S I D O I N E

ZOHAR SIDONIENSIS I Valentinien III 425- 455 Derniers empereurs Pétrone Maxime mars-juin 455 interrègne (1 mois) Avitus 455- 456 interrègne (5 mois) Majorien 457- 461 interrègne (3 mois) Libius Severus 461- 465 interrègne (2 ans) Anthémius 467- 472 Olybrius juil.-oct. 472 interrègne (4 mois) Glycérius 473- 474 Julius Nepos 474- 475 interrègne (2 mois) Romulus Augustule 475- 476 L'Empire romain d'Occident disparaît en 476 lorsque son dernier empereur, Romulus Augustule, est déposé par Odoacre. Julius Nepos fut cependant le dernier empereur légitime, reconnu par l'empereur d'Orient et par les rois des peuples fédérés (Francs, Wisigoths, Burgondes ....) jusqu'à sa mort en 480. X De la chute de Rome, nul s'est rendu compte . Ce fut pourtant, selon Montesquieu, le début du Moyen Âge : 15 août 476. A supposer que notre 1976 en soit l'équivalent, nous serions au VIe siècle, bien engoncés chez les Mérovingiens, quinze cents ans de décalage :  le Ve siècle sera donc le XXe, le IVe sera le XIXe ; les invasions du IIIe siècle , l'anarchie militaire et l'empereur Gallien remonteraient pour nous au XVIIIe, la Pax Romana correspondrait à notre classicisme, et l'époque d'Auguste à celle de François Premier – Cicéron, César et autres lunes se trouvant relégués à l’apogée des Ducs de Bourgogne. ZOHAR SIDONIENSIS 2 Aujourd'hui l'Italie connaîtrait Théodoric le Grand. Nous autres, Clotaire Ier, fils de Clovis. Presque rien chez les poètes du Ve siècle sur les guerres entre barbares, chiens se déchirant à même le steak ; mais de mesquins écrivaillons se grattent le dos d’un ours à l’autre, s’expédiant des vers et en recevant, se congratulant sous l’entrechoquement des armes. X Nous pourrions disserter sans fin sur Sidoine Apollinaire : non pas notre Guillaume Albert Vladimir, mais Sollius Sidonius Apollinaris, impénitent versificateur dont Chateaubriand et Huysmans ont fait le plus grand cas. Sidoine, dernier Romain. Lorsque croula l'Empire, il comptait cinquante-six ans : c'était alors la fin d'une vie. Pourtant trônait déjà de lui dans la cour d’honneur du Sénat une statue en or, ; mais son inspiration, dès 471, avait sombré dans la bondieuserie : il avait été élu à l'épiscopat d’Arvernis (Clermont), Il avait épousé .jadis Papianilla, fille du Maître de la Milice et Gaulois, qui plus tard serait empereur, Avitus ; puis, son beau-père vraisemblablement assassiné, Sidoine avait détalé ; ceux de sa haute classe lui confièrent alors la tâche de prononcer l’éloge officiel du propre successeur et assassin de son impérial beau-père : cet exercice avait pour nom Panégyrique – un long discours fleuri à l’occasion de l'investiture impériale. Une façon de « sacre civil ». Nous reviendrons sur ce schéma. ZOHAR SIDONIENSIS 3 Siècle des invasions assurément (après maintes infiltrations) – certes, les Barbares finissent toujours par l’emporter – mais bien plus tard ils se polissent au contact de leur hôte. De nos jours - l'Empire Romain ? connais pas – ça sert à rien. 2 Sidoine reste indéfinissable, éponge pathétique ou grand noble avisé. L'Antiquité m'a plombé l'âme au point que désormais nul ne peut plus nous suivre – ni moi personne - heureux pourtant qu'elle se soit effondrée - car il est bon que les parents meurent. X Sidoine, gendre d'empereur ! s'est-il ébloui de cette promotion ? lui qui faisait déjà partie de la plus haute noblesse gauloise – enfin – disons - depuis l'arrière-grand-père… Sidoine, bouffon friqué ? 3 Comme à chaque époque, tout s’effondre : Le 21 septembre 454, Valentinien III l’Irresponsable poignarde ou fait poignarder son meilleur général Aétius, le vainqueur d’Attila, par jalousie – et c’est bien le cas de dire que “de sa main gauche, il s‘est tranché la droite » - voyez par comparaison le minuscule de nos convulsions contemporaines… Valentinien s’étant fait trucider à son tour, son assassin Pétronius et bref successeur avait pourtant épousé sa veuve Eudoxie, mais voilà : elle avait appelé au secours Genséric le Vandale, lequel a pris Rome, qui ne lui en demandait pas tant. ZOHAR SIDONIENSIS 4 Ce qui restait d’honorable en aristocratie ne pensait plus qu’à se donner des chefs, des vrais, nobles ou pas. Et des diplomates, des vrais. Mais l’Empire voulait mourir : les Goths passaient le Danube sur la glace, les Huns aux trousses ; des faibles d'esprit dirigent Rome – Arcadius élève ses poules au palais de Ravenne, désormais capitale marécageuse défendue par des légions de moustiques. Célébrons Sidoine, gendre d'Avitus, ayant donc épousé Papianilla, fille du futur empereu Imaginer les rapports d'une femme et d’un mari en ce temps-là tient du prodige : soumission, solidarité ? les femmes de ce siècle vivaient-elles toutes le martyre ? nul bruit ne filtre d'une acrimonie conjugale quelconque entre Sidoine et Papianille, qui ne fut ni mégère ni querelleuse. Mais le gendre panégyriste se vit consolidé au sein du clan Avitus, naguère encore Maître de la Milice. Érection donc du beau-père, Avitus, à la dignité d'Empereur, sur proposition de Thierry (Theodoricus). roi barbare. Immense honneur de quinze mois. Lorsque Avitus, empereur gaulois d'Arles et de Beaucaire, chuta lourdement à son tour dans la plaine du Pô, fut-ce d’avoir aimé trop l'ail ? les putes ? les garçons ? les trois ? Gaulois couronné, grisé par tant d'honneurs, se serait-il surtout préoccupé de courir les boxons ?... il est permis d’en doute Puis on le dépose, on le tonsure, il s’enfuit et se fait massacrer, tandis que Monsieur Gendre se replie - Auvergne aller simple – et s’absorbe prudemment dans sa gestion foncière, recevant sur sa selle d'humbles témoignages d'allégeance – et voici que soudain, en 457, Majorien succède au beau-père Avitus - le poète consentirait-il à reprendre du service ? Oui. Sidoine se voit généreusement rétribué. « Lui seul donnera du lustre à nos cérémonies ; un hochet creux comblera le poète" ! Plus tard Anthémius, "le Fleuri", qui dura presque aussi peu, malgré le troisième Panégyrique du fécond versificateur Sidoine se tourne alors vers l'épiscopat, issue de secours des fins lettrés. Il combattra, nouvel Augustin, sur les murs d’Arverna bloquée (750 habitants : Clermont-Métropole). ZOHAR SIDONIENSIS 5 X X X X 4 Nous voici tenté d'entonner un vibrant parallèle entre la Chute de l'Empire Romain (Decline and Fall...) et ce petit siècle où nous sommes – chaque génération s'étant crue à bout de souffle, en crête de déferlante, depuis la nuit des temps... Déliquescence, liquéfaction ? quel masque, dans ces ténèbres, pouvait bien porter l’anxiété humaine ? ...Les citoyens du Bas-Empire n'adoraient-ils pas ces braves Barbares, si purs, si humiliés, si crève-la-faim ? Vite ulcérés ensuite par le "manque de respect", par tant de rejets racistes, nos pauvres Ostrogoths émigrés relevèrent les armes : ressemblances bien minces en vérité : mêmes réfugiés pourtant, mêmes ravages sentimentaux de la bonne volonté, rejet de tout militarisme. Chez les Romains une culture à bout de souffle – de nos jours : dérision, incommunicabilité ou autres sornettes  - tous les siècles charrient leurs insuffisances. Les Barbares, nous dit l’Histoire, finissent toujours par l'emporter : doit-on pour autant laisser faire, sous prétexte que de la mort naissent de jeunes asticots tout frais ? Jamais. X Souvent nous balaierons la vie de Sidoine : une enfance mal connue, les premiers succès, les épousailles - résistance aux Wisigoths, tout Sidoine enfin, déchiré par la cession de son Auvergne à l’ennemi, et l’indignité de Rome, précipitée de son antique piédestal. 5 Sidoine à lui seul n’aura pu renflouer toute une civilisation par la chaleur de sa correspondance. De même notre siècle, par petites groupes de volontaires motivés (en lieu ZOHAR SIDONIENSIS 6 et place de l'utopique "réussite de masse") préserveront tout au plus l’héritage culturel en dépit de l'ignorance abyssale de nos dirigeant, pour qui, ne nous leurrons pas, la transmission du flambeau relève du comble de l’élitisme fasciste. Pourtant Cassiodore, Isidore de Séville, aux VIe et VIIe siècles ; Saxo Grammaticus, XIIe siècle, source de Hamlet… et au-delà, tous ceux qui déroulèrent le fil ininterrompu…. "Le grec et le latin, ce sont des langues mortes » - anciennes, ô ignare scientifique, anciennes. Il m'a toujours plu d'imaginer Sidoine sur les remparts de Clermont : tel Augustin sur ceux d'Hippone ou Ovide à Tomès, revisité par Vintila Horia - Sidoine Apollinaire - trois demi-millénaires avant nous - je n'ai cessé de lire et de relire ces vieux volumes imbibés d’importance et de faux talent. Cette façon qu'ils avaient tous de s'abaisser, révérences de fausses vierges, pudeurs issues de la plus pure tradition... 6 Sidoine, témoin pourtant d’une époque grandiose, se préoccupe de mille sottises. Si diamétralement, si dramatiquement opposé à nous. Faisant d'Aragnole, jeune épouse, une brodeuse hors pair, décourageant Pallas même, qui transforma, dit-on, sa rivale en araignée - chute de Rome ? rien ne s'est effondré chez Sidoine, surtout pas les clichés. X 7 Il naquit dans le moule usé de l’expression latine. Tandis que Rome exténuée cherche de quel côté tomber – sicut vetula flaccidaqué mentula - Sidoine à 37 ans s'avise enfin de la fin de sa propre culture. Il se réfugie palpitant dans les bras de l'Alma Mater Ecclesiastica, seule garantie d'éternel : Sidoine devient évêque. L'empereur et beau-père ZOHAR SIDONIENSIS 7 Avitus lui-même n'avait aussi obtenu la vie sauve (pour si peu de temps) qu'à son entrée obligatoire dans les ordres. Seule voie libre à l’ambition sociale. Nous avons longtemps estimé de la dernière sottise de choir dans le christianisme : Cioran célèbre tel philosophe qui s'enfuit d'Égypte du jour même où il entendit s'élever du Sérapeum d'Alexandrie la première prière chrétienne : début de l'obscurantisme. De nos jours chacun peut bien se forger le petit système religieux correspondant à sa propre impuissance. Sidoine s'éteignit vers 486, à 55 ans. Tous nos grands anciens sont de jeunes morts. Fût-on premier littérateur de son temps, admiré au point de voir de son vivant sa propre statue d'or au beau milieu du vestibule du Sénat, l'on n'en crevait pas moins à l'âge où nous autres commençons juste à vivre. X Nous utiliserons le plus souvent la traduction de Pierre Loyen, en Collection Budé. ignoré d'Anglade (« pas même entendu parler », à chacun ses sources bien sûr, mais tout de même…) Nous aurions aimé connaître ce sieur Loyen, Doyen de la faculté des Lettres de Poitiers, né en 1901, mort en 74. C'est bien jeune. Lorsque Sidoine accède en 471, par la vox populi, aux dignités épiscopales, il traîne (pour nous) un lourd passé d'exécrable versificateu Il s'est résolu à délaisser Papianilla son épouse, fille d'empereur, chacun de son côté entrant dans les ordres. Chose admise en ces temps-là. Sidoine répudia Pline, Virgile et Cicéron, pour ne plus parler que Jérôme ou Mathieu : tel fut soudain son vivier, ZOHAR SIDONIENSIS 8 avec autant de pathétique flagornerie au Service de Dieu qu'à celui, naguère, de la Muse païenne. Triomphera désormais, chez Sidoine, un maniérisme devenu, hélas ! religieux : il bafoue, prostitue son talent, si frelaté fût-il déjà, dans ses contorsions de sacristain ; au copiage éhonté de toutes les pensées païennes succède immédiatement le pillage de tout le suc chrétien. Pathos à deux balles, niaiseries de bénitier, sans atteindre toutefois aux diarrhées paroxystiques d'un Augustin, qui se vautre dans des sanglots de sous-merde chialarde. Sidoine n'a pas plongé si profondément dans ces latrines ; il s'est borné à y barbote 8 Était-il donc si inconcevable de se présenter la tête haute devant l'Éternel ? préférons à tout prendre les ronds de jambe de Sidoine à ces avalanches intestinales qui laissent bien mal augurer du christianisme à veni Heureusement, notre évêque d'Arvernis s'est vigoureusement soulevé contre la livraison clés en main (le mot n'est pas trop fort) de son Auvergne aux Barbares d'Euric, Wisigoth fratricide ; ce que notre poète paya d'un séjour en prison. L'an 475 en effet, l'Empereur Népos négocie l'abandon de l'Auvergne contre le retour à l'Empire d'Arles et de Marseille – infiniment préférables en effet à l'obscure citadelle des Arernes. Sidoine, au-dessous de ces pavés mêmes où nous marchons, promena son mètre soixante. Quant au Sidoine du jeune temps, si dynamique, si passionné, si vulgaire, il ne nous est pas moins étrange L’Empire cependant (revenons en arrière) poursuivait ses longs écroulements. À 18 ans, l'Apollinaire (le nôtre, le Gallo-Romain, dont il ne reste aucun portrait) (fondue, la statue d'or !) – fut acclamé par la noblesse lyonnaise. Laquelle s'ébaubit de sa virtuosité : l'écriture n'est plus qu'un jeu de mots. ZOHAR SIDONIENSIS 9 De quels siècles serons-nous l'Antiquité ?...il était une fois, d’âge en âge, une chaîne ininterrompue, atavique et sacrée, des moines de Saint-Michel-au-Péril-de-la-Mer à ceux de Liège ou de Bobbio, entre talibans chrétiens, où l'on grattait et regrattait les parchemins à la plume d'oie ; priant, mourant vite, le temps de passer le relais. Tous les siècles sont là, chacun dans son costume. Comment raisonnait-on ? nous ne le savons plus. Comment les mortels s'accommodaient-ils de leur si courte vie ? Comment s'imaginaient-ils en vérité que Dieu vivait parmi nous – le contraire eût été inconcevable ? considérez la chaîne humaine au fin fond de laquelle nous tend la main, de l'autre extrémité du temps, ce jeune écervelé sportif qui court après les balles, s'essuie, se rafraîchit d'un Côtes de Bourg ; puis vient son fils. Son petit-fils fut collaborateur des Wisigoths. 9 Puis sont venus les moines incessamment renouvelés, puis une longue procession, de Scaliger d'Agen jusqu'à Mommsen (1871-1903), Wilamowitz-Möllendorf, mort en 31 et qui fut son disciple ; les Doktoren postillonnants de Leipzig et Colmar se saluaient, rasés jusqu'aux bourrelets de nuque. Au sein même des guerres et des exterminations, ils dialoguent et s'affrontent en souterraines controverses philologiques. Dans l'Europe à feu et à sang, de vieux Assis perclus, maniaques dérisoires transmetteurs de mémoire. Desséchés dans leurs cœur dès leur plus jeune âge, disséquant conjonctions et préfixes, sanglés en gilets d'intérieur et loupe à la main, bouffés de tics et de phlegmons contre les poêles, marmonnant sous les monocles - c'est ainsi qu'ils ont propagé, dans leurs fossiles voluptés, les Institutiones de Cassiodore et les Lettres de Symmaque, préfet de Rome, et de son lointain successeur, Sidoine. ZOHAR SIDONIENSIS 10 En bout de chaîne jusqu'à nous, entre leurs pincettes d'entomologistes ; ils ont pour nom Mohr et Sirmont, Thilo, Leo. Ils repoussent de la gueule, sans un instant mettre en doute l'absolue nécessité de leurs billevesées. Hommage en vérité aux Benediktus-Gotthelf Teubner, aux Brakmann ; à Luetjohann, Germain poivre et sel. Me voici compagnon de ces ressusciteurs d'ancêtres, à l'abri de leurs cols de celluloïd, rejetons de moines médiévaux, de Byzance à l’Irlande, sauveteurs du Verbe. Guidés par la lectio difficilior, la lecture la plus difficile : quel scribe du Xe siècle en effet, épuisé de jeûnes et de vigiles, na pas trébuché sur les obscurités d’auteurs... 10 Il exista bien avant eux encore, au Ve siècle, un ciel, de l’air, comme ceux que tu vois et respires. L'existence n’y pesait guère ; le moindre manquement, la plus infime négligence, nous eût mille fois expédiés sous le glaive ou sur le bûche Aimaient-ils, ces futurs jeunes morts, leurs enfants avec la même angoisse ? ficelait-on déjà les nourrissons pour muscler leurs jambes ? ...Octave Auguste vivait à égale distance de Sidoine que de nous autres à François Ierde France. Constantin, initiateur du christianisme d'État, correspondrait au temps de Dreyfus. Lorsque naquit Sidoine (420), l'Empire de Rome pouvait encore se considérer comme éternel : en 389 (1889), n'avait-on pas expulsé de Rome  tous les étrangers ? La décadence ? quand cela ? pantoufles brodées, service militaire interdit aux nobles, tout n'allait-il pas pour le mieux ? LesRomains n’assimilaient-ils pas tous les peuples conquis ? En vérité, l'Empire ne sera vraiment foutu que le jour où les Barbares se substitueront aux instances romaines ; maintenues, mais progressivement étouffées. - Depuis longtemps, lorsque naît Sidoiue, les forces, les lois de Rome « n'ont plus de romaines que le nom », dans la plus parfaite inconscience. ZOHAR SIDONIENSIS 11 X ...J'entends toujours les exclamations méprisantes d’un mari au Musée Archéologique de Tarragone : “Tu parles... des sonnettes, des lampes à huile, des tringles à rideau !” - ô déplorable plouc, ne vois-tu pas que ces sonnettes en effet, ces écuelles et ces peignes, furent jadis touchés, pétris, effleurés par des paumes, des doigts, des souffles, et que c’est eux que l'on vient visiter ? ne t'effraies-tu pas de ce jour où nous ne serons plus qu'une haleine ou ce tintement de cuillère sur ce plat vide ? X 11 Sidoine monta aux cieux sur un char tiré par les aiglons de l'inspiration, attelés de lierre. Poète, prends ton plectre, et grattes-en ta lyre en carapace de tortue. Livre-toi aux prétéritions par l’intarissable énumération de tout ce dont tu ne parleras pas, ce n’est pas aujourd'hui le moment de chanter (II, 311) la fin du Python divin - Sur les pas des Anciens je trébuche à mon tour - le poète évoque le grand Vallia terrassant les Vandales, « recouvrant de cadavres l'occidentale Calpé » - II, 235 - c'est Gibraltar - “avant le [rappel] des Wisigoths en Gaule et leur établissement en Aquitaine.” L'exploit de Vallia ne fut qu'une escarmouche, et les Vandales n'étaient pas (II, 364) « rangés en “escadrons”...que je sache... les Alains leurs alliés s'étaient depuis longtemps ratatinés en route, au nord vers Allainville, non loin de Rambouillet. Son petit-fils donc, “le terrible patrice », glabre, balafré, porteur de la toge civique » en un mot Ricimer, « faisait et défaisait les empereurs” Ce « Richimer » (comme ich) – défit donc les Vandales. ZOHAR SIDONIENSIS 12 II, 391 : “La déesse, nous dit le traducteur, « s'apprête à se mettre en route”, - quelles image, quels émois ressentaient-ils ? « [|Son] baudrier, hérissé de [clous d’or] ‘et non pas de « boutons »…) pris à l'ennemi, plaque sur le côté gauche l'épée dont la garde se dresse »  - hexamètres brillants, périodes balancées. Sidoine s’est laissé extirper de son refuge. Ce texte le montre accablé de millénaire lassitude, anémié des mêmes clichés, emmiellé de héros dégoulinants de siècles. “Passation du flambeau”, «Bascule des cultures », entre voiles funèbres, larme à l'œil et masochisme déploratoire : Sidoine, pleutre fleuri, reçoit en récompense la Préfecture de l'annone – le pain et le vin de Rome. Il n’a pas pu, il n’a pas su. Et une émeute, une : “Notre préfet est bien gras ; il ne doit pas manquer de pain, lui.” X C’est à l’Église que revint la restauration du patriotisme romain du moins catholique . Les Burgondes, autour de Lyon, se présentaient comme “ariens”, partisans du théologien Arius, qui niait la divinité du Christ ; les Francs au contraire se firent “catholiques”, adeptes de la religion « universelle », grâce à Clotilde, princesse burgonde... Sidoine, chrétien depuis son grand-père, mais pas encore évêque, nous pond éloge sur éloge à la demande ; ce qui indispose dans sa vie, c'est justement cette absence de sentiments profonds : gâté par la naissance, il réagit volontiers à l'Histoire comme on peut s'y attendre ; jamais comme on ne s'y attend pas. Juste une immense colère, enfin ! plus tard, quand l'empereur Népos livrera l'Auvergne à l’ennemi alors que les Arvernes, eux, ne se sont jamais rendus. ZOHAR SIDONIENSIS 13 12 Il exista en ce temps-là de l'air, un ciel, comme ceux que tu vois et respires. “C'est ainsi, dans sa tenue habituelle, que [la déesse Rome] traversa l'éther limpide et gagna le tiède séjour où naît Hypérion” - le texte latin, en regard, évoque davantage - liquidam transvecta per aethram – II, 405 - belle chute du “e”, “éthré” pour “éthéré” – ajoutons ce gauchissement des accents toniques décalés, si bien que la phrase latine devait offrir un rythme assez comparable au rap de notre temps (la poésie latine avait d’abord été perçue comme une contrainte phonologique hellénisante.) Rome frottée d’Athènes. Racine lu par un Anglais. X L'édition des Poemata de Sidoine présente les panégyriques dans l'ordre inverse de leur composition : tradition bien incommode. Or le Panégyrique initial d'Anthémius nous semble de beaucoup le moins bon : du plat froid, du pathos (épargnez-nous ces « pateauce » dont trop souvent le pédant équeaurche neautre langue) – voici : "décrivez le palais de l'Aurore”. Tout potache des années 60 ( 1800, bien sûr, 1800) resservira les inévitables doigts de rose “...sous le soleil levant, tendu vers l'Eurus » - entendez le vent du sud-est). Suivraient les incontournables remplissages d’'oiseaux et de fleurs : “aucun humus ne pâlit sous le froid”, « les prés émaillés...” - émaillés ?! - "...de fleurs immortelles", ignorant « les gelées des autres climats” - « Les guérets sont peints d'une flore pérenne » - soupirs et oripeaux... ZOHAR SIDONIENSIS 14 Et tout cela pour imiter Claudien. Vous ne connaissez pas Claudien. Moi non plus - les “campagnes se parfument de roses”. Ces minutes que je compte avec impatience sont pourtant mes minutes de vie. “Et dans les champs non cadastrés”, “le grain de l'odeur fragre”. II 413 Ronflons. “C'est là que le palais de l'Aurore offre aux regards, sur des revêtements d'or rouge, le relief de perles lisses incrustées” - II 419. Qu'en pensait le patrice Ricimer, qui assistait à la déclamation ? puisqu'il donna, selon Anglade, le signal des applaudissements, “un sourire coincé dans la balafre de sa joue gauche” ? X 13 ...Rédiger une “Vita Sollii Apollinarii” en latin d’époque semblerait le seul projet conséquent. Il existe deux biographies, en français moderne. L’une chez Horvath, d’Anglade, prénommé Jean, mort en 2017 à 102 ans, l’autre, à la Société des écrivains, de Guy Azaïs, mort en 21 à 79. Nous voici dos au mu Nous lisons chez Anglade comment Sidoine un jour fut choisi par son beau-frère, Ecdicius, pour lui succéder à l'épiscopat ; à l'article de la mort, il l’avertit des limites et dangers de sa nouvelle fonction. À vrai dire nous ne comprenons toujours pas cette si soudaine piété (on appelait cela « conversion ») de Sidonius n’était pas simplement la “seule façon de maintenir dans une société en recomposition un réseau relationnel et culturel” : ultramondain, puis ultradévôt, perroquettant de Virgile à l'Évangile, incapable apparemment de se dépêtrer de tout une armature de clichés, mais dépourvu jusqu'à nouvel ordre de la moindre inquiétude mystique, voire d’ intériorité. De tels itinéraires cependant s’observent de saint Augustin au Père de Foucauld, sans omettre le le siècle de Louis XIV. ZOHAR SIDONIENSIS 15 Père de quatre enfants, féru d'honneurs et de beaux vers, précieux et superficiel jusqu'à l'extrême (rites et liturgies sont d'admirables préciosités) Sidoine en trois sauts franchit la passerelle de l’abîme. Spontanément dirait-on, il se surcharge – comment a-t-il fait ? - d’un nouveau fatras religieux qu'il nous régurgite ensuite implacablement. Comment a-t-il dépassé la cérémonie, les extérieurs, le prestige, pour accomplir la plus difficile des vertus théologale, la Charité, lui qui n'a pas su nourrir la Ville ? ...pour ne plus priser que la fréquentation du peuple et de sa misère ? Autre paradoxe, dû à nos ignorances : comment Sidoine pouvait-il organiser la Résistance aux Germains ? Devons-nous estimer que son exemple, sa culture et sa nouvelle dignité suffisaient à contrer les Germains ou la démoralisation de son époque ? L'insécurité ne régnait-elle pas à un point que nous ne pouvons imaginer ? Le message de l'Église aurait donc si brillamment illuminé tout cela ? ...Sidoine ainsi s'opposant, à Bourges, à ce que des intrigants accédassent aux fonctions d’évêque... X 14 A propos du Panégyrique de Majorien, déplorons le scrupule des éditions, qui, pour des questions de préséance à présent obsolètes, maintiennent le prince régnant à la première place, et ainsi de suite en remontant le temps. Nous revoici donc devant les flagorneries coutumières, où le Guerrier, le Chef tant attendu se voit loué sans réserve – alors que Rome trébuche déjà au bas de sa pente : Roma bellatrix, la lance “ivre du sang des guerriers” - comment peut-on exalter à ce point l'ardeur à tuer ? si les hommes n'avaient pas envie de mourir, les guerres seraient abolies  ? - grades, classifications, décorations et distinctions, procèdent à la fois de nos pulsions de meurtre et de notre fanatisme de la classification : instincts jumeaux spécifiques de l’homme... ZOHAR SIDONIENSIS 16 Triompher de l'angoisse en tuant. Fortifier sa puissance  - Majorien, prédécesseur – après l’inconsistant Libius – de Procopius Anthémius, malgré les espoirs aveugles, malgré sa reprise en main, ne pouvait, n’aurait jamais pu redresser Rome. Au soldat romain succédait le guerrier germanique, le Kriege Dans le contexte desséché, exténué aussi, du monde antique : incapacité de renouvellement, ressassement des mêmes thèmes ; chaque époque retape ses vieux chapeaux en les prenant pour des cerveaux. X Admirons cependant les vers de Sidoine, fussent-ils resucés de Virgile, ou de Claudien, dernières modulations du cygne versificateur. Après Sidoine viendra Cassiodore, Grégoire, Isidore de Séville et tant d'autres ignorés. Rien de plus mauvais augure, qu'une littérature ne soit plus lue que par ses propres écrivains. La poésie latine se survivra dix siècles et plus : Erasme, les deux Nicolas Bourbon grand-oncle et petit-neveu. Le fin du fin de l'éducation du College of Dublin sera d’avoir appris à composer des vers en grec et en latin. Ce qui vaut bien ma foi l’actuel barbouillage de mathématiques. 15 X Relisons Anglade, Jean, récemment disparu, orné d'une vaste chevalière, en mission de dédicace au parvis de Sainte-Urcize : "N'avez-vous pas tiré certaines indications du Pseudo-Frédégaire ? » Œil torve. « Connaissez-vous André Loyen ? » - il ne connaît pas André Loyen, exégète et traducteur - “Vous êtes historien ?” Pour faire court je dis oui. ZOHAR SIDONIENSIS 17 Rien n’est plus croquignolet, chez Anglade, que ce tableau de Papianilla, enceinte en chariot sur les chemins cévenols, l’époux en flanc-garde et suite à cheval, entre gaucherie des dialogues et psychologie bon enfant. Le chercheur, au sortir d’ouvrages broussailleux, se sent déboussolé par cette prose maigre. Puis s’attache à l’étrange destin angladifié de ce fils et petit-fils de préfet gaulois, féru de versification latine. Ledit gendre du futur empereur engendra deux ou trois enfants puis cloîtra sa chaste épouse après l’accession à l'épiscopat d’Arvernis, « Clermont-Ferrand », 700 habitants. Et notre évêque prend soudain conscience du dépècement de l'Empire. X 16 Ainsi Modeste Apollinaire passe-t-il des arcanes poétiques aux lourdes charges épiscopales. Les lettres de notre évêque frôlent l’imbuvable. Fallait-il à ce point bannir les grands auteurs impies ? et nous infliger tout ce que le bric-à-brac ecclésiastique peut avoir de plus horripilant : incessantes invocations à Notre Seigneur, contritions larmoyantes, éboulis sans rémission de Saintes Citation… En accédant à l’épiscopat notre auteur n'a pas varié d’un pouce : révérant l’autorité quelle qu’elle soit, Rome et l’Empereur, Dieu et son Église, X Dans ces panégyriques aussi bien que dans toute versification du temps, il était du dernier chic de s’adonner aux jeux d'énigmes : César sera « le très glorieux Jules », « le ZOHAR SIDONIENSIS 18 descendant gaulois » (il a conquis la Gaule...) «  de Vénus », « l'assassiné des ides de mars ». La plus obscure entité mythologique offrira au gourmet sa pâture et sa consécration de briseur d’énigme. Un autre tour de force consiste à minutieusement énumérer tout ce dont il ne sera pas question, le raffinement de ce supplice appelé prétérition consistant à tartiner sur trois cent un vers (À Félix, record battu) le fait que l'auteur n’a rien à dire, mais qu’il envoie ce petit mot pour avoir eu le plaisir de l'écrire… X Nulle époque cependant n'est si enfouie ou si sanglante qu'elle ne recèle un historien pour la transmettre. Et cette dimension crépusculaire du Ve siècle est précisément ce qui manque aux adaptations romancées - : « Me faire ça, à moi ! à moi qui ai gouverné les Gaules six ans de suite à la satisfaction de tous ! De presque tous ». Plus tard nous est présentée Papianilla, fille d'empereur, pleurant sur son abandon, puis rachetant sur les marchés les plats d’argent offerts par son épiscopal époux - réactions de chaisière (mais qui sonda jamais l'âme d'une chaisière). Laquelle peu après suivit la vocation de Sidoine, se cloîtrant parmi les moniales. Nous préférions bien sûr pour nos héros quelque langage bien entortillé, conforme aux traces écrites ; maudites soient ces piètres BD où des moines s'écrient en tibétain « Foutez-lui sur la tronche». ZOHAR SIDONIENSIS 19 17 X PANEGYRIQUE D'ANTHÉMIUS II 18 / 360 (second survol) Exorde II v.18 “C'est vous, Sire, Domine, que nos campagnes ont réclamé dans vos prières”. L'empereur Anthémius « le Fleuri », succédant à deux ans d'interrègne, fut sans doute homme de cour et de cabinet aussi bien que grand militaire et Grec parfumé. Mais le panégyrique de Sidoine reprend à satiété cette espérance folle du Chef Providentiel, dont “la Fortune retarde l'élévation” (sous-titre en marge, v 210) ; “Campagne d'Illyrie contre l'Ostrogoth Valamer”, (v. 223) en 466/467. Nous ne sommes virils qu'à ce prix : le poing sur la gueule. “Maintenant assiste-moi, Péan, (Invocation) dont les griffons au bec crochu sont soumis au docte mors de laurie..” X   La Visite de l'Italie au Tibre (II, 318-347), prosopopée de haute valeur soporifique. Usée jusqu'à la corde. Ces mentalités sont désormais si reculées que nulle passerelle ne semble exister entre eux et nous. Çà et là quelques bribes historiques : “l'Empereur Sévère » (Libius Sévérus) « frappé par la Nature, avait augmenté le nombre des Dieux” - savamment empoisonné par Ricimer, comme ricin, le 14 novembre 465. S'interpose aussitôt hélas dans le texte l'allégorie pompière d’Europe, descendant du taureau toute dégoulinante... Éloge de Ricimer (358-360) Ricimer s'oppose aux Vandales : en effet le Vandale nous dit le poète se targue d'un père incertain (le père de Genséric, Godagisel, était roi de la tribu Asding…) .alors que la seule ZOHAR SIDONIENSIS 20 chose certaine, voilà bien la mauvaise langue ! c'est que sa mère est une esclave ; pour être aujourd'hui fils de roi, il proclame l'adultère de sa mère. Il se rappelle aussi, notre Sidoine, que sur le sol d'Espagne jadis le grand Vallia, grand-père de Ricimer, terrassa les escadrons vandales , recouvrant de cadavres l'occidentale Calpé.” Calpé, c'est Gibraltar - gageons que l'exploit de Vallia ne fut qu'une escarmouche, malgré les escadrons de cavalerie des Vandales. Plus tard donc le « terrible patrice”, comme on le nomme, Ricimer, “faisait et défaisait les empereurs”. Il ne reculait pas devant l'assassinat. Sidoine tremblait de révérence devant tout chef, pourvu qu'il se manifestât sous la caution de Rome. Ricimer : un camée le représente, glabre, vêtu à la romaine. On devait chier de peur en sa présence. Mais Rome vaincue faisait encore illusion ; Ricimer ne sera pas couronné empereu Il ne prendra pas lui-même le pouvoir romain. Il fait assassiner ceux dont il est jaloux. Sidoine fit donc l'éloge d'Anthémius, troisième empereur fait ou défait par Ricimer et ses grosses mains en battoirs - imaginons... 