JEHAN DE TOURS

 

C O L L I G N O N


J E H A N  D E 


T O U R S

Collection des Auteurs de Merde 4 Avenue Victoria 33700 Mérignac

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Puis vient l’indifférence

Carcasse coulée au fond de Loire

Avoir vingt ans.

Langue de sable étirée, languissante,

léchée nappée par le fleuve

et cette barque aux rameurs immobiles... »

Plus loin :


« Tours, ma grand-ville,

Cathédrale de flèches fondues dans la nuit

Retour des Ursulines

brouillard et crépuscule

il fait toujours décembre

sur les jardins compartimentés

de la Préfecture de Tours

Blessure j’en reviens toujours à toi comme un chien malade

(Chinon matin brumeux tours de lumière bistrot bleu)


jamais je ne le reverrais la glace de tes yeux la neige de ton cou

plumetis blanc du col de laine

Il est de ces visions qui passent et qui s’en vont

mais voilà que je ronsardise

voilà que je pétrarquise

reciselé sans fin dans ma mémoire

au ralenti sans fin dans cette rue où je ne suis plus revenu

à ma recherche

la première fois que je vis Tours

c’était la neige et c’était Jean

cou de neige

les toits portaient des tons de plomb

dans les yeux de ceux qui passaient

Tours froide et libre

quand je ramène entre mes paupières

si je touche du pied si peu que ce soit

le quai succédané de Saint-Pierre-des-Corps

je vois les abonnés de la navette

j’ai questionné l’horizon

Tours qu’es-tu devenue

depuis qu’une main noire

ici m’a maintenu

Bordeaux nocive

qui s’infiltre ici je m’ensuie

- les cargos par la bouche et l’oreille


C’est un grand homme aux jambes blondes il vient de se marier son nom : Sacha Saronian

Il neige à Tours interminablement


sur l’horizon de plus en plus loin la roue des champs sans haies ni clôtures et les sillons riches et mornes vers le nord et je baissais sournoisement la vitre jette un regard oblique sur l’épouse convoitée Laure-Laure plissant vilainement les lèvres fait fermer cette vitre nez piquant traits fins tracé roman des sourcils et du front, l’orientalisme des paupières il aime cette femme et croit d’elle tout le mal possible un jour prochain nous serons séparés c’est une chose convenue rien ne dit que Laure l’entende ainsi je la crois dure et capricieuse Il montre la neige Ici c’est tous les ans comme ça

Sur le trottoir Sacha lève la tête et mord les flocons sur ses lèvres loin des tuiles de Guyenne

Découverte pour le soir vite hôtel H. rue M . chambre sombre sur cour c’est là que nous serons en attendant – ce mot laisse à songer – de nous mettre en ménage Laure se jette grelottante sur son lit Tu devras me suivre Adieu au luxe déjà leurs vanités se sont heurtées déjà leurs écorchures approfondies Abandonnant Laure au dépit Je suis sorti parmi les rues froides et grises ratifier le Pacte avec la Ville marcher longtemps par dignité jusqu’au Fleuve de Loire hautaine et grise insondable aux longs copeaux d’écume et d’argent mettez-vous à genoux et priez («la foi viendra de reste ») mais à mi-retour d’une rue droite et sans attrait cette façade de carême rompant l’alignement des murs – hybridation grinçante de frontons et de coupoles Saint-Martin fille du Sacré-Cœur, de ces pieux pâtissiers qui nappaient la France de leurs jubilations crémeuses

Des voix chantent et l’orgue assourdi gronde Au sommet d’un perron blanc candi.

Je pousse une porte capitonnée.

Soudain – saisissant raccourci – une falaise d’hymnes, de piliers, compacte, rouge et blanche, gigantesque et ramassée : prêtres géants drapés d’écarlate, haussant les bras en pyramides entre les lourds piliers immaculés, Sur toute la superficie du chœur ainsi surélevés se pressent tête nue et chantant les Dignitaires catholiques en dalmatiques rouges brochées d’or. Juste au-dessus s’étagent les bouches ouvertes des choristes psalmodiant, et tous me regardaient. Un immense répons frémit sous la voûte, et me tournant de côté, je vis que la nef était comble. Il monta de la foule exaltée un brouillard de Foi et de certitude.

