son John Deere 18 V hébété, bras ballants, les lèvres retroussées sur ses deux dents jaunes si repoussantes au petit-déjeuner.
A mon grand désappointement soulagé s’est faufilée par la porte à demi gondolée de l’étage l’hôtesse surprise à grignoter encore ses cracks au sirop d’érable - pourquoi les séismes n’éliminent-ils pas ceux qu’il faudrait, pourquoi me trouvais dans un chemin buissonneux - où était mon Chasseur ? il étirait son long cou au-delà du bâtiment, revenant hébété du sentier nord une carpe à la main dans un seau A s’a jtée su ma ligne mais il a conservé son sang-froid ; l’épuisette au poing, j’l’a soul’vée dans l’ mouvement domptant la gravité pour donner à sa femme en fuite de quoi manger, tomber aux pieds du mâle pêcheur « Imbécile » dit-il «Écervelée, poupée, pitre », cerveau reptilien dans ce qu’il a de plus vil, celui dont la bouche de clown bave l’abjection Gugusse double initiale.
Je rebrousse chemin pêcheur au cul la proie dans le seau jusqu’aux frontières des écroulements. Pour sa part Jewes rebâtira sa tour à l’identique. Rien de plus sot. Même s’il envisage il le dit « priorité non verticale mais en longueur » et pour cela de défricher. Redéfricher. Des fous choqués cherchent dans la sciure un mouchoir pour pleurer.
Sec et décharné sur sa débroussailleuse Jywes semble un Cavalier d'Apocalypse ; il la remise sous un appentis, en lisière des arbres rongeant sa clairière. Sa femme est tout le contraire : joyeuse boule de graisse, dont le sourire efface la disgrâce, et qui accueille le mieux possible tout visiteur, à l'endroit où s’achève la route sans suite s’arrêtant ici. Le pêcheur de carpe disparaît au rythme décroissant de l’asphyxie au fond du seau.
L'extérieur consistait en un savant assemblage commun en ces régions, de lattes goudronnées se recouvrant l'une l'autre, plus encore vers le Nord-Ouest. « Tout redeviendra comme avant ». Le bois recouvert de divers enduits, présente l'aspect d'une pâtisserie indigeste aux rares ouvertures disposées sous les auvents, toutes munies de raides escaliers externes imposés par la législation anti-incendies.
L'intérieur retrace l'histoire d'une lutte contre la verticalité : ce ne sont qu'échelles de meunier, trappes périlleuses et rampes vernies, où subsistent des éclats blond clair, presque miel : il fait toujours chaud passé le premier étage.
I, a, 2
la chambre blanche et son décor (le petit lit de fer, le portrait de Henri V comte de Chambord). (cf. aussi l'affiche de Saratov)
Les deux occupants détestent autant qu'il se peut visite et intrusion. Jacobine et moi bénéficions ce jour de l’hospitalité ; ils nous logent en rez-de-chaussée de plain-pied sur la pelouse. Il y règne un froid glacial, sauf à y charger ce chauffage d'appoint aux résistances rouges, à l'odeur assoupissante : rien qui s'épuise plus vite que ces minuscules bouteilles riches en émanation de Co².
Nous dormons dans un petit lit de fer protestant qui grince sous nos étreintes pour nous chauffer sous l'édredon. Les deux panneaux du lit présentent des ferronneries courantes à la fois et remarquablement exécutées, il n'y manque pas une volute, ce mot rappelle "volupté", ce que nous nous efforçons d'atteindre, souvent avec succès : le centre du matelas forme une étroite gouttière, et nulle nuit ne me revient en mémoire sans que je ne l'associe à d'intenses courbatures dues à l'emmêlement obligé des membres, tant supérieurs qu'inférieurs.
