CE QUE JE VOIS
COLLIGNON DIVERS PRESSE
SALAMANDRE 64 08 30 1
Choisir, c'est péché. Choisir, c'est déroger. Ce matin, la « photo de presse » est la couverture
d'un carnet d'adresse. Il est allongé, tout dans les jaunes et noir, avec une longue queue de salamandre aux anneaux bariolé. Carnet d'adresses lisons-nous an bas à gauche, d'une écriture féminine et dorée, boucles du C, dédoublement de la courbe du d, le « t » de « carnet » détaché avec une belle barre d'enfant de part et d'autre de la tige. L'animal lui-même est issant à senestre, jaune vif, les quatre pattes écarquillées avec leurs cinq doigts en soleils, pour porter le ventre. La postérieure est fautivement coupée du corps par un faux trait de perspective, le tout vient d'un enfant ou d'un imitateur d'enfant : avec un gros œil globuleux et surpris, un petit iris de bande dessinée car la salamandre ne regarde pas ainsi.
Elle est surprise au saut du lit dans la rosée, nez au vent et l'autre œil, le caché, rehaussé par l'arcade sourcilière, anthropomorphisme de bande dessinée, toute prête à s'enfuir ou toute indécise et ravie face au vaste monde et ne sachant quelle volupté absorber en premier, du vent, des traces de pluie ou d'un éblouissement d'aurore. Elle est à la fois de profil et par dessus, naïve mais complète, immobile pour ce quart de seconde et prête à s'élancer petit ventre à terre en tortillant de tout le corps sur ses pattes écartées. Toute en jaune, sauvage et familière, apprivoisée, capturée par le dessin cernant qui trace autour d'elle un liseré doré sans reprise, comme une intaille qu'on aurait gravée pour un petit lexique animalier.
Pour que ce soit plus drôle et familier encore, l'enfant qui l'a créée fait partir de l'arrière-train sans respect de vraisemblance ou de perspective anatomiques une fine queue non pas dégressive à la façon du vrai animal, mais tenant du merveilleux motif que nous connaissons tous, le Marsupilami, géniale création et créature de Franquin l'année de mes 8 ans, dont je fus amoureux quand j'en eus 14. La queue descend en affluent amazonien, remonte et se replie très haut, cloisonnées de carrés brun, rose, orange, encore brun puis bleu ciel, et je ne dis rien des trois longues bandes horizontales bistre, ocre clair et noire à même lesquelles un instant s'est immobilisée ma salamandre attentive et guetteuse.
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HARDT VANDEKEEN DESCRIPTIONS
ST-REMY 04 10 2052 1
Place Georges de Porto-Riche. Minuscule, rectangulaire et pavée. Une pissotière de métal lisse, un banc de lattes brunes sous mes fesses. J'aimerais vivre à l'extérieur. Quatre étages élevés en face de moi. Un des plus vieux immeubles de Bordeaux. A ses pieds, des putes. Braves et bourgeoises. Au rez-de-chaussée je lis : MATERIEL DE DESSIN – TIRAGE DE PLANS. C'est fermé. Entre les deux fenêtres opaques et grillées en piques, un store baissé. Le tout dans les bleus sales. Un grand silence pour une autre ville. Au-dessus, l'entresol : deux oves creux garnis de grilles, six compartiments.
Une fenêtre sans doute carrée, barrée de grilles elle aussi. Et sous le linteau, trois mascarons: de part et d'autre d'une large face bouddhique, je vois deux béliers aux cornes de chamois, ou de diables. Rien de réaliste : un museau pointu, deux yeux attentifs, à la fois doux et perçants, ne laissant rien échapper de ma vie. Des rigoles verticales, creusées à la gouge, qu'on pourrait qualifier de « diglyphes ». Premier étage : trois hautes baies drapées de rose-bleu-bleu. Je devine une haute et profonde salle, atelier de peintres ou de danseuses, où s'agitèrent tant d'espoir sur deux siècles. Des pampres par-dessus. Deux étages au-dessus aux fenêtres ordinaires, à l'ancienne, tranchées à même la pierre, dernier étage à gauche entrouvert, puis un larmier, le toit deviné sous le ciel.