L’anachronisme millénaire des tenues, les mélodies et leur vigueur, imposaient la vision des premiers temps. Mêmes chants mêmes visages. Martin de Tours à cheval et se frayant la voie parmi la nef n’eût pas trouvé foule moins ardente que celle qui jadis s’inclinait pour baiser le rebord de sa cape. Aujourd’hui c’est un Lotharingien serrant sa francisque et figé de respect, qui s’imprégnait du rite ultime, dernière témérité d’un peuple en fougueuse agonie, pressé comme un rempart autour de son évêque. D’autres assurément viendraient piller, fondre les trésors. Il étreignit sa double hache. Tira sur lui la porte doublée de cuir, reprit la rue, vent sans âge et pierres sans paroles. Au bout roulait la Loire. Je fis entrer jusqu’au poitrail mon cheval dans le fleuve, l’eau grise reflua sur les étriers, Forçant forêts et bancs de sable elle poussait son long corps indécis, le ciel luisait sur ses méplats d’épée, Mais à mes pieds, contre la bête frissonnante, l’eau s’engouffrait en elle-même et s’embourbait d’écume ; sous l’arche s’enroulaient les crêtes d’un rapide – vague unique incessamment renouvelée, dardant sa houppe orageuse. Et je songeai qu’au temps des Goths et pour les siècles la vague avait roulé. Il se tenait à présent sous la voûte, contemplant au-dessus de sa tête l’échelle des grandes eaux – crue du 8 février 1873, du 15 janvier 54 – il aurait pu se jeter là, confier sans fin son corps aux tourbillons, le fleuve fut mon allié.

* * * * * * * * * * * * * *


Aux bords de Loire est un navire ancré, tout enlevé sur trois étages de voilure au verre translucide ; palpite au vent, ronfle et s’entrechoque

je suis assis tout au sommet de la Bibliothèque

Entre les mains des consultants fleurissent les siècles. Deux livres annotés avec application ;

les pages des classeurs se couvrent de patience ; légendes et tableaux courent sous la plume – danses, chars et bacchanales, je note. Rien n’échappe.

D’un côté mascarades et phallophories ; les défis des buveurs aux Anthestéries d’Avril, et Dio-Nysos épousant la Cité sur l’autel aux acclamations du Cortège ; les bergers lorgnent ans le ciel le retour des Hyades pluvieuses ; énergie des morts fécondant les récoltes ; familles mangeant avant la nuit les marmites de Panspermionn – « bouillie de toutes graines » - Dionysos, le culte de Bacchus.

L’autre parle de la guerre, les supplices, la Foi qui tue ; l’art présent jusque sur les tombeaux, sur les bûchers, la poutre de potence ; alignant sur les cadres ses rinceaux de crânes, huguenots et papistes équitablement étripés. Mais Cellini cisèle ses coupes, Baldung incline ses squelettes sur les cous révulsés des vierges. L’orient des perles.

Et les dentelles de Cranach.

*

Devant mes yeux levés s’étend le désert plat des tables vitrifiées par le soleil rasant – roches tronquées où le reflux laisse sa pellicule. Le vent frappe en plein verre. Les pans des vitres frémissent – à travers eux vers l’ouest la Loire aux cent îles.

Je ne suis pas seul.

« Jehan. Comble-moi de ta présence. Ne lève pas tes cils encore, laisse baissé ton front de Patricien. »

Coupe romaine, dite « à la Trajan ».

Sacha s’incline sur son épaule.

Histoire de Byzance.

« Il est de ces visions qui passent et qui s’en vont ». Je ne pensais pas te revoir.

Tu descendais la rue des Arbalétriers, deux folles dans leur sotte extase amoindrissant l’étreinte de tes bras.

Je t’aimai. Je me sentis seul digne de te servir. Alors que je t’avais presque franchi ton œil s’est redressé sur moi, recomposant l’espace et sa couleur, faisant des neiges sur les toits, du col de laine d’où sortait ton visage pur et mat, du velours noir de ton pourpoint frôlé par tes cheveux - autant d’espaces concentriques autour de toi, mais le regard à la fois pénétrant et distrait que tu m’avais jeté sonna pour moi comme une promesse.