Mais nous aimons bien notre lit, qui fleure bon le faux puritanisme et ses ferreuses douilletteries conjugales. Ce n'est cependant pas un crucifix qui le domine, mais un portrait de Napoléon, Neumeier, Nicolas Ier ou II, le Maréchal Ney... en rapport avec une commémoration). Je crois qu'il s'agit fort banalement d'un portrait de Napoléon par David, avec tout ce qu'on peut d'imaginer de plâtreux, ce profil gauche empâté, au menton engagé dans la graisse, majestueux mais déjà déchéant, le jaune cru, "gros jaune", et les écaillures déjà lézardant l'esquisse. Rien d'officiel. Que du cruel, malgré le projet de "portrait équestre". Dormir sous le portrait de Napoléon deviendrait obsédant, si nous ne nous endormions tout de suite elle et moi, par son poids justement.
Nos nuits sont encombrées de lourdeurs impériales, de jaunes d'oeufs mal digérés, propices aux infarctus. Le matin, lorsque sont enlevées les lourdes barres de fer qui closent le volet, nos regards se posent sur une affiche décharnée, occupant le verso de la porte : un horrible Christ aux Souffrances, le visage chantourné par la douleur, ce qui veut dire creusé de l'intérieur. Sur sa peau friable coulent de voluptueuses larmes de sang, comme autant de rubis malsains. Les couleurs sont donc : jaune impérial, rouge christique, gris poreux d'une chair d'agonie, et nous.
Puis la clairière, qui se dégage à un mètre sous nos fenêtres mêmes, qu'il nous suffirait d'enjamber pour fouler toutes ces herbes des Rocheuses du Nord... Les volets de bois lourd résonnent en se rabattant sur les bardeaux superposés comme autant de volants d'une lourde, noire, goudronnée, improbable gitane, qui danserait sur place, dans une verticalité aussi figée que celle de la femme de Loth : une statue de bitume.
L'odeur est là. La maison est un effroyable bateau fiché poupe en terre, comme un bloc de goudron fissuré. XXX61 05 04XXX
1 a 3 Ma compagne
Cette femme qui est dans mon lit est un homme. Je le vois comme un mâle maigre, affublé d'une moustache qu'il ne veut jamais couper ni tailler. Il est beaucoup plus facile de se faire enculer. On se sent utile, on sait où l'on va. Pourquoi n'ai-je jamais été de force à concevoir ce que c'est qu'une femme ? Elle a des besoins tellement plus énormes que moi en sommeil que je puis aussi bien me promener dans les sentiers alentour une heure,batifolant dans la rosée, avant qu'elle ait ouvert l'oeil. La femme qui est dans mon lit est une femme. Je ne parviens pas à me décider. Elle ne dort jamais. Au sein du plus profond sommeil et quelle que soit la question que je pose, elle sera capable d'émettre une opinion ou un soupir, tout cela très pertinent. Nous nous connaissons depuis si longtemps qu'elle change de sexe à volonté de mes fantasmes. Je ne sens plus son odeur. Nous emmêlons nos membres au petit matin, au début de notr eliaison je m'étouffais sous le pids de ses jambes, puis j'en ai redemandé, ce jour-là j'ai compris à quel point nous formions un vieux couple de vieux chevaux. De retour.
Je me suis plaint d'elle, car c'est mon principal sujet de conversation : dire du mal de sa femme est la preuve même de son amour, de même que le blasphème est preuve de l'existence de Dieu. Il n'y a pas de crucifix dans la chambre, mais mon Dieu il faut toujours que tout un rite soit respecté, de petits baisers sur la bouche et les yeux, de frôlements de joue, de soupirs tendres, et c'est malgré la misogynie la sortie du four même du sommeil de je ne sais quelle pâtisserie moelleuse, ma barbe ne gratte pas trop car mon rasage date de la veille au soir.
Cette chambre en vérité est un étouffoir, nous n'y avons jamais froid malgré les moins trente au dehors, il y règne toujours au moment une transpiration, une buée moite sur la lèvre supérieure de ma compagne délicieusement semblable à un loir, par le grassouillet de son corps, et Dieu me préserve de trouver un jour emmêlé à mes jambes les raides bâtons squelettiques d'un mâle moustachu, rassurant mais sec, sec, sec. Qu'est-ce qui fait qu'une femme puisse supporter le corps d'un homme ? Combien nous sommes désagréables, taillés comme des charpentiers, bâtis en barre à mine, avec des érections défaillantes - elles me disent, les femmes, du moins la seule que je connaisse et qui les a remplacées toutes, "Vous êtes attendrissants", "nous pouvons vous porter dans notre ventre", mon Dieu se peut-il qu'une d'entre elles ait osé proférer qu'elle refusait d'être enceinte d'un garçon pour ne pas avoir un sexe mâle dans le ventre, mon Dieu once more n'importe quoi.