Autour de moi les pas, les conversations d'êtres seuls accrochés aux portables, pour toujours emblèmes de cette époque. Plus tard, à l'intérieur : Etrange réunion où se côtoient les plus étranges fanaisons. Vieilles têtes et charmes fanés, des enfants, là égarés, des chiens au ras du sol, un chat sur une épaule, et tous ces souvenirs d'ambiances mortes. Les toiles sont exposées sous d'étroites lumières, les voûtes recouvertes d'un badigeon très laid, et des chiottes, aménagées dans le déambulatoire, car nous sommes, cette fois, dans une église. Au dehors les putes méditent, et pensent que non loin « les gens de la Mairie » organisent « quelque chose » dont elles ignorent tout. Je les entends flatter le chien Harribo, elles s'adressent aux passants de leur quartier, il règne une atmosphère follement calme, j'entends bruire dans mon dos Notre-Dame des Putes et son assistance, le jus de fruit est frais mais les gâteaux secs trop salés. Devant moi une horrible poubelle à papier bleu de Prusse. Plus loin de longs cartons d'emballage de tube à néon, trois ignobles poubelles fixes. La pissotière diffuse ses relents. Un Noir y pénètre sans lâcher ses paquets. J'entends discuter les prostituées à grand renfort de « bonne soirée ». Elles ont d'autres sources de revenus sans doute. Je les imagine mal ouvrir les cuisses à l'étage pour quelques billets Pourtant si. Atmosphère de profonde civilisation, de tolérance. Bulle du temps que ne mentionnent aucuns HARDT VANDEKEEN DESCRIPTIONS
ST-REMY 04 10 2052 2
journaux. Les chiens poursuivent leurs trajets. Les motos se dressent sur leur baquille dans un cliquetis. Delaporte me parle en rajustant son casque. Il pense acquérir une galerie ici à Bordeaux. Je vis au fond de la plus extrême province. Je vois un homme en costume garnir une poubelle. Six arbres chétifs entourent le rectangle pavé, une bicyclette fait entendre sa course grenue. Un jeune homme sur son potable : « Eh oui, c'est Louis-Marie ». Une femme aux cheveux noirs garnit à son tour la poubelle. Une pute demande à chacun s'il va bien. Assise sur sa chaise, elle balance des bonne soirée ! à tous, afin de se faire accepter.
Au sein d'un autre groupe dans mon dos j'entends les expressions connard, casser les couilles, d'une voix féminine. Un fox à poil dur. Son propriétaire est un sexagénaire bien nourri. Les sexas de notre temps forment les quinquas d'un autre. Tout le monde se connaît. Derrière les poubelles passe une rue à gros pavés. L'air est doux. Voici d'autres cartons pour les poubelles, à leur pied. Voici un petit chien à museau noir, tiré par le collier. Il y a aussi des vieux sans âge. Une laisse épaisse et blanche. C'est l'âge et l'heure éterellement crépusculaires, jamais on ne quitte ces rives bienfaisantes, et la valise à roues cahote bruyamment sur les pavés en remontant la rue. Je suis entouré d'humains et n'en éprouve nulle crainte.
Des feuilles mortes ornent les pavés disjoints. Une camionnette stationnée bouche ma vue sur la droite. Je voudrais n'avoir plus à présent d'autre mission que d'écrire ce que je vois, jusqu'à ce dos de femme drapé de rouge qui s'éloigne et s'échappe, en haut, à gauche. Xxx60 11 25xxx
CE QUE JE VOIS
L'EXTERIEUR PAR MA PORTE OUVERTE
61 08 17
Ce carnet me fut offert par mon épouse Anne-Marie le jour de notre 48e anniversaire de mariage. Nous nous sommes toujours efforcés de vivre comme des personnages célèbres, conduits par nos caractères à la plus douloureuse obscurité. Cet étrennage du carnet a pour cause une grande lassitude de décrire incessamment mon propre bureau et ce qu'il y a dessus, téléphone, clavier ou écran. Actuellement, je siège au bout d'une table de jardin, par temps frais et supportable, tandis qu'Arielle garnit le cul d'un petit cageot cylindrique de graines de tournesol. Elle ne vit que par les mésanges qui s'en nourrissent, mais ceci est une hyperbole. On entend aussi des corneilles, de légers bourdonnements, et les pas lents de la Nourricière d'oiseaux.