Une haleine de froid s’échappa de ta bouche et j’ai fermé les yeux pour au moins imprimer tes traits sous ma paupière – plus tard au dernier étage de la Bibliothèque tu lisais si proche à nouveau, seul, à portée de voix – portée de bras – six semaines s’étaient écoulées je ne devais plus te revoir si la crainte de te perdre à nouveau ne m’avait inspiré l’audace – me levant sans bruit - tu ne sourcillas point – je feignis dans ton dos de consulter les titres que lis-tu jele voyais fort bien – tu haussas le volume ce fut Théodebert, petit-fils de Clovis, qui reçut en 545 à Tours la pourpre et les ornements que le roi des Hérules, Odoacre, avait envoyés à Zénon le 15 août 476 il n’y eut pas d’autres phrases et Jehan referma le livre..

*

Notre chambre occupait le fond de la cour. Pour y atteindre nous traversions le corps de bâtiment par un couloir toujours barré d’un seau ou d’une serpillière. À gauche s’ouvrait de plain-pied l’appartement de l’hôtelière, une grande femme blonde et blanche visiblement minée par l’onanisme.

Passée la cour étroite et cimentée, qu’ornaient à peine une chétive plate-bande et quelques feuilles grimpantes, nous retrouvions sous la marquise plastifiée la porte et la fenêtre qui nous coupaient du monde. C’était là que nous cuisinions, que nous mijotions dans la tiédeur avare d’un réflecteur à gaz. Laure voulait peindre, je voulais écrire. Je lisais devant la fenêtre et .Laure songeait sur son lit.

Combien d’après-midi sont elles passées dans ce réduit sans autre lumière que le brouillard tamisé par l’auvent, sans autre bruit que celui des pages tournées, que les ressorts du lit ! Parfois j’écoutais du classique et c’était plus lugubre encore. Le transistor adossé au paquet de nouilles diffusait à mi-voix le Requiem de Berlioz ou Lumières dans la nuit, émission consacrées aux jeunes organistes aveugles. Offenbach lui-même se fût anémié dans ce halo gris mourant au bord de table.

J’écartais le petit réchaud bleu, balayais d’un revers de main quelques miettes et croûtons. Je surnage entre Berlioz, Balzac et Catherine de Médicis. Laure : se trouve seule. Ardoise et neige. Fond de cour sans lumière. Prendre la rue des Selleries, toute en coudes, entre deux voitures ; le vent balançait les lampes à leurs filins, avec des lueurs mouvantes et brusques de mauvais lieux. Des seuils et des perrons s’allumaient, s’éteignaient sans raison sous la pluie. On passait devant le théâtre, minuscule, u porche ramassé entre deux faunes énormes et lépreux ; juste en face le Kilt-Bar et ses vitraux à losanges ornés de fortes grilles. Nous passions dans l’ombre dde Saint-Gatien où trottinait l’abbé Birotteau.

Alors s’entrouvrait la rue des Ursulines, étroite, tortueuse, descendante, sans autre ouverture que le judas des Sœurs. Haut dans le lierre à gauche se perdait la muraille des Jardins de la Préfcture, des Beaux-Arts ou de l’Archevêché, peut-être bien des trois… Au bout de ce boyau des Ursulines s’ouvrait clandestinement dans la chaux un petit rectangle lumineux : le Ciné-Club.

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Ce sont de longues étendues de dépérissement et de grisallle. Des méditations sans but. Chambres et rues noyées de brouillasses et de solitudes ; le lourd et menaçant envol, massif dans l’obscur, des flèches rogues de Saint-Gatien – et le boyau des Ursulines au bout duquel falotait le néon des images mouvantes ou movies nos seuls feux d’artifice trempés d’ennui, comme un ulcère au col d’un rectum. Sur la passerelle en bois sans fin ni commencement jetée tout au travers du Fleuve Sacha s’agenouille au-dessus des eaux, jure à Laure figée de froid pleurant sans y croire son éternel amour et le vent balance d’une rive à l’autre la passerelle de lattes cirées.

À genoux sur les planches au-dessus des eaux je jure mon éternel amour.

Des semaines encore coulent dans l’interminable hiver d’ardoise.