Puis nous passons au petit déjeuner, et là, d'un coup, c'est le silence : les corps ne se touchent plus. Ni mots, ni caresses, juste l'air abruti de qui a trop dormi, au-dessus d'un bol chaud.
b) les raisons pour lesquelles nous y sommes, (trois pages) le froid ou le chaud selon les saisons, et
1) invariablement les connards qui nous hébergent,
2) nous leur devons de l'argent et des services, voilà pourquoi nous sommes là, tous les ans depuis des années,
3) je n'ai jamais pu déterminer si mon mec (je ne suis pas homosexuel, nous nous débrouillons chacun de notre côté) couche ou non avec le mâle, cf. aussi le bossu d'Issigeac et cet hôtel abandonné.
I, b, 1) invariablement les connards qui nous hébergent.
Soixante-dix, quatre-vingts fois que s ais-je, nous avons débouché dans cette salle sentant la cendre hiver comme été, frissonnant sous nos longues robes de chambre et invariablement trouvant les toasts juste saisis à point, ou ramenant sur nous les pans inusités de nos habits de vie, car nous couchons nus et ne noue réajustons que pour des besoins de décence. L'été, la porte s'entr'ouvre, et déjà, quelle que soit l'heure, nos hôtes sont là, invariablement souriants et humains, et comme nous sortons de notre tendresse personnelle, ce petit-déjeuner agit invariablement comme un viol : comment d'autres êtres que nous peuvent-ils s'aimer et avoir croupi au lit, le leur, comme nous, avec d'autres choses à se dire ou à ne se point dire ?
Le grand maigre, taciturne, ouvre et ferme ses longues mâchoires de crocodile, non si bien endentées cependant. Il mange salement, avec des claquements, je guette invariablement les pluvians nilotiques picoreurs de canines. Je hais ces gens et leur suis attaché si viscéralement que je ne sais plus que penser : ainsi de l'homme, ou de la femme, qui partage ma couche. La boulette de graisse qui sert de femme à notre hôte tourbillonne autour de nous en imitant, à la lettre, la chouette: c’est-à-dire non pas ce doux ululement du hibou,mais cette criaillerie de l’oiseau nocturne dépeçant sa proie. Depuis, à mon compagnon comme à moi, il n’est croissant si chaud ni moelleux qui ne rappelle un goût de rongeur mort.
Parfois lui et moi partons dans ces bois, à la tombée de la nuit, nos fusils cassés à la main, malgré l'interdiction formelle des autorités du Saskatchewan : tout est si isolé ici. Nous feignons de pousser les cris du hibou, il nous est répondu par nichées entières alignées sous le long ciel arctique. En vérité nous sommes surpris, même rageurs, de ne point voir sur la branche à peine distincte ne fût-ce qu’une ombre tutélaire de rapace. Nous rentrons seuls, une mort délicieuse dans l’âme, et dès la haute tour hantée par le vieux couple, comme une porte refermée, nous refermons d’un seul déclic nos deux fusils.
Décidément, mon compagnon de nuit est un homme. Mais nous ne nous touchons pas de la nuit. Il est des obscénités qu’on ne commet pas. Nous couchons casqués et bottés. Ce lit de fer, c’est une tranchée. Il y a eu beaucoup de viols, réussis ou tentés, entre hommes, devant Verdun ou sur le front de Somme. Ici, contemplant devant nous nos virilités sur le râtelier de bois, nous appesantissons nos paupières, et sombrons dans le plomb jusqu’au petit matin. J’ouvre alors le volet qui bat sur le mur, je sens monter les effluves de chicorée amère, déjà la chouette humaine nous informe que tout est près, ajoutant quelques crouacs qu’elle croit de très bon augure. Alors éclatent entre les deux hommes que nous sommes, renfilant nos pantalons sans nous laver pour descendre décents, de sourdes scènes entre nos dents rentrées.