18. II, 387 – 407 à 449 - Le Tibre et Rome Panégyrique, donc, « de l'Empereur Anthémius ». Le sous-titre suivant, initiative de l'éditeur, mentionne "Séjour de l'Aurore" : Anthémius, "le Fleuri", vient en effet de Grèce jusqu'à Rome. Sans presque rien savoir de cet homme, Sidoine se livre à l'un de ces exaspérants exercices : le panégyrique. Attendons-nous à des avalanches de clichés, voire de listes : Il est un lieu de l'Océan, dit Sidonius, tout proche de l'Inde lointaine (407-) – – sous le soleil levant - il est bien entendu que jamais le soleil ne se couche sur l'Inde... puisque c'est le pays de l'Orient. ZOHAR SIDONIENSIS 21 Quant à l'Eurus nabathéen, vent de sud-est, Sidoine le fait venir de l'est : "la Nabathée, précise Loyen, [fait] partie de l'Arabie Pétrée" ; c'est bien embrouiller les méridiens. Le printemps y est éternel – et notre entreprise ne connaîtra jamais de fin. La terre ne pâlissant sous aucun frimas jamais n'interrompt son travail. C'est là poursuit le poète que le palais de l'Aurore offre aux regards, sur des revêtements d'or rouge, le relief de perles lisses incrustées – goût tapageur du temps. Compliments ronflants de voleter alors, éculés à en perdre le souffle : « la plupart loueront ta faconde, plus encore ton intelligence, et tous ta modestie » - beau groupe ternaire. Cependant ne dénigrons rien : ces frivolités sont sacrées ; c'est en récitant du Dante que Primo Levi survécut à son camp. Tel sera le sort des lettres françaises, expulsées de l'enseignement, qu'il faudra bientôt se procurer secrètement et lire dans la honte, sans en parler jamais. Nous nous serons usé les yeux nous autres rats de papie C'est par de tels envois, par ces minces filets, que la culture a pu suivre son cours si menacé : « Oui, j'ai commis une faute, pour n'avoir point encore inséré dans mon ouvrage une lettre à ton nom. » - les célébrités du temps se bousculent pour figurer dans la Correspondance ultérieure de Sidoine . Même de simples bagatelles. C'est ainsi que jamais Rome ne fut dissoute. X Sidoine célébra donc trois empereurs successifs, même un peu assassins - pourvu que surnage le beau style, qui tient lieu de toute conviction autre qu'esthétique - et, grâce à la maîtrise de l'artiste, chaque objet considéré paraît plus beau que le reste – détails, surcharges : la diversité disperse les yeux – conception à l'exact opposé de la nôtre. ZOHAR SIDONIENSIS 22 Sidoine ignore à peu près tout ce qui ne concerne pas la poésie : listes de fleuves ou de peuplades, juste pour le plaisir des sons - qu'elle paraisse donc, cette Aurore, avec ses foutus "doigts de rose " ! que Latins naturels et bâtards s'en vautrent dans leurs peignoirs ! Sa chevelure peignée se répandait, et de son bras fléchi le peigne enfoncé disposait ses tempes dorées - ultimes flatulences d'une « civilisation à bout de souffle »- deux ceintures en faisceau sur la poitrine, en brassière, et les petites pointes de ses seins loin l'un de l'autre - "Sidoine s'amuse" ? il est bien le seul. - ainsi la reine sied-t-elle sur son trône. Que de séduction. Surtout ah surtout ! les jambes rougeoyantes ; une vraie perruche, ton Aurore. "La hampe d'un flambeau remplit ta main droite" - la Nuit se tient auprès de la déesse, déjà les pieds tournés, fuyant - immense froideur de tout cela, de ce dialogue entre allégories : c'est alors que l'Aurore, reconnaissant Rome – reu, ro, reu, reu, ro - ...qui venait par la route azurée, sauta en hâte de son siège - Sidoine ne peut plus imaginer que du déjà-imaginé : Rome s'en vient prier l'Aurore - implacables successions de fadeurs – énumération des exploits révolus de sa chère effondrée : ainsi l'Aurore tremble ! ...tant l'Orient dut maintes fois plier sous le joug de Rome ! Rome ne vient pas réclamer ses anciennes conquêtes en Orient... Eh non, bien édentée l'ancêtre – ...ni pour que les casques ausoniens ([zozo])puisent, comme autrefois, l'eau du Gange indien – vision du soldat au bord de l’Araxe, à l’autre bout du monde ! ô poésie militaire ! ô Vieille caserne oubliée ! Sidonius montrera « le consul triomphant saccageant la caspienne Artaxata » Artaxata Caspia, et «dans le pays des archers, le Niphate peuplé de tigres » – ô triomphes, ô rétroviseurs... (443-445) ZOHAR SIDONIENSIS 23 X Pas de femmes ou si peu dans les cercles précieux de Sidoine. Juste ces déités radotantes : « Je ne demande plus... Je ne réclame pas... aujourd'hui dans mes prières le royaume de Porus – pauvre Sidoine, c'est Alexandre qui rencontra, aux bords de l'Indus, ce « Porus », « shah-pour»", « fils de roi », dont le titre devint ainsi nom propre - quelle conscience les Romains avaient-ils des Indiens, des Sères alias Chinois ? Pourquoi n'ont-ils pas eu la curiosité, ces casaniers, ces gratte-sous, d'aller voir ? quoiqu'une ambassade y fût vraisemblablement parvenue vers le IIe siècle – mais Sidoine en est à confondre l'Ethiopie et Caucase – ô monde étroit, ô connaissances désinvoltes, etc. (II 449) 19 II 450-455 Nous avons lu un document admirable et vivace (1878) : la préfecture des Gaules eut beau se replier de Trèves à Lyon puis Arles, elle n'en exista pas moins avec ses charges et ses honneurs, et notre poète ne s'est rien proposé d'autre, n’est-ce pas, que de servir l'État, la Res Publica, de toute son âme. Sidoine est jugé très sévèrement par certains historiens, qui lui pardonnent difficilement d’être passé ainsi d'Avitus à Majorien, le premier plus ou moins occis par le second pas plus tard que l’année précédente. Au point même, toute honte bue, de dîner en sa compagnie. ...Selon l'historien de 1878, les décadences atténuent volontiers les frontières du bien et du mal. Nous y sommes en plein. Dix ans plus tard, Sidoine refuse moins encore d’adresser à Anthémius ce panégyrique ampoulé où Rome, interminablement, supplie l’Aurore, sœur de la Lune et du Soleil, de lui expédier un empereur byzantin, autant dire oriental : ZOHR SIDONIENSIS 24 Je ne réclame pas, dit Rome, le palais d'Arsacès, (II, 450-455) dit la vieille Rome, qui ne se maintint jamais bien longtemps en Médie. Mais il fallait bien remplir ce panégyrique, Sidoine ignorant tout de cet Anthémius - oui, les armées romaines de jadis marchèrent sur Babylone - nous t'avons abandonné tout ce ciel – déchirement des premières scissions, Antoine et Octave, puis Arcadius éleveur de poules et son frère Honorius - mais il faut bien énumérer tout ce que l'on ne veut pas – ce n’est que bien plus tard que Justinien tenta en vain de reconquérir l'Occident. « Rome, ici, se souvient de ses grandeurs passées ». Se la joue « ancien combattant » battu... 20 Or, virgule, après Libius Sévérus, "fantoche" (pourquoi donc Sidoine n'a-t-il pas prononcé le panégyrique de celui-là ? Ricimer s’épargna cette comédie) , voici qu'un noble hellène se présentait, obligé de l'empereur Léon, ce dernier lui-même placé sur le trône par d'autres Barbares. Après Majorien sont venus le fameux Olybrius, toujours en vie dans notre langue ; puis Glycerius, Julius Nepos, tous deux déposés ; enfin donc ce noble Anthémius, livrant sa fille Alypia, tendre brebis, au grand Ricimer, qui joue au faiseur de princes. Sous le frais jour levant et de l'ampoule blême, nous ne cessons de relire ces vieux carmina, si redondants, si ingénus de fatuité. Débris accommodés de Pline et de Claudien ; autodénigrements contorsionnés, pudeurs virginales issues des plus vieilles maniaqueries. Quant au nouvel empereur de l’Ouest, Anthémius, ne nous inquiétons pas, tout Grec et tout aristocrate qu'il soit, il sera promptement rétamé lui aussi malgré ses mérites, en dépit des flagorneries de Sidoine. Supplications en gigogne… ZOHAR SIDONIENSIS 25 21 Mieux ou pis : Sidoine brosse et rebrosse Ricimer, tout-puissant, dans le sens du poil - Sidoine et Ricimer n’étaient-ils pas tous deux gendres impériaux, le premier, celui d'Avitus, adoubait son ressemblant, gendre d'Anthémius... X II. 459-461 « Ce présent même ne m'a pas suffi », gémit Rome (nous l'avons laissée, seins tombants, lippe molle, aux genoux de l'éternelle Aurore). "Je ne dis rien des Cyclades" - mais parlons-en quand même - André Loyen montre beaucoup de sévérité (non sans tendresse) envers la préciosité sidonienne : surabondance de descriptions dégoulinant d’or et de rose, références naphtalinées aux vieilles gloires (Orphée charmant les fauves, Scipion vainqueur d'Hannibal , César enjambant le Rhin) - boursouflures, dithyrambes et métaphores filées jusqu'à moisissure. S'il ne fallait dire les choses que comme elles sont, comme nous serions vite au bout de nos phrases ! « L'acquisition de la Crète a bien servi ta gloire, Métellus. Cette Crète, c'est à toi qu'elle obéit » - à 532 années de là, splendeurs bien lointaines (demandons-nous comment un texte pouvait être si savamment transmis de siècle en siècle, traducteurs et glosateurs ; s'agissant d'un texte abordé pour la première fois, les embûches, en revanche, se multiplient - en vérité, chers nous autres chercheurs, nous aurons plus vécu dans les livres qu’en vrai - il faut tout de même bien qu'il nous reste quelque chose, à nous les Assis. En vérité, au bord de la fosse (qui est vraie, et non pas fausse, ô massacreurs de ma langue), chacun déploie son néant. Les empileurs de jeux de cubes auront vécu sans cesse une même journée - la mort viendra dans la foulée. ZOHAR SIDONIENSIS 26 Je ne suis qu'un de ces latinistes dont les bouquins dépenaillés suscitaient l’hilarité estudiantine– mais leurs cours était comble : comment pouvaient-ils bien manier ces lambeaux ? ...Ces livres pourtant nous auront suivis toute la vie, jusqu’au croûtonnage ; s'en défaire, c'est trahir). 22 ...Quant à Sidoine lui-même, le voici bien loin d'avoir mouliné toute sa guimauve: "Je t'ai transmis, trop crédule, le testament d'Attale" qui légua son richissime royaume de Pergame à Rome – la note me renvoie au texte de Tite-Live, bouillie de syntaxe molle, sans mise en relief de la moindre expression : ses boiteux parallélismes boiteux rendent les textes quasiment indéchiffrables, sauf aux érudits en voie de disparition, ce qui fera toujours du fascisme en moins. La faculté dite de lettres à Rennes vient de supprimer l'enseignement des langues classiques : merci Jean-Charles, merci Brel : "Tu gardes l'Épire : tu sais pourtant à qui Pyrrhus la devait. » Cicéron répondra : «C'est grâce à la grandeur d'âme de Fabricius ; on sait que ce dernier refusa les services d'un transfuge qui lui offrait de tuer l'envahisseur - Pyrrhus donc, "Mamelle Slave" : les Romains subirent une raclée à Héraclées et l'eurent dans le cul à Aesculum. « Je vois que tu étends ton autorité sur l'Illyrie et sur les terres des Macédoniens et tu as des descendants, Paul-Émile ! » - ô poussiéreux élans de fossiles. ZOHAR SIDONIENSIS 27 23 II, 471 - 492 ...La déesse Aurore, entartinée de fards, ou plus prosaïquement l’empire d’Orient, prit un jour dans ses rets administrtifs la future Serbie  - « C'est pour moi cependant » poursuit l’intarissable Rome « que le grand Agrippa jadis avait vaincu dans le détroit de Leucade » -la victoire d'Actium se déroule-t-elle encore telle quelle en filigrane, inscrite dans les airs au-dessus des flots ? nous le démontrerons un jour « Tu tiens la Judée sous ta domination » – grâce à Vespasien et Titus, grands massacreurs de Juifs. Jérusalem détruite par Titus après l'assaut de Vespasien son père. Mon Dieu que la conquête est belle... X X X Ignoble et bâclée statuette de saint Sidoine dans cette niche murale à Clermont, affligé d'une barbe de père Noël ! Jadis de chair et de sang, tels Paulin de Nole, Paulin de Pella (376 - 460), tous trois appréciateurs éclairés, jugeant les débris littéraires qui les entouraient au moins égaux à tous les chefs-d'œuvre précédents (nous avons bien des lecteurs d'Orsenna) : « (O'Connolly nous affirme que le fin du fin à la fac de Dublin consistait à disséquer, puis redéféquer avec délectation de beaux vers latins ou hellènes). « Caton d'Utique, qui » - "dütikki"! c'est du finnois ! - « annexa Chypre en 58 avant J.C., fit transporter à Rome les richesse de l'île (Florus, III, 9) » - Caton d'Utique, arrière petit-fils de Caton l'Ancien, tu sais, Jean-Charles, « le Vieux Con » ! celui qui voulait détruire Carthage ! F,ini, le bon vieux temps ! ZOHAR SIDONIENSIS 28 Creusons nos galeries, exploitons nos filons : « Mais s'il s'avère possible d'apaiser les vieilles plaintes» de la grande Rome déchue - Rome ou Constantinople, mêmes frissons, mêmes lâchetés. Rien n'a jamais ressuscité les Vieux Empires. Anthémius, à Rome, sort assurément d'une excellente famille impériale d'Orient. Mais le panégyriste Sidoine sait fort peu de choses sur cette bête de cirque encuirassée ; son panégyrique n'est donc plus que prétexte à des successions de tableaux, ou de lieux communs. Ainsi s'explique l’insipide galimatias flagorneur du discours pour Anthémius : «  Qu'il règne longtemps dans ses domaines, l'Auguste byzantin Léon – mais qu'il gouverne mes lois, Celui (Anthémius) que j'ai demandé » - d'où vient cette majuscule, traducteur ? « Que l'astre divin du père d'Euphémie"(à l’épouse, à présent) se réjouisse de voir sa fille (« Euphémie »...) revêtue de la pourpre paternelle (celle de son père Marcianus, ex-empereur à Constantinople !) » - pauvre Alypia embrochée le soir même par un Boche - résignation, curiosité, honte, prière ? Pauvres femmes crevées comme des outres à 25 ans - « l'astre qui se réjouit » (les Latins se réjouissent de telles platitudes - montagnes « ne craignant pas » d'obombrer la rivière, pluie « hésitante » et autres fadaises - après Anthémus régneront, ou penseront régner, Glycérius, Olybrius passé en proverbe – alors que l'agonie de Rome frappe à la porte. Le poète évoque à présent la fille d'Anthémius, Alypia : « Ajoute encore à ces accords publics une alliance privée, fais que mon Souverain soit le beau-père heureux (Anthémius) de Ricimer » – ce même Ricimer qui fit naguère massacrer le beau-père de Sidoine – embrassons-nous mon gendre ! « Une noble origine brille en eux : vous avez, vous, une jeune fille de sang royal, moi, j'ai un fils de roi » - d'envahisseur, Sidoine ; Ricimer est un envahisseur barbare... fils de roi barbare : "Si tu y consens, tu me donneras l'espoir » (dit Rome) de recouvrer bientôt la Libye" ZOHAR SIDONIENSIS 29 "Passe en revue les hymens antiques : aucune union semblable ne trouve grâce à tes yeux » – espérons que Sidoine s'abstienne de nous énumérer toute sa science nuptiale ? Hélas – si... Les oripeaux seront une fois de plus extraits de leurs coffres, époussetés, gorgés d'astuces et d'énigmes. Flattons, flatulons. "Que la Grèce, si elle l'ose, "si la pudeur lui manque" produise ici ses mariages anciens nés dans les dangers – (et) « que Pise » (l’autre, près d’Olympie) « réparant son quadrige, ressuscite Œnomaüs, qui, par la perfidie de sa fille, tomba de son char, quand la clavette (l' "obex", la "cheville ») « libérant les roues, provoqua sa chute" - « Énomaüs », qui s’en souvient ? tuait ceux qu’il battait à la course de char ; sauf Pélops, qui épousa sa fille. 24 ...Médée – pas elle ! pas elle ! pitié ! pitié ! - « connue de son mari » Jason « par son crime avant de l'être comme épouse » – elle émietta les morceaux de son frère derrière son char - Atalante ne valait guère mieux, trucidant tous ceux qu’elle battait à la course - sauf un - « je pourrais rappeler tous les mariages des siècles anciens » - plus sanglants les uns que les autres - tandis que Ricimer, ah ! le Germain, il « surpasse les héros » (et Alypia les héroïnes) – enfoncez-vous bien ça dans la tête. "Cet hymen, Ricimer, c'est Vaillance qui le préside" - il était tout heureux, le Germain Ricimer : il a donné le signal des applaudissements de ses deux grands battoirs à viande – ah, j’oubliais (sans aucun rapport) le Grand Xerxès «qui trancha le mont Athos et fit courir ses voiles gonflées et ses rameurs à travers la montagne » – portage à dos d'homme (Casanova, Fitzcarraldo) – mais Ricimer et Monsieur Gendre (Anthémius) éclipseront tout cela - c'est de telles chimères que se repaissait la mémoire de Rome... ZOHAR SIDONIENSIS 30 25 II 514-524 (survol) Depuis longtemps l'Aurore a deviné ce que vient réclamer la vieille Rome, Alma Mater : "Donne-moi plutôt (Anthémius)" – supplie la Rabougrie - l'accord est conclu précise l'éditeur en marge. "L'épouse de Tithon répond alors en quelques mots – savez-vous, ihr Wurmskinder, que Tithon, époux de l’Aurore, ne fut qu'une cigale mâle, toute desséchée ? il avait souhaité l'immortalité, sans préciser "en pleine jeunesse" - il avait donc vieilli, ratatiné à l'infini. 516 Duc age, allons, emmène-le, [douk-agué], mère sainte, il serait mieux ici, Anthémius, à mon service, "montre-toi seulement plus douce à mon égard" 517 – d’où tirez-vous "à mon égard", Monsieur Loyen ? "c'est moi qui la première 521 envoyai ici Memnon" (fils de Tithon-la-Cigale et de l'Aurore) - les colosses de Memnon bruissaient sitôt touchés du soleil levant. L’Aurore et Tithon avaient envoyé les descendants de leur propre fils au secours des Troyens, à l’est ; alors, ils peuvent bien envoyer Anthémius, à l’ouest ! X L'amour de Rome pour Anthémius présente un contenu bien douteux. La capitale de l'Empire depuis 402, c’est Ravenne, derrière ses marais - mais c'est toujours à Rome que se proclament les Empereurs - nous pouvons douter de l'amour a priori de Rome pour Anthémius, octroyé par Constantinople, pour s’en débarrasser, comme un pion, chez les cancres occidentaux . "C'était la fin. La Concorde unit les deux parties, car Rome était enfin (tandem) en possession du souverain de son choix". 522-523 - pensum accompli ? que nenni : "Maintenant, Antiquité, "fais sonner bien haut", etc - elle ne s'est voyez-vous jamais montrée avare en grands hommes : l'Antiquité eut elle aussi son Antiquité – la Vetustas... ZOHAR SIDONIENSIS 31 R . 26 II 525-548 Commence alors une effrayante énumération, au terme de laquelle figure le pauvre Soleil Anthémius – hochet d’un Empire poussant ses derniers râles - cinq siècles de pouvoir militaire pour trois de démocratie... Cincinnatus, riche propriétaire ici invoqué, jamais n’eût consenti à effleurer une charrue. Autre légende : impossible à quiconque, fût-il Hannibal le Carthaginois, n’aurait pu dissoudre la roche des Alpes à l'acide... ...Tel consul est allé au galop décapiter Hasdrubal, frère d'Hannibal, pour jeter au retour la tête dudit frère dans le camp de ce dernier "Je reconnais bien là" dit Hannibal en dépliant le paquet cadeau – non seulement "la tête de mon frère", mais "la Fortune de Rome" ; ce consul tranche-tête s'appelait Claudius Nero – ancêtre de Néron. "Mais un vent violent enfle à présent mes voiles", encore, Poète ? ...L'assemblée des auditeurs a bien digéré, Ricimer consulte discrètement sa Rolex. Siste, Camena - "Suspends, Camène" (c'est la Muse) "tes faibles chants, et, gagnant le port" – avec un « t » - échouons sur un fond calme l'ancre de notre poème" – Sidoine est consternant ; il n'est pas encore écœurant. En ce jour donc, 11 juillet 467 - Anthémius plastronne, phallus en bandoulière, mais depuis bien longtemps les Romains ne sont plus « les Rejetons du Chêne ». Les temps sont accomplis, et non pas ressuscités. Les joues du peuple romain "se réjouiront de recevoir votre soufflet" - c'est ainsi en effet qu'on affranchissait les esclaves : « délivrez d’anciens prisonniers au moment d’en enchaîner de nouveaux » - ineffable finesse… Il fut récompensé, le poète Sidoine ; il devint, comme nous l'avons dit, préfet de Rome, responsable de l'annone, id est l'approvisionnement en pain et en vin ! Une émeute le refroidit, le dégoûta de ces honneurs. Plus tard, il donnera du pain aux pauvres, sur les chemins d'Auvergne. FIN DU CHANT II ZOHAR SIDONIENSIS 32 R. 27 C’était pourtant un bien paisible royaume que celui des Vandales. Les mères, sous le règne de Genséric, élevaient leurs enfants, les cultivateurs labouraient leurs champs.Or Genséric, dit-on, désirait épouser Eudoxie, veuve de l'empereur Valentinien III, laquelle s'offrait à lui ; Genséric le bossu, Genséric le difforme, avait donc pillé Rome douze ans plus tôt, emmenant avec lui Eudoxie en otage pour sept ans… Pourtant il n’avait pas commis autant de déprédations que n'en dénoncèrent les catholiques : les Vandales ne vandalisèrent pas plus que les autres .... Ainsi s'achève (explicit, et non pas excipit) le plus creux discours jamais prononcé par Sidoine, tandis que les applaudissements crépitent : les sangliers rôtis tournent sur leurs broches. Ricimer aplanit les plis de sa toge (an togatus ?) Suit un Carmen Tertium, bien traditionnelle apostrophe de Sidoine à son petit livre, "envole-toi, libellum, parviens à tes destinataires…" - ce grand Gallo-Romain conserva le souci du bien écrire, dans un âge où tout se défaisait. Cependant "l'art de rendre les récoltes abondantes" 1-2 maintenait une civilisation immuable- "Et puis tu osas, Virgile" (Maro), chanter "les armes et le héros" (4) – la mort que l'on donne, et le travail de la terre, la charrue et l'épée. Cadavres fertiles. Mars et Mavors, Dieux de la guerre et de l'agriculture très tôt confondus – « petit livre, va, cours », à la gloire de Majorien cette fois qui réduisit à la mort mon beau-père Avitus. Un nommé Pétrus – "je cours sous son astre" (6) – "joua un rôle important (chef de cabinet de l‘empereur) (dans le rétablissement de relations normales entre la cour et les Gallo-Romains vaincus) - les Romains ne s'aperçurent de leur chute que longtemps, longtemps après – même la nostalgie de ce temps-là sentait le renfermé. X 28 CARMEN IV ...Nous trouvons bien plus franc le gouvernement arbitraire, qui permet de bien plus hautes sagesses. "L'expression celsior ira, « ayant surmonté sa colère ») (4) qui ne peut s'appliquer qu'à Oct [kékaok] -tave, et à sa clémence envers les assassins de César cinq siècles auparavant !) Le poète Horace (- 65 / - 8), qui prit alors la fuite comme les autres, Flaccus, "le flasque", "le pendant" - le petit gros aimait le sandwich, une femme devant un homme derrière) reçut son amnistie. Notre Sidoine, fuyant donc lui aussi sa défaite, fut remis en selle par le nouveau pouvoir, celui de Majorien : « Pour toi aussi, Horace (…) l'inspirateur de tes vers(Octave) fut aussi celui qui t'accorda la grâce » (IV, 9) – Sidoine (Modestus !) opère une transposition bien flagorneuse, malgré sa modestie : « qu'ils triomphent par le style, pourvu que nous l'emportions par notre souverain." Sidoine avait donc suivi dans la déroute son beau-pèreAvitus, qui n’est plus que « votre adversaire » , « et vous m'invitez alors, ô [Majorien] vainqueur, à n'avoir pas l'âme d'un vaincu » Il s'agit (octobre 456) de la bataille de Plaisance, où Sidoine fut, quant à lui, relâché, tandis que son beau-père, Avitus, promu, bien malgré lui, à l'épiscopat, se fit sans doute occire. Sidoine aurait pu se dispenser de féliciter le liquidateur de son beau-père ; seulement, notre poète eût semblé bouder ; dangereux, alors que son admiration pour l’usurpateur Jovin (Gaulois séparatiste en 411)) - il vient donc mettre au service de Majorien vainqueur « la voix du poète que vous avez sauvé ; votre éloge sera le prix de sa vie. » Serviat ergo tibi… v.13 Sidoine avait l’échine souple. Victor Hugo aimait bien Majorien également : Germanie. Forêt. Crépuscule. Camp. Majorien à un créneau. Une immense horde humaine emplissant l'horizon. UN HOMME DE LA HORDE. Majorien, tu veux de l'aide. On t'en apporte. (...) La terre est le chemin, Le but est l'infini, nous allons à la vie. Là-bas une lueur immense nous convie. Nous nous arrêterons lorsque nous serons là. MAJORIEN. Quel est ton nom à toi qui parles ? L'HOMME. Attila. FIN DU CARMEN IV 29 CARMEN V, 1 – 3 SUR MAJORIEN ...Valerius Majorianus s'est pris pour le Sauveur, jusqu'à ce qu'un bon coup d'épée (ou de champignons) lui ait appris qui était le vrai chef : Ricimer. Le jour de l'intronisation de Majorien, c’était pourtant ce nouvel empereur, qui incarnait l’homme providentiel : "Reprends conscience, Rome, de tes triomphes passés : praeteritos (...) triumphos »– nous allons voir ce que nous allons voir : "L'Empire aujourd'hui est aux mains d'un consul » (c’est Majorien) « que la cuirasse revêt plus souvent que la pourpre" - à quoi s’attendre d’autre après la prise de Rome (410) par Alaric ?... premier sac de la Ville qui frappa beaucoup plus les esprits que plus tard la chute en 76 de l'Empire de Rome : "le diadème qui couvre son front n'est pas une vaine parure, mais l'insigne légal de la puissance" – l’insigne, en effet, et c’est bien tout. "Détail important" précise la note 1 : "L'empereur d'Orient, Léon" ("le Lion"), "a reconnu officiellement Majorien (...) » Étrange Orient, sous perfusion, en sursis de dix siècles.... "Les deux hommes d'ailleurs" (Léon de l’Est et Majorien de l’Ouest) « prirent ensemble le consulat, aux calendes de janvier 458" – ainsi accomplissons-nous aussi tous les rites : élections, alliances ou rivalités, sans voir que nos gestes sont morts. À partir de quand est-il trop tard ? "Le consulat, poursuit Apollinaire, "...grandit l'Empereur" – ô vénérable mascarade : elle a vécu, l'Europe romaine… Ravenne, capitale d'Empire, à l'abri des marais - clairons éteints dans la brume de l'aube - "le monde, je l'avoue, avait tremblé quand vous refusiez de recueillir le fruit de votre victoire" – Majorien ne refusait pas : il hésitait...  Vaincre, certes ! mais pas trop ; sinon, liquidé par le jaloux Ricimer en Chef. Ce manque d'empressement fut en réalité celui de Léon d'Orient, peu soucieux de reconnaître un rival. C'est alors que déboule en plein travers de notre texte l'atroce boursouflure de la "Prosopopée de Rome", où débaculera tout le carton-pâte des panoplies - Roma bellatrix, nous dit la note - "Rome belliqueuse" avait pris place sur son trône, sein nu, tête casquée couronnée de tours". Ce que nous distinguons hélas, en cette année 457 de notre ère, c'est cette lassitude, ce ressassement des mots sans espoir ni répit. ZOHAR SIDONIENSIS 36 Quant à la chancelante Rome, "sa réserve accroît la terreur qu'elle inspire" – quelle terreur ? - "sa vaillance s'irrite d'être surpassée par sa beauté" – quelle beauté ? Rome est une hommasse qui fait la gueule. "Le tissu de sa robe est de couleur pourpre; une agrafe aiguë la mord de sa dent recourbée" – assez - Sidoine barbouille. "La déesse s'appuie (...) sur l'orbe vaste d'un étincelant bouclier" – l'assistance ronflote sous un crachin de fossiles. Romulus et Rémus, mièvres glyptothétiques couilloncicules, osent-ils seulement effleurer la Louve ? n'ont-ils donc pas compris, nos petits sculpte-dalles du Quattrocento,à quel point ces magots replets souillent la majesté du fauve ? "on aurait eu bien peur de la caresser à cause de sa gueule béante" – ô niaiserie !