Changement d’adresse


JEHAN reparut.

Je t’ai montré cet homme, pour que tu l’aimes.

Son rire barrait toute la porte, clôturait notre paradis, hortensias et œillets de serre débordaient de ses bras jusqu’aux yeux ; et celle qui dans son dos perçait le barrage des fleurs et dont le visage aigu se faufilait parmi les fleurs présentait deux gerbes de glaïeuls flamant rose. Elle éclata de rire et tous deux s’élancèrent vers tous les récipients qu’ils purent trouver afin de les garnir, vases vides et tous les verres disponibles, bouteilles, casseroles et cuvettes. Quand tout fut arrosé ils se sont aspergés avant de s’abattre, hors d’haleine, sur le canapé.


[en toute logique aurait dû précéder ce tableau la scène où Sacha prend sur lui d’aborder le mythe – de nuit entre mur et trottoir – Jehan doublé d’une fille aiguë au teint mat – Laure en retrait – pudeur et joie – INÈS dit-elle – il faut venir poser comment aurais-je ébauché cette phrase, paralysé que j’étais à chaque frôlement, suffoquant aux moindres curiosités qu’il me témoignait : « Qui sont-ils? » me dit Laure à voix basse et pressée – or de celui qui me saluait d’une inclination de tête je ne savais encore que le trouble qu’il donnait. J’ignorais plus encore le nom de celle qui l’accompagnait, différant du tout au tout des péronnelles qui l’entouraient - toute église a ses gargouilles…

Il faudrait désormais l’imaginer double, insaisissable – ils avançaient sous la même cape noire]

Laure aima cet homme – le reproduisit sur toutes les papiers toilés rapportés de Byzance. À présent trois pièces claires et froides sans espoir jamais d’élucidation -

Laure trône sur un piège ; en blouse pourpre d’officiante.

JEHAN patron de vitrail Sa peau a le grain des hosties sur la souplesse de sa chair – INÈS bistrée, tête penchée sous lui au défaut de l’épaule. Tout deux fiers, admirés – posant l’un contre l’autre pinceau 6, 83 courant dans la profonde suspecte joie Sachant suspectant la joie traquant le profil au fusain dans la maladresse du tailleur de haie -


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Tu te souviens de moi pas du tout – gros rasé puant la clope non, non

PAILLEAU de Stamboul enfin voyons

Je ne vois pas SACHA ne voit pas Il s’est assis à la même table et prie dans le même livre

Viens donc bouffer Sunday y aura Papa ma Mère Lydie ma sœur

Le gros dégage une odeur de vieux plat.


Quand je raconte la rencontre les autres ont éclaté de rire

Et j’ai vécu parmi eux

Pailleau pue le vieux repas le graillou ma sœur s’est fait enfler par un Sidi alors pas questions pas de gaffes le melon s’est barré j’ai servi de père à la gamine on l’a tous adoptée tu te gardes tes vannes à la con

avec intonation mimiques

« et le dimanche klaxon sonnette la grosse 203 Merde ils s’en sont souvenus

ON ARRIVE !

«  la mère espagnole matée teint mat ménage cuisine qui sert sans s’assoir avec la peur aux yeux Rien de neuf – pour Lydie on n’en parle pas,

« Ils ont allumé la télé

«  Corvée sans appel » Bouffe andalouse étouffante c’est fameux j’en reprends Vous allez visiter les bâtiments scolaires dit le père « que c’est moi le directeur » la fille à dix mètres pestiférée avec sa gosse souvenir du Maroc et toutes les salles sans exception - affreux dessins CP CE relents de pieds - de crasse - démêlés d’inspection de nomination ce qu’on s’en fout pas un mot sur Lydie et la fille de ta fille rudoyée par toute la famille surtout le frère « faudra que tu lui serves de père » po-po-po retour à table, le foie, le tabac, « faudra qu’tu lui serves de père » enfin le sujet du jour c’est eux qui commencent mais nous dormons de digestion nous repartons entre deux digestifs » Arrêtez de rigoler je ne peux plus peindre.