Cette table allongée, ronde à ses angles, est recouverte d'une nappe de plastique jaune sale, aux motifs végétaux (bouquets mauves, poignées d'épis ligaturés. Des feuilles mortes la souillent ou l'ornent, parfois balayées par des jets d'eau que je proclame "nettoyages". Sur le côté droit s'accotent trois chaises, inclinées de façon que la pluie ou toute autre humidité puissent s'écouler sans condamner le cul à des bains de siège. En face, un dossier blanc, un autre qui le surmonte incliné comme les autres sur toute la longueur de la table. De moi à l'autre bout, nous voyons : un premier lot formé de ce carnet, dont je suis les lignes stimulé par ce retour à l'écolier ; à gauche les notices ou emplois du temps, tapés à la machine. XXX 63 06 19 XXX
Sous mon carnet, le minutier, c'est-à-dire la feuille, régulièrement renouvelée, où je note le départ et la fin de toutes mes activités avec avec leurs décomptes de minutes soigneusement préétabli. Ensuite, une bouteille de plastique bleutée remplie de son eau et munie d'un bouchon plus foncé, que j'ai déjà (celle-ci ou une autre) décrite en son temps. Des petites feuilles mortes de prunier sauvage (non enté) forment un triangle : les fruits sont minuscules, à peu près immangeables sauf après cuisson, L'an dernier j'en ai fait de la purée, où je dus mêler quantité de sucre. Ensuite sur la table, dans un cendrier translucide aux motifs chinois, encombré d'un pot de fleurs de série en plastique, un plant de je ne sais quoi, peut-être une courgette : deux tiges desséchées, entre lesquelles, à l'arrière, monte une tige vigoureuse aux fleurs alternées. D'ici, je vois le rond de terre que la perspective transforme en ovale. Sur la gauche, à même la nappe, une traînée irrégulière de feuilles brunes éparses et recroquevillées, jusqu'au fameux panier de plastique aéré, retourné, à claire-voie, servant aux oiseaux de plateau à nourriture. J'entends voleter sitôt que je lève les yeux, car les oiseaux craignent le moindre mouvement. Les graines de tournesol, longues et plates, se disposent sans ordre autour d'une feuille tombée là, bistre.
A l'autre bout enfin de cette longue table, et posée sans grand goût vers l'extrémité, un cartel du XVIIIe, calé, noirci, mutilé, montre de dos un couple d'amoureux sur un socle. Il indiquera l'heure après réparation bien improbable. L'homme écarte les jambes, un pied bien apparent sur le rocher de support. Ses mollets bien marqués (ils se touchent en leur gras) l'appuient en léger déhanchement sur sa compagne, qu'il entourait d'un bras sur les épaules, membre perdu et sectionné creux. De la femme on ne voit que le haut du buste et la tête, d'ici détournée, coiffée comme toutes, alors que le jeune homme porte un élégant tricorne. Son coude droit levé témoigne de son attention pour la poitrine, le cœur de sa fiancée.
Trouvant le couple trop aristocratique, trop « Caron de Beaumarchais », Max, qui me l'a donné ou confié, avait coiffé le jeune homme d'une hideuse casquette à visière, et muni la femme d'un cabas prolo. Tandis que j'écris dans mon berceau de célébrité, luttant contre un sommeil infâme, les mésanges viennent picorer en piquant, je ne les chasse pas. Elles ont de moins en moins peur de moi ; mais je ne suis pas près de les faire manger sur mon épaule. Bouteille à droite, pot de fleur ocre rouge au centre, cagette renversée sur ma gauche où frappent les becs apeurés, statue vue de dos sur un socle de cartel XVIIIe siècle, telle est ma perspective. XXX 63 07 31 XXX
COLLIGNON TEXTES LIBRES DESCRIPTIONS 19
NOEMI A CONTRE-JOUR
Noémi est une peluche. Son prénom biblique apparut dans un conte de la Rostopchine, mêlé à une histoire de marée montante surprenant un groupe d'enfants. Je m'étais étonné qu'un prénom de fille ne se terminât pas par un "e". "C'est parce que c'est comem ça", m'avait dit ma mère, sans me convaincre. Celle-ci est un singe, en l'occurrence une guenon. Elle est à contre-jour parce qu'une mains l'a posée au sommet de mon moniteur, aui-dessus de l'écran : je ne peux la voir qu'en m'éblouissant, et la lumière de la fenêtre, en arrière et sur la droite, n'améliore pas la vision. Ce singe ne respecte pas les proportions de la vraie vie : ce n'est qu'une peluche, schématique, à caresser.