2)nous leur devons de l'argent et des services, voilà pourquoi nous sommes là, tous les ans depuis des années,
(une page)
Nous venons d’Edmonton, au sud. C’est sans originalité. Nous ne devrions pas appeler réellement cette ville « Edmonton », qui existe réellement. La nôtre se perd au milieu d’un désert froid, touffe de gratte-ciel où personne n'aurait la moindre idée de précipiter un avion. Les silos qui la cernent atteignent en perspective une hauteur extrême, l'ensemble fermentant sous le regard obtus des thermostats lumineux. Mais tous les étés, tous les automnes, tous les hivers aussi (les déneigeuses du cru démontrent leur efficacité) (il n’y a qu’au printemps que la boue empêche tout) - nous ramènent chez Jywes et Holly, son épouse.
Nous nous y sentons obligés. Nous sommes leurs obligés. C'est pour nous qu'ils ont acheté cette haute maison, qu’ils appellent entre eux « la Masure », alors que rien, strictement rien ne les y obligeait.
Mais comme ils ont bien vu que rien ni personne ne nous ferait mettre « la main à la pâte », que décidément nous n’étions pas dignes de ce somptueux cadeau injustifié, ne sachant ni l'un ni l'autre bricoler quoi que ce fût ni passer une couche de lasure ou de fongicide, ils se sont sentis obligés d’occuper la masure, de l’entretenir, d’y passer couche de brosse sur couche de brosse, goudron sur goudron, de clouer bardeau sur bardeau, volant sur volant. Ils avaient eux aussi leur petite maison bien cernée de pelouse, en banlieue, ils partaient à la pêche au Lac des Esclaves, température inimaginablement négative - mais ici, c’étaient eux qui entretenaient la Masure qu’ils nous avaient offerte.
Est-ce qu’il ne s’était pas agi, à un moment donné, de Dieu sait quel billet de loto gagnant que nous aurions partagés, n’avions-nous pas jadis échangé nos femmes ou nos maris, n’y avait-il pas entre nous de ces secrets de sectes ou communautés toutes antérieures à janvier 73, Canadiennes ou pas... Seuls les survivants de ces temps confus peuvent se figurer correctement le caractère indissoluble de tels liens – sentir se glisser en vous une queue subreptice – d'où l’inconcevable éventualité de toute rupture ; le silence qui tombe sur vous pendant des années d'après-vie ; les folies qui vous font chuinter comme une chouette ou boubouler - culpabilités traînantes, désespoirs jouissifs qui s'immiscent, à l'heure où le vent dégringole des cimes et lècher les volets.
Les nuits comptent double des jours, bien plus que cette lumière avortée,entre Moose Jaw et Keepsie, tous ces lieux sans véritables noms. Densité morne qui plombe d'un coup dans le sommeil, où l’on ignore ce qui vous rampe entre les jambes : si c’est un homme ou l’obstination raide sous la crasse d’un falze immobile.
De la chambre d’en haut à la salle à manger d'en bas dégringole une échelle-de-meunier trompe-la-mort, barrée en son sommet d'une sécurité dont seuls les adultes possèdent la clé. Nous explorons les étages encore au-dessus : fusils cassés contre la hanche et les yeux fixes dans le noir, l’œil nyctalope aux becs recourbés - chambres désertées d’étage en étage en vérité tout comme si le bâtiment s’était construit haussé de pièce vide en pièce vide ; lavabos gouttant dans le noir, draps roulés ou défaits, matelas rayés, ampoules souillées de chiures - blafardes et grésillantes, bien plus propres à effrayer qu’à illuminer. Tandis que s’ébranlent au dessous de nous mais plus effrayants que s’ils s’étaient trouvés là tout proches à nous toucher - les usufruitiers qui demandent ce qu’on peut bien foutre là-haut à brûler de l’électricité pour voir quoi, bon Dieu,depuis le temps que ce foutu hôtel est abandonné. À moins qu’ils ne nous demandent de les payer pour tous les travaux d’entretien qu’ils voudraient nous coller, auxquels nous ne consentirons jamais, jamais.