« ...Quand on est revenu tout embarbouillés de boustifaille impossible de tenir sur le lit défoncé je suis allé dormir à l’hôtel Hugo » - Laure  blouse blanche peint debout chignon relevé. Le pinceau s’étale avec un bruit de langue jamais couple si éclatant n’a tenté la brosse du peintre ou le burin etc. Ils ont partagé le repas nous les avons vus et entendus rire et divaguer de concert Jeunes Dieux


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Laure, Sacha, conquièrent, un par un, les châteaux de Touraine.

_____________________________________________________________________ALLER_________

TOURS 8h. 50 18h.

La Guignière 8h. 53 17h 58

Vallières 8h. 55 17h 57

Port-de-Luynes 8h. 56 17h 55

Pont-de-Bresse 8h. 58 17h. 50

Le Mouton 9h. 17h. 45

Cinq-Mars-la-Pile 9h. 3 17h. 40


LANGEAIS 9h. 7 17h. RETOUR


Plessis-lez-Tours


Guide rogue et boiteux – jeune – moustachu – poupin

Explique du rez-de-chaussée les trois étages d’une voix sans réplique et nous lâche dans le château.

Vu le lit de mort de Louis XI.

Le Roi dormait assis.

Phlébite. Infarctus.

La terre, tartinée, pullule, pourrit, maraîcheries, serres et maraîcheries.

C’est prolo, ton château, mon roi.

(« Le Prieuré-St-Côme, avec un petit gros lard qui toule des mécaniques vous arrivez mal, ça ferme. 4h. 20 pour 4h. 30, mais la visite fait une demi-heure, alors…


Chenonceaux


La pluie perçante, pissante, dégoulinante, les visiteurs parqués debout dans une tour

Attendez votre tour

Pas la peine, elle est déjà là

Le guide à grands pas Le salon qui, le salon dont… salle à manger mal agencée qui que quoi On-pouvait-rôtir-un-bœuf entier ben voyons

« À l’assassinat de son mari Duc d’Orléan sa veuve s’ écria Rien ne m’est plus / Plus ne m’est rien par ici m’sieurs-dames n’oubliez pas le guide aux suivants


Renseignements pris le château appartient aux Chocolats Döschwahl.

Éclaircie. Laure déplie dans le parc le chevalet de peintre, pluie, repli.

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Imaginez dans un enclos d’herbe détrempée, le sapin noir qui s’égoutte, trois pages sur la prairie s’ébattant car que faire, étant pages, à moins qu’on ne s’ébatte, un peu se vont sodomisant de ci de là – le bond d’un écureuil et la contemplation d’un vieux savant bouclé de blanc à longue barbe souriant, la main sur l’épaule d’un dernier disciple

Frêle manoir aux briques tendres où sommeillent les plans des machines secrètes

En ce jardin Laure a longtemps songé

Il a pour nom Clos-Lucé

………………………


Azay

nous retient captifs l’autre jour.

La visite achevée nous avions marché si avant et si loin que le guide nous a oubliés, roulant sous la poussée le portail en gourmandant les attardés – gonflant dans notre direction un sourcil soupçonneux. Mais j’avais poussé Laure derrière un feuillage et d’abord inquiète elle se mit à rire contre moi. Je l’ai prise à l’épaule et nous avons poursuivi. Un mélèze traîne sur l’herbe ses longues houppes où nous sommes faufilé sous l’ombre. Assis sur la plus basse branche nous avons foulé le feutre frais des aiguilles, heureux de ne plus avoir à parler ni entendre. La mémoire est un leurre et autant se souvenir d’autrui, refaçonnée qu’elle est d’âge en âge. Que le remords m’épargne et nous vivrons comme le sable et les nuages.

Qui parle ainsi ?

...j’ai dansé sur la flûte des vents, me suis enroulée aux tiges des cadrans mais le repos m’a désertée par excès de vivre, axe des roues et des miroirs » - écartant les rameaux comme un store nous l’avons surprise glissant sa pupille d’un angle à l’autre et façonnant parfois devant elle ses mots chantés. Vision étrange et folle sur fond de ciel détrempé, tête hérissée sur les nuages, improvisation récitée sur le rythme humide des pas, et l’éventail des allées au-delà.

Elle nous demanda où nous pensions suivre nos chemins.

Elle m’a vue dit Laure.