Elle occupe un triangle aux pattes écartées, la tête un peu déviée par rapport à la hauteur. Les pattes sont droites, courtes et veloutées. Par-dessous l'on aperçoit la surface plus claire du moniteur. Tout se concentre dans la tête : deux petits yeux luisants, un mufle de singe bien saillant particulièrement appétissant, attendrissant aussi. Cela donne envie de se frotter, museau contre museau. L'ensemble des yeux, du nez qui surgit justa au-dessus et du mufle rond forme donc une demi-sphère au tissu ras, couleur bistre clair, surmontée par deux cercles incomplets contenant les yeux, grands ouverts et bien écartés. Enserrant tout cela comme une fourrure de capuche, une enveloppe de poils blancs, rétrécie en pointe juste sous les yeux, qui marque la taille du visage.
Englobant encore le tout, un capuchon brun sombre, suite de la robe uniforme du singe, lui donne l'allure d'un esquimau à cheveux blancs, coiffé d'une cagoule de scaphandrier en peau de phoque, mais noire. Les quatre pattes écartées suggèrent que la petite guenon s'est raplatie en grand écart sur la glace, maladroite. Le contre-jour auréole sa silhouette d'une fine pellicule à peine luisante. Pour compléter, nous devrions aussi mentionner la souplesse de l'animal, son velouté, son élasticité, sa capacité à supporter toutes les caresses et à les rendre, et la profonde gentillesse,la générosité qui se dégage de ses courbes harmonieuses et sensuelles, s'il faut employer les clichés. Au début nous faisions peu de cas de cette silhouette moricaude et rudimentaire, puis son apparente patauderie, son prénom de fille, nous ont séduits. Noémi, toute petite, tient à présent toute sa place.
COLLIGNON DIVERS « CE QUE JE VOIS »
HORLOGE DE BUREAU 64 03 05 1
Tout ce que j'écris sous la rubrique « Ce que je vois » est dédié à Xavier de Maistre, qui m'a enchanté de son Voyage autour de ma chambre, où ma frilosité m'a depuis longtemps consigné. Il ne s'agit que de décrire ces objets que j'ai sur mon bureau, sans pouvoir tricher : le fond d'écran reste masqué. L'écran lui-même a fait l'objet d'une évocation, avec ses « barres d'état » garnies de mystérieux hiéroglyphes : disquette, disquette et crayon, symbole inanalysable… Ici l'horloge de bureau, carré de quinze centimètres, une loupe offerte par une amie bien intentionnée, un téléphone dressé sur son socle comme un moa pascuan. L'horloge, de marque AKAI (« c'est écrit dessus », en blanc sur un rectangle rouge), se présente comme un carré de 15cm de côté, acier poli pur alliage, obtenu par Dieu sait quelles manipulations chimiques, merde d'agneau ou atmosphère de Vénus.
La bande inférieure porte « AKAI », qui en japonais signifie « rouge ». La bande supérieure affiche une immaculation savamment rayée. Au milieu règne un rectangle noir, aux largeurs plus épaisses, au montants plus minces. En abîme encore (l' « y » n'est pas obligatoire ») un écran gris perlé foncé, où clignotent des symboles noirs plus ou moins énigmatique ; les deux points entre « 8 » et « 11 » indiquent des secondes un tant soit peu rapides. Les chiffres sont formés de cristaux en bâtonnets trapézoïdo-parallélogrammatiques, si j'ose ainsi m'exprimer. Sont indiqués dans deux structures en pistolets, emboîtés tête-bêche, le week day ou « jour de la semaine » (les Japonais supposent l'Occident tout entier anglophone), avec, à la verticale, les trois premières lettres de chacun de ces jours en anglais : MUN, TUE,WED, THU, FRI, SAT, et SUN en lettres rouges, akai moji de (l'informatick est magick) : toute la semaine s'illumine du dimanche à venir.