- "pourtant, même façonnée par l'art, elle craignait de dévorer les fils de Mars" – ô profond crétinisme ! - "au premier plan le Tibre" - aurons-nous droit à la "barbe liquide" ? – aux "ronflements d'un sommeil mouillé" – bingo – à « la poitrine couverte d'un manteau [filé par] Ilia son épouse ; allongée sur la couche limpide, elle voudrait supprimer les murmures des ondes et assurer le repos de son fluide mari" – le grotesque ici sombre dans le pathétique. Telles sont les splendeurs du bouclier". Le modèle en effet de Sidoine après tant d’autres se trouve au chant IV de l'Iliade, où l'univers entier se reflète au bouclier d'Achille. Sidoine affuble donc sa Rome d'une "lance au manche d'ivoire", virilement ivrognisée par le "sang des guerriers". Courage ! Il ne nous reste plus qu'à révérer Bellone, déesse des guerrières, "élevant un trophée et courbant un chêne sous le poids du butin. Le trône, d'un seul bloc, est taillé dans le porphyre rouge de la montagne d'Ethiopie (...)" - les clichés s'entassent. Les Romains n’exploraient rien. Ils achetaient, ils pillaient. Simple cupidité de péquenots. C'est pour l'argent que Rome aura conquis le monde. "On y a joint d'un côté le synnade, de l'autre la pierre de Numidie qui imite - ô douloureux z’hiatus ! – ("imitant") - description, d'ailleurs, venue de Stace (40-96). À l'assemblée des Provinces, chacune ZOHAR SIDONIENSIS 37 posera aux pieds de sa maîtresse, Roma, ses productions, comme sur les affiches coloniales de France. Sous nos yeux harassés se bousculent sans fin syllabes et syntaxe : "Sitôt la déesse assise sur son trône, toute la terre à l'instant même vole vers elle" – colon y en a parlé, négro aplati : "L'Indien apporte l'ivoire, (...) le Sère des soieries" (ambassade en Chine du IIe siècle [165]), l'Attique son miel (Atthis mel), (...) – "...l'Arcadien ses chevaux, le Chalybe des armes - ils avaient inventé l’acier - "(...) le Pont, du castoréum (jus de cul du castor) (...)" tant la petite Rome a conquis de terrain. Et la moulinette s'emballe : la Sardaigne et ses mines d'argent, pauvres de nous! "toutes les fois que le ciel s'emporte, la terre là-bas prend plus de valeur" ! interminable distribution des prix - et voici, pitié ! pitié! La Requête de l'Afrique en pleurs aux joues déchirées, "courbant le front" déjà de toute éternité, brisant les épis bien légers de sa couronne (les Vandales bloquent le grain - ) moi malheuweuse là dis donc, toi donner gwand homme blanc –twoisième pawtie du monde" et cinquième roue du chariot de l’empire. ...Brave général Boniface, qui abandonne à Genséric ses bateaux pour vaincre l'hérétique : "Ce pillard, Genséric (...) tient depuis longtemps mon sol sous son sceptre barbare" –hantise de Rome : virer ces Vandales, qui "n'aiment pas ce qu'ils ne sont pas eux-mêmes" ! grief qui nous laisse pantois. V 37 / 60 33 V, 61-62, 65-66, 69-80, 88-89 Ce racisme social (« ne pas ressembler à tout le monde ») fut donc pendant des millénaires le fondement de toutes les sociétés. "Ô force assoupie du Latium - il rit [Genséric] d'avoir vu tes murs céder devant tes ruses". Les Vandales ont tout emporté - "et tu ne brandis pas ta lance ?" Non – mais il a tout de même fait retraite, le Vandale. Avec ses troupes ZOHAR SIDONIENSIS 38 majoritairement berbères… Genséric a regagné sa base, sans encombre, à Carthage, où il règne sans partage depuis plus de quinze ans. « Ta victoire est désormais certaine, [Rome], si tu combats comme tu as coutume de le faire après une défaite." Mais le temps des Scipions victorieux n'est plus. Et Majorien sera battu, lui l’empereur, sur mer, par des Vandales, avant même d’avoir pu prendre le large... En + 410, ç’avait été la première prise de Rome par Alaric ; en 455, derechef, avec Genséric - vite, vite, un gros cataplasme de passé : "Mais (...) il te retrouva tout entière, [Rome], dans le bouclier de Coclès – Coclitis in clipeo, beaux cliquetis, beau coup de menton - Rome tombe quand même, deux fois. Des milliers d'homme » - certes, 657 ans plus tôt ! - harcelaient un unique guerrier (…)". Ensuite Porsenna, second avertissement, fut « averti par la mort de son secrétaire, déguisé en roi » - alors Scévola – autre héros du temps passé, s’était grillé la main au brasero, pour la punir d'avoir manqué ce roi étrusque, et "le bourreau » des attaquants « fuyait devant les tortures de l'accusé" – c’est-à-dire Scévola, VIe siècle avant notre ère… Les temps ont décidément bien changé. Ne nous moquons pas : nous ne cessons pas non plus, nous autres, de ressasser jusqu'à la nausée nos Droits de l'Homme ; de même, mille ans après sa fondation, la Ville de Rome compte bien se tirer à nouveau de ce mauvais pas - or cette fois, plus de coup de talon au fond de l'abîme : deux sièges, deux prises, deux sacs en moins de cinquante ans - encore une fois, « un seul homme", unus, "repouss[er]a une armée entière". Mais en dépit de ces conjurations, Sidoine échoue à redorer les trompettes romaines : Porsenna l’Étrusque avait en effet battu en retraite en – 503, devant le Grand Brûleur de sa Main Droite, mais cette fois-ci Genséric le Vandale occupe bel et bien l'Afrique. Quant au beau vers "L'ennemi qui t'accable est lui-même inquiet", il se réfère à la défaite, bien éphémère, ensuite, des Vandales en Corse face à Rome – miette de revanche. ZOHAR SIDONIENSIS 39 Revenons quelque temps en arrière. Tout va si vite. Avant Majorien était venu Avitus. Les Wisigoths, solidement installés d’Agen à Toulouse, suggérèrent, ou imposèrent à l'illustrissime Avitus, précepteur collabo de leur prince héritier, de revêtir la pourpre impériale : un Gaulois, empereur de Rome ! notre écervelé mondain, Sidoine, époux tout frais de Papianilla fille d'Avitus, se retrouvait ainsi en Monsieur Gendre ! qui mieux que lui aurait-il mieux chanté la gloire du nouveau maître ? Sidoine prononça donc, devant le Sénat gaulois en extase, l'Éloge officiel ou Panégyrique du grand Avitus Augustus, Arverne. Monsieur Gendre, biberonné à l'illusion, pensait Rome éternelle – tandis que Ricimer, Suève, patrice bien avant Clovis, tenait tout le pouvoir. X Une fois massacré l'impérial beau-père, Sidoine s’éclipsa, car lui aussi avait participé au complot gaulois. Il rejoignit le pays des Arvernes ; quelle est alors la meilleure voie de Lyon à Clermont ? combien tout était dépeuplé ! combien de mares au Diable hantées de brouillards ? Il se fit oublier. Se réfugia dans ses propriétés de belle famille en pleine Auvergne. Parcourut ses domaines, recevant du haut de sa monture d'humbles témoignages d'affection. Très vite on est venu le resolliciter pour honorer Majorien le successeur (457-461) - Sidoine était-il inconsistant ? Quelle vanité le fit-elle plier ? "Lui seul saura donner du lustre à nos cérémonies. Il n'y en a pas deux comme lui pour chanter les louanges du successeur : un riche hochet comblera le poète" (Anglade). En lui promettant la vie sauve, on le convainquit de renfourcher sa plume pour flagorner, cette fois, Majorien. ZOHAR SIDONIENSIS 40 Lequel ne tarda pas (quatre années tout de même) à se faire à son tour dessouder par son ancien complice, l'inexorable Ricimer, Germain jaloux des succès militaire de Majorien. Seconde fuite de notre vaillant poète, Sidoine, autre récupération pour procéder à l'éloge officiel cette fois-ci d'Anthémius – et de trois - plaignons, en vérité ! le supplice des esprits supérieurs. C'est que Rome, voyez-vous, en était encore à chercher l'Homme providentiel. Le formatage séculaire des mentalités romaine et celtique ne pouvait laisser envisager aucune autre analyse : l'homme à poigne, point. Sidoine se tourna donc vers l'Église, seul moyen de s'en sortir alors sans perdre la face ou la tête. Papianilla et son époux se séparent donc, et deviennent chacun homme et femme de Dieu. Sidoine fut promu à l'épiscopat d'Augustonemetum ou Clermont. Nous sommes en 471. 36 Les Romains, ou ce qu'il en reste, désireux de conserver la côte méditerranéenne et la ville d'Arles (Arelatum), les échangent contre les Arvernes. Protestation légitime de l'évêque de Clermont (c'est Sidoine, incarcéré dans la bonne forteresse de Capendu – car il avait défendu sa ville pendant le siège, faisant preuve d'un grand courage physique) - rien n'y fait. Retourné au sein de son évêché, Sidoine se montre bon et brave. chrétien, soucieux avant tout de l'ordre établi : plus de noblesse ? soit, l'Église. La Bible. Plus de Virgile, mais Bible et rebible. Ses phrases deviennent atroces. Il imite, cite, pastiche, recite et calque. Claudien, Virgile, Ovide. Mais désormis, la poésie n'est plus depuis longtemps qu'un jeu rhétorique, plaqué d'ornements. Érudition de pacotille et de “par cœur” ZOHAR SIDONIENSIS 41 (travaux d'Hercule à toutes les sauces), raccourcis éculés : de nos jours, nous aurions “Proust et sa madeleine”, “Montaigne et La Boétie, " Mozart et la fosse commune"- tout est faux. Flatteries familiales, Histoire rafistolées dans le sens des puissants. Légendes si ressassées que M. Loyen, traducteur, émet l'hypothèse que Rome se soit laissée mourir de lassitude. Incapable de se reforger un imaginaire nouveau. Chez notre poète, comme chez tous, le fond se trouve depuis longtemps dans l'état d'une serpillière desséchée ; ce fut la forme qui morfla : On cherche ce qu'il dit après qu'il a parlé – le fin du fin, ce sont les devinettes - "...je suis, je suis..." - Chevènement deviendrait “le latiniste de Grenoble”, José Bové “le McDocide aveyronnais”. Auditeurs alors de s'exclamer : “Quel talent, ce Sidoine !” - rien à voir avec le spleen de Baudelaire. Le poète véritable est donc celui qui transforme le texte en énigmes ( le « châtelain de Saché » pour désigner Balzac)… - nous pouvons nous extasier de toutes ces dernières étincelles d'une civilisation : la poésie n'est plus que références, clichés dont je déteste autant les abus contemporains (« cerise sur le gâteau » et autres «réponses du berger à la bergère »), que dans l'ntique. Et vaniteusement, nous avons l'audace de nous préférer aux soi-disant lettreux du jour d'aujourd'hui qui se refilent des polycops entre deux performances d'i-pods et ne veulent plus se faire chier à lire du Zola. Ici l'ordre des mots se disloque, les hellénismes foisonnent, les alambiquages dévalent en torrents imbuvables. Merveille mécanique cependant. Magnifiques résonances à haute voix, virgiliennes certes ou minutieusement guillochées, derniers accents du cygne déplumé. La littérature latine se survivra pendant dix siècles au sein des colonnades écroulées. Mais ceux qui qui lisent ne sont plus ceux qui parlent. Rappelons toutefois ce subtil gauchissement des accents toniques, dès la poésie la plus ancienne, ceux des mots ne coïncidant pas avec ceux des vers, si bien que le texte devait présenter un aspect vocal assez semblable à celui du rap d'aujourd'hui – viol ZOHAR SIDONIENSIS 42 aimable de Rome par Athènes et Alexandrie. Puis Sidoine disparut vers 480, tandis que Childéric Tournai(t) en rond - devinette ! - dans son repaire. ...Cette déesse Rome ainsi donc transvectée per aethra, par les éthers, vole depuis Virgile, depuis Lucain. Sidoine représente exactement la civilisation qui crève. 37 Il s'éteignit, épuisé, à 57 ans. Grands hommes, jeunes morts. Fût-on le premier littérateur de son temps, l'on n'en crevait pas moins à l'âge où tant de nous commencent à vivre. J'ai longtemps estimé de la plus sotte déchéance de choir dans le christianisme. Rien qui donne en vérité davantage envie de vomir que cette phrase ouvrant désormais la messe : « Pardonne-nous mon Dieu parce que nous sommes pécheurs » - n'est-il donc pas concevable de se présenter devant Lui tête haute ? la religion catholique me dégoûte, lorsqu’elle dégrade, d'emblée, la dignité de l'homme. Sidoine répudia Pline, Virgile et Cicéron, pour ne plus parler que Jérôme et Jérémie : tel fut soudain son vivier, déployant autant de psittacisme au service de Dieu que naguère à celui des Muses. Prose épiscopale plus détestable encore s'il se peut que ses vers. Il y règne plus que jamais, à pleins poumons, une affectation forcenée - pour le surpasser dans ce domaine il n'est qu'Augustin lui-même, qui jouit jusque à la nausée d'invoquer son statut de méprisable excrément… Sidoine Dieu merci n'aura pas coulé si bas dans les latrines du masochisme. Il nous répugne toutefois lorsqu'il recycle les plus basses adulations impériles auprès de saint Loup de Troyes, qui aurait dû l'expulser de l'Église avec pertes et fracas pour pur et simple foutage de gueule. Mais ce furent bel et bien les représentants de l’épiscopat qui incarnèrent, avec de Sidoine et à son pieux exemple, un patriotisme romain au sens religieux cette fois terme. En effet, Wisigoths et Burgondes s'identifiaient comme “ariens”. Les Francs comme “catholiques romains”. Clotilde, princesse burgonde non-conformiste, convertira Clovis ZOHAR SIDONIENSIS 43 au catholicisme. Sidoine, romanophile, mais Arverne, aussi, s'élèvera vigoureusement contre la livraison (le mot n'est pas trop fort) de son Auvergne aux Barbares d'Euric, souverain des Wisigoths. Mais aucun vers sur Majorien. R . 38 Certains de nos enseignants seront un jour nos moines. Les clercs, les instruits. En 475, un an avant la chute de Rome, l'empereur Julius Népos (pour lui pas de panégyrique) négocie donc la cession pure et simple de l'Auvergne, qui toujours résisté à la conquête, contre le retour à l'Empire d'Arles et de Marseille - comment mettre en balance le prestige de ces deux illustres cités avec l'obscure Arvernis, future Clermont… Sidoine, au-dessous de ces pavés mêmes où nous marchons, de ce lycée qui perpétue son nom, promena son mètre soixante, stimula le peuple du haut des remparts. X ...Pouvons-nous seulement imaginer une époque où la campagne grouillait, où les villes ne dépassaient pas cinq mille habitants ? 700 pour Clermont ! Les foules étaient-elles aussi denses qu'aujourd'hui ? L'insécurité régnait-elle à ce point ? Le message de l'Église ne brillait-il pas par son originalité, son utopisme généreux ? X Dans les “poèmes” de Sidoine, un fouillis d'ornements obscurcit l'Histoire, tonnes de lierre sur les ruines. Sidoine est le dernier flambeau de l'Antiquité avant les ténèbres bigotes. S'il est à peu près nul à notre goût, il constitue la source essentielle de ce temps-là : soubresauts d'un monde où Sidoine poursuit ses jeux de langue, pressentant que personne bientôt ne la parlerait plus. De nos jours le latin n'inspire plus que mépris et ZOHAR SIDONIENSIS 44 hilarité. Merci Jean-Charles, merci Jacques Brel. Nous aussi, aveugles, nez sur notre époque, balbutions en français nos derniers bavardages - à l'autre extrémité du temps. Le fils de Sidoine, son petit-fils, collaborèrent avec les barbares. Puis des moines transcrivirent ses textes. Une marée de moines sans cesse renouvelée. Puis toute une armée d'érudits, de Scaliger d'Agen mort en 1609 jusqu'au XIXe s. avec Mommsen (1817-1903), Willamowitz-Möllendorf son disciple. Nos aïeux portaient chaussettes et fixe-chaussettes. Les élitistes de Leipzig et de Colmar se saluaient bien bas, rasés jusqu'aux bourrelets de nuque et colletés de celluloïd. Même pendant nos conflits les plus barbares, les chercheurs s'affrontent en allemand comme en latin ; le monde est à feu et à sang, et de vieux égoïstes se transmettent les clés de la culture au-dessus des charniers, disséquant préciosités et conjectures syntaxiques. Frileux résistants. Éternels desséchés. Assis penchés loupes en main et sur le crâne, rongés de calvitie, de tics et de phlegmons contre les poêles enfumés, épelant leurs vers anapestiques et ravagés de vieilles voluptés ; tandis que le monde agonise, ce sont eux pourtant les passeurs de relais, tirant des puits du temps les textes invaincus de Cassiodore, Symmaque ou Sidoine au bout de leurs pincettes. Ils ont pour nom Sirmont, Thilo, Mohr et Luetjohann. On les insulte, Arthur leur pique le cul de vieux fétus. Ils puent du bec et baisent peu, mais leurs domestiques révèrent profondément Herr Doktor, sans remettre en cause la grandiose nécessité de leurs fariboles. Hommage éternel aux Teubner, aux Brakmann, aux pérennisateurs de la Prusse éternelle, garants des survies et des massacres. Honte et gloire éternelles, car au même titre que tous les moines qui des deux extrémités du monde, à l'abri, de Cork à Byzance, ou bien tombant sous les coups des Barbares, ils ont sauvé le Verbe, ici restituant une préposition, là telle désinence, telle concordance des temps ; ZOHAR SIDONIENSIS 45 aimantés par la lectio difficilior , la plus improbable, la plus difficile : quel vieux scribe médiéval en effet, épuisé de jeûnes et de vigiles, n'eût succombé à la graphie la plus commune, ou le « saut du même au même », sources d'inextricables incompréhensions. Ampleur des civilisations drapées dans l'agonie. Ne croyez pas, morveux contemporains, qu'il ait été réservé à notre siècle d'incarner tout le sel de la terre. Il ne restera rien de nos ministricules. En ces temps-là, comment les hommes voyaient-ils leurs courtes vies ? aimaient leurs enfants ? ligotaient les jambes des nourrissons pour les fortifier ? Nous avons sous les yeux l'ouvrage d'Anglade (j'y reviens), aux Éditions Horvath : tout y commence sur un chariot, medias in res ; l'auteur est plus habile que moi. Songez encore (du coq à l'âne...) aux épaisseurs d'Histoire : Octave Auguste était à la même distance des vivants que François Premier pour nous autres ; Constantin le Grand serait pour nous l'époque de Dreyfus. Au temps de la naissance de Sidoine, en 420 (mettons 1920) les Romains pouvaient encore se considérer comme éternels... Anglade, ce grand polygraphe contemporain, bagué d'une vaste chevalière en or sur le parvis de Sainte-Urcize et dédicaçant son Sidoine, répondit à ma question par une autre : comme je lui demandais si certains traits de son ouvrage n'avaient pas été tirés du Pseudo-Frédégaire (Sidoine en effet ne fut pas emprisonné à Llivia, mais à Capendu) - il me lorgna, soupçonneux : “Vous êtes historien ?” Pour faire court, j'ai prétendu que oui. 40 L'auteur adoptait le mode léger, primesautier ; or il n'est rien qui soit plus détestable à mon sens en écriture ; baguenauder sur cette femme enceinte empruntant des chemins escarpés sur son chariot (raeda), sa nombreuse suite et ce mari qui va et vient à cheval le long de la colonne, me semble du dernier bourgeois : moderne, épuré, jusque dans ces dessins au trait pour illustrer Sidoine, roi de l'entrelacs ! du talent certes, mais de feuilleton. Fadeur et tortillis. Il nous faut des personnages antiques, au maintien noble, ZOHAR SIDONIENSIS 46 aux propos compassés. Je conçois Corneille ; je conçois moins Sidoine, jeune, s'essuyant le front et les joues au sortir d'une partie de ballong cong à Bourg-sur-Gironde. L'auteur assurément restitue à merveille les paysages, les mœurs où vivent Sidoine et ses contemporains. ...Ce sont à vrai dire les papes qui ont repris le flambeau de l'empire romain. Et c'est Rome, et non pas Bruxelles – qui devrait être, et pour l'Éternité, capitale de l'Europe. Loyen, traducteur, décrit ailleurs avec justesse l'immense fatigue de cette civilisation à bout de souffle, toujours référée aux mêmes modèles, aux mêmes comparaisons essorées par les siècles. De toute part l'homme butait sur son passé. Et rien sur Majorien 41 Sidoine fut nommé préfet de l'annone, c'est-à-dire de l'approvisionnement à Rome. Il subit une émeute par manque de pain. “Notre préfet est bien gras ; il ne doit pas manquer de pain, lui.” Il y avait encore des gens qui se considéraient comme romains au sixième siècle. Ce qui me gêne dans une telle biographie, c'est l'absence totale de sentiments profonds, ou seulement mêlés. Sidoine réagit comme un être superficiel, gâté par la fortune. Comme on s'y attend. Jamais comme on ne s'y attend pas. Aucune tentation, par exemple, de suicide - non pas le suicide à l'antique, mais à la romantique : “Je ne sers à rien et personne ne m'aime”. Je ne pense pas que l'on ait pénétré si loin que cela dans l'âme de ces Antiques. Rien n'est plus profond en effet, ni plus angoissant, vous le savez, que les gens sans profondeur. Il y a ce qui fascine dans Sidoine, et ce qui ne fascine pas ; le fascinant, c'est ce siècle des invasions (d'abord, comme la nôtre, infiltration : comme une ZOHAR SIDONIENSIS 47 terre imbibée par-dessous) – et certes le Barbare ressort toujours vainqueur, dit l’Historiens ; après Quatorze vint Quarante, puis Giap, et l’Algerie – l’Occident crevant comme les hommes : assurément. Mais ils se battent. Certains. Jusqu'au bout. Les choses voyez-vous présentent de nos jours bien moins de netteté que par le passé : c'est, en particulier, qu'il n'y a pas d'exactions militaires. Tout est plus pernicieux – devant la soldatesque, ferions-nous plus bloc ? ... Les Romains eux aussi subirent leurs collabos, leurs résignés, leurs chantres du métissage enchanté (le métissage accompli abolira tout métissage sous une seule ressemblance... Nous ne périrons pas, assurément, mais nous serons transmis. Ce sont les Wisigoths eux-mêmes, les Burgondes, qui perpétuèrent le Droit Romain. Clovis se convertit au christianisme ; je n'entrevois personne aujourd’hui de sa trempe – outre qu'il massacra sa famille... Grâce à Dieu je ne vois que des épiciers cramponnés à leur calculette ; nous ne verrons pas la fin de l'histoire : fin de Moi difficile. Et toujours rien sur MAJORIEN 42 Sidoine en son temps demeure difficile à cerner, sorte d' éponge pathétique. Je ne puis l'estimer comme Cicéron-le-Mollasson. Comme toute cette Antiquité qui m'a plombé avant de me nourrir - nul ne peut plus me suivre - ou plutôt je ne puis plus suivre personne. Mais toujours fier d'avoir tiré ma substance de cette civilisation dite révolue, heureux pourtant qu'elle se soit effondrée - Sidoine, gendre d'empereur ! s'est-il montré ébloui par sa promotion ? Il ne le semble pas ; il faisait déjà partie de la plus haute noblesse gauloise – je n'ai rien de commun avec ce bouffon friqué. ZOHAR SIDONIENSIS 48 Encore un grief à son égard : d'avoir bafoué son talent, si frelaté soit-il, en des contorsions de cureton. D'avoir prêté sa voix aux niaiseries, à cette religion de fous, à ces répugnants lamentos de bénitiers. L'effondrement d'un empire. Valentinien III faisant assassiner son meilleur général pour des histoires de cul. Passage du Danube par les Goths (376) en pleine fonte des glaces ; des souverains fous, une reine : Galla Placidia. Raconter tant de campagnes malheureuses ; évoquer Rome-Musée, ou Ravenne au milieu des marais, nouvelle capitale ; des ordres lancés par la reine, des chuchotements sous les voûtes. Enfin des fastes, en vers grecs et latins d'une langue qu'on ne parle plus. X Nous serions infiniment tenté par un vibrant parallèle entre la Chute de l'Empire (Decline and Fall of the Roman Empire) et notre petite époque. Mais toutes les époques se sont crues à bout de souffle, au moment où la vague se brise. Lisez la magistrale introduction du Temps des Cathédrales, par Georges Duby ; souhaitons qu'un jour lointain, d'autres érudits encore à naître restituent aux fourmis futures le monde que nous avons été. 43 Trois points de ressemblance cependant : LA DÉLIQUESCENCE. Tout se liquéfie. Toutes les sanies fuient dans le cercueil - n'y avait-il donc pas de chrétiens virils ? Immense foi, multiplication des sectes et prêcheurs ? Moins de violences peut-être que plus tard. Les citoyens du Bas-Empire adoraient les braves barbares purs, comme nous autres les intégristes ou autres surdiplômés entassés sur des rafiots. De même au Ve siècle juste d'autres fuyards, passant le Danube gelé sur leurs chariots, les Huns au cul... Les Ostrogoths, ulcérés de tout ce "manque de considération", de racisme et de rejet, se sont ZOHAR SIDONIENSIS 49 révoltés, ont pris les armes – avons-nous mérité nos attentats ? Ravages de la bonne conscience, amour hypercompassionnel des pauvres. Refus de ce militarisme qui fit la grandeur de Rome. Débats faussés, affrontements stériles (« Les anciens dieux nous punissent ! ») dont la funeste conséquence est que nul ne peut plus émettre quelque opinion que ce soit sans aussitôt récolter sa diamétrale contradiction. Le drame de notre époque, c'est que la sottise s'est mise à penser (Cocteau) : c'est pas moi c'est l'autre. Dérisoire pugilat des pessimistes contre les flagorneurs. Pleureuses contre bénis de la crèche s'acharnant à démontrer par ax+b que rien ne fut jamais aussi digne d'enthousiasme que le temps présent. Mais ce qui est constant, de toutes les époques, c'est la permanence virulente de la plus crasseuse ignorance... R. 44 V, 89-107 ...Refouillons du groin le texte au vers 84, lorsqu’un sanglier homérique vient s’encastrer dans la déclamation de l’Afrique : c’est le gibier par excellence, celui de l’épieu, qui permet le mieux la démonstration de force physique. Plus tard, le cerf, élancé, christique, détrônera ce monstre velu, bien digne ici de symboliser l’immonde Genséric, retranché dans sa bauge : avec ses boutoirs blancs, son visage sombre. Morceau de bravoure inévitable. Dieu sait de quelle chaîne d’imitations il est issu, de quel pont-aux-ânes. Rien ne manque : la meute des Romains qui aboient en remuant la queue, qui le débusquent pour « se battre dans la plaine », tandis que la bête se gonfle d’orgueil superbit, mais dans ses buissons, le lâche ! Et hardiment, le traducteur se fend d’un « taïaut » pour nous rendre le « heia » de toutes les langues. Répondit l’écho. Les chiens se sont raffermis à la voix de leur maître Majorien, et tout est rentré dans l’ordre. Disciple e Apollinaire Ducobut, vous avez bien passé votre épreuve. Quant aux universitaires, ils ZOHAR SIDONIENSIS 50 n’ont pas manqué d’en faire tout un répertoire statistique. «  ..."alors la rage aveugle dédaigne de sentir les blessures..." - « poursuite »: ce mot désigne aussi le projecteur suivant sur scène l'acteur dans son faisceau. Voici donc Majorien : "pourquoi remettre les combats ? ...toi que si souvent le ciel même aide à triompher?" Reprends des forces, Majorien, dirige tes armées, repousse les avis contraires et les Vandales rive sud - quid maré formidas, « pourquoi crains-tu la mer ? » - accorde-toi l'estime qu'on te dispute. "Bien plus, ne possèdes-tu pas à présent », Rome, « un empereur éminent" – tibi princeps (...) eximius "dont les siècles prophétiques proclament qu'il viendra pour la destruction de la Libye" : tu débarqueras sur le Rivage des Syrtes et repousseras le Vandale ainsi que les tribus du désert, en cet isthme si mince du monde romain. ("Cette déclaration qui étonne dans la bouche de l' Afrique s'explique par le désir de Sidoine d'enchâsser dans son vers une célèbre expression virgilienne (Enéide, I, 22) – et qui, le troisième, recevra de moi son nom ? Scipion l'Africain vainquit Hannibal à Zama (202), le Second détruisit Carthage (146). Majorien sera le troisième «Africain » (on prenait en surnom le peuple des vaincus) - il aura tant œuvré, tant laboré, qu'il recevra nécessairement son dû, des mains mêmes du destin (Bélisaire, en 535, réalisera la prophétie, 80 ans plus tard, ous l’empereur Justinien ). Sidoine recourt aux vieilles recettes (moyennant finances et - honneurs, "au pluriel, au pluriel !") : il embouche la trompette de rigueur : nobles origines, exploits militaires (chaudron de noces barbares en pleins champ glorieusement renversé), espoirs fondés sur cette nouvelle paire de biceps – en vain, bis. Majorien, jalousé, finira empoisonné par le funeste Ricimer. ZOHAR SIDONIENSIS 51 "Voilà, Majorien, la récompense que le destin doit à tes travaux" – debent hoc fata labori. Aide-toi, le ciel t'aidera. C'est écrit, mais tu l'as fait quand même. "Pourquoi je désire le voir s'embarquer sur la flotte, entrer dans mes ports (pauvres bêtes), pénétreras dans ma Ville » Carthage : ainsi s'affronteront nos deux vestiges - voir Carthage et mourir - « je vais, si tu permets, le dire brièvement, com-pen-di-eusement, dans l'ordre des évènements." Croisons les jambes sur nos sièges, aiguisons nos oreilles et notre entendement. Il y aura des plaies et des bosses, des chasses glorieuses, de hauts exploits sous de grands chefs, et quelque illustre commandement précurseur de celui-ci : chef des mercenires au service de Rome complètement pourrie. Pourquoi le souffle de Majorien gonfle-t-il ainsi sa cuirasse ? drapant dans sa ruine les lambeaux de sa pourpre autour de ses pieds plats. Remontons donc jusqu'au "grand-père de Majorien" : "On rapporte que son grand-père gouverna l'Illyricum » étonnons-nous toujours de cette faculté de franchir tant d'escarpements albanais, correspondant à l’Albanie « et les marches du Danube. Passées les flagorneries viennent les exploits, les "enfances", à la tête de l'armée de métèques dite "romaine". On raconte, fertur, V 107 les prouesses du grand-père : il s’empare de la forteresse d'Acincus : c'était Alt-Ofen,"connu par sa célèbre fabrique d'armes”. Ce fameux aïeul dirigea en effet l'Illyricum : vaste territoire, à l’écart des circulations contemporaines. Ces antiques tardifs se vantaient de leurs si récents ancêtres, palmiers de bien plates racines. 45/46, VERS N° 107/115 L'Illyrie, la Pannonie sont de rudes contrées souvent infertiles, balayées par les queues des chevaux. Des ordres retentirent, les chevaux hennirent, et les éphémères humains s'empressèrent de s’affronter. Quelques clampins empanachés firent cortège vers Constantinople, côte après côte, sous le soleil et les averses. "On trouve consigné dans les fastes romains les actes de ce général, ses campagnes contre les habitants de la Scythie" – les Goths ? - "quand ses armées foulèrent l'Hypanis" – "l'Hypanis", c’est le Bug. Exotisme et géographie. ...Théodose, à l'époque où il prit à Sirmium le titre d'Auguste, eut un Majorien, grand-père de l’empereur, comme maître des deux milices, au moment de partir pour les régions orientales de l'Empire." Théodose, dernier empereur des deux moitiés à la fois de l'Empire. l'empereur Théodose, eut la brillante idée de séparer en deux l'empire de Rome, et l'autre non moins brillante de massacrer le peuple de Milan à poil dans une arène, se trouvait donc à Sirmium en Serbie, alors exempte de Slaves. Il prit le titre d'Auguste. "On trouve consignés dans les fastes romains les actes de ce général" - "les fastes" ("romains » n'est pas dans le texte, mais nous devons toujours, nous autres barbares, nous faire préciser les choses) étaient les jours porte-chance, où se déroulaient les victoires de Rome. On y trouve combien de fois on a levé les trompettes contre "les habitants de la Scythie", V, 115. Puis nous reprenons pied dans le dérisoire,- "et que le vivandier lui-même, saluant les frimas" – salut, frimas ! comment va ? - "se rit en son cœur... des glaces de Peukè" L’Hypanis, mais c'est un fleuve ! Si les armées le foulent, c'est qu'il est gelé ! Ô exploit ! Si le vivandier l'entame, c'est pour le faire fondre, qu'on puisse enfin boire, par Hercule ! Et ces touchants points de suspension, ne sont-ils pas là pour amener un bon jeu de mots ? .Peukè - n'est-ce pas là cette île au large du delta danubien, où il faisait bien froid dans la glace, "'mais pas tant toutefois qu'ici" ! Il n’y pas ici de plaisanterie. Juste le rappel du froid et du chaud, que tout général se doit de supporter sans broncher. Cliché antique… de rigueur. (V, 114 – 115) 47 V, 116-125 "Le père du souverain actuel fut le gendre, socerum, du précédent". C'était "un homme de valeur", comment pourrait-il en être autrement, « qui se contenta toujours d'une seule charge éminente", militaire s'entend, afin de suivre son seul ami". Le père de Majorienest républicain, c’est-à-dire attaché à la "chose publique". Honnête et droit, fût-ce dans "les circonstances douteuses" ou "les mauvais jours" - ainsi, pas de dilemme. Il refusa toute promotion, car on lui présenta les faisceaux, oblatis fascibus. Ce fut même la cour qui les lui offrit, « pour l'arracher à son cher Aétius," Mais il resta fidèle. Et c'est ainsi que croissait son prestige. V, 120. Nous n'avons plus ce sens de l'amitié. Cet ami, c'était Aétius : "sa fidélité, insensible au prix, (pretio non capta) n'en devenait que plus précieuse". Le père de Majorien rappellerait Caton, chacun pouvait lire dans son patrimoine, et même, "gardait tant de modération que le bruit courait qu'il épargnait déjà les biens de son fils" : Latin, paysan, radin, tout en "administrant" les biens publics "en toute souveraineté". "Il était ce que fut autrefois le questeur pour les consuls" : celui qui distribue le pécuniaire aux troupes. À l'origine en effet, le consul était suivi par son questeur : celui qui distribuait la solde. Cette fonction était alors totalement dévoyée ; les questeurs étaient remplacés par des personnes plus versées en comptabilité. Lui cependant, traitait les deniers publics en fonction de sa loi morale particulière ou plus précisément "en toute souveraineté". Pourtant nous ne connaissons "ni le nom ni les fonctions exactes du père de Majorien" Mais avoir un père honnête était un bon point : major honoratis : deux mots pour le latin, 7 pour le français – "plus grand que ceux qui recevaient des honneurs" (Péguy opposera l'honneur aux honneurs ("au pluriel, au pluriel !") - or Aétius, général de Majorien Junior, devait se faire trucider sur ordre de l'empereur Valentinien III lui-même – ...ô vieux livres effrangés, affectionnés, que nous avions coutume de railler dans les mains de nos vieux maîtres... V, 116-125. 