Nous savons qu’ils introduisaient avec nous dans la cage d’escaliers cette créature qu’ils relâchent la nuit de sa cave, non point l’ « enterrée vive » mais ce bossu bitord, par-devant par-derrière, ramené de leur banlieue proprette. Cet homme, Vercassis, exerce en banlieue la profession suivante : modèle pour nain de jardin. Il teint son nez, prend les poses les plus difformes et se fait payer tant la photo. Puis les plasticiens reconstituent sa silhouette par « D.A.O. » et le revendent sous forme de figurines.
Se voir courser dans l’escalier de nuit par un tel monstre nous flanque à tous les deux des terreurs indicibles : voir son nez de grotesque passer la spirale nous accélère à mort dans les étages à perdre le souffle. Que va-t-il advenir de nous ? mon Chasseur et moi ne savons plus planter un clou. C’est tout le bâtiment norvégien qui s’ébranle au milieu de la nuit. Nous savons qu’après la mort de nos nourriciers le bâtiment restera quelque temps à peu près bien entretenu, puis qu’il s’affaissera sur nous, peu à peu avec les années, puis tous, hommes de chair et bâtiments de bois, rentreront sous forme de sciure dans le vaste cycle de la nature.
Nous reviendrons à Edmonton (Saskatchewan) pour le printemps. Nous prendrons des cours de bricolage et de charpente. Nous rétablirons le courant électrique de façon satisfaisante, pour que les lampes sans abat-jour cessent enfin de trembloter comme autant de paupières.
c) élargissement de l'espace, sorte de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel d'Issigeac à l'horizontale.
Cette partie est devenue inutile, car tout a déjà été développé dans les paragraphes précédents, avec force détails.
2) L'effondrement
1° alors que je me balade, effondrement d'une aile,
2° une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"
3° je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments,
I, 2, a : une page
Deux chemins s’échappent de la clairière où Juwes incessamment promène sa silhouette chevaline sur sa tondeuse ; les deux chemins descendent raidement, de part et d’autre à peu près de la haute calvitie que surmonte la bâtisse. Il faut avec entêtement lutter contre la descente avec autant d’obstination qu’on en mettrait à gravir, tant les buissons, les ronces, les végétaux piquants en général vous retiennent au passage, vous protègent de la chute, ainsi qu’une mère abusive, agrippante. C’est le chemin du sud qui vous retient le plus. Au Nord, la pente plus douce menant au Grand Lac des Esclaves caresse d’abord l’épaule à travers le tissu, au point qu’on souhaiterait être nu, par de hautes fougères arborescentes ; il se dégage alors de ces petits champignons éclatants (qui éclatent lorsqu’on les foule) un parfum pénétrant de spores, éjaculation végétale, poussière balsamique : la voix mâle, opposée à la voie femelle ?
·1 Et je les parcourais, alternativement, déplorant le peu d’espace offert par ces bois ancestraux, tandis que mon compagnon le chasseur reposait tout raide auprès de son fusil. Je songeais à cette arme entre nos corps placée comme à l’épée qui sépare Tristan d’Yseut dans la légende du Morrois. C’était la pente sud ou « femelle », et mes nombreux passages rendaient chaque fois moins piquants mes agrippements, lorsqu’il me sembla ouïr un craquement sourd et proche à la fois et lointain ; la terre ondulait sous mes pieds, des éboulements se distinguaient dans les impénétrables fourrés qui m’lotoenclosaient.
Remontant alors avec essoufflement, parfois les deux mains à terre, je pressentis que le Bouclier Hercynien, qui se croyait à l’abri des séismes, subissait une secousse improbable et réelle. Tout le monde a déjà ressenti cela : sensations de nausée, êrte d’équilibre, perte de tout repère, l’angoissante question métaphysique de sa propre existence (« Je ne suis qu’un point,, une poussière près de l’engloutissement ») - il y a dans cet abandon à l’infini une douceur elle aussi infinie, comme celle qui vous prend lors des endormissements. Je voulais courir vers la cabane, dont plusieurs tournants me séparaient au plus épais des fourrés.