C'est le THUR(SDAY, en noir, qui est encadré. Or nous sommes, précisément, le SUN(DAY), et je me garderais bien de rectifier, car la manipulation des changements nécessité un bon paquet de nerfs solides ; tant que les usagers meublent leur cerveau de manœuvres absconses, ils ne risquent pas de se perdre dans la sensibilité. En dessous, dans l'autre pistolet, COMFORT LEVEL. Si la température est satisfaisante, une émoticône paraît, bouche horizontale ou souriante ; si le petit bonhomme joufflu n'apparaît pas, c'est que mon COMFORT LEVEL est insuffisant : la temperatcheure, en effet, n'est que de 16.4 en Celsius (ce qui respecte ma civilisation latine : 61,7 en Fahrenheit). L'hioumidit'è atteint 50 %, les prévisions du temps annoncent des nuages avec éclaircies, et le temperature trend est, tout simplement, le temperature trend.
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HARDT VANDEKEEN DESCRIPTIONS
TOMBE D'HERMINE 27 07 06 1
Il y aura la surface, et la profondeur. Toujours, lorsqu'on décrit une tombe. Ce sont de ces thèmes récurrent, La Mort du Chat, 29 décembre 2004, lorsqu'on découvrait l'ampleur du tsunami indonésien : moi j'enterrais mon chat, et je ne pouvais décemment le confier à personne. La photographie suit de peu cette mort. Malgré février des jacinthes fleurissent, un redoux s'est produit, et le petit tigre en faïence semble détourner la tête pour exprimer un chagrin, puisque c'est le mot qui convient. Je ne sais d'où provient cette statue maladroite, fabriquée en série. Les rayures symétriques du pelage s'aperçoivent sur la patte droite, remontant jusqu'à l'oreille, le poitrail et le ventre sont blancs.
Les jacinthes montant jusqu'à son museau révèlent sa petite taille, le bulbe de la première est à demi sorti de terre. Tout autour c'est un sol indécis, aux herbes jaunies, éparses, avec des débris de feuilles séchées, quelque chose de négligé, comme il est de coutume en hiver. Ce coin est resté en friche. Rien n'y peut pousser, le mimosa que nous avions planté a dépéri tout de suite, exposé au courant d'air de ce passage-là. Et derrière la hanche du tigre, deux autres jacinthes se détachant moins de ces végétations indécises et pelées. A l'arrière-plan, bien solides, la base de deux troncs de je ne sais quels arbres, dont les feuillages ici invisibles disparaissent sous des profusions de lierre ou de glycines.
Et par derrière encore, incurvés, parallèles, les deux tiges épaississimes du rosier, qui fait fleurir ses roses à plus de cinq mètres de haut. Le fond de la photogaphie, à 85% dans sal ongueur, à 60 % dans sa hauteur, est constitué par les rondins, les bardeaux plus exactement, de la cabane à outils construite par Jacques. C'est un mur compact où s'élancent faiblements deux assauts de lierre hivernal. Ceux de l'été, dangereux pour la stabilité du bois de construction, je les ai arrachés moi-même, et des traces blanchâtres en éventail témoignent sur le bois bistre d'une croissance antérieure plus vivace. Je compte six rangs de rondins, aplatis à l'intérieur. Je ne sias pas exactement comment cela s'appelle, en charpenterie.
Ces tiers de troncs se relèvent de gauche à droite, parallèlement, selon un angle de 15 à 20°. Le rang le plus bas, le plus terreux, passe en perspective sous la mâchoire du tigre en faïence. J'ai beaucoup de mal à entretenir cette construction : parfois j'y passe de la lasure, jamais plus de 25 mn de suite. Je n'ai pas de temps à consacrer à ces vétilles matérielles. Je considère ces passe-temps comme indignes d'un intellectuel. Moquez-vous de moi. La vie est courte, qu'ai-je à faire d'une cabane à outils plus ou moins propre, d'une tombe de chat plus ou moins bien entretenue. Le corps HARDT VANDEKEEN DESCRIPTIONS
TOMBE D'HERMINE 27 07 06 1
de ma bébête gît là, à 60 cm. de profondeur maximum, dans un indigne sac de plastique pour les poubelles. J'ai creusé comme un dératé, sans penser. Les chagrins de pertes d'animaux s'évaporent vite. On en est moins marqué paraît-il. Mais les animaux ne devraient pas mourir. La vie ne devrait point se renouveler. Pourquoi donc cette règle du renouvellement cyclique a-t-elle été instaurée ? Pourquoi la vie n'est-elle pas éternelle, comme la pierre, comme le tigre ? Il est la seule tache blanche, j'aurais dû régler sur l'arrière-plan.xxx60 10 14xxx
COLLIGNON HARD VANDEKEEN "DESCRIPTIONS" "CE QUE JE VOIS"
BUREAU 2056 08 31 1
Exercice. Targuil. C'est un écran, cet écran, vieillot, blafard. Rien d'effrayant, rien de pupillaire ou de cornéen (le blanc de l'œil), ni de Big Brother. Rien non plus qui dans la composition m'entraîne à la médiocrité, rien de plus en tout cas que la page écrite "en vrai". Ce n'est pour moi qu'une commodité. Avec des "barres d'outils", en haut, en bas. Je n'utilise tout cela qu'au dixième, sans aucun doute moins, de ses possibilités. Les sigles sont extrêmement mystérieux : .odt, par exemple. Mais je ne vais pas ressasser les abréviations anglaises pour "faire sens". "Quelques petites choses que je sais d'elle". Je ne demande que ce dont je peux me servir.