Écartant les palmes elle saute près de nous.

Que faisiez-vous ?

Elle bouffe.

Je suis originale exprès.

Jeu puéril.

Abandonne dit-elle à Laure (en la fixant) ces regards – cesse de souffrir elle ajoute et de peindre elle étend le bras pour toucher ses paupières (« ne cueille plus le passé » -il offre des épines etc. - si vous voulez me suivre poursuit-elle – j’ai d’autres mondes à vous découvrir , dans le présent, à satiété ». De son front, de ses bras, elle les offre, pourvu que nous nous mettions debout, PITIÉ TUE.

C’est une longue femme tout en jambes, en veste de toile bleue, ouverte sans boutons. « Je m’appelle Mireille » comme Mirabilia précise-t-elle « je suis amoureuse » comme nous débouchons à l’air libre, et voyant Laure s’assombrir elle prend sa taille et nous entraîne comme promis sur le sable frais. Les douves du château sont noires et vertes. Les tours y trempent leurs assises, le noir vient du ciel. Les lentisques verdissent les murs .

Une vieille barque dans l’ombre, Mavra la tire contre l’herbe, y descend la première, l’esquif étend ses ondes. « Venez ». Nous tâtons prudemment du pied, vacillons vers le banc. Quand Mavra délie l’amarre, la barque glisse vers le centre. Une ébullition révèle à fleur d’eau la présence imprévue d’un moteur. D’abord l’embarcation coupe les reflets, puis, passant sousun pont de faux bois, nous rejoignons un lacis de canaux qui insensiblement nous éloigne du parc.

Cependant les canaux s’amenuisent au point que nos bordages en viennent à épousent les rives. Par dessus nous s’égoutte la voûte basse des feuilles, ouvrant dans l’eau verte une pluie de petits yeux ronds. Nous frissonnions alors sans sourire. Ainsi avançons-nous dans une gaine souple, coupée de loin en loin la perpendiculaire d’un long canal de part et d’autre. La proue fend le potage des plantes aquatiques indifféremment repliés derrière nous, ou bien s’atténuant vers les extrémités des canaux transversaux.

Mavra se tient au gouvernail, genoux joints, les yeux sur nos épaules sans nous voir. Laure et moi restions inclinés, silencieux et tremblants lorsque les gouttelettess’infiltraient contre et entre nous.

Ce parc n’adonc pas de clôture  - Plus loin » répond Mavra.

Je me suis retourné sous la voûte où déjà vient la fin du jour. L’ombre droite du pilote absorbe doucement le vert fané des éventails végétaux.

« J’ai la clef » dit-elle.

Peut-être avons-nous parfois hésité. Peut-être le moteur a-t-il de temps en temps failli. Je n’y prends pas garde. Une douce et longue antienne sans à-coup, sourde haleine d’un léviathan familier.

Le fond du plancher tremble en silence ; de la boue s’écoule dans les fentes. J’aperçois au travers d’un chenal engorgé le feston d’une grille basse, incurvant vers l’avant ses piques jaunes et oxydées. Échoué là, traîné par le faible courant je vois un tissu alangui d’herbes mortes.

La barque tourne lentement, représentant l’enfilade parcourue, où se devine au loin l’éclat d’un second parc, d’un second château dans son parc.

  • Un cliquetis dans notre dos comme un cri de mouette estompé : Mavra délie les chaînes, et repoussant du flanc la végétation morte, le canot, achève sa circonférence et poursuit son chemin. Des rameaux anémiques  étendent leurs antennes détrempées de part et d’autre de la proue, puis se détachent vers les berges, où d’autres racines les immobilisent.

    La grille dans nos dos demeure ouverte. Le canal s’élargit, les rives perdent leur alignement, s’échancrent de baies plus sombres. Des paquets d’algues dérivent sur le côté. Le ciel hivernal passe plus haut, plus cru, entre les cimes. On devine d’autres canaux parallèles, plus larges, tout proches, semés d’îles flottantes. Poussant leurs bras de part et d’autre ils percent et démantèlent nos rivages, peu à peu.