48 V, 126-132 Mais voici qu'intervient la femme d'Aétius. Les clichés se bousculent : une sorcière se déchaîne - pire, une Gothe, qui boit et qui pue l'oignon. Elle reproche à son époux de laisser l’empereur, Valentinien, favoriser Majorien, au détriment de leur détritus de fils : "Mais par malheur, l'épouse du général, jalouse déjà, s'était aperçue que la réputation du jeune homme – Majorien - grandissait" Envahie par la bile » - au moins ! - « elle avait distillé en son cœur de barbare (per barbara corda) un poison intérieur" – femme et barbare : rien à tirer de cette engeance-là. "Aussitôt elle scrute tous les courroux du ciel, convoque les ombres et les constellations, bien au-dessus du foie de crapaud bouilli et autres minuties. ...Pélagie, princesse wisigothe, examine donc des "fibres" entendez les entrailles sacrées, afin de ravir aux dieux leurs secrets, par tous les moyens. L'ensemble des combinaisons chiffratoires (l'interprétation du traducteur me semble un peu forcée : la science (des nombres) aurait amplement suffi). V, 130 Et voici enfin la Médée de carton-pâte ; découpant par morceaux son petit frère qu'elle jette derrière le char de son ravisseur, afin que son père, qui ramasse les débris, ne la rattrape plus. V, 126-132 49 "Telle la Colchidienne : Médée se conforme à son cliché : Sidoine substitue aux connaissances absentes un beau vide rabâché : "Elle parcourt l'astrologie, méditant sur les nombres, science suprême, garante de l'équilibre des astres au-dessus de nos têtes «  - car la mathématique règne dans les cieux. Poussière d'étoiles que nous sommes, pourquoi échapperions-nous aux lois d'attirance et de répulsion, fondées sur les mêmes équations ? - « ...interroge les morts, scrute les éclairs, se réjouissant d'avoir ravi à Dieu son secret par tous les moyens" 132 – que tout cela serait palpitant si nous n'avions cent fois lu ces affres de la divination ; l'homme d'alors adore les femmes investies de pouvoirs interdits… « Sur la poupe du vaisseau pélasge, elle se tenait farouche à côté de son mari terrifié" – Jason et Médée jamais ne furent mariés – voyez comme les Romains respectent les terrifiantes criminelles, endurcies, près de Jason simple vainqueur de taureaux : voulant s'adjoindre les secours de la magie, dont il a déjà si souvent profité, le voici inféodé aux puissances vaginales. Le père de Médée qui la pourchasse enterre à mesure les tronçons de son propre fils avec les honneurs qui lui sont dus : interminables rituels pour un bras, pour une jambe - , sans rattraper jamais la meurtrière, prête "à commettre un crime plus impie que l’ assassinat de son frère : combattre avec son cadavre et employer comme traits (tela) les membres fraternels" jetés par morceaux d'un char au grand galop comme autant de cailloux d’un macabre Petit Poucet - "employant comme des projectiles les membres de son frère », à partir du port de Tomis (« La Découpe"...) En ce temps-là, reprendre une histoire cent fois racontée s’estimait à la mesure de l’originalité de son nouvel auteur ; Apollonios de Rhodes, conservateur de la bibliothèque d’Alexandrie, écrivit ses Argonautiques (traduction par de la Ville de Mirmont) où figure l’amour de Jason et Médée, parce qu’il était presque impossible, plus de 700 ans auparavant déjà, de ressusciter l’attention du lecteur… Notre temps s’oppose décidément bien fort aux critères antiques… Pour l’instant Jason, "mari" par les faits, se voit terrorisé par sa complice. 50 vv. V 136-139 T'abaisserais-tu, homme indigne, à cette femme ? ...Elle tuera plus tard les enfants qu’elle aura eus de Jason, et tel sera le crime plus impie que la mort de son frère assassiné - Jason se jettera dans le feu. Aucune allusion, devant une assistance chrétienne, aux anathèmes jetés par l’Église contre la Magie. L'épouse d'Aétius se voit donc assimilée à Médée la Magicienne... Au moins la Bible nous épargne-t-elle (dans son message de profonde humanité...) le détail des coups portés par Caïn. Ici, un frère découpé, le père pleurant les débris de son fils et les faisant incinérer l’un après l’autre ! Mais Sidoine opère un retour en arrière : "Telle encore le jour où elle étouffa le feu lancé par les taureaux (ignem taurorum),136-137 bien qu'elle fût elle-même plus brûlante" : il nous manque ici, passés les ridicules balancés en pleine face, les parallèles de nos puissants anthropologues - « elle enveloppa de flammes gelées le héros tremblant et celui-ci, dit-on, grâce au philtre protecteur grelottait au milieu des bêtes embrasées". Cet épisode émerveille à dix ans, lorsque l’enfant découvre, dans les Contes et légendes tirés de l'Antiquité, ces récits improbables. Le poète ne lésine pas sur les moyens : flammes brûlantes devenues glacées, tandis que le héros, ridicule, tremblote. C'est un jouet, ce Jason. Quelle mouche l'a donc piqué d’aller ainsi subtiliser la toison d'or ?" Flammes gelées" qui laissent froid, sans autre écho que le cliquetis fatigué des mots. 51 V, 140- 146 Retour à la femme d’Aétius "Donc, quand la femme d'Aétius, depuis longtemps impuissante à se maîtriser, eut appris que l'empire de Rome,, et pour longtemps, était destiné à Majorien, à "ce type" (isti) dit le latin, elle pénétra, les bras déchirés, dans la chambre de son époux et laissa éclater sa fureur en ces termes" - le traducteur prend ici quelques libertés, rajoute "la femme d'Aétius", que nous avions oubliée. La femme «laisse éclater sa fureur en ces termes" – faut-il que le débat en soit tombé là ? Le public masculin sourit : il y a bien longtemps que les hommes commandent. Le Christ a remis les femmes à leur place. Ce général n'est qu'un pleutre à l'ancienne, qui ne mérite que le plus plat mépris. Naguère encore la femme excitait le mari à bander socialement, "c'est toi l'homme, et moi, ta femme, j'ai l'air de me soumettre à un mollasson ». Ici de même, nous lisons, sans la moindre pointe d’humour : "Sans soucis, tu reposes (tu gis), "oublieux des tiens, fainéant, et Majorien sera le souverain du monde" – enfin, ce qu'il en reste – "(ainsi l'exigent les destins)". Ô démesure de l'hystérie ! ô exaspération ! d’une femme, incapable ou empêchée d’atteindre le premier rang, surtout en matière politique ou militaire, s’en prend à son mari ! « Majorien sera maître du monde, mundo princeps Maiorianus erit, "les astres le proclament dans leurs constellations ! » - pitoyable Aétius, qui sera poignardé sur ordre de Valentinien III (21-9-454) (Majorien le suivra moins de sept ans plus tard). 52 ...Pour inverser l’inexorable Destin, il ne faut rien de moins que les rites magiques les plus effrénées - ces destinées de Majorien, qu'il s'agit de connaître à l'avance, "les hommes les réclament dans leurs vœux » - et Pélagie, princesse gothique hystérique, de s’interrompre : «Pourquoi invoquer les astres, quand l'amour lui a fait un destin plus beau ? " L'amour des peuples. Vox populi, vox Dei. Le peuple, si flagorné aujourd'hui, ne possédait en ce temps nulle préoccupation politique. Peu lui importait qui le gouvernait, pourvu qu'il pût vivre en paix, C'est pourquoi l'histoire des populations et de leurs mœurs, pour passionnantes qu'elles soient, ne doit pas se substituer à celle de la succession des princes et des héritages territoriaux. L'éditeur peut à présent se fendre d'un sous-titre en marge, Les éminentes qualités de Majorien, dernier guerrier de Rome, venu trop tard, tué trop tôt : Loyen, ignoré d'Anglade, l'affirme et le plante comme un jalon. Attendons-nous aux lieux communs obligatoires : glorieux ancêtres, éducation spartiate, premiers succès (les « enfances ») : "Bien qu'adolescent, il ne se montre jamais avide de posséder : il est au contraire modéré dans ses désirs" – parcus : économe, comme son père, sans doute haut fonctionnaire. Je ne suis plus qu'un vieux qui a des manies. 149 - 151 ZOHAR SIDONIENSIS 59 Les qualités attribuées par Sidoine restent d'un païen. Les déliquescences ecclésiastiques de notre futur évêque se compensent ici à l’avance, pour ainsi dire, par une absence totale d'allusions à Dieu ou à l'Évangile. L'empereur, chrétien pourtant, n'incarne pas les valeurs chrétiennes. Son christianisme n'est qu'un badigeon. Plus tard Sidoine s’y engluera. L’enfance du Prince, ici évoquée, la pueritia, dure jusqu’à 17 ans. Ardente, juvénile encore, capricieuse dès qu'elle voit un autre en possession de ce qu’elle n'a pas. Mais chez le jeune Majorien, qui "pauvre encore, distribue déjà des richesses", il s'agit du manque de cupidité personnelle, qualité chrétienne héritée en droite ligne du stoïcisme antique, honnêteté fortement unie chez lui au désir de reconquête : "il ne se contente pas de conseiller de grandes entreprises, il s'y attache" – le mot "grandes" n'est pas dans le texte, le traducteur fait ce qu’il peut. Le chrétien stoïcien Majorien, sans que le Christ soit mentionné, distribue ses biens et ne désirera pas le commandement pour les avantages matériels qu'on en peut tirer : bonnes payes, beaux vases et blondes avenantes : la largesse, largitio, sera encore appréciée, au Moyen Âge. "Tout ce qu'il médite est haut, il accélère ce qu'il espère" : "Toutes ses pensées sont élevées – totum quod cogitat altum est - mais volonté, d'un bloc. D'une pièce, comme il convient à l'instrument du destin. Pas d'atermoiements. Mais ne nous leurrons pas : flatter Majorien, c'est pour l'instant flatter son complice et ami Ricimer, tous deux naguère sous le commandement d'Aétius ; puis avec Majorien, il a donc renversé Avitus. Mais voici le drame : la gloire personnelle prend le pas sur la patrie : « Ricimer liquide les successeurs sitôt qu'ils prennent la moindre supériorité. " V, 149 – 151, 66 09 09 54 ZOHAR SIDONIENSIS 60 V, 151 / 159 Nous poursuivons pour l'instant comme suit : V, 151. : Ludum si forte retexam, « faut-il à nouveau décrire ses jeux ? » Le traducteur introduit ici un mouvement factice absent de la phrase latine, mais correspondant bien au caractère rebattu d'une telle prétérition : il est de coutume en effet, ô combien, de relater les exploits d'une jeunesse nécessairement guerrière et sportive, depuis Héraklès ou Achille, jusqu’à l’empereur Majorien évidemment. Sidoine Apollinaire se lance alors dans un sinueux rappel mythologique, sous forme d'énigme, Sans doute nous étalera-t-il des records de javelot ou d'exploits cynégétiques : « Une seule de ses journées a surclassé tous les exploits que l'on prête à ton javelot ». Ainsi des « enfances », plus tard, de Roland, Gargantua, et autres. Notre empereur de Rome se lance donc dans l'archerie : « Trois flèches lui ont suffi pour faire trembler devant lui un serpent, un cerff, un sanglier » Ce double « f » pour indiquer aux cuistres que les deux prononciations coexistent. Ces trois animaux renvoient sans doute à quelque allégorie symbolique : faudra-t-il dépouiller le Dictionnaire des symboles de Gheerbrandt ? « Moins habile à balancer ses traits contre l'ennemi fut celui... » - début de l'énigme. Il s'agit d'Alcon, sur lequel se déchaîneront tous les calembouristes. Plus fort que Guillaume Tell le Fictif. Il éprouva "plus" de crainte "que" l'enfant : serpentis corpore cincto. « voyant son fils enlacé par un serpent, il éprouva plus de crainte que l'enfant, quand il courut à son secours, jusqu'au moment où, du même coup, il donna le trépas et la vie, » 155/157( une platitude traînait sur le bas-côté, Sidoine n'a pas manqué de la ramasser) «tenant ferme sa main, malgré son cœur tremblant » (et de deux).« Son inquiétude, » « mêlée d'un espoir ZOHAR SIDONIENSIS 61 grandissant, l'avait poussé à déployer toute sa science, pour ne donner la mort qu'à un seul des deux êtres dont les corps étaient confondus » - le serpent et l’enfant - exploit ne pouvant guère concerner que des hybrides mythologiques. C’est donc à juste titre que Sidoine écrit "tout ce que l'on peut faire en un jour avec des traits" (flèches, javelots), "une seule de ses journées l'accomplit" ; Majorien, champion du tir au serpent, ne pourra que desserrer les anneaux asphyxiants du Vandale. 55 V 160 / 164 Toutes les enfances de chefs se ressemblent. Nous les lisons pourtant, impatients de surprendre le point précis où bifurque la destinée. Parfois le biographe manque de documents précis. Nul doute, par conséquent, que le jeune Majorien n'excelle au coup de poing ganté de plomb : « Eryx le Sicilien (le Cerdan de l'époque) s'efface » devant lui (or le ceste était interdit depuis cinq siècles) – et « Sparte ne vit pas fleurir pareille science aux temps où l'athlète frotté d'huile » (ils l'étaient tous) du gymnase de Thérapné terrassa Amycus sur les sables des Bébryces » - que de belles syllabes - Pollux casse la gueule à l'athlète Amycus en provoquant son admiration ». V, 160 Attendons-nous donc, passé l'obligatoire boniment de foire, au reportage sportif de rigueur, gueule en sang et que le meilleur gagne. Les dirigeants furent-ils tous ainsi frottés de l’ail des cogneurs, tandis que de puérils ludions lyriques leur léchaient les orteils ? - "Quelle vigueur dans les jarrets !" - dans les pieds, traducteur, in pedibus !  - ou si l’on y tient le jeu de jambes des pugilistes. ZOHAR SIDONIENSIS 62 Sidoine en effet ne sait rien. Il meuble. Il antiquise, il imite les imitations -à présent c'est d'Euryale qu'il s'agit, n'y eut-il donc pas un athlète depuis Virgile, fallait-il sans cesse recourir aux anciens ? Oui. 56 V 166 176 Voici "le fils d'Atalante", championne de course, dont Sidoine rappelle l'exploit cent fois ressassé : « elle parcourut d'un pied superbe » (je préfère « d'un pied léger, parce que cela se dit LÉVI PÉDÉ , ce qui nous vaudrait à présent deux procès) « l’aride forêt de Némée »("lui dont la mère, volant sur la poussière d'Étolie, avait fait frémir Hippomène", assez ! assez ! – pour "la jeune athlète" (virago, dit le texte) cuisses au vent, « qui s’élance, légère, sous les yeux du public frémissant" – pitié ! pitié ! « effleurant à peine le sol du bout de son pied ». ...Souvenirs de mes dix ans, quand les parents offraient à leurs enfants Contes et légendes tirées de la mythologie, au lieu de les gaver de tablettes ! - hélas, nous seront encore infligés les épisodes de ce conte, sans en omettre un seul détail - rien de vivant dans ce spectaculaire sidonien, rien où vienne battre le sang - les auditeurs après tout s'attendaient à de tels verbiages - notre Hippomène, "se retournant tout pâle, vit qu'il n'avait derrière lui que la moitié du chemin", medium campum, "et que la distance était encore longue jusqu'au but"- tout est rebattu. Les latinistes apprécieront en revanche la langue d’origine, bien plus épineuse, impossible à rendre sans virtuosité : . « Pressus », « serré de près par le souffle tout proche, flatuque propinquo, ici la fin du vers correspondant à la suspension de souffle, il courait maintenant plein d'angoisse dans l'ombre de son adversaire, lorsqu'au détour de la borne, ZOHAR SIDONIENSIS 63 au moment d'être dépassé, il brisa son élan en jetant par trois fois une pomme » - la belle se baisse ramasse les fruits d'or, perd la course. V, 168-176. Jusqu’alors Hippomène courait dans l'ombre de son adversaire" – celle qui le fera tuer - sous la menace immédiate - l'espoir rebondit - trois pommes d'or lâchées sur la piste, préparées, dans sa large ceinture. V, 166/176 Insertion 57 LOYEN « SIDOINE APOLLINAIRE ET L'ESPRIT PRÉCIEUX EN GAULE » Sidoine Apollinaire et l'esprit précieux en Gaule  nous parvint de l'étranger dans un état lamentable. C'est un fascicule des Belles-Lettres, « série de guerre » (1943). ...car aujourd'hui, comme toujours, l'Empire s'écroule. Les grands propriétaires s'en foutent, et les poétaillons entassent leurs vétilles. en rivalisant de flagorneries. N'attendre aucune sincérité. lettre II, 10, 1 La poésie n'est plus qu'un bric-à-brac de références, un ressas sement exténué de vieux mythes. Descriptions coruscantes, écho épistolaires de chants de mariniers. Ou bien petits jeux versiculés sans conséquence. Ils s’entrecongratulent en louanges dithyrambiques : le collègue surpassait Virgile et Homère, et s'il s'était mêlé d'écrire de l'histoire, c'est bien alors que Tacite en serait demeuré... tacite, jeu de mots ! Virgile, qui n'a su composer – le pauvre ! - qu'en ZOHAR SIDONIENSIS 64 hexamètres dactyliques, n'était qu'un amateur. La moindre des politesses en revanche exige que l’on dénigre ses propres productions, « bagatelles » ou « jappements de chiots » ; et lorsqu'en toute modestie, en toute verecundia, l'on a reçu sa brouettée de compliments, il est du dernier chic de se récrier : « Il ne fallait pas ! » Aussi chercherions-nous en vain une once de sincérité. Dans l'effondrement de l'Empire, il est sidérant de voir ce ramassis de singes savants rivaliser de contorsions tandis que s'affrontent les armées de Barbares : « et les poétaillons entassent leurs vétilles ». 58 Les plumitifs latins illustrent cette décadence, en pratiquant leurs petits jeux versifiés - Sidoine pourtant, dans ses vers, livre parfois des renseignements précieux, au bon sens du terme. Il adopte la seule attitude possible pour un aristocrate : afficher ses convictions chrétiennes (rappelons que les Barbares sont déjà christianisés, sans croire toutefois à la divinité de Jésus), puis accéder à l’épiscopat. Meilleur moyen, au début, de maintenir son rang social. C'est alors chez Sidoine un déferlement de mauvais goût dans ses écrits, où toutes les figures bibliques dansent un gélatineux sabbat promiscuité par tout l'Olympe. Les fausses modesties d'artiste laissent place aux pires clichés masochistes de repentir et d'adulation, dont le très diarrhéique Augustin avait déjà fourni le répugnant modèle. Et ce sont les textes de Sidoine qui transmirent à travers siècles, jusqu'à Chateaubriand, jusqu'à un Huysmans, leur propre potentiel d'admiration. Juste après Sidoine, les textes administratifs eux-mêmes de Clovis se vautrent dans le galimatias, où le choix des mots se trouve systématiquement le plus opposé à leur sens premier, tandis que le peuple, qui ne lit plus, qui n'écrit plus, comme tous les peuples de toutes les époques, sombre dans la langue la plus abâtardie. Pourtant nous avons sur le tard adoré, de Sidoine, ces coruscations, ces heurts de syllabes, ces beaux balancements ; jamais ne me lasse de rappeler sur mes lèvres les éclats de ces vieilles orfèvreries syntaxiques... ZOHAR SIDONIENSIS 65 59 Pour le reste, jungle et salmigondis de références et de clichés. Les philosophes ne sont plus connus que par un bon mot ou un tic, ne sont plus abordés que par l'intermédiaire de résumés ; les descriptions abondent, surchargées de couleurs rose et or, les femmes de la mythologie ressemblent avant l'heure à des sapins de Noël, on n'a plus rien à se dire et les Latins se sont épuisés à ressasser Orphée, Médée, Scipion vainqueur d'Hannibal et autres passages du Rhin par César. La poésie précieuse est devenue un embrouillamini de métaphores filées comme des perles, un condensé de tout ce que le goût peut produire de plus boursouflé. « Il offre à son lecteur » poursuit Loyen André « un décor de féerie – non sans le ramener sur terre par l'évocation réaliste des bruits de la route et du fleuve : entre lesquels s'élève l'édifice : «Des incrustations de marbre aux reflets variés courent sur la voûte, » - tougoudoup, tougoudoup, « tracent leurs dessins chatoyants sur les vitraux d'émeraude – on ronfle. Sur la façade s'appuie le triple portique d'un atrium, fier – fier, il est fier le portique - de son marbre d'Aquitaine (…) « D'un côté, c'est le bruit de la route, de l'autre, le vacarme de la Saône – le vacarme de la Saône ! - [où] le chœur des bateliers lève vers le Christ » ça faisait longtemps « son refrain de marinier, tandis que les rives lui répondent alléluia » - répondit l'écho  - c'en est au point où même la note 11 fait figure de ZOHAR SIDONIENSIS 66 halte reposoir : « (...) Il s'agit de la cathédrale Saint-Jean, à Lyon, où des fouilles récentes ont fait retrouver sous le chœur les restes d'une église gallo-romaine. » Sur le plan de l'église, Sidoine constitue un témoignage valable du point de vue archéologique. Il s'agit aussi d'inscriptions chargées d'orner les plaques, objets, bibelots. De façon astucieuse, « on trouve chez [Sidoine] des inscriptions destinées à accueillir le visiteur à l'entrée de la piscine ou des bains d'Avitacus, » - aujourd'hui Aydat, dans le Puy-de-Dôme, « des invitations à dîner, des billets accompagnant un cadeau » - Aydat consciencieusement défigurée par les pavillons de week-ends... 60 « Toutes ces petites choses » convient le commentateur « tirent leur valeur de la manière parfois exquise avec laquelle un sentiment vrai est mis en relief, ou encore d'une pointe finale, d'un jeu de mots plaisant, d'une malice gentiment amenée : « La nuit dernière a attaché quatre poissons à mes hameçons ; j'en ai gardé deux, accepte les deux autres/ Ceux que je t'envoie sont les plus gros et rien n'est plus naturel : n'as-tu pas la plus grande part de mon cœur ? »…... Ou encore : « C. XXI » Viens avec ta femme, hâtez-vous tous les deux, mais l'an prochain... vous viendrez trois : c'est mon vœu. » - atterrant. « L'œuvre de Sidoine », poursuit le courageux Loyen, « n'offre qu'un exemple d'épigramme galante : cette éclipse du genre est révélatrice de la situation faite à la femme dans la société du Ve siècle. » ; voici donc une vision plus galante : Bienheureux le métal qu'enferme l'éclat du métal et (caressant) la bouche de votre Majesté, plus éclatante encore, car lorsque Elle daigne y plonger les lèvres, c'est son visage qui communique à l'argent sa pureté » - le français ne rend que très imparfaitement la magnificence de ce rond-de-jambe ; nous avons apporté quelques adoucissements euphoniques à la traduction. Euric avait assassiné son frère pour parvenir au trône, et occupait l'Auvergne: excellente occasion pour glorifier son épouse Ragnahilde. Pas très regardant, Sidoine… Ailleurs, « le déséquilibre initial entre le sujet traité : un incident de la vie quotidienne et l'étendue du poème (...) est masqué (du moins on s'y efforce) par le développement de brillants lieux communs 61 Le chapitre IV se poursuit comme ceci : « On peut regretter que Sidoine n'ait pas limité son activité poétique à ces jolis bibelots. Il se trouvait, hélas ! à l'étroit dans le cadre resserré de l' « épigramme ». Sa faconde naturelle, le goût de son époque l'entraînaient vers les développements plus amples et son ambition vers la « grande poésie ». » Notre commentateur a de l'humour, non dépourvu d'une certaine tendresse : « Si l'on reprochait à mon poème dit Sidoine d'être trop long et de dépasser les limites de « l'épigramme », on prouverait clairement par là qu'on n'a lu ni les Bains d'Etruscus, ni l' Hercule de Sorrente (...) ni aucune des Sylvettes de Stace, mon préféré - mis à part que Sidoine est à Stace ce que Dubosc est à Bedos, Stace lui-même étant à Horace ce que Bedos est à Beaumarchais. « Ainsi, » poursuit André Loyen, «  Sidoine (…) s'autorise du précédent des Sylves » - « pour consacrer lui aussi de longues pièces (…) aux menus sujets de la poésie de circonstance.»... Nous vous renvoyons à Sidoine Apollinaire et l'esprit précieux en Gaule par André Loyen, en 1943 maître de conférences à la faculté des lettres de Rennes, car nul n'est parfait. Rennes a supprimé sa chaire de grec, en attendant celle de latin, voire de littérature française. Voire de tout. ZOHAR SIDONIENSIS 68 62 v. 177/184 Rejoignons le texte en V, 177 - cinq vers touffus comme des taillis : "Qui voit à cheval Majorien méprise le fils de Léda » - d'abord, "Majorien" ne figure pas dans le texte - et « le jeune héros aimé de Sthénébée », c’est Bellérophon. dompteur du « cheval ailé"- Pégase, comme chacun sait - modèle de St Georges et de saint Michel qui écrasèrent leurs dragons respectifs. Bellérophon « supprima d'un seul coup trois existences », la Chimère - à la fois chèvre, lion, et serpent par la queue. « Si les destins t'avaient fait naître alors, intrépide Majorien, Maioriane ferox ! tu aurais exterminé le plus d'ennemis possibles  - «  tu n'aurais pas permis que Castor connût les rênes" (de cheval), "Pollux le ceste" ("Castor et Pollux, le retour"), "tu aurais ridiculisé les trophées de Bellérophon" - petit-fils de Sisyphe, lequel engendra tous les Atrides. Les auditeurs gallo-romains et autres sourient d'un air entendu - (de quelles pâtées marécageuses nos cerveaux actuels ne sont-ils pas gavés, à grand renfort de Droits de l’hommisme, d’égalité des chances et de vivre ensemble ?… La préciosité remédie à sa fadeur par la surabondance. Quant aux emphases syntaxiques du traducteur (« Saisit-il un bouclier ? (... ) Veux-tu connaître sa maîtrise... ? ») elles sont d'aussi mauvais goût ma foi que Sidoine lui-même - «...dans le lancer du javelot ? » Le poète ne se sera fendu que d’un parallèle de plus à l'avantage de Majorien bien sûr… Ces quelques vers constituent un imbroglio de la plus belle moûture - on pense à autre chose rien qu’à le lire. Les allusions du poète peuvent bien renvoyer au chant onze de L'Enéide, que l'on n'étudie plus, car il est bien connu que Virgile a moins bien réussi ses passages guerriers. « C'est avec moins de force que » R (Thésée) "perça de sa lance marathonienne Créon » ) - V 192 193 c'est bien de l’oncle d’Antigone, qu'il est question - curieux télescopage en vérité. REVU R 63 V 193 Grands hommes, à vous la gloire, à nous la graine. "C'est avec moins de vigueur", poursuit l'increvable Sidoine – "que la déesse vengeresse (…) brandit la foudre contre les Danéens" – la peste, sur l'armée grecque de l’ Iliade... quelle actualité tout de même… Quant à la faculté de discerner le juste et l'injuste, nous n’y croyons pas : la culture, ni même la connaissance, ne garantissent pas une grande âme, ni la noblesse ou l’impartialité d’un jugement. Images, images encore : l’autre Ajax, fils d’Oïlée, empalé sur les récifs et vomissant des flammes – splendide - alors que le public se racle un peu la gorge : Parva loquor, « Soyons brefs ». V, 196-198 Que nous reste-t-il ? l'attitude. Et quelle attitude plus légitime, en temps de troubles, que l'érudition ou son semblant ? « ...lorsque la Grèce eut sa nuit de Troie et un embrasement semblable » - je suis écrasé - mais passons aux choses sérieuses, « plus graves - le latin relance, où le français se repose encore. V, 199,« toutes les fois que tu fais la guerre, [Majorien] est à tes côtés, pour s'instruire, non pour combattre ». Majorien accomplit ses "enfances", et s'exerce à l'art militaire. La femme d'Aétius, vainqueur d’Attila, exprime ainsi sa jalousie : « Il feint d'être ton disciple, il vise au contraire à devenir ton rival » car souvent l'élève dépasse le maître. Toujours ce rempart des convenances pour ceux qui ne visent qu'à les violer. Toujours les uns s'emparent du travail, de la gloire d’autrui. « Il hait tes victoires et il aime ceux que tu as vaincus » – les Huns, aux Champs catalauniques. « Auprès de lui, Alexandre le Grand, que tourmenta pourtant la gloire de son père, ne fait que sommeiller » - Plutarque et Quinte-Curce attestent de cette jalousie d'Alexandre. C'est une bonne chose sans doute que de vouloir dépasser son père ; mais nos contemporains voient d’un mauvais œil ceux qui souhaitent la gloire, préférant aux héros les survivants, ceux qui se sont cachés pour pouvoir le dire ! REVU R 64 « Quel royaume procurer à mon fils » (Gaudentius) dit la mère « puisque j'ai perdu mes droits au trône wisigothique » par son mariage avec Aétius » - « si Rome m'oublie » - car un décret de Rome suffirait à la redorer par la restitution d’un trône barbare - « si par surcroît, super hoc, mon petit Gaudentius » - « fiancé, nous dit Loyen,  à la seconde fille de l'Empereur, Placidia, vers 454 » - touchante idylle  - « ...est écrasé par le destin de Majorien ! » - c'est bien l'empereur lui-même qui poignardera plus tard le grand Aétius... « Ah ! celui-là ! » poursuit l’épouse acariâtre. « La Gaule déjà et toute l'Europe chantent ses louanges » – avant même qu'il ait atteint la pleine puissance de l'adulte ! On était jaloux, le pouvoir et la gloire se désiraient tout crus : "Que faire, malheureuse que je suis !" Ainsi la situation se trouve-t-elle inversée : le grand Aétius n'est plus qu'un incapable, incapable de transmettre un héritage quelconque à son fils, tandis que son disciple, Majorien, convoite la place de Gaudentius, fils de la reine déchue. Le héros serait-il à ce point méprisé ? ...Voudrait-il frustrer son épouse d’une royauté ou d’un empire par le biais de leur fils ? Le destin des peuples dépend-il à ce point de ses dirigeants ? qu’importe le destin des peuples … certains relégueraient volontiers Attila en bas de page pour lui substituer de mornes considérations économiques sur l’éternelle condition paysanne, ici, au Ve siècle... V 199/207 ZOHAR SIDONIENSIS 71 XXX Sidoine possédait un fort sentiment d'appartenance à la nation gauloise. Sa famille avait soutenu l'usurpateur Jovien. Peu soucieux de s'appesantir là-dessus, le poète déroule une de ces interminables litanies de philosophes ou d'auteurs connus, ou de cours d'eau, pourquoi pas : les petits Romains apprenaient ces listes par cœur, sans même savoir les situer sur une carte. Il est vrai que les cartes nous semblent bien s'être réduites à des itinéraires, comme celui de Peutinger. Majorien s'est donc baigné dans les flots glacés du Rhin, de la Saône, du Rhône (site de Lyon, sa ville natale), tous les cours d'eau, dix, même le Lez – c'est celui de Montpellier : sans doute, nous dit Loyen, ce fleuve rappelait-il quelque chose à Majorien personnellement. V 207 / 209 Mais l'énumération se poursuit, que Majorien se soit ou non effectivement baigné dans ces cours d'eau ; estimons-nous heureux que le prétendu poète ne les affuble pas chacun d'une épithète - "le Lot, l'Allier, l'Aude, le Wahal" – ne manquent plus que Seine et Tamise ! Il fut donc partout, ce vaillant Majorien ! Capable de bondir d'un bord à l'autre de l'Empire ! quelle admiration ! quelle aigreur chez cette virago ! Même, la voici contrainte de reconnaître que ce subordonné "a bu l'eau de la Loire coupée en morceau à coups de hache" ! Cette liste pourtant présente un intérêt historique, chacun d'eux renvoyant sans doute à d'authentiques exploits, contrôlables, du nouvel empereur Majorien. « Quand il défendit Tours qui redoutait la guerre », bella timentes, car il s'agit des Tourons, « épisode de l'agitation bagaude », « tu n'étais pas là » Les bagaudes, bagad, ce sont des groupe de brigands, Cela s’était passé vers 448, lors de ces mystérieuses révoltes : des troupes, des bande à contours variables qui parcouraient tout l'ouest de la ZOHAR SIDONIENSIS 72 Gaule, en révolte contre tout, administration, empire, impôts, contraintes sociales de tout ordre, et qui préféraient, n’ayant plus rien à