La satire de l'ordinateur fut déjà tant de fois faite. En ce moment, il siffle comme une tortue en colère, furieuse d'avoir été réveillée de son hibernation. Puis ça se tasse. Je ne répare rien. Tout devient poussif, essoufflé. Implosera ce qui doit imploser. En bas à droite, un point vert pisse, lumineux : l'écran fonctionne. En bas à gauche, le rectangle "démarrer", qui sert aussi à éteindre comme chacun sait. En dessous du gros écran (on dit le "moniteur", pour tout ce qui entoure l'écran en question) trône, à peine visible dans la pénombre, un petit hippopotame vert pomme, avec des fleurs jaune dans les bras, et une rose à la bouche : un brave homme, un peu enveloppé. Aux angles du moniteur, symétriquement inversées, deux cigales vertes caricaturées, elles aussi anthropomorphes : quatre membres, soit deux bas deux jambes, chaussées d'escarpins plus ou moins médiévaux, répandant comme pour les semer les croches et doubles-croches au-dessus de leur tête.
Elles portent une jaquette rouge à deux boutons dorés sur leur corps vaguement humain, de couleur verte. Ce sont donc deux vignettes fort laides collées à ces endroits par mon petit-fils Veit au temps de ses quinze ou seize ans. Je n'enlèverai pas cela. Il ne touche plus mon ordinateur, que j'ai même protégé, pour faire bien, par un code d'accès : mon prénom, à l'envers. Mais Veit possède à présent beaucoup mieux, un écran téléphonique, et un portable de poche. Voilà ! Le clavier où je tape est blanc sur touches noires : très "clavecin". Je l'ai chipé, abandonné qu'il était dans le bureau de Marc, Radio la Clé des Ondes. Marc et sa femme sont venus régler l'appareil, ils ne se sont pas aperçus de ce larcin.
1. Veit avait brisé le clavier précédent sur son genou : accessoire pourri, mais lisible au moins, alors que le blanc sur le noir s'absorbe. De plus, certaines touches ne correspondent pas à ce qu'elles affichent : "égale" et "plus" donnent un point d'exclamation, et pour obtenir le fameux "arobase" ("@") il faut appuyer non pas sur la touche qui l'affiche, mais sur "alt" et
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3. COLLIGNON HARD VANDEKEEN "DESCRIPTIONS"
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8. zéro". Veit avait deviné tout de suite : comment font-ils ? Facile : ils ne lisent pas. Ils ne savent qu'une seule chose, l'informatique...
COLLIGNON DESCRIPTIONS
CHOUCHOU 60 05 06 4
Choix de la difficulté. C'est ce que les filles appellent un "chouchou", un de ces cockrings à queue de cheval, qui serre et ne presse pas, que l'on perd par dizaines et que l'on reconfectionne à gogo. Celui-ci est brun, je l'ai porté quelques secondes, il est retombé de mes cheveux. Il se présente sous la forme informe d'un alignement circulaire de 7 volutes, plus ou moins anatomiques (vulves accolées) ou pétales (veloutés). C'est le toucher qui le décrirait le mieux. Cela monte, cela redescend, "comme" une chenille immobile de foire. Une telle description, pour la faire comprendre, nécessiterait une multitude de comme, ainsi que fait Julien Gracq. Et chaque pli se refrise en larges replis ondulés.