  • L’eau miroite et découpe de longues digues broussailleuses. Et comme à présent les branches sèches, s’enchevêtrent plus haut sur nos têtes, notre imagination restitue sans peine, sous le ciel frais bousculé de grands coups de vent humide, une haute vallée du Yukon ou du Mackenzie.

  • Bientôt s’étale une étendue sans contours. Nous passons quelques îlots glaiseux, ébouriffés de bouleaux secs, puis cela disparaît, s’enfonce. Il ne reste plus que d’immenses pinces de bois levant leurs crocs brisés par le déluge. Nous pensons à fleur d’eau distinguer des toitures, Plus loin ce sont d’autres barques

  • jusqu’à l’ouest . Devant nous surgit un poulpe couleur d’algues – mamelon herbu, détrempé d’averses, où dérape sur son perron un pavillon Louis XV le musée dit Mavra.

  • Nous avons tiré la barque sur l’herbe et contourné par les talus le bâtiment blanc. Longeant la berge spongieuse nous parvenons à ce sentier encaissé au pied de sa double haie de buis, progressant de front, Mavra entre nous deux. Alors naissent surviennent les questions, pourquoi nous, ce qu’elle a bien pu réciter, son origine exacte et son identité, si elle croit aux prédestinations, comment savais-tu si nous étions prêts nous la retournons vers nous, demandons si nous serions suivis à notre tour « À qui est le canot ? » demande Laure « et si c’était toi qui nous tiens enfermés ? » Mavra ne répond rien, dispose de nos peurs et d’un mot les disperse : « Comment pouvez-vous encore espérer un oracle ? ...et l’entendre de ma bouche ? » (pour avoir dit quatre vers sur la rive et nous avoir tiré du parc en glissant de ses eaux à ce canal-ci déjà destiné.

  • Je devais éventrer vos bauges croupisante, foutre le feu aux granges, prédestinée que j’étais (sans doute) à vous croiser – poubelle, dépotoir de vos chimères – putain des cœurs

  • J’essaie de n’être que moi, totalement moi, ça impressionne (forcément) – et si chacun me croit détentrice du secret – mais à qui me confier – à qui me fier ?

  • Laissez-moi regarder vos têtes de faux poètes entre deux os de pot comestible. Loin de songer à vous dissimuler – j’ai rompu votre pain j’ai soulevé les branches et suis entrée de plein-pied…

  • ( À moi maintenant) aux détours de nos dédales nos pas se sont croisés. Qui prendra l’autre dans son idée l’adolescence est immobile pétrifiée par le dégoût

  • (Retout)

  • et moi aussi dit-elle j’ai cru sauver tout, autour de moi, tout compte fait je le crois encore – tenez : vous êtes les deux bras rouillés de cette pompe à incendie, sur ce ponton d’embarcadère elle est allée au feu longtemps au feu oui mais pour l’éteindre et s’oxyder sous les gouttes et le vent des phrases .

      « J’ai vu (dit-elle) un second corps dans l’ombre et le moisi, corps étiqueté naturalisé Bengalica Elephas femelle dont il ne reste plus qu’à ftôler chaque portion de peau glabre et crevassée – au dernier souffle enfoui peut-être au cœur de sa paille.

J’ai longtemps cherché. Le musée barre les perspectives et déborde le buis des tunnels je vois les toiles retournées c’est ainsi que finiront nos œuvres et l’adolescent seul tutoie sa vérité aux traits bien trop nets lui dit-on tu dois suivre tous nos fanions alors il passe à l’Acte il se vautre dans l’Acte

Retour indispensable au Musée

Banque du Sperme ou Morgue c’est tout un

L’Acte n’est vrai que s’il vaut Monument

Visite du Musée

Le soleil n’est pas couché. Les longues salles aux cadres scintillants « d’après Nattier », « élève de Lancret », « d’après une copie de Fragonard », « atelier de Boucher » que du faux du « d’après » du copié

Mais de grands yeux peints, des boucles, des chiens chinois glissant leur truffe luisante au ras de toiles diaprées parmi les mourantes moirures en vagues formes blanches – avec au bout du plancher le garde affalé comme un tas poussiéreux sur sa chaise…

Et nous trois entraînés sur les rayons mourants tandis que les derniercadres atteints de profil tendaient sans fin leurs ombres losangées au ras des murs...


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