perdre, lutte à mort contre tout et n'importe quoi - séparatistes ? Saccageurs par principe  ? sectataires de la terre brûlée, jouissant et hurlant avant de se faire massacrer ? Refusant les impôts, les métiers héréditaires obligatoires (loi de Constantin (312). Spartacus, le gladiateur, avait un projet. Pas eux. Poings brisés des victimes sur les battants clos de l'absurde contrat social. V, 208-211. La Wisigothe a plus entendu parler de Majorien, pourtant bien jeune encore, que de son époux ! La femme consentait bien à devenir esclave, pourvu que ce fût du plus grand des maîtres ! "Peu de temps après, vous combattiez ensemble dans les plaines ouvertes de l'Artois, que le Franc Chlodion avait envahies" - Chlodion le Chevelu, bien sû C'est la première fois que l'on mentionne son nom (Cloio) ; il fut le père de Mérovée. Il fonda le royaume des Francs dont devait hériter Clovis. Un combat va se dérouler, où Clodion sera vaincu : "Il est en ces lieux un carrefour où les routes aboutissent à un étroit chemin ; la chaussée resserrée, placée sur pilotis, traverse au bout d'une longue distance le bourg d'Héléna dominé par l'arche d'un pont et en même temps un cours d'eau" – où retrouver ce lieu ? aux environs d'Arras, mais encore ? Le pont en question était-il un aqueduc ? "C'est là-bas que tu avais pris position, et Majorien à cheval combattait au pied même du pont. Son compagnon d'arme, c'est Aétius. Il s'agit d'une escarmouche réelle cette fois et non mythologique : "Par hasard, sur une colline proche, on célébrait bruyamment un mariage barbare et au milieu des danses nordiques la nouvelle épousée était unie à un mari aussi blond qu'elle." Belle victoire en effet sur une noce. Chlodion même y figurait-il ? Le récit se déclame devant Ricimer, ne l'oublions pas. Il est Suève. Il n'aime pas beaucoup les Francs. Il se prétend régisseur de l'Empire romain. Sidoine peut donc se moquer d’un mariage "barbare", tandis que ZOHAR SIDONIENSIS 73 Ricimer célèbre un mariage digne, chrétien, romain. Mais le grand orchestre va tonner : "Majorien, dit-on, leur fit mordre la poussière" – ce qui suit substitue aux repères géographiques, qui seraient si précieux, de plates expressions de tous les combats : "son casque résonnait sous les coups et sa cuirasse, opposant ses écailles au choc des lances, détournait de lui la blessure » - Majorien serait donc remonté du pied du pont, où il combattait, vers les arrières où se tenait une noce insolente ? "On put voir alors briller sur les chariots, plaustris rutilare, les parures en désordre du lit barbare, les plats amoncelés pêle-mêle, le festin qui allait grossir le butin, et les ennemis, aux boucles parfumées, emporter leurs chaudrons couronnés de guirlandes odorantes" V 224 / 227 – en voilà toujours deux qui ne seront pas près de se reproduire. Ricimer, patiemment, sourit dans sa balafre : ces Francs ne sont-ils pas ridicules, avec leurs manières de rustauds, qui mêlent charrettes et vaisselle d'or, grossiers chaudrons et guirlandes ? Le contraste serait ridicule, si la prétention du poète ne l'était encore plus : il transfigure une lâche attaque en héroïque fait de guerre... Ils ont heurté les chaudrons de leurs lances, et c'est tout juste si l'on n'a pas vu le cul de la mariée. "Sur le champ grandit l'ardeur guerrière et Bellone plus fougueuse brise les flambeaux de l'hymen" pour les inverser, je suppose, en flambeaux de funérailles. "Le vainqueur s'empara des chars et de la jeune épousée". Nul doute que les noces civilisées de Ricimer pourront, dans leurs fastes, éclipser les grotesques simagrées de ses anciens camarades de race. Et inlassablement, Sidoine repasse les plats refroidis, chargés d’introduire le descendant des rois Suèves, Ricimer, au sein du Panthéon grécoromain : il les aura même surpassés puisqu'une fois de plus les anciennes légendes (noces troublées jadis par les Centaures…) - se voient taxés d'infériorité. Qui ose parler de déclin ? V , 217 231 ZOHAR SIDONIENSIS 74 ...Les Centaures, beurrés comme des mules, voulurent violer ces dames, les Lapithes Hadudul répliquèrent à coups de pierres, et ce fut la plus sanglante bataillebourreèpif d'ivrognes de toute l'Antiquité, dont un bas-relief de Mickey l'Ange nous restitue le décervelage. Nos Centaures ratatinés se réfugièrent sur le mont Othrys - quel boute-en-train, ce Sidoine ! il est, nous dit la note, le seul qui ait ici donné un rôle actif aux femmes, qui participèrent au bourre-pif général. Et comme décidément la matière manque, Sidoine se fend ici d’un "Portrait des Francs", plus barbares que vous, ô vaillant et civilisé Ricimer qui as trucidé mon beau-père : "Mais ne célébrons pas davantage les luttes fratricides (iurgia fratrum) des fils de la nue" (Ilion, violeur de nuages, avait engendré les Centaures…) - Majorien dompte aussi des monstres" – car les Francs sont effrayants "leur chevelure rousse, tirée vers le front, s'étale sur le sommet du crâne". Nous avons cela dans nos rues. "Leur nuque dégarnie reluit, ayant perdu ses poils raides" – nous tenons dans ces vers la première description réaliste, depuis Juvénal, de ces Francs : "Dans leurs yeux pairs » poursuit l’auteur « brille un clair regard". Ajoutons que "leur visage entièrement rasé ne laisse aux soins du peigne que d'étroites moustaches", tenues cristae . V / 242 "Ils se plaisent", les Francs, "à lancer dans les vastes espaces leur rapide hache à deux tranchants", la francisque, "en prévoyant l'endroit de sa chute", "à faire tournoyer leur bouclier", "à dépasser d'un bond le javelot qu'ils ont brandi et à tomber avant lui sur l'ennemi", nous retrouverons des échos de Sidoine jusque dans Les Martyrs de Chateaubriand. "Dès les années d'enfance, ils ont un amour viril de la guerre", belli maturus amor : amour d'homme fait, qui vient de la mère". Notre corps est un mystère insupportable. V / 250 ZOHAR SIDONIENSIS 75 Mais "si (…) la mort les abat, non la crainte - sans s’avouer vaincus, ils résistent jusqu'au bout et il semble qu'alors leur courage survive à leur dernier souffle" "Qui es-tu ? ...et quel est dans ton œil ce manque de lumière... » S'il prend un jour le pouvoir, si regna tenebit, futur simple, c'est pour lui que tu triomphes." L’époux subit l'aiguillon de ce venin : "Les destins ne permettent pas ici de demi-mesure : si tu répugnes à le frapper, tu seras son esclave." V 259 Le tout ou rien : "Si le Chaldéen suit la bonne voie dans l'observation des astres" – et personne n’en doute - si le Colchidien connaît les simples" – et comment ne les connaîtrait-il pas ? - "si le Toscan sait faire jaillir les éclairs... » – voici venir, une fois de plus, le fléau de l'énumération pédante - « vois, conclura Pélagie la Gothique : puisque tout ce que je viens de dire est indiscutable, ce que je vais dire ne le sera pas moins : "si les oracles de Lycie sont sages, si le vol des oiseaux peut dire notre destin » - nulle trace du Dieu des chrétiens… "...si enfin vos chants prophétiques, Phébus, Thespis, Dodone sont vrais" – car qui doute des dieux doute de Rome - "après notre mort, ce Julius [Majorianus] sera Augustus" – allusion à la tétrarchie mort-née; de Dioclétien, 285 - "Étouffe-moi, ma rage !" Prends garde, Aétius, ô vainqueur d’Attila : tu seras seul contre tous, comme Prométhée contre les dieux ! prépare ton foie ! "De quel côté vas-tu te tourner ? L'un emporte son destin vers les sommets du monde, ad culmina mundi, tous les deux y aspirent." ...Majorien, bien sûr, et son compagnon d’armes Ricimer, qui  sert lui aussi sous Aétius – il faut, tous les deux, les flatter, ou les assassiner. Ricimer, ici présent ce jour, tend l’oreille au premier rang, à l’évocation de ces menaces naguère proférées contre Majorien et lui-même, placées dans la bouche d’une furie, alors qu’ils triomphent ici main dans la main. ZOHAR SIDONIENSIS 76 "Lève-toi » disait l’instigatrice, et attaque-les en même temps à l'improviste." V, 270, "Tu ne pourras en immoler aucun, si tu veux que les deux meurent" : cette perfide insinue sûrement "aucun tout seul" ; il faudra donc s'occuper des deux amis à la fois – "enveloppe l'un dans le réseau des perfides caresses" sed necte dolosas blanditias uni – observons la similitude de racines entre necto, "ligote", et "neco", "assassine"… 70 V 273 / 279 Ou bien donc cette ignominie s’accomplira, ou bien l’orgueil romain se fendra d'un ultime sursaut - "cependant que tu frapperas l'autre de ton épée » - contorsions d'agonie de l'honneur ! "Mais pourquoi ces paroles vaines ?" V 273 C'est toujours ce que disent les bavards et vardes: "Inutile de prendre trop de précautions : il doit vivre pour régner !" Le fils d’Aétius, Gaudentius, devait épouser la fille de l’empereur… mauvais choix... Or l’époux Aétius, vainqueur des Huns, en a plus qu’assez entendu. Il se "soulève de colère" : "Contiens les vœux impies" – la classe – "de ton cœur en délire. Quoi ! je pourrais ordonner la mort d'un innocent ! qui réclamerait un châtiment pour les destins ?" Majorien en réchappera. Sa vie dépendait donc d'une scène de ménage. Chez les Wisigoths, une furie peut renverser la destinée. Chez les Romains, non : "Mon épée te frappera au cœur, Majorien" – la sorcière a gagné ! - eh bien non : "si Phébus brille la nuit...", autrement dit jamais - hélas en effet, ce sera encore une de ces infinies diarrhées d'impossibilités, que l'on appelle en grec les "adynata" : "et la Lune le jour" – mais on la voit souvent de jour – "si les deux chariots de la Parrhasienne accomplissent dans la mer leur révolution" –petit chariot-grand chariot, Petite Ourse Grande Ourse, le bas de page renvoie aux Métamorphoses d'Ovide, "si le Tanaïs aperçoit l'Atlas" et certes il n'est pas près de le voir, ronflez, auditeurs hauts gradés, «si  le Bagrade » où nous avons vaincu Carthage  « voit le Caucase » - Sidoine trompette de plus belle : "...si les barques ZOHAR SIDONIENSIS 77 façonnées dans les troncs de la forêt Hercynienne sillonnent, au lieu du Rhin, l'Hydaspe de Nabathée" – mais susciter notre hilarité, voilà qui serait bien impossible... V 279 / 284 72 Lequel auditoire, qui sait, sourit avec finesse à tant de bon goût, -"si l'Espagnol boit au Gange" (septicémie), "si l'Indien vient de la tiède Erythrès puiser son eau dans l'Èbre d'Ibérie" – à moins que Castor ne s'inonde du sang de Pollux. Évidemment. Qui songe à trucider son jumeau. Ou plutôt, voir la fondation de Rome - donc, jamais, moi vivant, mon épée ne frappera Majorien. Pas plus que Thésée ne frappera Pirithoüs - manquent Achille et Patrocle, Pylade et Oreste– fin du parcours du combattant : de descriptions en catalogues, nous avons eu bien de l'héroïsme. "Cependant", poursuit ce général vainqueur, "pour que je n'aie pas l'air de dédaigner ton ressentiment, Majorien vivra, mais il sera pour quelque temps privé de son commandement – pour un temps" – on cède à sa femme, mais le poing sur la table. Femme aux yeux verts, aux cheveux d'or, plus forte que les hommes dit Ammien Marcellin. Mélusine wisigothique. 73 Et c'est bien à regret : "Hélas ! il pouvait nous devoir sa fortune, si tu n'avais pas jugé que ce fût chose funeste." Le général Écius n’en est pas moins superstitieux. Cette disgrâce passagère permettra toujours au futur empereur, Majorien, de compléter ses expériences militaires par des pratiques de propriétaire terrien ami de l'ordre - bienheureux limogeage : après avoir appris l'obéissance, puis le commandement, Majorien, sachant mettre à profit son retour à la glèbe, convertit donc sa disgrâce en stages préparatoires ! Il aura ainsi étudié l’administration des domaines et le labour… ZOHAR SIDONIENSIS 78 ainsi ne fondera-t-il pas son pouvoir sur la seule expérience du soldat. "Il suspend donc ses armes, et féconde de son soc le ventre vide d'une terre stérile" ("abandonnée" : c'est largement interpréter le mot sterilis, qui signifie peut-être, étymologiquement : "laissée en l'état"). Quant au "consul courbé", c'est une fois de plus le grand Cincinnatus, "le bouclé", aussi peu laboureur que Jeanne d'Arc bergère – increvables légendes ! - contraste de la lance et de l'aiguillon, des haillons supposés au tapage vestimentaire, de "l'humble foyer" à la "toge palmée" - chute sur bubulci, "bouvier" !... 74 V, 305/318 Mais voici que Valentinien III poignarde Aétius, ce général sauveur : 21 septembre 454. "Pour réunir plus sûrement les immenses troupes du disparu "à la garde du Palais (palatinos turmis), Valentinien prie alors Majorien de revenir" : il reçoit le titre de comes domesticorum. Autant dire "comte du palais". "Mais Valentinien III, l’assassin, "n'avait pas l'affection du peuple" : "il expia par l'épée le crime odieux de son épée" – mais oui, l'Évangile ! "et sa mort précipita encore votre chute" – car ce traître d’empereur est nuisible jusque dans son châtiment même : sitôt que l'homme dans sa présomption veut se dresser au-dessus de sa motte de terre, les faits l'y récrasent... "Dès ce jour les destins favorables filaient sur leur quenouille d'or le règne de l'empereur actuel" – Majorien - "...mais ils voulurent éviter à un héros ( [a-un-é]...) "l'impopularité des malheurs publics". Majorien, contrairement à nombre de ses prédécesseurs, n’a pas hérité l’autorité transmise par un autre empereur ; mais il n'aura dû son ascension qu'à son propre mérite. Ce fut toujours un problème que les successions au trône, à Rome : pour avoir un fils, il fallait, en effet, partager le lit d’une femme... ZOHAR SIDONIENSIS 79 75 "Majorien, après les souffrances de ta captivité", celles de Rome en personne, "a créé l'empire qu'il possède". Il serait digne pour un peu de Camillus dit Camille, " second fondateur de la ville de Rome",V, 317 Sidoine survole les siècles, passe à Trajan, « fils bien-aimé" (mièvrement : « chéri ») de Nerva, fils adoptif évidemment, car la puissance paternelle à Rome ne s'embarrassait pas de charnellité, mais se haussait à l'institutionnalité. "Pour être Germanicus » (général glorieux mort en 19) « par le titre, il avait dû l'être d'abord par le mérite" - Trajan donc avait gouverné la Germanie Supérieure - la pensée ne se distingue pas ici par l'originalité. Les faits remontent à près de 400 ans. Sidoine récapitule : "Jadis, après la Caprée de Tibère" (Capri), "après l’apothéose honteuse de Caligula" (celle de sa sœur…) - "la censure de Claude" (...il intronisait des sénateurs gaulois… Majorien vient justement de les écraser, Sidoine n’en est pas à une flagornerie près...) - "la cithare et les noces de Néron, après la splendeur du miroir immense où le fameux Othon se contemplait (...), après les cinq mille victimes » (animales…) « condamnées à disparaître dans le gouffre du ventre fameux de Vitellius, c'est (…) après des travaux semblables" (à ceux de Trajan) "que Vespasien avait été choisi pour Empereur" – longtemps avant Trajan – beau bric-à-brac.... En somme, depuis et y compris Tibère, l'Empire n'aurait connu à de rares exceptions près que des incapables demi-fous : Tibère se faisait sucer par des nourrissons, Caligula niquait ses sœurs, Néron bouffonnait ; puis le mouvement s'amplifie pour le bel Othon (qui s’admirait tout armé, la tante !) ; et Vitellius le Gras, déchiqueté plus tard par la foule en délire, "2 000 poissons et 7000 oiseaux" précise la note - la tirade s'achève donc en rejet sur le frugal Vespasien, qui vécut de peu, et rétablit la dignité après l'Année des quatre empereurs. Et c’est ainsi que Majorien fut nommé général en chef le jour même de l’assassinat dAétius… (V, 318 / 327). Quel curieux hasard. ZOHAR SIDONIENSIS 80 76 C'est ainsi que Sidoine enserre en son lasso les règnes antérieurs, bousculant les chronologies. Après une telle galerie d'ancêtres, Rome voit se dresser devant elle Genséric le Vandale, lointain successeur – 600 ans ! - d’Hannibal à Carthage : "Mais ne va pas croire que je reste imprenable, dit l’Afrique, devant la puissance d'un brigand". "Les vices de sa vie » poursuit-elle « ont consumé en lui la vaillance de sa race" – allons-nous céder aux délires vineux de ce dégénéré ? "sa barbarie de Scythe" (Genséric, un Scythe ?!) "est soutenue non par ses forces mais par ses « appétits »; les yeux plus gros que le ventre. Le thème du confort avilissant, de la pauvreté virile ! "Genséric, s'étant emparé d'immenses dépouilles, a déjà perdu toute sa force dans le luxe" ! exactement comme Hannibal à Capoue : « Tu sais vaincre, mais tu ne sais pas tirer profit de la victoire » - avec la différence qu’Hannibal n’a jamais pris Rome, lui, tandis que le roi des Vandales règne à Carthage depuis plus de 20 ans, et vient de piller Rome en 455 (après la première mise à sac en 410 par le Wisigoth Alaric…) - Genséric  « puissant par la lance », et dont l’armée n’est pas si minée par la débauche que l’Afrique voudrait le croire… La plate pompe fanée du vocabulaire ne saurait masquer l’impuissance. 77 V 332-341 « Il arme maintenant mes propres entrailles pour lui-même » poursuit l’Afrique « et contre moi » : autrement dit, ses habitants. "C'est par son tribunal que je suis lacérée, captive tant d'années, malgré mon courage, accablée de châtiments, ayant engendré ceux par qui je souffre" – "Rien ne s'accomplit par nos propres armes" – ô Afrique ! "mais par les Gétules" (des sables sahariens), "les Nomades, les Lybiens, les Garamantes et les ZOHAR SIDONIENSIS 81 Autololes, l'Arzuge" (passage au singulier), "le Marmaride, le Psylle, le Nasamone", beau fatras onomastique. "Le fer n'ignore plus rien de la puissance de l'or", nos Africains préféreraient-ils le fric au combat ? Devant ce riche couard, les meilleurs guerriers sauvages se débandent ? sa couleur est pâle, le vin et la graisse blafarde le tiennent sous leur poids, son estomac encombrée d'orgies ne permet pas que s'épanche son souffle empuanti. Pittoresque ignorance, verdeur pataude du Latin ignare ! 78 « Ses proches mènent une vie semblable, Par est vita suis", "les porcs" ? "Ce n'est pas ainsi qu'Hannibal Barca se perdit", mais si ! "La déchéance d'Hannibal fut moins prompte", mais non ! au pied du mont Gaure (célèbre par ses vins) au-dessus du lac Lucrin, et, sommet d'impudence, jadis, les "bras noirs du Massyle" se sont ébattus dans l'onde pure ! ...plus jamais ça ! - « et les corps fortifiés par la guerre mollissaient dans les délices de Baïes » - toujours ce rabâchage du passé - suscite-moi donc, au moins, un vengeur , afin que Carthage ne combatte plus contre l'Italie" – les Germains Vandales ont décidément bien pris le relais… là encore, traducteur, pas de "Majorien", mais nous avons parfois besoin d’une solution au jeu de la devinette. Ainsi parle l’Afrique, ravagée, qui "gémit de douleur" et dont "les larmes viennent seconder la prière." Et Rome réplique : "Suspends tes longues plaintes, ô ma toute dévouée : Majorien te vengera au nom des dieux." Politesses de déesses. Majorien donc, déjà maître de la milice et de la cavalerie sur le continent, devra bien plutôt le trône à sa proximité avec "le terrible patrice" : Ricimer, encore et toujours. Pour Gibbon, pour Victor Hugo, Majorien aurait pu tenir tête aux circonstances - "Je veux en quelques mots » poursuit Rome « te rappeler quelques faits" – suivra donc un éloge du nouveau souverain. V 342 / 353 ZOHAR SIDONIENSIS 82 79 V, 354-360 Mais Sidoine se borne à des allusions dans son Panégyrique. "Depuis le jour où Théodose » (Premier) « rétablit dans la possession commune du pouvoir le frère de son bienfaiteur qui avait été chassé du trône et fut plus tard étranglé par la main d'un Grand qui devait lui-même se donner la mort, ma chère Gaule est demeurée jusqu'à présent inconnue des maîtres du monde et les sert sans les connaître". Les auditeurs comprenaient. Nous autres, plus guère. Le "bienfaiteur" de Théodose, ce fut Gratien, qui le fit acclamer comme empereur avant de mourir (383). "Sidoine aime les énigmes", nous dit-on en note. Théodose, donc, remercia son bienfaiteur, de façon posthume, et restitua la Gaule (beau cadeau) au frère de ce dit bienfaiteur : ledit frère, Valentinien II, fut mis sous la tutelle d’un haut gradé germain allié, puis retrouvé pendu à 21 ans (392) . Et ce haut-gradé, Arbogast, se suicida – coupable, ou non ?... Théodose mourut d’hydropisie en 394... Et depuis cet étranglement mystérieux, la Gaule obéit, mais de loin, à des maîtres qu'elle ne voit plus jamais : Honorius (mort en 423), Valentinien III (en 455, assassiné). « Bien des choses sont mortes à cause de cela » (ex illo multum periit) "c'est la raison de sa profonde décadence", comme traduit Loyen, qui tire "profonde" de sa profonde. Or les souverains occidentaux de Ravenne (promue capitale en 402), au lieu d'apparaître à tout bout de champ pour annoncer que rien ne va changer , restent cloîtrés, énigmatiques et cruels : "l'empereur, quel qu'il [soit], reste enfermé ». La transparence en effet avilit les gouvernements, qui se voient exiger des comptes de tous les chiens galeux. Mais Ravenne, sur l'Adriatique, protégée par ses marais et ses moustiques, n’en demeure pas moins facile à investir : "Le malheureux monde romain, dans ses ZOHAR SIDONIENSIS 84 contrées les plus diverses, fut régulièrement ravagé". Tout souverain, oriental ou non, doit en ce temps-là déléguer aux armées de vigoureux généraux, afin de ne pas sembler se dissimuler frileusement. "Quelle vie aurait pu plaire, quand le chef avait besoin lui-même d'être guidé ?" Ce qui nous ramène à la relativité de la notion de chef... 81 Sentiment général d'abandon. bien reflété par Sidoine. Les Romains étaient-ils des imbéciles ? Notre liberté, leur servitude, est-elle et fut-elle un mirage ? Conclurons-nous que tout est mirage ? "Méprisée pendant tant d'années, la noblesse végéta". Remplaçons : Méprisée pendant tant d'année, la connaissance végéta", les professeurs de latin ne furent plus considérés. "un vaillant, pour prix de ses services, ne remporta que la haine de l'État". Il s'agit d'Avitus nous dit la note ! Mais quels services a-t-il rendus, ce brave beau-père ? n'a-t-il pas été viré de son trône parce qu'il était gaulois, et méprisait les sénateurs romains ? "Notre empereur répare tous ces torts et, accroissant ses forces par celles des fédérés, il porte chez toi la guerre en y faisant d'autres guerres, car le plus difficile, c'est d'y aller, non de combattre" – une promenade militaire, en somme… Majorien n'avait, pour toutes forces, que celles des "fédérés". Il projette de traverser le Mare Nostrum pour attaquer le gros Genséric. Les Burgondes de Lyon et les Wisigoths se sont vus enrôlés après avoir été vaincus. La flotte se forme donc dans la baie de Carthagène. Terimus cur tempora verbis ? "Pourquoi perdre le temps en paroles ?" Nous allions vous le dire, chère déesse, chère grande dame. Majorien vient trop tard. "Il vient et il triomphe" – à d’autres... V, 361 / 367 ZOHAR SIDONIENSIS 85 V, 368-378 Sur ce, mes sœurs, reprenons nos filages ; ce qu'on devait se sentir femme, quand on filait ! doux ou pas. Ainsi s'achève cette longue, lente, ampoulée conversation entre déesses de bon ton. Le titre suivant devrait nous épargner d'autres propos de salons de thé : Victoires de Majorien, précise l'éditeur. Enfin du viril. Apollon, les Muses, peuvent bien devenir muets : c'est à présent Mars qui prend le relai. Des gamelles et des bidons. Hélas, Majorien, tu viens trop tard. Hélas, Marine, etc. . À chacun désormais de se trouver un protecteur, un seigneur, un patron. Voici le sauvage Alaman : ennemi héréditaire ! Souvenez-vous d'Arbogast ! ce dernier fut pourtant intégré à l'Empire sous Théodose le Grand. Aux abris ! "tous les hommes" (« Alle Mann") se sont furtivement glissés à travers les "vastes solitudes", et déferlent à présent par les défilés de la chaîne Rhétique (Grisons, Vorarlberg) : à toi, Majorien : colmate ! Ils avaient ravagé le territoire romain ! entendez-vous dans nos campagnes ! Il arrive dans les plaines Canines ! près de Bellinzona, Svizzera Italiana. C'est alors que Majorien va se rafraîchir d'une petite victoire : contre 900 hommes – finis les grands chocs : le règne du mesquin n’a pas de fin. Il se fit donc un massacre de maraudeurs - « tu envoies ton fidèle Burcon » : d'ailleurs, ils viennent là pour tuer : le maître l'ordonne ! Même sans paraître, il fulmine sous les armes de son lieutenant,et tue par amour ! pour son peuple, évidemment… Et si l’engagement reste mineur, c’est qu’il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup de soldats pour vaincre. N’est-ce pas. Notre immense Majorien remporte la victoire, non seulement de loin, mais avec une poignée d'hommes – miracle ! miracolo ! "C'est à toi qu'est due l'heureuse issue de cette guerre ! Felix te respicit iste euentus belli !" (V, 383) car on ne vouvoie pas, dans ZOHAR SIDONIENSIS 86 l'antiquité -"c'est à toi que cela renvoie !" - romaines aussi, car tu agis sur ordre, sur délégation, sur mandat. Tu n'es pas, Majorien, ce genre de francs-tireurs qu'on voit partout. C’est le descendant politique d'Auguste qui t'envoie. Tout cela pour une escarmouche, pour deux ou trois thorax plus ou moins transpercées. Mais le "maître de la milice", c'est lui, Majorien ! Il interprète les ordres ! Sans les perdre de vue, il prend ses propres initiatives ! Partant, comme nul Auguste n'intervient, mais un maître de la milice en fonctions, et que les deux expressions figurent dans une construction parallèle, il s'agit d'un présage ! Auguste il sera, empereur donc, pas plus tard que le 28 décembre 457. Juste après l'intronisation, autre combat, sur mer : tu as cette fois encore le peuple derrière toi. La plèbe, la curie, le soldat, le collègue (de consulat supposé-je). (V, 388). Nous sommes en 458. Première année de règne. Gonflons nos biceps et faisons force de rames : le soldat Maure, bien vivant, vient importuner le pacifique laboureur de Campanie. Ça ne va pas se passer comme ça ! Les Maures ne sont après tout que les auxiliaires des Vandales ! Allez, prépare-nous Le Cid : "Nous partîmes cinq cents..." - une petite râclée contre les Maghrébins. Le Vandale, ce flemmard, envoie combattre à sa place (comme c'était déjà le cas en Suisse avec les Alamans) : le Maure captif va faire des captifs. Tu es très fort, Majorien, contre des mercenaires. V, 392, 61 07 12. Suivent les indications fiévreuses de toute la topologie guerrière. Et comme en ces temps-là les historiens ne juraient que par César, nous avons droit aux creux et aux bosses, au chemin qui passe par là, sans oublier la rivière et les bouts de forêt. Il y a même la mer, un port, et l'armée du ZOHAR SIDONIENSIS 87 héros. V, 394. Reportons-nous à la page française : Sidoine embrouillerait César même. Que l'armée dite romaine avait coupé l'ennemi en deux, nous l'avions compris, l'honneur est sauf. Et c'est la plaine qui sépare la mer d'un côté une colline de l'autre – nous qui pensions l'affaire en pleine terre ! Et il ne s'agit pas d'une gorge, d'un resserrement, mais d'un méandre. V, 395. L'eau s’y ralentit, les alluvions s'y déposent en boubée, un petit port fluvial peut s'établir. Ce serait près du Volturne, fleuve de Campanie. Ne voilà-t-il pas que tout ce beau monde reflue vers les hauteurs. C'est très lourd, un pieu de palissade. On ne peut pas considérer cela, décemment, comme un butin. Mais les poteaux, trabibus, se révèlent des navires ! V, 396. les Maures sont vaincus ! D'où sortent tous ces peuples ? Leurs troupes en débandade se regroupent en trois : les uns débarquent des chevaux dociles mais cruels sur le champ de bataille, les autres guerriers se réfugieraient sous leurs boucliers "en tortue", la troisième part tend ses arcs et ses traits empoisonnés, tirés une seule fois mais nuisibles deux… D'autre part, les Maures ne sauraient "faire la tortue", tactique éminemment romaine, mais ils ont revêtu, déjà, leurs « uniformes cottes de mailles » ! V 399 Et comme on ne saurait exprimer simplement des choses simples, il faut nous infliger un "serpent textile", oriflamme sans doute, dont la gorge se gonfle de zéphirs adaptés. Un "dragon de toile". Dans 18 ans, ce sera le Moyen Âge, mais nul n’en saura rien. Et Sidoine, au lieu de préciser le lieu, par exemple, nous étourdit des fulgurances de son étendard : la peinture mensongère dépeint une fausse faim par la béance de sa gueule, et l'air, par ce panneau de tissu, figure la fureur, chaque fois que son dos mobile s'engraisse de vents, et que pour finir, surprise ! son gros ventre boursouflé ne capte qu'un vide excessif, "ne peut plus contenir l'excès d'air qui le gonfle". ZOHAR SIDONIENSIS 88 V 407 / 424 Mais revenons à notre valeur militaire tardive et vaine : notre chef insuffle du courage même aux lâches. Donc le fer tombe partout, un mort, dix morts, en pleine gorge. Les falariques ont à peine le temps de se succéder : ce sont de lourds javelots, "lancés parfois par machine"- deux hommes d'un seul jet – et un cheval. On utilise des aclydes : des piques – tout ce qui transperce. Autant travailler dans les abattoirs. Jarrets tranchés, têtes qui sautent - nous autres contemporains sommes des cerveaux mous, imbibés de conscience ; de quelles barbaries descendons-nous ? Nous pratiquons les "frappes chirurgicales", tandis que dans tout le camp de Majorien, on achève les blessés. Le Vandale a tourné le dos ! La civilisation est victorieuse… Les cavaliers d’Afrique, honteux et démontés, regagnent les navires à la nage ; ils les dépassent, même, et doivent revenir du large ! humour soldatesque. C’est le moment de rappeler quelque bonne victoire passée, celle de Dentatus : 85 Pyrrhus en effet, vainqueur comme on le sait à Héraclée (280) puis Asculum (279), « avait répandu sur vos terres des armées d'innombrables mercenaires, les Kaons, les Molosses mordants, les Thraces, les Macètes » qui ne devaient pas être si différents des Macédoniens, tous trapus, féroces, assassins. Il avait dévasté la pâle Énotrie et même Tarente qui dégoulinait de parfum : et crânes de dégringoler en pyramides. En 275, Pyrrhus d’Épire était vaincu par Dentatus à Bénévent. Et cela remonte à 600 bonnes années. Qu'est-ce qu'on leur a mis aux Anglais à Castillon ! Tous les nôtres sont percés de la poitrine, tous les leurs percés du dos.V 433 434 Chef et premier des pirates, qui voulut épouser la sœur de son roi !... aveuglé par la ZOHAR SIDONIENSIS 89 poussière, abattu par les javelots. "Portant les traces de sa fuite honteuse." Nous ne savons pas son nom : Genséric ne combattait plus, devenu gros et gras. Son gendre donc s'est fait battre en son nom. Et c'est ainsi que Rome est grande. V, 424 / 440 86 V. 441 / 453 Se demander si toute l'histoire de Rome n'est pas une vaste campagne militaire. Les vaisseaux de Genséric (il me plairait assez de posséder une biographie de ce grand Vandale) se seraient-ils dispersés dans la honte ? V 441 Tu construis une flotte, tu la tisses, tu la charpentes : le vous de la traduction n'existait pas en latin ; il introduit une nuance de déférence bureaucratique singulièrement affaiblissante. Nous trouvons plus de respect dans le grandiose tutoiement romain. Tant il se coupe d'arbres que la forêt tombe dans la mer, afin de construire les pirogues guerrières : Agamemnon faisait tomber autant d’arbres flottants. Mes hommes, je vous aurai tous connus bien mieux par les livres et les vers que par les paroles vivantes. Et vous coupez, coupez si bien que de nos jours les côtes d'Italie du sud ressemblent à des gisements de gypse. Les arbres étaient touffus jusqu'au bord. Résineux, corses, opaques. Odorants. Il doit bien s'en trouver encore, savamment replantés. "Tu n'envoies pas moins de bois sacrés que d'eaux » (par tes fleuves) - apostrophe désuète aux monts Apennins, mais qui n'est pas rendue dans notre langue - où rien n’est plus incongru que ces apostrophes surgissantes… Et c'est la Gaule à présent, malgré les impôts dont on l’accable, qui se réjouit de ne pas en sentir le poids. Et je ne sais quelle haïssable formule littéraire ou trope, consistant à comparer, à rapporter le présent à l'échelle du passé : en plusieurs fois ; les Atrides • ZOHAR SIDONIENSIS 89 • • d’abord, puis Sigée le Dorien, qui assiégea Pergame. Tu as confondu (je me tutoie moi-même avec assez de verve) avec Sichée, premier époux de Didon – le cap Sigée présente encore un « tumulus d’Achille »… Il nous reste à subir l'éternelle référence de Xerxès qui aurait percé d'un canal Dieu sait quel promontoire afin de raccourcir le passage de ses bateaux : en faisant le tour, tout simplement, il aurait gagné du temps. Il a même, ce Xerxès, méprisé les flots et, tenez-vous bien ! jeté un pont sur le Pont... V, 441 /453 87 V 455 / 472 Je salue ici mon ouvrage obscur et vaguement bouffon. J’invoque les profondeurs de l'Hellespont, les grondements de la cavalerie sur l'abîme (persultaverunt). V, 455. L'obsession du passé serre encore et toujours à la gorge. Cependant, nous avons surpassé les Anciens, les noms propres d'alors se voient éclipsés : le port Leucadien d'Actium, au large duquel Antoine vira de bord en plein combat pour accompagner la retraite de Cléopâtre, n'avait pas vu de telles multitudes, les bateaux cachaient la mer à touche-touche. Les flèches couvraient le ciel, L'Égyptienne venait combattre pour Antoine qui l'admirait, l'adorait, subjugué, et le lâche Antoine participe de la nature supposée des femmes. Tous obéissent bien plus à la "féroce Cléopâtre". V, 459 Les barques fauves chargées de poix noire portent des guerriers noirs. Beau contraste de tigre dont l’Égypte est dépourvue : Cléopâtre incarne les monstres. Et "Dorida" serait donc la "mer" grecque, cherchant à reprendre son souffle sous le poids des carènes ptolémaïdes, dernière pharaonne. X 1. Que notre histoire est courte au-dessus des abîmes du temps. Majorien, empereur du Trop Tard, ne règne que par le fer, à l'ancienne, à l'ancestrale, sans luxe ni grand train, l’or et l'argent dont on s'est emparé sera exhibé au Triomphe. "Je préfère" ZOHAR SIDONIENSIS 91 2. 