Les arbres craquaient, ils ne s’abattaient pas. Ils fourniraient le bois de mon cercueil, je serais enseveli parmi eux. Il existe au Canada de ces espèces balsamiques, remontant à des siècles, et de génération en génération, à des millénaires. Peut-être des gisements de houille hantent-ils ces sous-sols, mais qui planterait des chevalets d’extraction au milieu de ces arbres millénaires, tout chenus de bavures de lianes argentées ? Je regrimpais péniblement la pente. C’était comme un jeu. Les forsythias de là-bas m’écorchaient le creux des mains. Les branches basses se dérobaient à mon étreinte, semblaient voulori m’entraîner dans une valse infernale et facétieuse.
Puis le sol recouvrait sa stabilité. Je courais sur les aiguilles de pins ou d’épicéas, bien rangées et bien sèches. Puis tout réondulait comme la peau d’un serpent, le perfum était pénétrant, un nouveau tournant se précisait entre les buissons bas. C’était un amour merveilleux avec la nature, quelque chose de dangereux et d’affectueux, comme d’uen mère éléphant avec un chaton. Mais ces gros animaux sont capables de délicatetsses inimaginables. Je ne risquais rien, à moine que le démon n’ouvrît sous moi une de ces crevasses d’engloutissement, aussi vite refermées qu’ouvertes.
2° une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"
Une page
Le bâtiment, quand je le vis, m’offrit l’image d’une invraisemblance absolue. Comment avait-il pu se faire qu’une surface aussi réduite au sol n’eût pas provoqué un effondrement « en château de cartes » ? Les mouvemets du chat, ou de l’éléphant, ou de la tortue (disent les Japonais) sur lesquels nous vivons, vermine humaine, sont rigoureusement imprévisible. Une partie du bâtiment restait vigoureusement intacte. C’était la moitié sud-est. Les étagements de bois, les volants de jupe ligneuse restaient fix »s l’un sur l’autre comme autant d’écailles intactes. D’un coup, au-delà d’une flèche de bois plus capricisues, que la secousse avait amené à la verticale, toute la maison du sommet de Mount Shyle s’était affalée au nord-ouest, en direction de l’Alaska. C’était une épine dorsale brisée, un long chevauchement de chevalets d’échine, un espadon mille fois rompu et rerompu, un léviathan fossile mal classé encore par les paléontologues, comme si le tremblement de terre s’était produit vingt millions d’années avant notre ère, et que les morceaux d’un ichthyosaure - les mots m’échappent, comme la terre sous mes pieds. La sciure planait par-dessus tout cela. L’odeur était merveilleuse, les particules demeuraient suspendues à deux mètre ou trois au-dessus du sol, et répandaient cette saveur de bois qui détermine les vocations de forestiers for ever, quel que soit le bas salaire qu’on obtienne dans ces professions déshéritées, loin de tout.
Un journaliste pressé -j’aurais pu vendre très cher mon reportage, mes clichés si j’avais eu l’esprit de porter sur moi un Nikon 400 E - « Je devrais me barder d’appareils photographiques, ces deux sentiers sont si riches que je rapporterais au poins de quoi garnir deux albums » - et puis j’oubliais - aurait alors mitraillé cette scierie bombardée,ce chaos d’éclatures où subsistait le grand dessein d’un architecte. Nulle fumée ne s’élevait encore, à l’exception de cette écharpe odorante et blonde, et c’était merveilleux, en vérité, que nul incendie ne se fût déclaré, ni ne menaçât, car mon odorat était aux aguets. Tous les sens jouissaient e la perspective eshétique offerte à moi. Les oreilles jouissaient d’une sorte d’écho : de là où j’étais, les arbres bienveillants m’avaient masqu » le bruit de l’effondrement, qui avait dû se produire très lentement, comme un froissement de vent dans les feuilles. Je me penchai pour cueillir au bout de mes doigts de cette matière merveilleuse, et je pensais qu’ainsi s’effondrent les empires, il n’en reste plus que le parfum qui pour toujours entête les civilisation à venir.