La couleur est bistre clair, avec des plages brun foncé. L'ourlet, léger, très sombre, repart an circonférence, revient se lover au centre. En ce moment, la lumière baisse. La moitié la plus éloignée baigne dans le chocolat laiteux, l'autre, près de moi se renfrogne en reliefs froncés. Premier pli face à moi : un slip au membre tombant, dans le clair, à moins qu'il ne s'agisse d'une femme extrêmement serrée ; car la vulve, quand on a bien tiré à fond, à faire mal jusque dans le repli mycosé de l'aine, ressort comme un museau de dauphin, ou une bite incirconcise et comprimée. A gauche en remontant le long du cercle, un rognon disproportionné par rapport à ce slip moucheté : ses deux lobes auriculaires enserrent le rebord gauche du sous-vêtement.
Le tout s'incurve, dans le creux, à la façon d'un hélix d'oreille. En contrebas du point culminant de l'ourlure, s'étend et se déverse un troisième pétale organique. Ce sont trois évasements séparés par quatre crêtes assez peu marquées, en fleur d'eau cette fois. Mon manque de talent laisse penser qu'il s'agit de froissures, mais j'échoue à rendre la continuité de la matière, veloutée à l'œil, chcocolatée vanillée à ce qui serait la langue. Puis une volute verticale, suivant le mouvement de torsion : une vallée de haut en bas, la crête la plus proche brun clair, la plus éloignée presque noire. Le tout d'une extrême douceur suggestive. Le cinquième volute paraît en dessous des autres, tachetée comme un léopart chocolaté.
Nous ne voyons pas son attache inférieure, le pédoncule d'accrochage du coquillage. Surmonte cette boucle indépendante une aile verticale très sombre, peut-être double, puis un tuyautage plus petit, et j'ai enfin fait le tour de la rose, par un nœud défait de cravate. Le tout très souple, à peine élastique.
COLLIGNON DIVERS DESCRIPTIONS CE QUE JE VOIS
SECOND HIPPOPOTAME ET CHAT PLAT 63 09 21 1
Au sommet de ce que l'ancien temps appelait encore un "baffle", sorte de kaaba aussi noire et massive que l'originale, gisent deux animaux en perspectives bizarres, et qui n'ont pas pour habitude de se côtoyer : c'est un hippopotame vert, de face, et un chat plat, entendez une motié de chat représenté vautré sur la surface, comme découpé dans l'épaisseur de sa longueur. Le Nilpferd ("cheval du Nil") se présente de faee, camus, obtus, bleu turquoise. Il a dû exister dans la statuaire pharaonique. Le scuplteur lui agrandit le museau, sur la narine droite duquel repose une couverture noire de classeur ouvert. Ses orbites sont également démesurées, arquant de vigoureuses arcades, qui se rrejoignent au milieu du chanfrein sous forme de marque cylindrique : c'est l'Hippopotame divin, Taouret, "la Grande", protectrice de la maternité.
Je vois aussi ses petites oreilles de chat, son dos puissant en perspective raccourcie qui s'arrondit en puissante croupe. Son front porte d'abondantes rides, son échine des scarifications rituelles en perspective rasante. Devant son mufle volontaire de requin-marteau, le carré noir de ma boîte à sons, qui fonctionne si mystérieusement. Sue le côté gauche (ma vue du carré se fait "alla cavaliere", par un angle) s'aplatit un chat rayé, comme écrasé, nonchalant, la tête tournée au-delà du cul de l'hipppo. Il est douloureux. Je ne le conserve que par égard, car il ne peut tenir que dans cette position, du fait de son traitement plastique. Il est saisi dans l'abandon, une patte levée sur l'autre, mais mutilé, car il ne se relèvera jamais.
C'est une loque, c'est une bouse. Il montre sa longue nuque souple, une seule de ses oreilles, l'autre étant absorbée dans le noir, une arcade, un dessous de museau, et se laisse aller dans son morbide abandon. Sa facture avachie d'hippocampe échoué ne saurait se comparer à la mastodontesque assurance de la déesse vert-de-gris. Ce serait même un trop gros chat sil 'on s'en tenait à l'échelle de représentative. Ils sont tous deux perchés figés à 30cm d'altitude, encore dessous de mes yeux. Ce sont des objets ornementaux, de qualité pour le pachyderme, de médiocrité pour le minou négligemment rayé. Quant au classeur dont le rebord écorne le museau et passe sous l'orbite droite, il se poursuit en grande plage descendante, et soutient deux pincées de feuilles écrites, à la main par dessus, à l'imprimante par dessous.