3. 4. disait le fameux Dentatus "commander à ceux qui ont des plats en argent". Respectons les lieux communs. Ils sont aussi exacts que les mathématiques. Les louanges de Sidoine tournent à la permanente commémoration ; à l'annexion, à l’instrumentalisation des gloires d'autrui. Lorsque Alexandre mourut, Ptolémée fils de Lagos fonda sa dynastie. Jamais pourtant Majorien n'envisagea de reprendre pour son compte l'Égypte à l'Orient. Après Sidoine Justinien voulut reconquérir l'Ouest : les Goths lui résistèrent ; les pages de l'Histoire sont de lourdes dalles que l'on ne retourne pas si aisément. 5. Tout tombeau est clos à jamais ; les violateurs ne trouvent que des restes, et quelques éperons d'argent. Sidoine agite les fortes lances du chef : mais celui qui reste, Majorien, n’est plus qu’un homme seul avec des mercenaires. L’échafaudage n'eût duré qu'un temps, celui d'un Gengis-Khan, d'un Tamerlan, d'un Bajazet - Majorien, que pouvais-tu à l’Occident, avec ton "rigide essaim" des barbares du Bas-Danube ? Que feront-ils contre d'autres barbares ? Tous ceux que Sidoine énumère, dont il déverse les noms, tous ceux qui vivent sous l'axe languide, entendez le pôle immobile ? Car tu confonds, Sidoine, le nord et l'est. 88 Sidoine s’imagine qu'enrôler des mercenaires sous les enseignes romaines est signe d’assimilation et de victoire. Grossière erreur : les Barbares n'ont pas été conquis, mais sont venus contaminer les troupes de Rome. Ils habitaient "sous l'Ourse parrhasienne", sub Parrhase ursa. Parrhasis est la cité natale de Callisto, transformée par Junon en Grande Ourse justement : arcadienne, arctique, du pays des ours  ! et ils nous craignent, nous, les Romains… Ils ne nous craignent plus, Sidoine, et depuis bien longtemps… ZOHAR SIDONIENSIS 92 Sidoine suppose tous ces peuples tremblant devant Majorien - assurément pas de froid - n'y avait-il donc pas d'hommes libres, de fous, de simples curieux ? si, mais ils ne déclamaient pas de panégyriques. Ils n'énuméraient pas de peuples disparates pour le plaisir d'entrechoquer les sonorités. Ainsi les Bastarnes, qui craignent les enseignes romaines : ce sont des Germains. Les Suèves, nous les connaissons : partis de Stuttgart, il atterrissent au Portugal. La Pannonie, c'était le Viennois, jusqu'à Buda-Pest (pas un Magyar en vue en ce temps-là). Les Neuriens venaient de Lituanie : Sidoine l'ignorait. Les Romains raisonnaient comme les Américains, qui situent la France quelque part entre la Colombie et le Cambodge. Le Hun ! Parfaitement, le Hun tremble devant les enseignes des Huns ! Car l'armée romaine enrôle ces semi-humains, ces monstres aux yeux enfoncés ! puisqu'il faut bien reprendre les préjugés de nos braves bâtards du Ve siècle. En avant pour les Gètes, les Daces, conduits par Derdi (Dace) - les Alains avec un h pour faire farouche, les Bellonotes, alliés d'Attila (nous avons vérifié), Rugus, le Ruge, venu de l'embouchure de l'Oder – empilons, empilons ! sur le Burgonde, le Vèse, l'Alite, le Bisalte, faisons rouler dans l’abîmes les crânes ostrogoths, « pirustes » (reconstitution hasardeuse de Wilamowitz-Mollendorff, 1848-1931), sarmates. Fais-en les esclaves de Rome, termine avec les Mosques. Remets-nous du Caucase, du Don - nous ne pensons pas que les buveurs du Don se préoccupassent de l'existence ou non d'un nommé Majorien qui gonflait, à 100 lieues de là, ses petits biceps - même plus la peine d'aller se battre à l'autre bout de l'Europe : un engagement, la signature d'une croix, et les voilà vaincus, sous les ordres d'un officier romain. Alors, bien entendu, ces populaces mal 1. • ZOHAR SIDONIENSIS 93 dominées se révoltent. Les Goths, ancêtres des gueux, vont réclamer (à supposer) une augmentation de solde, ou la selle chauffante. Majorien va froncer les sourcils, et leur faire rentrer les poils dans le cuir, à ces rejetons du Danube (les divinités fluviales excitaient encore l’imagination); le barbare, "plus indompté que jamais", frémissait sous le joug, comme un étalon qui a besoin de se sentir un maître sur le dos – rassurez-vous, vaillants barbares ! Notre empereur tout frais va vous dompter bien profond, malgré ce chef imaginaire appelé "Tuldila" (n'est-ce pas plutôt Wulfila, "P'tit Loup" ? évêque, et non chef de guerre !) - ces poètes, comme certains contemporains, chevauchent la fine arête séparant l'Histoire de la divagation ; ils étaient si terribles, nos Goths, qu'ils se font comparer aux femmes Bistonides, qui en Bistonie, en Thrace donc, parcouraient les sommets en brandissant des torches et en violant tout ce qui portait verge. Nul n’ignore que les femmes, hystériques, parviennent à un bien plus grand degré de sauvagerie que les pauvres hommes, qui sous leurs peaux de bêtes camouflent leur zizi grelottant. 89 Elles dansent nues, ces hyènes, jusqu’au milieu des frimas : les folles sont insensibles aux attaques du froid. En cas d'ivresse, bien plus encore. Elles descendent aussi, ces exaltées, dans les champs du Strymon, fleuve fils d’Océan, et se dispersent dans le plus simple appareil sur l'incontournable chaîne du Rhodope – ô bienheureux Antiques ! Leurs femmes, moins : toute l'année confinées... Parmi les rochers hyperboréens, il est question d'un "Hismare nébuleux" , "couronné de nuages" - "Sidoine mêle sans vergogne Thèbes et la Thrace" : l'Hèbre en effet, avec un H, c'est la Maritsa bêlée par Sylvie entre Grèce et Turquie d'Europe. Et pendant ce temps-là, nos Bacchantes ZOHAR SIDONIENSIS 94 continuent de tourbillonner, brûlées de chaleurs. "La troupe errante s'adonne au sommeil" – "en même temps s'apaisent les orgies », de même que " la flûte à deux branches ne renvoie plus le souffle" ("qui l'animait", rajoute Loyen). Mais une Bassaride, revêtue de la bassaria ou peau de renard, injecte un second, un troisième souffle à la troupe épuisée. Elle entoure son thyrse de feuillage, doté de pouvoirs magiques et divins. Notre Bassaride mélange le renard et le faon ; elle s'en "hérisse" ? l'hystérie chorégraphique, la peau du jeune animal nous paraissant peu suspecte de hérissement – toute femme en transes renvoie l’image d’un débraillement sans fin... Tout l’opposé d'une première de magazine. Elle pue. Elle est périlleuse. Les "initiés odrysiens", qui les accompagnent, ont tout intérêt à jouir d'un priapisme sans défaillance sous peine de circoncision jusqu’au nombril. Majorien "diffère le châtiment", – les Bacchantes de Rome furent exécutées en 186 av. J.C. - nous l'avions oublié - « mais tu étais l'auteur d'une plus grande effusion de sang, sanguinis auctor maioris", en te montrant clément. V, 500 – comment cela ?… 90 V, 501-510 - le général se fait déborder par sa base, qui le défendra malgré lui – et les traîtres enfin châtiés, nous pourrons nous retourner contres les véritables ennemis. Il est donc procédé au partage du butin pour tous ceux qui ont prouvé leur dévouement par leur "esprit de discipline". L'exemple terrifie les uns, et réjouit les autres par la récompense qu'ils reçoivent. Ce sont là des mœurs de loups, des mœurs de meute, et aussi de Romains, de ZOHAR SIDONIENSIS 95 Germains, de tout ce que l'on voudra, rigoureusement inaccessibles à nos civilisations.. Les exécuteurs ont enfreint les ordres de clémence de l'empereur, mais la totalité de l'armée, enfin, ce qu'il en reste, se voit en effet invitée à se partager "les dépouilles » des exécutés. Majorien a laissé faire : l'essentiel est en effet de préserver la peau de Majorien, même en dépit de ce dernier. Quant aux autres, ils en profitent sans avoir bougé, car c’est très bien aussi, de ne pas bouger. Sidoine invoque l’exemple de César : en gagnant les champs de bataille de Pharsale, il avait apaisé toutes les discordes par le fer, "coupant ses propres membres, sua membra secans, V, 507, « taillant dans sa propre chair", "il pleura ceux qu'il avait frappés". La différence est que César ne possédait que des soldats romains, et qu'il voulait le pouvoir pour lui seul. Il ne pourchassait pas les Barbares. Majorien, cinq cents ans plus tard, a profité de la sédition de certains Goths pour raffermir ses forces. "Mis à part qu'il ne restait dans cette armée "romaine" pas un soldat véritablement romain... Après quoi Majorien, renforcé, se prépare à "la traversée des Alpes". Nous souffrons à l'avance des innombrables développements qui nous attendent, sur les troupes d'Hannibal, composées de Barbares hostiles, alors que Majorien conduit des Barbares alliés. 91 "Déjà, en plein hiver, vous gravissiez à pied les Alpes marmoréennes, les sommets qui s'élancent vers le ciel et le rejoignent, (V, 511) les rochers de verre » (c’est la glace) »t la pluie sèche » (c’est la neige) - quinze siècles plus tard, "le bronze s'agitant dans le marbre" signifiera, chez d'Annunzio, les cloches retentissant dans les clochers - « « parmi les aiguilles » (cimes aiguës) « menaçantes » (V, 512) … « En tête de colonne, à l'aide ZOHAR SIDONIENSIS 96 d'une pique, vous vous frayiez un chemin et assuriez vos pas glissants". (V, 514). Aux éléphants près, c’est très carthaginien. "Au milieu de la montée, le gros de la troupe, maxima turba, s'était mis à frissonner jusqu'aux moëlles" : V, 515 pas très chaudes, les jupettes sous la cuirasse. Nous sommes au mois de décembre, "en plein hiver" dit le traducteur, ce qui est inexact astronomiquement parlant. Pour un Romain, fût-il du Ve siècle, ces paysages escarpés représentaient le comble de la laideur. César faisait tirer les rideaux de sa litière pour ne pas voir ces paysages dégingandés. La troupe commence à "geler jusqu'aux moëlles" (V, 516) et non pas à l'intérieur des défilés, mais là aussi on gèle quand même. Rude épreuve pour un Latin, s'il en reste. Nous aimerions apprécier le réalisme de ce passage, si nous n'avions la certitude quasi certaine d'un pêle-mêle de clichés. V, 511 - 518 92 V 518/521 Majorien, chef d'armée, serait capable, mais trop tard, de rajuster sur l'épaule de Rome les lambeaux de son empire ; mais les Germains sont là, perfides, jaloux, et cet empereur-là, lui aussi, sera assassiné. Dans ce passage, Majorien supporte le froid, le chaud, l'épuisement, et par son exemple galvanise la troupe, comme tous avant lui : Hannibal, encore, les Scipions, etc. - ..."car la pente était forte et les hommes, enfermés dans des défilés [dan-dé-dé] monsieur Loyen, [dan-dé-dé], "reculant au lieu d'avancer, pouvaient à peine se traîner sur le sol gelé." V 516 Plaisant tableau. Ne craignons pas les déclamations : "Alors un de ces guerriers dont le char avait foulé les » [fou-lé-lé] monsieur le traducteur, [fou-lé-lé] « glaces de l'Ister, s'écrie : « je suis claqué » (« plutôt périr par le fer ») ZOHAR SIDONIENSIS 97 Le brave guerrier se plaindra aussi longtemps qu'un agonisant d'opéra. Il préfère mourir par le glaive. La gelure lui semble une honte pénible. Observons avec quel soin les noms et adjectifs s'entrelacent pour figurer l’emprise corporelle de la rigueur hivernale. Pourtant les anciennes tuniques (et non jupettes) avaient cédé la place aux guêtres fourrées des alliés huns. Notre guerrier réfractaire manie la glace et le feu, brûle et gèle à la fois. Comme un amoureux de la mort. Poursuit de ses assiduités militaires un jeune chef inconstant de 30 ans, Majorien, qui ne tient pas en place, qui résiste à toutes les fatigues – un chef, que dis-je ? un "roi", car les Germains n'avaient que des rois, et personne au-dessus. Ils vivaient dans le froid. Mais les autres rois et leurs peuples, quels qu'ils soient, restent bien au chaud dans leurs retranchements : autrement dit la tente, cuir étanche, confort rudimentaire – tandis que « nous autres » inversons les saisons : sous la tente en plein hiver. Les Romains et assimilés surpassent les Barbares ! J'aime mieux les combats et le froid qu'apportent à tous le repos de la mort". V 518/521 93 Plutôt crever. Pauvres tribus barbares ayant passé le Danube sur leurs chariots… « Je vais vous montrer, moi Majorien, ce que c'est que la vaillance romaine."Un engourdissement", poursuit l’infatigable guerrier, "enchaîne mes membres dans une raideur paralysante ! mon corps, brûlé en quelque sorte par l'ardeur du froid, se meurt". Il meurt en vers sidoniens. "Nous suivons ZOHAR SIDONIENSIS 98 un jeune homme". Sequimur iuuenem. "Majorien a dû naître vers 428 ; il a trente ans." Il porte toute la jeunesse du monde, il est "attaché sans fin à la peine". Vraiment quelle pitié. Le vaillant guerrier asiatique incapable de survivre aux Alpes - ridicule ! "Les plus braves, quels qu'ils soient, rois ou peuples, sont enfermés aujourd'hui dans le camp, castris modo clausus, ou même se reposent sous la tente, au soleil." Quel bavard ! pas de travail dans la neige ! ...cette neige où les jeunes citoyens romains se trempaient pour s'endurcir aux travaux militaires… Majorien commande aux tribus, et même aux éléments ! "les ordres de Majorien seront pour la nature la loi", lex rebus erit. Voilà de l’ironie. ...La tente est amère à nos engelures. C'est vous, Mon Général, qui commandez aux saisons : un coup de baguette, et l’hiver devient soleil ! Quelle outrecuidance ! Car ma soumission n'est qu'apparence. On voit bien que vous appartenez à une race supérieure, ne venez pas nous tenter par votre surhumanité -- ô chef, qui crèveriez de honte de céder aux intempéries. Il serait temps de se taire, mais notre Barbare ignore les règles de la sobriété, il amplifie comme un vulgaire poète précieux gaulois : "et il pense", le Majorien, "qu'il se ferait du tort, damnumque putat, à redouter la colère des éléments, même s'il ne peut les affronter qu'à ses dépens." Mais note contestataire est lancé : "Dans quelle nation dirai-je qu'est né cet homme qui lasse l'endurance d'un Scythe comme moi ?" Vous préférez en prendre plein la tronche, que vos soldats se les pèlent, plutôt que d'y renonce Vas-y donc tout seul ! Tu veux surpasser les Scythes ? ZOHAR SIDONIENSIS 99 Mais personne ne sait où logent les Scythes, le poète n’en voit que le nom, qui sonne bien ! les Scythes occupent le nord de le mer Noire, de la Caspienne, le Kazakhstan : pas trace de Germains. 94 V, 530 - 535 Et c'est un Romain, ce prodigieux Romain, qui nous coiffe sur notre propre poteau ? Il aurait un climat plus rude que le nôtre ? "De quelle tigresse" - buvons du lait de tigresse, cela ne rehaussera pas l’originalité littéraire. Elle est d'Hyrcanie, la tigresse - "a-t-il bu le lait, tout enfant, dans une grotte" – "d'Hyrcanie" ! Et Loyen d'ajouter : "Notre "Scythe" se souvient de Virgile" – mais combien reprirent Virgile… V, 531 "Quelle terre plus rude que mon pôle l'a élevé ?" - axe meo grauior –V 532 "voici qu'il rallie au sommet de la côte » bravo le mono « ses escadrons transis et il se rit du froid car chez lui seul la chaleur du cœur l'emporte", ah, tirons l'échelle, tirons, je vous prie. Habituellement, le Chef transmet aux subalternes la chaleur de son corps et de ses convictions : il échouerait donc ici à rétablir le contact ? "Quand je suivais les trompettes du roi du Nord" - il s'agit d'Attila, venu par Metz, par Lutèce (intervention de sainte Geneviève) par Orléans (intervention de saint Agnan), jusqu'à Rome (intervention de saint Léon) (trois légendes… tranquille), "on me disait que les armées de l'empereur romain et la maison des Césars étaient à jamais endormies dans la mollesse". Romani principis arma, ronflaient dans le luxe ! Valentinien III en effet n'était pas réputé pour sa bellicosité - "mais aujourd'hui", poursuit notre intarissable barbare, "rien ne me sert d'avoir perdu mes premiers maîtres, si je devais trouver en ce pays un roi courageux"- "pour le Scythe, Majorien est un roi". Titre jadis maudit pour les Romains… ZOHAR SIDONIENSIS 100 X V 538 / 539 La république, la « chose publique », n’est pas nécessairement démocratique : les plus courageux, les plus riches et les plus ambitieux sont couronnés par le suffrage populaire, sous la protection desquels il importe de croître, comme un champignon à l'ombre d'un chêne. Ainsi semble se perpétue la constitution féodale et naturelle des hordes humaines. Ce qui prime pourtant, malgré les convulsions, c'est la construction mentale collective. Si tu veux renoncer à la lutte vulgaire, retire-toi, cultive tes vertus pour le Dieu qui est en toi. La nature humaine est bien faite aussi longtemps qu'elle se borne au vaste royaume de l'individu ; pour ce qui est du collectif, n'y songe plus. Toi, le lièvre, médite, écris, et n'attends de récompense que de toi, car Dieu est profond dans le creux de ta tête. "Il s'apprêtait à en dire davantage," V 538 - 539 pitié ! - "mais, du haut d'un rocher vous ranimez son ardeur par ces paroles mordantes" – le verbe domine la foule, et tandis qu'elle suit sa chimère, se tient tranquille – mais il est trop tard, Majorien ; le temple s'effondre. Il reste ferme cependant sous tes vastes épaules : qui tient le verbe tient son monde. 96 V 540 / 549 "Qui que tu soi, Quisquis es, toi qui redoutes les pentes glissantes dressées sur ta route : brise la croûte des eaux gelées, entaille la glace, fais-toi un escalier de l'élément liquide." Le concret. La chose à faire. Magnétisme/Action. Ici et maintenant. Renouveler Hannibal, se hisser sur l'obstacle pour vaincre – ici, creuser un escalier de glace. ZOHAR SIDONIENSIS 100 Ici, le corps. Il ne cessera pas, du haut de son roc, de haranguer les troupes ? Mais Majorien monte encore : tu marcheras sur les eaux, comme jadis tu franchis le Danube. Rappelle ta jeunesse et les exploits de tes ancêtres. C'est un ordre. Peu importe où je sois né : toi, Scythe, barbare, tu naquis pour m'écouter, pour me suivre - quelle indiscipline, quelle honte ! C'est l'inaction qui cause le froid" - – otia figus habent. Mes guerriers. À l'écoute d'eux-mêmes et du temps. "Dis-moi ? Numquid ? La nature m'a-t-elle donné le double corps d'Hylée [le Centaure]? » - double forme implique-t-elle double endurance ? - "Pégase, de ses ailes, a-t-il secondé mon avance ? – non, Majorien, tu n'as rien de double ni de miraculeux - "Calaïs et Zétus me donnent-ils leurs plumes ?" - non, tu ne ressembles à rien de tous ceux-là, griffus, pourvus de sabots et d'ailes (« fils ailés de Borée d’après Ovide ») " pour voler sur les croupes neigeuses de ces massifs" – lourd appareillage - car si je peux le faire, tout le monde peut le faire, chanson hélas trop connue. Vos frigora frangunt Est-ce vous que le froid, vous que les Alpes paralysent ?" vous les Barbares, vous les durs à cuire, vous les durs à geler, du Nord, qui voulez régenter Rome ? Rome soulève sur le monde son mufle décrépit - « il faut que dès maintenant je m'attache à vous dédommager des frimas : je vous donnerai un été sous le ciel des Syrtes". V 549 "En Afrique, après la victoire sur Genséric". Il a de l'humour - « vous avez trop froid, vous aurez trop chaud ! » Mais jamais ne sera vaincu Genséric le Vandale - ses successeurs régneront sur Carthage jusqu'à l'arrivée des musulmans) - Attila s'est replié. Mais c'est pire. J'ai abandonné mes anciens maîtres, celui-ci est pire. Ce n'est pas la promenade promise ! C'est qu'ils se redresseraient, ces Goths, ces Scythes, ou de quelque nom qu’on les veuille appeler, après avoir vaincu Attila ! V, 540 / 549 ZOHAR SIDONIENSIS DEUXIÈME PARTIE 101 97 "C'est ainsi que votre voix ranime l'armée" - "et que votre exemple la réconforte » - ô psychologie de primates, « où d'autres sont passés je passerai aussi, car le premier vous entreprenez les travaux que vous ordonnez" car je suivrai ceux qui m'ont précédé, tous généraux, tous empereurs (lire une thèse de psychologie guerrière il ne s'agit que d'hommes) "dès lors la foule des soldats obéit avec plaisir, puisque le chef se soumet aux lois qu'il a dictées". V, 549 / 552 Majorien sourit d'une oreille à l'autre, passons à ses collaborateurs, eux aussi balayés comme nous. Il y aura encore des premiers, certes, les favoris du dictateur. Mais au moins, nous pourrons toujours nous révolter contre eux, car le mérite, rappelons-le, n’est qu'une force parmi d’autres. On ne se révolte pas contre un premier de la classe. Mais ceux que ronge le sentiment d'infériorité préfèrent que la succession des gouvernements s'opère par la violence et l'arbitraire. 98 V 553 - 561 Trop tard, Sidoine ; déjà Ricimer fourbit sa balafre. Bientôt Majorien se tordra sous le poison. "Quel éloge faire aussi de vos comtes, "comites", compagnons ! "de votre maître de la milice" - Ricimer – que sont devenues les grandes familles patriciennes ? - que sont devenues nos armées ? "...seul digne de surpasser Sylla dans la bataille" – contre Marius…À qui s'adresseraient donc ces flagorneries qui suivent ? qui peut être le plus fort au concours des ours ? "Fabius par l'intelligence, Metellus par la piété, Fulvius par la vigueur, Camille par l'adresse" – flagorneries toutes faites, distorsions de l’Histoire, - "Veut-on connaître l'homme éminent qui remplit la charge de préfet sur toute l'étendue des vastes territoires de la Gaule, tendit patulos qua Gallia fines – Magnus, qui ne sera pas autrement cité. préfet du prétoire des Gaules en 458-59, consul en 460" – titres creux désormais. V 553 / 561 99 Mais tout doit être aseptisé, feuilledevigné. "Sous l'autorité d'un tel magistrat, le fédéré, vêtu de peaux..." - non, Majorien n’a pas de point commun avec Trajan, qui n’était pas, non plus, un simple magistrat... X Les historiens allemands ne voient pas de catastrophes dues aux invasions, mais une transmission de flambeau, une translation d'autorité, une garantie de continuité immortelle... V, 563 Et c'est un fédéré, un Barbare, qui dicte sa loi aux Wisigoths ; un Barbare qui commande aux Barbares, un kapo, osons le mot, qui s'abaisserait, lui, devant un simple huissier "enroué", qui n’impressnnait plus personne depuis les temps républicains ? Et comment s'appelle-t-il, ce meneur ? Théodoric II, roi des Gètes ou des Goths, celui-là même qui avait porté au trône impérial le propre beau-père de Sidoine, Avitus ! Celui-là n'était pas un Barbare ordinaire, il avait été éduqué à la romaine ! Sidoine se garde bien de le citer, pour ne pas rappeler que c’est lui-même qui prononce le panégyrique de Majorien, liquidateur de son beau-père ! "Que dire ici de l'homme qui dirige les tribunaux impériaux" ? là encore, pas de noms ! il s'agit de Pétrus, qu’on ne saurait assez louer : "Non content d'avoir en main la conduite des parties civiles, il partage les soucis du combattant." V 566 Nous attendions des précisions, nous n'aurons que de l'enflure : "Il fait ceci, il fait cela" – éloquence du camelot : "Par son entremise, sub quo, une nation barbare se soumet à vos conditions." C'est beaucoup dire. V 562 567 100 Sidoine se livre alors, une fois de plus, à la prétérition : "Que dire ici de l'homme qui dirige les bureaux impériaux" ? Pétrus, enfin cité, qui plus tard lui sauvera la mise… Les écritures, les archives, cela du moins fonctionna toujours parfaitement ; au temps les plus troublés, sinon les historiens, du moins les annalistes, suscitent un respect mêlé de douce amertume : eux aussi voulaient porter à la mémoire humaine les moindres faits de leur époque si capitale, dont à présent ne reste pas même le souvenir. Tant chaque génération s'enivre de sa propre nullité. ...Cet administrateur donc, proche de l'empereur, tient les rênes des affaires civiles et militaires. Jamais on n'est si bien gouverné que juste avant la grande déferlante. "Ah ! téméraire Clio !" (Muse de l’Histoire, qui s’est lourdement trompée !) Sidoine ici compare, avantageusement et toutes proportions gardées, Guy Mollet ou Antoine Pinay aux Richelieu ou Louvois du Grand siècle.. ! De leur côté, les Burgondes, depuis Lyon, comptaient-ils pour quelque chose l'empire pourri des Romains ? Ou bien ricanaient-ils in petto, « on reviendra ! » Ce négociateur en position difficile s’était pourtant révélé très efficace : "Pourquoi, avec tes faibles forces », se dit l’orateur, « aborder l'éloge de Pétrus, lui par la bouche de qui l'empereur daigne parler au monde, bien qu'il ait aussi à son service un questeur éloquent ?" Ces flagorneries s'étaient tant de fois entendues que plus personne ne les relevait. C'est donc Pétrus encore, à l’instant, « qui, après avoir reçu des otages » ( c'était la coutume en cas de traité), est parvenu à « éloigner naguère (…) l’épée enfoncée dans notre cœur » - Pétrus a persuadé le haut commandement romain d’évacuer Lyon de la garnison laissée derrière lui par Aegidius, aux ordres de Majorien, ainsi que les Burgondes, alliés des Gaulois : d’une pierre deux coups, car l’arrivée au pouvoir d’Avitus, Gaulois, avec les Wisigoths, un autre aristocrate gaulois ne pouvait-il pas la réitérer, avec les Burgondes ? V 574 / 585 Majorien se lève comme l'aube ; il restaurera le droit, les rebelles se soumettront, les Vandales reculeront, roucouleront. L'Empire se reconstruira. Mais le monde est lassé de porter l'Empire. Empereur, tu as vaincu nos factions, à présent dresse-toi au -dessus de tous, exerce le pouvoir divin de la nouvelle création. Lyon n'est que ruine et murailles noircies. Car les Barbares de l'armée officielle n'y sont pas allés de main morte contre les Barbares adverses, Gaulois compris… Il ne reste plus rien ! Notre Sidoine se fût bien accommodé d’une telle succession ; mais ne se compromit pas trop, ce qui lui permit de réclamer le pardon au nouveau souverain, plus un dégrèvement personnel d'impôts, tout de même, au passage… Pétrus a donc renvoyé les troupes d'occupation, commandée par Aetius : cela valait bien quelques pets de trompette épique ! Péroraison ! Appel à Majorien ! "Et puisque vous êtes venu, unique espoir d'un monde épuisé, lassatis rebus, nous vous en prions, relevez nos ruines et, en passant, jetez les yeux, ô vainqueur, sur Lyon qui est vôtre" – pitié ! c'est toi qui as tué mon beau-père empereur gaulois ! "elle implore de vous le repos, brisée par des épreuves sans mesure" – incendiée, dévastée, occupée ! V 574 / 577 Pas un mot sur le soulèvement gaulois, qui avait soudoyé les Burgondes... Les Romains règlent les comptes des Barbares. C'est tout ce qu'il leur reste, apparemment, à faire : les taurillons sont lassés, ils ont labouré la terre, un peu de Virgile en sauce. Ensuite, nous reprendrons le collier, le sillon sera mieux tracé : comparaison particulièrement incongrue. L'attelage "n'en labourera que mieux ensuite la terre compacte du champ". Les troupes d'ailleurs "n'avaient plus de romain que le nom". Des Germains venaient piller des Gaulois. "Vous lui donnez la paix, rendez-lui le courage. ZOHAR SIDONIENSIS 105 Nous avons dé-liré, Sire, quitté la lira, le sillon, pardon, pardon... V 578 / 580 Tu comprends, ô Grand Houba, nous avons bien travaillé à nous dresser contre Rome, laisse-nous prendre du repos, et nous ferons mieux la prochaine fois. Et les troupes de Majoriens, magnanimes et intéressées, décréteraient un plan Marshall. "Bétail, récoltes, colons, citoyens, notre cité a tout perdu". V 580/581 "Debout, elle ne connaissait pas sa fortune ; maintenant qu'elle est captive, dum capitur, elle sait, hélas ! tout ce qu'elle fut !" V 581 / 582 La cohérence n'étouffe pas notre poète officiel. « Nous avons succombé sous les dévastations, sous l'incendie, mais vous venez et rendez la vie à toute chose »V 583 / 584 , même si c’est toi qui l’as fait. Cet écrasement de Lyon marquait aussi un désir d'autonomie gauloise : Victorin, Tetricus, usurpateurs, Gaulois. Lugdunum Zone sinistrée. Et si tu pouvais m'exempter, moi, d'impôts, moi le poète, ce ne serait pas si mal. Exactement comme si Lyon se relevait d'une catastrophe naturelle. Et même, nous bénirons votre Majesté de ses Bienfaits, nous bénirons les dieux de nous avoir envoyé la catastrophe, si c'est toi qui nous la guéris. Nous dirons : c'était le bon temps ! Heureusement que tu as tout dévasté ! Nos ancêtres (les Gaulois) aimaient le théâtre, les accusés s’exhibaient devant le tribunal en haillons et en pleurs, mais, nous serions bien meilleurs qu'eux - audace ou convention ? rien n'empêche, après tout, d'imaginer la dignité de l'attitude finale. Compte tenu des usages du temps, le plaidoyer de Sidoine prouve une grande habileté, car nul ne saurait refuser de telles sollicitations, déjà exaucées à demi par le retrait des troupes – au moins burgondes.... "La joie revenue, on aime, Prince, à se rappeler le malheur" V 583 V, 574 /583 ZOHAR SIDONIENSIS 106 103 V 584 / 591 Le chien lèche la main qui le frappe. La lance d'Achille guérit celui qu'elle a frappé. « Puisque nous fûmes pour vous l'occasion d'un triomphe, notre ruine même nous plaît, ipsa ruina placet. V 586 - c'est pousser très bas la veulerie - si tu changes de camp, Sidoine,du moins, cesse de rampe Quand vous monterez sur votre char de victoire et que, selon l'usage des ancêtres, les couronnes murale, vallaire, civique, muralis, uallaris, civica, noueront leurs lauriers sur votre chevelure sacrée – V 586 / 589 Peut-on exprimer plus de vilenie ? est-ce au contraire une rhétorique habituelle ? Quelle insistance, que de lourdeur ! Et voici la péroraison, du moins sa première vague : le vainqueur montera sur son char, et célébrera le triomphe à Rome. Nous rappelons que le dernier triomphe eut lieu sous Dioclétien, mort en 305. Les nobles gaulois n’avaient pas oublié que le premier à franchir un mur assiégé recevait une couronne "murale" ; à sauter le retranchement, une couronne "vallaire". Tout soldat sauvant la vie d'un citoyen romain recevait la "couronne civique". Les trois seraient en possession de Majorien. L'empereur concentrait, ainsi, tant de rayons. Mais s'il faut évoquer les fastes brumeux de la République, pourquoi parler de la "chevelure sacrée" de l'Empereur ? Les triomphateurs étaient accompagnés sur leur char d'un esclave de haut grade, qui lui susurrait dans l'oreille Souviens-toi que tu n'es qu'un homme. Alors, le Capitole verra les chaînes des rois (mais on ne montait plus jusqu’au Capitole...) V 589 On ne célèbre point de triomphe sur des ennemis intérieurs. Mais d’autres, Vandales cette fois, permettront un réagrandissment du territoire de l’Empire, donc un triomphe légitime : « Quand le Capitole doré regardera les rois enchaînés, quand vous vêtirez Rome de dépouilles guerrières, quand vous ferez modeler dans une cire ZOHAR SIDONIENSIS 107 précieuse les gourbis captifs du nouveau Bocchus africain – V 588 / 91 - ô grand moulineur de formules, penses-tu vraiment que le vieux cou de la divine Rome portera tant de colliers et de jougs ? Cependant Majorien revêtira la capitale de dépouilles ennemies. Il "fera modeler dans la cire précieuse les gourbis captifs, captiva mapalia, du (nouveau) Bocchus africain" – référence datant de la guerre de Jugurtha, cinq siècles auparavant - à Rome, l'Histoire était prise au sérieux. 