Des champignons, des insectes, se repaîtraient de cette sciure. J’étais subjuguée, transformé en femme, ouverte à toutes les sensations. Enfin, pensais-je, notre prison n’existe plus. Je ne pensais pas : « Comment vais-je réapprendre à vivre désormais ? » Non, la destruction, préalable à toute renaissance, m’apparaissait dans toute sa bienfaisance. Je longeais ces « poutrelles désaxées », ces planchers désormais verticaux, j’évaluais en connaisseuse ‘désormais j’étais femme, pour un certain temps, je priais l’intérieur de moi-même pour que cet état divin se prolongeât, car la femme est proche du divin autant que le sommet s’affale à terre et en épouse les contours) l’angle, techniquement parlant, 25° ? 45 ° ? où tous ces enchevêtrements se présentaient.
Et rien, Dieu merci, n’était reconnaissable, ni la chambre, où trônaient les hideuses images, ni la chambre des deux monstres, l’homme et la femme encore condamnés à leur sexe respectif, seule peut-être la tondeuse à gazon osait montrer son large siège de cuir en forme de cul : je voyais les deux étroites ellipses dessinant sur le cuir la marque des fesses d’un certain Jywes.
3° je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, une page
Alors seulement j’acceptai de penser aux humains. Qui était vivant, qui était mort ? Le cheval maudit, l’homme à la tondeuse ? Notre hôtesse, la graisseuse, toujours à virevolter au milieu de ses tartines ? Mon compagnon le chasseur, sale et raide dans ses pantalons militaires, et qui ne me touchait jamais pendant la nuit ? Je ne l’aurais pas suporté : qu’il se lavât, d’abord. C’était vraiment, j’y revenais toujours, l’odeur qui m’emplissait tout entière, du poumon à ces cavités que je sentais, nouvelles et palpitantes, désormais vivre en moi - mais pour combien de temps ? Mon Dieu, faites que mon changement de sexe se confirme ! La sciure me pénètre par tous les pores. A la moindre odeurde cadavre, d’ici quarante-huit heures je suppose au plus tard, je sens que je redeviendrais un homme.
En même temps, quelque chose s’agitait dans mon esprit : « Tu n’es pas raisonnable. Tu es monstrueuse. Tu jouis du spectacle, tu palpes le bois frais, sans t’inquiéter de ceux qui vivaient là, qui se préparaient à vivre une de ces merveilleuses matinées solitaires. Tu aimerais, n’est-il pas vrai, qu’ils revécussent, qu’ils revinssent à la vie, afin de reprendre cette histoire qui ne t’avait jamais appartenu...
Tout est trop calme. Il ne règne absolument pas d’atmosphère de mort. Une heureuse coïncidence a fait que tous auront survécu. Je me fais peur. Il n’y a pas de mal. Ils sortiront de leur cage de bois, soit de la partie miraculeusement restée intacte, soit de cette longue avancée disloquée. Et c’est d’abord le cheval funèbre, le chevaucheur de tondeuse à gazon, qui s’ébroue de sa sciure, tout près de la base, où le poids a pesé le moins. Il me regarde hébété, les bras ballants. Il ne trouve rien à me dire, ses lèvres sont retroussées exactement comme celles d’un cheval sur le mort, je vois ses dents jaunes dont je détourne toujoiurs le regard pendant les petits-déjeuners si copieux.
A mon grand désespoir, à mon grand soulagement - comment définir ces deux choses, là, juxtaposées ? - je vois la boulette sortant par la demi-porte restante, car la catastrophe l’a surprise au milieu des étages. Elle était en train de manger, les lèvres lui dégoulinent encore de sirop d’érable. Pourquoi les tremblements de terre n’éliminent-ils jamais ceux envers lesquels nous sommes redevables ? Pourquoi me trouvais-je si proche, dans un chemin creux, encombré de buissons ? Où est mon chasseur ? Il étire son long cou de l’autre côté du bâtiment, il revient lui aussi de promenade, il a pris le second sentier, vers le nord, il ramène par les ouïes une carpe à demi morte, que l’affolement a jetée sur sa ligne
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