Ce décor de bureau témoigne d'un désordre où je vis, où je trace mes lignes dans une studieuse insouciance, et nul ne me regarde. L'hippopotame et le chat sont là, ils pourraient être ailleurs, attirent la poussière, et seront déplacés sitôt cette page écrite, afin de respecter le roulement des choses, qui se dit, en français, le turn over.
COLLIGNON DESCRIPTIONS CE QUE JE VOIS 65 03 21 21
CLAVIER
Ce que je vois est nécessairement mon bureau. Pour clarifier la scène, j’ai légèrement dénoué le fil de ma commande appelée « souris ». Une fine moustache barre mon clavier dans le sens de la largeur, du troisième plan vers moi. Au troisième plan s’élève le gros savon gris percé de prises appelées « ports », avec un T. Au centre luit un petit œil bleu, fixe et froid. Cela remplace la grosse tour qui m’encombrait les genoux en des temps antérieurs, Toute écriture est une épreuve écrite d’agrégation : il faut concilier respect et liberté, conformité aux vœux et personnalité. C’est mon clavier, en français le keyboard, qui est devant moi. Nous dirons 15cm SUR 48. Le pavé principal est à gauche.
Il tient le tiers de la longueur, et toute la largeur. Deux petits pavés intermédiaires lui succèdent sur la droite. Celui du haut n’a que neuf touches, dont je n’utilise que l’inférieure gauche. En effet, ces appareils se détraquent selon leur propre fonctionnement, et je ne me risquerais pas à les déclencher au moment même où je rédige ce texte. Elles portent, de gauche à droite et de haut en bas, les lettres ou signes suivants : I E, abréviation de je ne sais quoi en anglais, qui est le français. AD, qui peut petre un préfixe. Et « P ». Rangée du centre : Ins(tallation?), flèche vers le nord-est, flèche barrée trois fois pointant ver le haut, indiquant sans doute un déplacement subit en haut de page, juste au-dessus d’une autre semblablement barrée pointant vers le bas.
Nous essaierons cela plus tard. La rangée inférieure porte aussi la mention Sup, et permet de supprimer une lettre ou un signe situé sur la gauche de la ligne imprimée. Celle du milieu indique « Fin » - de quoi ? du monde ? de l’écran ? Abstenons-nous. La grande terreur des stupides est en effet de voir tout leur texte disparaître :
Œuvre de tant de jours en un jour effacée !
En bas figure une de ces figures qui descendent se fixer harmonieusement ou non par rapport à une configuration sur un écran de jeu : trois flèches blanches sur fond noir, comme d’ailleurs toutes les touches de ce clavier, excusez-moi : keyboard, flèche à gauche, vers le bas,vers la droite. Par dessus cette barrette, une seule boudette, flèche en haut. En fin, le dernier pavé, dit « numérique », surmonté d’une inscription « geemarc » (« gee », comme celui de Google?) et d’un voyant vert clair, fixe comme le voyant bleu du savon gris. Finalement, ce mystérieux engin plat semble aussi mystérieux que les fameuses Divinités Courroucées du Livre des morts en tibétain, avec leurs coupes de sang et leurs entrailles dévorées ; de ces 105 touches, 34 ne sont jamais utilisées, crainte de catastrophes.
COLLIGNON DESCRIPTIONS CE QUE JE VOIS 65 03 21 22
CLAVIER
Encore certaines n’ont-elles pas encore livré tous leurs secrets. Deux d’entre elles en particulier portent 3 symboles : un 5, une parenthèse et un crochet ouvrants, un ° en exposant, parenthèse et crochet fermants. Du diable si j’ai jamais su imprimer le moindre crochet, bien utile pourtant pour une prononciation figurée par exemple, ou pour un développement d’abréviation. Le pavé numérique, pour y revenir, possède une touche « VN » : « verrouillage numérique ». Vous pourriez penser qu’il « verrouille », c’est-à-dire, qu’il bloque l’accès aux chiffres. Eh bien non : c’est comme pour « verrouiller » une remorque à l’arrière d’un véhicule, et ça enclenche, au contraire, la numération : futé, non ?
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