104 V 591 / 596 Genséric, toujours lui, ne logeait plus dans un "gourbi", et l'on ne saurait parler de sa "'capture". Moi-même, dit le poète, je précéderai votre char : qu'est-ce qu'un Empereur victorieux, si nul poète ne s'est trouvé pour le chanter ? et la littérature devient insignifiante, restera toujours l'historien, Zozime, Socratès, médiocres assurément, mais qui exposent, sans rien omettre, les obscurs lauriers de leur souverain. Nous croulons sous tous ces casques. Ô Majorien Maximus, gonflons nos pectoraux : « Moi-même, à travers les foules massées sur votre passage et leurs acclamations enrouées, je vous précéderai et mes faibles chants, comme aujourd'hui, diront que vous avez dompté les deux Alpes et les Syrtes et la Grande Mer » –  le critique ici doit dpnner congé à ses critères - les deux Alpes » comprennent les Pyrénées - .. moi le nain, je porterai sur mes frêles épaules toute ta gloire, et, réciproquement, mon fardeau te rendra glorieux - « ...détroits et hordes de Libye, mais qu'auparavant vous avez vaincus pour moi – ante tamen vicisse mihi - on n’est pas plus modeste… 105 V 596-603 Nous ne voyons hélas les derniers vers s'éloigner en cahotant sur les rails que pour pressentir d'autres convois de flagorneries - à vous voir maintenant tourner ZOHAR SIDONIENSIS 108 les yeux vers les malheureux et leur montrer un visage serein – l’Empereur viendra cum exercitu suo, avec son armée, il vous délivrera manu militari du gras Genséric, et tout rentrera dans l'ombre. V 596 / 598 « Il me souvient que vous aviez le même visage, quand consentiez à me faire grâce » - Sidoine se prostitue au nom du peuple gaulois - « vous m'avez fait grâce, alors que je luttais contre vous » - la vie d'un homme en effet, fût-il l’empereur Avitus, ne pesait pas lourd, mais Sidoine appuyait plus ( ne le dit cette fameuse subversion gauloise bien proche de la sécession – flattant le tyran jusqu'en son aspect physique. Sidoine, risques-tu gros ? Tu as reçu des assurances : écoutez ma prière et vos trophées rendront la vie à Byrsa (ancien nom de Carthage désormais vandale), bien loin qu'il faille à présent la redétruire... Ce triomphe sur Lyon (contre Gaulois et Burgondes) préfigure celui que Majorien ne pourra manquer de célébrer sur Carthage, il en est même la cause, et de toute autre conquête ultérieure pourquoi pas : «  le Parthe s'enfuira tout de bon » et non plus pour décocher "la flèche du Parthe" v. 601 « et le Maure s'en ira blanc de crainte » - tu vas blanchir les basanés ? poétaillon ! « Suse tremblera et Bactres, déposant à vos pieds ses carquois, car, quoi ? elle se tiendra désarmée autour de votre tribunal » autrement dit podium - où vivaient ces Bactres ? ...au nord de l'Afghanistan, sur les traces d’Alexandre, qui ne reviendra pas plus que les Bouddhas de Bamiyân – en réalité, Ricimer dirige tout. Et s’il ne désire pas devenir empereur, c’est non seulement parce qu’ils finissent mal, mais parce qu’il s’est mis à mépriser cette fonction vide… Sidoine imite Claudien dans son ignorance de "tous ces pays lointains" ! Sidoine sera toujours inénarrable : tu as vaincu tes ressentiments ; donc, pour ne pas te contredire, pardonne aussi mes complicités rhodaniennes : ainsi le poète fait-il semblant de quémander une grâce acquise d’avance ; depuis Jules César, la clémence est la condition sine qua non de la Victoire. ZOHAR SIDONIENSIS 109 PRÉFACE DU PANÉGYRIQUE PRONONCÉ EN L'HONNEUR DE L'EMPEREUR AVITUS. CARMEN SEXTUM – PRAEFATIO PANEGYRICI DICTI AVITO AUGUSTO – changement de ton. "Préface du "dit panégyrique", pour "Avitus Auguste", celui qui importe le plus, beau-père de notre héros - détrôné sous prétexte d’avoir été surpris dans un bordel d'hommes : Avitus, voilà du viril. Beau Papa Empereur ! père de Papianilla bien-aimée, connue par portrait, "nous étions un homme et une femme, et nous étions jeunes" - tout encombrés ensuite d'une vie entière . Poète, prends ta lyre : ce prélude ne comportera que 36 vers, aussi bien tournés que creux : "tandis que sur sa lyre thrace le poète célèbre par ses chants la naissance de Pallas aux armes sonores" – quant au barde de l'Ismarus, c’est Orphée - ce « barde » du traducteur est aussi incongru qu’un attorney - c'est le vatès, le prêtre inspiré des dieux - Loyen, tu traduis trop – célébrant un jour, sur sa lyre thrace, l'heureuse naissance de Pallas aux armes sonores – toute tourmentée cette préface, une explosion d’inversions jusqu’à la torture – à nous le supplice des versions latines... Ce fut dans Marathon, cité mopsopienne (en souvenir du vieux roi Mopsopos) « la bousculade des fleuves arrêtée dans leur cours et de la terre accourue » – les fleuves s'arrêtent, la terre au contraire accourt, stop, « laissez-nous un peu respirer » - tandis que le plectre – "le peigne" – fait résonner les cordes d'une douce mélodie – nos gosiers dégoulinent de guimauve, et de tant d'hyperboles, quand on sait que le Caradra de Marathon ne fut qu'un minuscule cours d'eau, et que la terre accourue ne peut s'être ruée aux pieds d'Orphée que sous forme de monticules. La lyre chante sous les doigts d'Orphée, comme coulent les louanges de la bouche divine : car les "applaudissements" ne sont que dans la traduction. VI, 1 – 6 107 ZOHAR SIDONIENSIS 110 Sidoine écrira tout à fait autrement lorsque les malheurs du temps l’auront astreint à plus de modestie. Nous voulons pressentir sous les versiculets l'homme que tu as été : Divine, Diua, née tout armée d'une tête fendue : c’est le front de Zeus, d'où naquit Athéna, sa Pensée -  bousculade des mots, surnaturelle conjonction de la métrique et du chaos – le français ne saurait rendre cette cavalcade de vocables. Sidoine prête obligeamment son verbe au grand Orphée, il a trente ans, il interpelle la Divine Athénée, née du cerveau de Jupiter, accumulant dans son panégyrique tous les accouchements illustres, afin d’exalter la gloire d'être sortie du front même de Zeus, que fendit Vulcain de sa hache (césarienne expéditive ) - (ainsi le dieu étrusque frappait-il au front les morts d’un grand coup de marteau de forgeron, non pas pour les tuer comme on l’écrivait dans les manuels scolaires, mais pour pour en faire jaillir l'étincelle divine) - aux temps lointains de la guerre des Géants, Avocat, ah ! passons au Déluge. VI 08 Hélas, Sidoine énumère impitoyablement : Héraklès et Iphiklès, Lucine, déesse des accouchements, qui fit "durer les douleurs de l'enfantement sept jours et sept nuits". N'ayons garde d'oublier Danaé, fécondée dans sa tour par une pluie d'or entre les cuisses - et "le fils conçu par l'or emplissait sa mère". J'admire. Sidoine "est le seul à faire naître Athéna-Pallas à Phlégra", qui vit la victoire de Zeus sur les Titans. C'était donc enfin le triomphe de l'intelligence, de la mêtis, sur l’hybris absolue des vieux Géants Zeus se verrait ainsi accoucher de sa propre sagesse : les dieux sans Pallas-Athéna ne sont rien. VI, 18 « Mais la tête de ton père – patrius vertex - ne t'eut pas plutôt mise au jour, ô Sagesse, que les dieux triomphèrent plus aisément, avec ton aide. ZOHAR SIDONIENSIS 111 Le vortex paternel. Ah, frappe-toi le front, c'est là qu'est le génie. Musset disait "le cœur". Nous sommes pétris d'impuissance – presque dressée déjà jusqu'à la voûte étincelante du ciel puisque les Anciens vécurent avec le sentiment qu'il y avait là-haut une voûte, l'intérieur d'un crâne (sky/skull) dont nous étions les songes, voûte fixe et ferme, un firmament, ce n'était pas si absurde. Grâce à toi, Pallas-Athéna, déesse naissante, les dieux surent exactement où frapper, leurs forces ne furent plus confuses - et désormais les dieux ne vainquirent plus que par ton intelligence : tu ne venais pourtant que de naître. L’empereur Avitus, empreint de cette sagesse palladienne, retendra le ressort qui meut les deux pôles, tout pivotera comme avant. La machinerie des géants n’est qu’un brouillonde l'univers divin,- c’est ainsi que Dieu mit à bas la Tour de Babel… Existe-t-il encore une littérature à ce point baignée de mythologie ? 108 Le Pinde, l'Othrys, le Pholoé échappèrent aux bras des Géants – ma danse folle au crépuscule pressant contre mon oreille le transistor qui chantait la Chanson des Géants - si la moindre personne t'avait vu ainsi baller dansantcomme un ours en plein cimetière, tu n'y coupais pas de l'asile - et l'Ossa, brusquement alourdi, tomba des mains de Rhoetus. " C’est ainsi que le Pélion fut entassé sur l'Ossa". VI, 25-28 Égéon, Briarée (Briareus), Ephialta et Mimas, qui s'étaient accoutumés à lécher du talon le char de l'Ourse, sont abattus. Voilà bien l'agaçant : "fiers de", "étonnés de", "accoutumés à" : de simples dispositions dans le ciel, dans le paysage, assimilées à des dispositions de l'esprit, comme si un toit, par exemple, avait pu se "sentir fier" de couronner tel édifice, telle roche "éprouver de la honte" à se sentir foulée aux pieds, tel fleuve "se réjouir" de couler dans la plaine ou "s'irriter" d'être franchi… ZOHAR SIDONIENSIS 112 Avitus, Nouveau Maître, devrait précipiter ces nouveaux Titans, les vrais Barbares bien humains, et rétablira les seuls vrais dieux Romains dans leurs forteresses. Il n’est question nulle part du Dieu des chrétiens. Zt Sidoine, qui jamais ne sut se contraindre, d’énumérer les Géants aux noms coruscants, qui "'lèchent du talon les roues arctiques", autrement dit "le char de la Grande Ourse" : en effet, nous dit le commentateur, les membres des géants se terminaient par des bouches ! c'est du Topor ! du Gourmelin ! "les Titans ont tenté d’attraper le char de l'Ourse, qui s'enfuyait " !VI 27 "La belle chose que de savoir quelque chose". "Encélade", autre géant, se voit "terrassé par ton père et Typhée par ton frère" !- ces vers furent-ils proclamés ou juste écrits après coup ? Sur le point d'être atteinte ou percée, la voûte s'effondre pour notre plus grand bien, afin que par nos limites nous soyons définis sans recours. D'où sont venus ces noms ? Claudien composa une Gigantomachie : "Encélade gît sous l'Etna" – nous nous en contenterons. VI, 21-28 109 VI, 29-36 « Puis Orphée, changeant de registre, consacra tous ses chants à sa mère. Les Muses se levèrent à l'éloge de leur sœur. Scène divine et familiale bien glacée. Ainsi, les Géants, étouffés sous d'immenses pierres tombales volcaniques, ne risqueront plus de revenir comme de vulgaires zombies. C'est pourquoi nos monuments sont si lourds. Mais il faut toujours remercier ses parents : "sans eux je ne serais rien"… ...Rome se redresse aujourd'hui sous le consulat de son nouveau chef Avitus et la splendeur des fastes républicains - la question se pose, un peu tard, de savoir si réellement Sidoine croyait ce qu'il proclamait. Une récente lecture d'un érudit nommé Azaïs laisse supposer que Sidoine ne devait pas être aussi bête. ZOHAR SIDONIENSIS 113 VI, 35 / 36 : "Daigne te souvenir de nous, seigneur", Domine papa. "Moi, c'est au père de ce peuple, Avitus, que j'ai dédié ce poème : le sujet est plus grand si ma muse est plus faible - Musa mino Il nous vient Dieu merci d'autres connaissances : Avitus n'était qu'une créature de Théodoric le Wisigoth ; ce peuple en effet allait et venait depuis bien longtemps dans le tissu géographique et social de l'Empire ; les fils de Théodoric, après lui, étendront la domination gothique : Euric n'était pas qu'un tyranneau, ni son fils Alaric II. Tous deux furent de grands rois. VI, 29-36 R. 110 VII 1 / 11 Voici ce panégyrique d'Avitus, où Sidoine reluit encore de sève fraîche. C'est de loin notre carmen préféré, celui que nous avions failli étudier tout d'abord, privilégiant l'ordre chronologique. « Ô Phébus, toi qui vas voir enfin dans ta course - in orbe - un homme que tu puisses souffrir comme ton égal, garde tes rayons pour le ciel ; Avitus suffit à la terre ». Sourires de connivences, envers ce prestigieux poète. Je voudrais entendre sa voix, savoir s'il déclamait à la Rachel, à la Guillaume Apollinaire, si son timbre était clair, cuivré, s'il y avait du vent, des nuages, ce 1er janvier 456, à Rome ; le consul élu en juillet prenait ses fonctions le premier janvier, et donnait son nom à l'année. On vivait au temps de tel et tel consul, et le numéro de l'an n'apparaissait que dans les Annales, justement. ZOHAR SIDONIENSIS 114 VII, 8 / 9 "Oui, Sénateurs, il vous plaît de voir le cumul des dignités et de confier la chaise curule, associée au sceptre" - comment croire en cela ? Existait-il encore seulement des chaises curules ? "croyez-moi, vous donnerez davantage : des chars de triomphe" – le dernier datait de Dioclétien, mort en 311… C'était un geste traditionnel des consuls : couronner le dieu Janus "d'un double laurier" sur ses deux têtes. Mais être consul n'était plus rien. Juste un titre crépusculaire. Qui croit encore en ces légendes janusiennes ? Ouvrait-on encore son temple en cas de guerre, et le refermait-on en temps de paix ? N'étions-nous pas chrétiens depuis longtemps, quel que fût le sens donné à ce mot ? L'assemblée, chrétienne, sourit-elle de ces pesants enfantillages… ? Certains prêtent à ce beau-père un esprit serein et contemporain ; que de réformes n'allait-il pas entreprendre, administratives, judiciaires, sociales, un vrai programme de Cinquième république ! que de réformes n'allait-il pas entreprendre, administratives, judiciaires, sociales, un vrai programme de Cinquième république ! Nous préférons encore les aspérités, les inconnues de nos premières sources aux guimauves de nos vieux diplomates. ZOHAR SIDONIENSIS 115 Le nouveau consul plaçait des lauriers sur le double front de Janus : ce dernier concluait, il inaugurait. "l'année précédente resplendit du Prince, et celle-ci, du consul".) Mais nous ne voyons toujours pas en quoi l'empereur Avitus, nommé chef des armées gauloises par son prédécesseur Pétrone Maxime, eût été plus enclin à restaurer Dieu sait quelle république : aussi enterrée que de nos jours la bataille de Marignan :"...et la trabée (toge pourpre, très ornée) rehausse le prestige d'un diadème bien gagné". VII 13 "Tu t'alarmes en vain, Muse, parce que l'Auster a frappé les voiles de notre esquif" - vent du sud ? - les Vandales en Afrique du Nord ? plausible en effet. Redisons-le : Avitus est déjà Empereur, et ce premier janvier 456, il "prend les faisceaux", comme à la grande époque. Dorénavant, la dignité impériale sera augmentée de la dignité consulaire, comme si le général en chef (imperator) montait encore en grade en parvenant au sommet de l'État républicain. C'est véritablement se tromper d'époque. Au Ve siècle, la situation s'est inversée. Le consulat n’était plus qu’une formalité : l’empereur ne pouvait être intronisé sans consulat…" Le frêle esquif n'est plus seulement celui du petit poème jeté à la mer, mais, ici, le char de l’État, qui, plus que jamais, « navigue sur un volcan ». ZOHAR SIDONIENSIS 116 R. 112 Et, gonflé d'honneur familial, Sidoine poursuit : "Si nous sommes au début de notre course sur la mer de la Renommée, voici l'astre qui sur l'azur des flots veillera sur nous." L'astre, c'est beau-papa, le wisigophile. "Un jour, le père des dieux jeta du haut de l’éther ses regards sur la terre" : La Fontaine eût évoqué Jupin. Lisant Ammien Marcellin, nous nous apercevons à quel point cet homme révélait aux générations futures des faits qui demeureraient à jamais ignorés... Apprenant à quel point l’historien Marcellin se montre irrégulier, profus en digressions, recourant à des informateurs de plusieurs siècles (aurions-nous l'idée de nous référer à Voltaire pour connaître les mœurs des Allemands d'aujourd'hui ?), et constatant, malgré tout, sa relative survie, nous concluons que le manque de rigueur, de plan et de composition n'affecte pas l'accession à la gloire. La fraternité, la démocratie, ne passent pas par l'égalité, car ce dernier idéal fauche toute joie de vivre ; l’ambition est la plus noble des passions, pourvu qu'elle ne soit pas la morgue. Mais Jupiter se penche sur nous, partagés entre  Dieu et nos propres mérites : "aussitôt tout ce qu'il voit prend vigueur : pour ranimer le monde, il a suffi de son regard (aspexissé) ; un seul signe de sa tête réchauffe l'univers". ZOHAR SIDONIENSIS 117 Sidoine, imbibé des préjugés séculaires de son temps, les accepte comme siens. Ou bien, de simples ornements sans poids ? Faut-il lui supposer un « second degré » ? "Bientôt, pour rassembler les dieux, l'Arcadien de Tégée s'envole, à la fois des talons et du front", que nous n'allons pas nous abaisser à appeler Mercure ! - "l'Olympe ! l'Olympe !" s’écriait l'éditeur. "A peine a-t-il atteint la plaine, et descendu toute la montagne de son aïeul, que la Mer, la Terre et l'Air ont envoyé leurs divinités propres." La note érudite précise que Sidoine imite Virgile : rien décidément chez notre homme qui ne soit de pièces et de morceaux, surtout en ces jeunes années où Monsieur Gendre passe en Classe Impériale. Il ne faut rien de moins que les dieux pour annoncer l'ascension du beau-père au trône. En pleine assemblée des Olympiens, convoquée par Sidoine et Jupiter. Mercure / Hermès lui même descend de l'Atlas, dans les deux sens du terme : le géant Atlas était le père de sa mère, Maïa lla Parturiente : et tous les dieux d'accourir, de la mer, de toutes les contrées du monde, et tout dégoulinants : "C'est ton frère (...), qui vient le premier VII 23 toi qui as coutume de sillonner les flots doriens, Dorida, », autrement dit grecs, mot oublié , monsieur Loyen, ZOHAR SIDONIENSIS 118 mot oublié ! Il a fallu que je consultasse la traduction Jean-François Grégoire et François-Zénon Collombet (1837 !) - comment peut-on négliger Grégoire et Collombet ? … D’abord Neptune, "frère du Tonnant", sur un char vert océan, qui "fend Doris", autrement dit "sillonne la mer, répandant aussitôt la sérénité parmi les vagues étonnées ! » - il nous eût bien étonné, justement, que les éléments inanimés, les premiers venus, n'éprouvassent pas ces exaspérants sentiments si fades et si platement prévisibles, états d’âmes d’aquariums à grands coups de pinceaux détrempés. "Phorcus accompagne les nymphes ruisselantes, et là vous venez aussi, Glaucus, vêtu de glauque", il a osé !quel grouillement ! ça sent la marée ! "Puis, s'avance un long cortège d'autres divinités : Liber couvert de pampres, Mars farouche, le Tirynthien tout velu" VII 29 – tous vont y passer : Vénus nue, la féconde Cérès" – VII, 30, "Diane avec son carquois, Junon majestueuse, la sage Pallas", attributs et attitudes sur chars de Carnaval. "Cybèle couronnée de tours, Saturne l'exilé » (du ciel), la vagabonde Cynthie" VII, 32 qui est Diane - 2 prénoms à nouveau à la mode Les références renvoient, précisément, à ce passage de Sidoine, lui-même imitateur d'Ovide. Nous nous passerons donc d'en ZOHAR SIDONIENSIS 119 savoir davantage. "L'éphèbe Phébus", pfff... "Pan qui sème la panique", récidive, "les Faunes en érection, les Satyres bondissants" Passons de l'eau au vin : le "pampreux Liber", Bacchus qui libère la langue, passons au sang versé avec "le farouche Mars" VII 29 Nous poursuivons par « Cybèle couronnée de tours" - avalanche sans fin ni trêve, quelle foule. Quelle froide pagaïe. Bazar indispensable au genre. R.115 "Prirent part aussi à l'assemblée ceux qui par leur valeur ont mérité le ciel" VII 34 – suit une autre énumération, celle des héros : "Castor illustré par le cheval", grand chasseur de sangliers, Pollux caestu, "Pollux par le ceste", ancêtre du « poing américain ». VII 35 De fins sourires entendus accompagnent les soupirs excédés. "Persée par son cimeterre", harpe, ce qui ne signifie pas la harpe ; "Vulcain par la foudre", puisqu'il la forgeait - jamais nous n'ouïmes dire qu'il eût été un héros, mais toujours un dieu - "Tiphys » (pilote de Jason) « par son navire", "Quirinus par sa race" (le représentant des Romains figure ici en bonne et flamboyante compagnie ; Romulus était appelé "Quirinus", "l'homme du chêne", et tous les Romains descendent de lui) ; avant de nous moquer, rappelons-nous combien les Français s'imaginent encore appartenir au Pays des droits de l'Homme, ZOHAR SIDONIENSIS 120 Nous renvoyons aux profitables articles de Ren aud Alexandre et Sylvain Destephen sur les panégyriques antiques, afin de voir si les mêmes éléments se retrouvent de siècle en siècle, à quelles règles strictes ou souples ils pouvaient obéir. Notre métier, vécu hélas comme une contrainte, nous dissuadait de tout fardeau supplémentaire de documentation. Il n’aurait plus manqué que cela. À présent nous voici tout barbouillés sans possibilité d’infiltration profonde : "Qui pourrait chanter ici-bas la cour céleste dont les astres eux-mêmes forment l'étincelant pavage ?" VII 38. Texte ingrat, qui ne peut se sauver que par la digression : il faudrait se référer aux cosmologies antiques. Mais ce serait bien de l'érudition pour tant de carton-pâte versifié, sur lequel roupillent pour moitié ou deux-tiers de Goths, peu versés en mythologie romaine - combien de temps avant le festin ? ... "Le Père des dieux, plein de sérénité, prend place sur son trône" VII, 39 : courbette au beau-père ? "...puis, s'assoient les principales divinités", priores consedere dei, voir plus haut. "Il fut même donné aux fleuves de siéger en ce lieu, mais seulement aux anciens - senibus." Aurons-nous du moins des indications sur l'étendue de l'autorité romaine ? Parions : le Tibre, le Rhin dont on brise la glace pour boire, le Danube et l'Euphrate : "à toi, Éridan, au cours majestueux" – VII 42 c'est le Pô, où se couche le soleil, dont nous trouvons ici l'ancien nom ; "à toi, Rhin impétueux, que les blonds Sicambres brisent pour emplir leurs coupes" - le commentateur précise après tant d'autres que ces derniers sont depuis longtemps fondus dans la fédération des Francs. Et combien nos vieux cuistres n’auront-ils pas radoté ! Remi baptise Clovis en disant Courbe-toi, fier Sicambre : l’authenticité de ces paroles n’est pas contestable. Nous aurions aussi bien appelé Chirac « le Gaulois"ou « le Lémovice » Le dernier fleuve est donc l' "Ister" ou Danube gelé bord à bord foulé par les chevaux des hordes vagabondes un certain 31 décembre 406 – leurs descendants sont là, devant Sidoine, et un instant se désassoupissent… Ce sont là d'impénétrables visions, des tableaux féeriques, d'un exotisme échevelé s'il n'avait pas déjà plusieurs couches de fards versifiés. Les Romains s'avisent à nouveau d'un monde extérieur hostile. Coincé entre la sauvagerie nordique et celle du monde brûlé de l'Afrique - encombré de légendes jusqu'à l'asphyxie. Nulle évasion possible. Le traducteur semble toujours interpréter, boursoufler ses phrases. Sidoine déclamait-il, en respectant une cantilation liturgique, ou bien s'exprimait-il avec mesure ? R. 116 Reste le Nil, "connu surtout pour ta source inconnue", détestable pointe - il suffisait de traverser le lac Victoria, en amont duquel plusieurs ZOHAR SIDONIENSIS 122 cours d'eau revendiquent le nom de Nil. Mais une stèle pharaonique avertissait que tout Noir franchissant la limite boréale serait mis à mort, par sa couleur seule. Les Anciens ne risquaient donc pas de découvrir de sitôt les sources du Nil (au Burundi).VII 44Voici qu'on nous annonce une "Prosopopée de Rome ": la ville éternelle sous vos yeux, comme si vous y étiez. Prise en 410 par Alaric, en 455 par les Vandales C'est alors qu'on vit au loin, procul, descendre des hauteurs célestes Rome au pas traînant » dans ses pantoufles de vieille avachie jusqu'aux seins, « tête baissée, les yeux à terre" VII 45 47 – atterrant - Claudien nous dit-on figurait déjà cette prosopopée de Rome divinisée, mais elle ne s’adressait qu’à elle-même… Chez Sidoine, considérer la vieille Rome suppliant l’Aurore d'envoyer Anthémius à la tête de l'Empire nous comble à l'avance d'une immense benne de cendre... - "ses cheveux pendent du sommet de sa tête, couverts de poussières et non d'un casque – tecti puluere non galea ; à chacun de ses pas chancelants, Rome heurte son bouclier et sa lance n'est qu'un poids mort, non plus un objet d'effroi" – à présent l’image suffirait seule à de telles décrépitudes ; nous ne décririons plus ces « crins pendant » : les accusés se présentaient ainsi devant les tribunaux, ce que nous jugeons indigne - Rome plie le genou devant Jupiter - voilà bien 200 ans que l'Empire est chrétien – condamnée par l'Histoire. VII, 39-49 La déesse s'embarrasse dans sa lance, « qui transporte son poids et non plus la terreur » VII 48/49 car c'est ainsi que le déclin voit les choses : « le bouclier se colle à ses pas chancelants ». Voici longtemps que l’Empire n'est plus au nord qu'une passoire à Goths, Hunniques et autres. Mais il faut l’exhiber sous un jour ZOHAR SIDONIENSIS 123 pitoyable afin de rehausser le prestige de Celui qui la relèvera, le Gaulois Avitus. Les Grecs croyaient-ils à leurs mythes ? Paul Veyne. "Ils y croyaient et n 'y croyaient pas - comment croire au corps même du Christ dans l'hostie? ..pour les protestants, seule notre foi le garantit. Ce ne sont plus pour le poète que des ornements et des panoplies dont nous aurons la vue bouchée pour plus de dix siècles : « Je te prends à témoin », dit Rome, Père sacré (gros bruit de ferraille) « et toute cette puissance divine que moi, Rome, j'ai possédée »  un jour en haut, un jour en bas : cliché connus de tous. Heureux les humbles ? que non pas. Car l'homme veut s'élever. C'est de sa nature. A la fin il aspire à ne voir que Dieu, et persécute le tout venant. R. 117 "Que m'annonça, dis-moi, l'haruspice toscan avec ses douze vautours ?" - vision obsédante, source jadis de joie et de fierté, les douze siècles de grandeur sont acomplis, les vautours ont fini de tourner. De même, les sept jours fondateur dans la Genèse ne se sont-ils pas déclinés en sept périodes ? Non, douze siècles sont douze siècles, pas un de plus, ni de moins. « Cette crainte était assez répandue." ."Ah ! pourquoi me suis-je enorgueillie des présages quand j'ai jeté les premiers remparts de mon peuple et que tu ouvris, humble Romulus, le sillon de mon enceinte sur les hauteurs de la colline étrusque ?" VII 56/58 - mais nous avons honte, nous autres Français, de la victoire d'Austerlitz. Incapables de regretter le « bon vieux temps de la gloire ». « Mon épée m'assurait plus de tranquillité, quand le tourbillon joint (et non pas les très plats "assauts conjugués") "des Rutules, des Véiens, puis de l'Auronque, de l'Èque au totem de cheval, sans oublier l'Ernique et le Volsque, ZOHAR SIDONIENSIS 124 cherchaient à m’écraser. J'étais déjà bien grande, même à tes yeux" (ceux de Jupiter) quand une femme rompit son corps par le fer ("perça d'un poignard son corps souillé") et que, joint à cette chaste blessure tu revins, honneur perdu" - le viol de Lucrèce, bien sûr !VII 61/63 Les mythes ressassés finissent par lasser  - « déjà vient le temps où Tarquin et ses alliés étrusques" (forcément, Tarquin l'était lui-même...) "m'enfermèrent dans mes remparts" – avocat, ah ! passons au Déluge. Tes lamentations me font chier, entends-tu le ploc lourd des étrons dans la fosse ! VII 65 l'assistance soupire , car le festin (bis) nous attend ! "Ah douleur ! Pro dolor ! Ricaner, ou rouvrir les bouquins poussiéreux, notre choix n'est guère vaste. "Et Coriolan qui massacra le Volsque en fuite, et le dictateur sorti d'exil qui mit en déroute les Sénons ?" Les exploits de ces grands hommes, tous militaires, s’enseignaient aux enfants romains comme autant d'articles de foi. Ainsi pour nous les Taxis de la Marne ou la légende de Jeanne d’Arc, l’imposture qui dure… R. 118 Mea redde principia "Ah ! " ou "Oh" ! brasier de Mucius ! pro Muci ignes ! pro Coclitis undae ! VII, 65 étranges exclamations ! noblesse exaspérante ! pompeuse distribution des prix ! Gurgès, "qui soumit à mes lois le Samnite", qui ne se lavait jamais l'arthrite ! Marcius Coriolan, qui refusa de fouler le corps de sa mère, Ludwig opus 62, Sidoine VII 68 ! - et le défilé continue "Je revoudrais, dit-elle, "la vie de Fabricius’ (il refusa de faire empoisonner son ennemi), la mort des Decius" (père, fils et petit-fils : les Decius Mus, les Trois Souris) –(aussi rebattus que notre "Liberté, Égalité, Fraternité» "Je voudrais » clame-t-elle, « ces victoires ou ces nobles défaites", VII, 70 bel et rare alexandrin sous la plume de notre traduttore Loyen. Le texte est en effet passé à l'énumération chronologique, lieux communs à bout de souffle – de même s’épanouissent de nos jours nos inépuisables dictionnaires et ZOHAR SIDONIENSIS 125 commémorations - "rends-moi mes principes", mes fondamentaux, redde mihi principia. Il s'échappe parfois d’Apollinaire, Sidonius, des bonheurs d'écriture. "Hélas ! où sont maintenant les pompes « et les riches triomphes du consul pauvre ?" La distribution des prix vire au monument aux morts : Cincinnatus le Bouclé, ce grand propriétaire qui jamais de sa vie ne toucha la charrue ? "La pointe de ma lance » poursuit Rome  « a porté l'effroi sous le ciel libyen" – après l’histoire, la géographie – au-dessus des "greniers à blé" de Rome – « au perfide Carthaginois  j'ai imposé trois fois le joug » - c'est bien à Rome en vérité d’invoquer la perfidie punique, elle qui proposa que la ville portuaire fût reconstruite 40km à l'intérieur des terres… " Les déclinistes d'aujourd'hui feraient pâle figure… Ne reste plus à Rome que la gueule et le carton-pâte. Ces formules creuses, inadaptées, n'ont-elles pour autant aucune grandeur ? Les Teutons, « Teutsch », les Cimbres ou Kimmériens, n'apprirent-ils pas à Aix ou à Verceil en – 101 que la terre qu'ils exigeaient se trouvait justement sous leurs pieds, où il faudrait les enfouir ? L’illusion des Romains venait, comme à présent de nos jours, d'un prétendu héros, qui remettrait le monde en ordre - déni pathétique. Vae mihi ! Redressez le rempart de tous ces noms qui firent jadis la gloire de Rome, répandez sur sa tombe les couronnes qui l'ont transformée à jamais en immense mausolée ! VII 78 : "...Quelle était ma puissance lorsque Scipion l'Asiatique, Curius, Paulus, Pompeius "imposaient à Tigrane, Antiochus, Pyrrhus, Persée, Mithridate, la paix, l'abdication, l'exil, la rançon, les chaînes, le poison." Alors, Sidoine se surpasse : par un vibrant appel aux morts, à Curius (Dentatus, le Dentu) cuisait des navets, et préféra commander à ceux qui avaient de l'or. Comme on lit les victoires sur l'Arc de Triomphe. Que d'autres fassent la fine bouche. Sidoine s'enlise, tartines, versifie pour ne rien dire, énumère des tribus dont le seul nom fait frémir. : "Je ne dis rien du Sarmate (Sauromatem, du Don à l'Oural), ni du Mosque (?), sans oublier les Gètes qui tètent du sang - quant aux Parthes, ils partirent : mais c'est surtout alors qu'il faut les fuir, lorsqu'ils s''enfuient" – la pointe est dans la flèche… ZOHAR SIDONIENSIS 126 R 120 . Nous ignorons si les panégyriques étaient scandés d'applaudissements enthousiastes, mais ces deux énumérations eussent pu l'être, voire debout ; "Et ce ne sont là que mes exploits terrestres », poursuit Rome ; qui se gargarise de ses exploits ressassés. « La Terre entière ne te suffit pas : tu franchis les océans, toutes armes flamboyantes, jusqu'aux peuplades du soleil couchant. VII 88 Ce sont les Césariens, qui ont découvert de nouveaux rivages. ."César a porté mes armes victorieuses jusque chez les Bretons de Calédonie  et il cherchait encore des ennemis, quand les bornes de la nature lui interdisaient de trouver désormais des hommes" coriaces : « …et tout là-bas aussi la terre avait des habitants. Il a mis les Scots en déroute? enquêtons : les Scots sont venus d'Irlande vers l'Écosse, après le retrait des troupes romaines, au Ve siècle. Sans doute les Romains les ont-ils affrontés. Mais devant ces grands roux aux yeux verts, il avait fallu édifier un mur, derrière lequel les Scots demeurèrent insoumis. . Ce passage est "farci", dit-on note 20, "d'anachronismes et d'erreurs géographiques et historiques". Sans nul doute. César ne dépassa pas le nord de Londres. Passons à Octave Auguste : "Leucade t'a vu, farouche Auguste » (au nord d’Ithaque), briser la puissance du Phare" (l’Égypte cléopatrique). Du nord-ouest au sud-est, tout tremble devant Rome ! La mer était calme et stagnante, c'était au large d'Actium, un certain 2 septembre de l'an - 31. Nous sommes aussi en - 31 - mais avant qui ? Rappelons que la victoire navale d'Actium fut due à d'habiles manœuvres ; que la pharaonne Cléopâtre avait épousé son frère, comme il était coutume en Égypte ancienne, car les Dieux aussi se mariaient entre frères et sœur. Cléopâtre entraîna dans sa fuite l'ivrogne Antoine. "Et alors qu'autrefois je me plaignais des limites trop étroites du monde, stricto (...) ZOHAR SIDONIENSIS 127 cardine mundi - points cardinaux - désormais la ville même de Rome n'est plus pour moi un rempart." VII 97 Mais "nous avons changé tout cela » : ces Romains ! quels fascistes ! Sidoine Apollinaire, malgré ses prétendues infériorités, n'en est pas moins l'un des témoignages du sentiment d'abandon qui règne sur notre monde. Après cela, seuls les Papes relevèrent le prestige de cette bourgade ruinée. L'Empire Romain ne pourrait plus être que bigot. Il ne comprendrait plus la partie sud du Mare Nostrum, agrandie en revanche de toute la Germanie, d'où le Saint-Empire Romain Germanique, anéanti bien plus tard d'un trait de plume par Napoléon... VII 86 98 R. 121 Se rappeler deux choses : Alexandre jadis, tenant entre ses mains une carte du monde (ou peut-être une sphère) se plaignait qu'il fût trop restreint pour son ambition. Deuxième rappel : la limite de Rome avait été jadis franchie d'un bond, par-dessus le sillon fondateur ; le sauteur sacrilège, Rémus, fut occis sur-le-champ par son frère Romulus. D’aucuns prétendent que Rémus, blessé, parvient à s'enfuir et fonda la ville de Reims ; mais cette version n'apparaissait que sur les emballages de biscuits. sC'est ainsi qu'un poète écrit l'histoire. Pourtant la destinée de Rome ne fut plus républicaine mais confondue avec ses Chefs : je suis toute dans le Prince", sum tota in Principe, tota principis, "j'appartiens au Prince". Le Prince, entendez l’Empereur, Premier du Sénat. Les rois furent chassés, les empereurs sont venus, les droits du peuple s’étant effondrés d'eux-mêmes, soudain caducs. Les Romains de Sidoine, douze siècles plus tard, n’ont su conserver cette gloire passée - nous nous gargarisons bien, de même, nous autres Français, de nos fameux "Droits de l'homme" dont nous serions les instigateurs. Les Romains, pour l'éternité, restent « les troupes casquées de la liberté disciplinaire. " "Et depuis César, je deviens un lambeau d'empire"... VII, 103. ..."moi qui en fus la reine". Ici le discours se fait compact et mystérieux. ZOHAR SIDONIENSIS 128 R. 122 VII, 104 / 110 Chaque empereur alors est rappelé d’un détail qui fait mouche : Tibère se fait sucer dans sa piscine, Caligula se chausse de caligas ou sandales à clous, Vir morte Nero, "Néron qui ne fut homme qu'à sa mort". Belle concision. Galba et Pison, qui n'ont joui que si peu du pouvoir, trouvent aussi leur place. Quel récapitulatif. Quelle crasse cognitive. Nous apprenions naguère à nos disciples toute cette série d'empereurs. Vitellius ne faisait qu'engraisser : "hideuse goinfrerie", « un ventre qui malgré la brièveté de son règne périt trop tard encore, sero perit » - chacun en eut son morceau, déchiqueté qu’il fut par la foule - que d'heures avons-nous passées à enseigner l'histoire des Romains, en dépit des mortifères interdiction hiérarchiques. R. 123 Vespasien, Titus, Pompéi et le sac de Jérusalem. L'Histoire est un contes de faits - « je fus alors la chose de Vespasien" - lui qui ne nous laissa que les vespasiennes à ronger, avec sa tête de pousse-pour-chier. Domitien n'est pas mentionné : sa mémoire fut maudite. Puis vint l'apogée de l’Empire : Nerva adopta Trajan ; on adoptait même des adultes. La paternité se comprenait mieux sous forme juridique et religieuse que sous forme spermatique. Trajan fut le meilleur des princes. « Honnête, infatigable ». Il mourut à Sélinonte, chez une vieille femme qui refusa de croire que ce fût lui. Rome regrette encore ce règne béni, Sidoine voit pour finir Avitus, son beau-père, en successeur de Trajan, poussé par le souffle de la Gaule, ou plus exactement des Wisigoths aux gros renvois d’ognon : Avitus, le collabo... R . 124 VII 118/128 Nous habiterons la douleur et le deuil, et nous serons priés de penser aux bonnes choses, sans plus. Les dieux sur nous se sont penchés jadis, Romulus fut déifié - en 455 enfin, « la Saturnienne se laisse fléchir » : Junon, fille de Saturne, sœur et femme de Jupiter. Voici ton empereur, ton Avitus, avec tampon de certification divine. Tu as su repousser maintes fois l'ennemi, consulte tes statistiques, enchaîne les calculs de probabilité : je vais (dit le poète) récapituler toutes les fois où tu as vaincu : après les triomphes, les beaux redressements. Tout reviendra. » Jamais. ZOHAR SIDONIENSIS 129 ...Second catalogue, Porsenna l'Étrusque en fuite, le soldat Coclès qui nage sur son bouclier... R. 125 La falsification perce au vers 129, car Brennus (« Malheur aux vaincus ! ») ne s'est pas retiré de Rome : après avoir massacré les sénateurs, il avait obtenu son butin, sans être inquiété. Les Senons (de Sens?) n'étaient que des pillards, sans foi ni loi. « Mais Hannibal, plus tard, nous l'avions bien repoussé ». Déjà pourtant le camp carthaginois « se tenait tout proche de nos murs », quand « la foudre accourut devant la porte Colline » (au nord). Rome s’est relevée, sept siècles plus tard, au Vatican, dévoratrice, mais plus jamais guerrière. « Lève tes lumières torpides » ô Rome, « tes yeux languissants » VII 134- Rome, on s'étonne de tes défaites - que tu te redresses, rien d'étonnant. Le poète à lui seul redresse la Déesse abattue - mais il est des phénomènes naturels contre lesquels la médecine ne peut rien. La patrie s'affaiblit ? ...l’Auvergne, parfaitement, irriguera tes veines épuisées – non - la greffe arverne jamais n’a refécondé la souche romaine... R. 126 VII 143/162 Semences donc « trop lentes. Même en Limagne, à l'est de Clermont. L’Arverne (149) est l'unique espoir du monde, et non pas la Croix. L'Arverne ou Auvergnat sera donc le sauveur, comme jadis l'âme de Vercingétorix, mais en sens inverse ; nous sommes à présent sous Avitus, pour régénérer le Latium. Nos Gaulois pourront-ils renverser le sens de la faveur divines ? ...Que ne feront-ils pas, eux qui furent capables de refouler dans leur camp les meilleurs soldats d'il y a cinq cents ans ? Gergovie, en tête de vers (152) s'appelle aujourd'hui Merdogne. Les Romains, « résistant avec peine », faillirent se faire déloger de leur propre camp. « Mais si j'ai voulu que les Arvernes fussent si forts, c'est que je destinais Avitus à marcher sous ta loi, ô Rome. » Les Arvernes, derniers à accepter le joug de Rome, furent aussi les derniers à le défendre. Avec Avitus, le Gaulois pouvait encore se faire illusion. Nous avons remonté puis redescendu le cours du temps. Sidoine rappelle tous les ancêtres de son glorieux beau-père, en vers abstrus. Que d'ancêtres ici entremêlés, dont Philagrius, arrière grand-père, fut le premier maillon. ZOHAR SIDONIENSIS 130 R. 127 On n'appellera plus tes aïeux par leur nom, mais par rapport à toi : Grand-père ou Grand-oncle d'Avitus. Ô rengorgements ! Loin de te glorifier de la gloire de tes ancêtres, c'est toi qui fais rejaillir sur eux ton éclat d'à présent » - de qui suis-je donc l'obscur bisaïeul ? avant quel Christ vivons-nous ?) - « je chante les armes et l'homme » disait Virgile: « Toi seul , Avitus, » conclut Sidoine, « ennoblis tes aïeux. Je veux faire connaître les exploits d'un si valeureux héros, tanti / gesta viri, et retracer brièvement ses premières années ». Soyons bien pompeux. Encensons le ventre rond de sa mère. Sombrons dans l'emphase. Laissons à Jupiter le premier rôle (nous l'avions oublié : la première personne du singulier, c'est lui – mais personne n'y croit plus) - la panoplie olympienne encombre les poètes pour plus de mille années encore. Si le père est effrayé, c'est de voir son enfant promis à la gloire, des serpents, des torrents de feu ? rien n’est précisé : « des augures favorables »… - Pour justifier ces présages, le père d'Avitus va donc forger sa progéniture à la dure – autres clichés : courir nu-pied dans la gelée blanche et casser la glace avant de boire. R. 128 VII 176/197 Le futur empereur, dont rien en fait n'a laissé entrevoir l'avenir, commence par « l’illustre Cicérons », avant de se lancer dans les combats de massues ; à défaut de la guerre, la chasse, dès l'enfance. VII 178 Sidoine ici se surpasse : il nous apprend d'abord que le gibier est enragé, une femelle aux « babines ensanglantées » qui surgit devant notre jeune homme à peine sorti de l'enfance, sans armes (« trop jeune ! ») - mais comme « des fragments » (de rocher) se trouvaient là, sur le sol, ce héros en balançe un bon bloc sur le rictus verdâtre d'une louve - « le roc demeura dans la blessure ». Ce que Sidoine n'a pas relevé (le voilà déjà dévié sur Hercule, brute proto-humaine) c'est que la louve, avant d'être un fauve, représente aussi la nourrice de Rémus et Romulus : ceux-là tétaient le lait, Avitus en aurait-il tété le sang ? Tremblons, lecteurs assoiffés de lutte : Avitus le Gaulois règne son compte au sanglier, l'étrangle à mains nues comme un simple lion de Némée. Avitus subjugue les dogues avec un collier de chaîne et leur enseigne à débusquer les fauves, feras, de leurs tanières, la truffe permet de repérer à l'odeur, ZOHAR SIDONIENSIS 131 sans traces matérielles : miracle du flair ! jusqu’où le louangeur ne s’abaisse-t-il pas ! ! La seule tache de poésie est ici de nommer les boutoirs de la bête les « lunes », blanches sous la gorge noire, traduite par «hure ». L'arme du chasseur, c'est l'épieu qu'on enfonce, en un coït mortel. Alors, en un raccourci prodigieux à travers les siècles, Sidoine nous présente l'idyllique, le préhistorique tableau du mâle qui revient de la chasse, ô Lucrétius ! sous les regards béats de sa famille, présentant la sotte hure hérissée réduite à la mutité. VII  176/197 VII 198 / 204 Vite, vite, une comparaison, poétique : le défilé du coucou suisse au grand complet. Sera-t-il dit que tout matamore paradant avec une tête de sanglier (pas la sienne) nécessairement montera sur le trône ! Oiseaux divins que la nature donne et divulgue afin que le peuple connaisse l'avenir ! Mais c'est lui, Avitus, qui aime les oiseaux, les volatiles, pour les tirer ! « La chasse aux faucons », nous dit la note, devenue courante en ce temps-là, restait inconnue de Rome jadis… Avitus de Beaucaire améliora la chasse au vol, au point de l'avoir inventée ! coups de becs à travers les nuages, per nubila ! VII 198 /204 R . 130, mot 44 : praestat, vers 211 VII 206/211 Avitus « vainc les oiseaux par le vol », à tire d'ailes. Ensuite, le chasseur lui subtilise sa proie. Quand on sait chasser à ce point, les Grands de ce monde ne peuvent que venir vous trouver pour monter sur le trône. Chasser, pêcher, empaler d'innocents asticots : quel prestige... 63 12 09 Avitus intervient donc : jeune, isolé, il obtint en 418 l'abolition d'un impôt punitif, pour avoir soutenu l'usurpateur gaulois Jovin, qui n'a régné que quelques mois en 411 avant d’être exécuté à Narbonne. Ainsi l'incapable empereur Honorius put-il continuer son règne. Mais cet impôt coercitif n’avait pesé que cinq années.
Honorius (384 – 423) avait associé au pouvoir l’époux de sa sœur Galla Placidia : Constantius, ex-adversaire du Gaulois Jovin. Et c'est ce même beau-frère qu'Avitus, Gaulois, ose affronter. Constantius (qui promettait la vie sauve aux usurpateurs, puis les exécutait), admire ce jeune Avitus aussi sage qu'un ancien ; donc, Rome, sèche tes larmes : tu as devant toi un maître négociateur, un chef, Duce, VII 214 - mais bien que les pouvoirs balayent les usurpateurs, les Goths se sont installés sans demander : il convient de les ménager. Ils ont persuadé Avitus de se hisser sur le trône impérial. Au moins, celui-ci n’est pas romain, mais gaulois… Sidoine mentionne cet accord d'installation des Wisigoths. C’est Théodorus, « otage de haut lignage », livré par les Gaulois au prédécesseur de Théodoric (Wallia, son beau-père), qu'Avitus, plus tard, sous le règne de Théodoric, exige à présent de récupérer dans son entourage, car il serait de sa famille. Avitus, vêtu paraît-il à la romaine (qui peut l'affirmer?) se tient désormais devant toute une cour wisigothe en peaux de bêtes. Il affronte ces fauves apprivoisés de frais, installés de même. Il n’est pas encore couronné. Face à lui, son ami le roi des Goths,Théodoric Premier, « Wisigoth » (qui n’est pas Théodoric le Grand, « Ostrogoth », ) à Toulouse. Théodoric a déjà mérité son égalité, avec ce que les Romains présentent de plus noble. Mais il n’est pas un agneau qui se jette dans la gueule protectrice du loup romain : « C'est ta tendresse qui plut au roi farouche » - Sidoine construit, le traducteur badigeonne : «  (chose admirable…) que pour avoir été délicat, tu aies plu à ce roi féroce ». Avitus « peu à peu apprend à t'apprécier pleinement » « et du fond de son cœur et de ses sens il veut que tu soies à lui » - Avitus, vouloir ? « Mais tu méprises », ô Avitus, « de traiter plus haut un ami qu'un Romain ».VII 225 Avitus, condescendant ? L'analyse, à bout de souffle, cherche en vain une caution antérieure, de sept siècles : « C'est ainsi, Pyrrhus, que tu voyais Fabricius « inflexible » - mais le Romain d’alors, un vrai, parlait en vainqueur… tandis qu'Avitus n’est qu’un protégé… VII 228.Tu es pauvre, ô mon cher ennemi Théodoric. Tu veux acheter la protection romaine… tu n'es qu'un roi - ton or est sans valeur, « pour un Romain ». Les contorsions de Sidoine pour faire accroire que les Romains maîtrisent la situation, grâce au respect qu’ils inspirent encore, n’inspirent en vérité que la pitié. ZOHAR SIDONIENSIS 133 Placé sur le trône par Théodoric Ier, Avitus tiendra moins d’un an, écrasé par de vrais Romains : Majorien passé sous les ordres d'Aetius (« Écius »), avec le concours de mercenaires « Scythes » ; Aétius avait vaincu maintes peuplades aux noms retentissants : les Juthunghen (du Jutland en Bavière), les Vindélices en Bavière aussi. Les pompiers courent d'un feu à l'autre, aux frontières toutes proches… R. 133VII 236 / 244 Chaque tribu défile encore, longue chute malgré la course de l'un, les javelots de l'autre, « la natation des Francs, le bouclier cliquetant des Sauromates, race de lézards ? VII 236 Quant aux Scythes, ils étaient juste bons à se réfugier comme alliés dans les rangs des Romains, qui les tenaient en laisse bien sûr… - des races multiples : les Sauromates, devenus invincibles depuis qu'ils sont sous les ordres romains… Le Salien au pied solide : vaincu lui aussi, enrôlé ! Avec le Gélon, fameux par le maniement de la faux! En vérité, la chose est plaisante. Les Romains digèrent, assimilent, toutes les supériorités d'autrui ! mais tant de germes les contaminent, que vous ne pourrez plus les extraire ; ils se combattent l'un l'autre, mêmes armes ici ou là, et Rome suffoque sous ces sangs-mêlés, s'imaginant les dompter : « Tu surpasses enfin, pour l'endurance aux blessures, ces guerriers », mercenaires barbares, qui, dans l'affliction, cachent leurs larmes dans le sang de blessures volontaires » :  ils « se labourent les joues de leur lance et rouvrent, sur leur visage menaçant, les rouges cicatrices de leur plaie. »Le texte est beau. C'est ainsi que l'armée romaine joue au « creuset des nations », ce qui risque d'amener au même résultat que notre « vivre-ensemble ». Adoncques, oyons le « Combat singulier contre un guerrier hun de l'armée de Litorius ». Plus de 50 vers : « Dès ces premières campagnes » ne correspond pas du tout au texte latin. « On lui confère à lui, tout fier, le titre d' « illustre ». autant dire de Haut Dignitaire : « Avec sa cuirasse d'écailles » si commune ensuite, et « portant le visage blafard » – sous la rouge aigrette d'un grade élevé - Avitus, pas encore empereur, « rapporte chez lui ses armes ternies par la vie des camps », dans la cité qui deviendra Clermont. VII 236/244 ZOHAR SIDONIENSIS 134 VII 244 / 260 « De nouvelles guerres  « éclatent « , Avitus Superman, toujours pas empereur, a repris du service. Ce jour-là, dans l’armée « romaine » de Litorius, qui a vaincu la « bagaude » armoricaine (le « bagad ») - ce sont des bandes agglutinées de marginaux, de vagabonds armés, pillant tout ce qu’ils peuvent. Telles sont désormais les missions des généraux. À moins qu’ils n’affrontent des barbares avec des troupes d’autres barbares : Litorius emploie des cavaliers « scythes », autrement dit « hunniques ». Et ces mercenaires ne se gênent pas pour dévaster le pays arverne, se comportant « comme en pays conquis »... L'armée romaine de Litorius apporte bientôt plus de ravages que l'ennemi. Pourtant Litorius est un lieutenant d'Aétius (« écius »), vrai Romain de la Bulgarie romaine. Or un de ses grand barbare, « plus brute que les autres », tue un Serviteur d'Avitus l'Arverne. Parvenu sur les rives du Styx (plus solennel qu'un enfer chrétien) le Serviteur sait déjà que l'autre partie de son propre corps, le maître Avitus lui-même, viendra le venger, Avitus, plus Arverne que Romain, personnellement atteint, se déchaîne, bondit, crie « aux armes ! », dégouline de sang, s’émousse le glaive sur les Barbares et taille dans la viande. C'est à ce prix sans doute que sera sauvé Empire Romain. Les portes s'écartent – que dis-je, Avitus « arrache les portes de leurs gonds », carrément, « le Courage, la Douleur et l'Honneur lui font escorte ». À Rome, il est héroïque d'affronter la mort, surtout quand on va la donner, la porte elle aussi est sortie de ses gonds… R. 136 VII 269/278 Sans répit Avitus attaque à coups de pique ses propres alliés, les Huns, et par le trépas d'un grand nombre, « il compense le fait qu'un seul homme lui reste caché ». Et comme rien ne se fait sans illustre modèle, c’est Achille en personne que l’on évoque, « en quête du Phrygien Hector. Ces « viles hordes », il les « rue à bas », le sol s’alourdit par le sang répandu. R. 137 On livre au grand homme le fauteur de trouble. Avitus va montrer à ce barbare boréal de quel bois gaulois il se chauffe. Et encore », ajoute-t-il,  je suis bon : « Déjà ma colère t'a beaucoup accordé ; et si j'avais écouté ma virilité, tu serais déjà mort. J'ai accepté que tu te ZOHAR SIDONIENSIS 135 battes – à présent je t'ordonne de cesser. Il est bon de tuer quelqu'un qui se bat. » « Ainsi dit-il » Il saute en plein milieu, en terrain découvert. L'adversaire ne se dérobe pas. Et sitôt que les poitrails s'affrontent, la foule frémit de désirs adverses » (peut-être bien que l'on parie), et, suivant de près tous les coups, « reste suspendue à l'évènement » - premier assaut, deuxième assaut, troisième assaut: le futur beau-père transperce de sa lance haut levée l'homme sanglant «Il atteint les confins du dos, « ayant rompu son thorax deux fois transpercé » (à l'entrée, à la sortie). Et ce n'est pas seulement le thorax, mais bel et bien la cuirasse qui se trouve transpercée. Et la double blessure met fin à cette vie hésitante : obligeamment, le traducteur précise que cette vie-là se demande par quelle blessure elle va s'échapper. Avitus a passé l'épreuve physique. Reste l'épreuve diplomatique. R. 138 Il devient donc Préfet des Gaules. C'est assez dire son prestige. Et c'est toujours Jupiter qui parle, et prononce le serment par le Styx : « Je t'en prends à témoin, sombre Styx » - temet, Styx livida, testor - « le héros fut l'un de mes Préfets » - la Gaule, la vraie, « pâlissait devant la colère des Gètes » autrement dit les Goths, le Préfet honore l’ années 439. Avitus va remettre tout en ordre.Récapitulons : l'invasion s'étendait librement, les troupes romaines, composées de Huns, ne sont pas les dernières à tout ravager. Litorius et ses cavaliers s’était efforcé de reprendre Toulouse aux Goths, mais fut capturé, exécuté par les Goths. Il n’empêche que les Wisigoths de Théodoric Ier ont éprouvé une crainte extrême, et « rien n'est plus redoutable qu'un homme qui a eu peur », formule à graver dans mes tablettes.. Il ne te reste rien, ô Rome. Ta couronne est tombée dans le crottin hunnique de tes propres alliés. Mais Avitus, argu-ant de sa double appartenance d’âme, romaine d’une part, « wisigophile » de l’autre, a renouvelé le traité » : celui de 418, qui donnait l'Aquitaine aux Wisigoths ; cela finira par apaiser Théodoric Premier, bien fâché d'avoir eu peur. Avitus ne doit pas vraiment en être la cause… Mais les Goths veulent encore une frontière rhodanienne… ZOHAR SIDONIENSIS 136 R. 139 VII 309/321 • «Il suffit que tu aies ordonné ce que sollicite le monde », quod rogat orbis. Tu es, l'incarnation de l'ordre-des-choses, du bon-sens, et de la Ville, de Rome, qui elle seule concentre la volonté de l'univers ! VII, 309, 64 06 30 • « Une lettre d'un Romain annule tes victoires, ô Barbare. » Le papier contre l'épée. Quel homme que cet Avitus. « Que les armes le cèdent à la toge ». Très beau. De Cicéron. En attendant, ledit Barbare, paraît-il terrifié, se cure les dents. Avitus fut aussi important contre les Wisigoths que Sarkozy dans le conflit géorgien, bien oublié. Le brave Avitus peut se pavaner sur ses chiffons de papyrus. Il applique les lois, il les inspire. Le voici Préfet du prétoire. Autant dire de nos jours Général de Division de la garde républicaine. Avitus Beau-Papa sera prince, chef, empereur et même impérateur. Avitus, connaisseur des combats cruels ? ou marionnette de ce Théodoric II ? incapable ? un docte spécialiste du Grand Siècle, j'entends le XIXe , assène que les Panégyriques ne furent que zéro, littérairement parlant. • Certes. Mais encore fallait-il préciser que nombre de détails historiques, même vus par le Beau-Fils, nous restituent, malgré la brume et l’emphase, une réalité narrative. Juste avant Attila. Sidoine Gendre put s'adonner non pas à la culture des choux, mais au retrait à la campagne, dans ses terres, pour se livrer au fameux cher otium d’Horace et Pline : lettres, lectures, poésie. Et dans ce ciel à peine voilé, l'invasion de ces monstres pourtant abondamment utilisés comme auxiliaires, les Huns – d’autres Huns. Voici les Nords, les Ours, les Arctiques – jusqu’au XVIIIe siècle, « l’Est », diplomatiquement, c’est « le Nord » . VII, 309/321. R. 140 VII 322/330 C'est une avalanche, une précipitation de Barbarie : le « Ruge », le « Gépide » qui suit, sequitur, le « Gélonien », tous au singulier, autant d'individus vagues, affublés d'adjectifs rugueux, autant d’allégories, tous issus de l'infernal chaudron des malheurs - qu'importent s'ils ne sont pas géographiquement repérés ou onomastiquement justifiés : ça débaroule, ça ZOHAR SIDONIENSIS 137 débacule, le Hun, le Bellonote (d'où sort-il?), le Neurien de (pas encore) Namur, si difficultueusement par César écrasé, « le Bastarne » (entre Carpathes et Dniepr) – mais tout cela, c'est du Barbare. Ces gens-là voyez-vous se mêlaient, se mêlaient, sécessionnaient, obéissaient à tel chef puis tel autre, demande-t-on à chaque insecte son essaim d'origine ? « le Bructère se déchaîne », il sera plus facile de vaincre tous ceux-là, chaque peuple avec son défaut, son arme, sa tactique, son point faible. Tibère avait vaincu les Bructères. Rome, c'était l'Un. Les Barbares, c'était l'Autre. Nécessairement vaincu, victible. Rome l'Unifiante cédait à l'assaut des vermines aux noms hérissés de mandibules et de consonnes. Le Franc (déjà Clovis est en vie) se voit attribuer un vers entier, lui « dont le pays est baigné par l'eau du Neckar couvert d'ulves » - un trait de nostalgie, c'est bien beau, le pays des Francs, bien traître, enveloppé d'algues ». Abattons leurs arbres, comme l’ont fait les colonisateurs compagnons d'Énée. VII, 321-325. Les dryades et hamadryades furent inventées afin qu'on n'abattît pas les arbres en trop grand nombre. Ils ne devaient céder à la cognée que si des prêtres, ou druides, déclaraient que leur nymphe les avait désertés. Un pont de bateaux fut construit sur le Rhin. L'expédition de César fut retenue par la légende ; mais nous voici désormais 500 ans plus tard, au temps d'Attila, qui s’est répandu parmi les « campagnes » belges. Alors « le grand » Aétius, en tête de vers et de légions, avait quitté les Alpes, et s’était dirigé plein nord ouest à étapes forcées, à la rencontre d’Attila, le méchant à moustaches. Mais il n'était pas bien fort, notre Aétius , sans même un vrai Romain dans ses troupes. VII, 322-330 R. 141 VII 330/342 Il était bien malencontreusement crédule, notre brave Aétius : l'armée des Goths allait lui manquer, elle ne se joindrait pas (adforé) à ses propres troupes (le fils de Sidoine, Apollinaire comte d’Auvergne, qui déshonora son père, fut défait à Vouillé, dans l’armée arverno-wisigothe écrasée par Clovis ; Arcade plus tard, petit-fils du poète, souleva l’Auvergne une dernière fois, contre les Francs. Mais en 451, les Wisigoths tiennent tout le pays. Les Romains les utilisent ; vont-ils se déclarer contre les Huns ? non : prudemment, les ZOHAR SIDONIENSIS 138 Goths se sont retranchés dans leur camp. Attila, lui, n'a pas de camp. Il n'est pas du genre à se calfeutrer en attendant l'assaut. Pour le Romain, une seule solution : rassembler «tous les notables » (de son armée peu nombreuse ? mais où les trouver ?  ...du lieu où il se trouve  à sa première étape?) et tendre le dernier ressort de l'énergie romaine : l’éloquence. Notables d’applaudir, et de pousser leurs troupes en avant. • Parmi eux, svelte et jeune encore, se trouve Avitus, le salut », «qui n'a [pas] attendu les prières d'Aétius pour obtenir la gloire ». Avitus retourne les situations comme un doigt de gant, puisque les ennemis, les Goths, sont finalement redevenus nos alliés ! Avitus est le précepteur du dauphin wisigoth. Il convaincra les Goths dont il est l'homme de confiance : et c'est bien grâce à la gloire d’Avitus que les Barbares ont cessé de se ruer sur les Romains. VII, 330-342, R. 142 VII 343/350 Et s'il est vrai que les Goths, ou les Gètes, « toujours hostiles aux Romains », à toi accordent la paix, c'est que les peuplades accordent davantage à l'homme qu'à la nation. «Va, assure à nos aigles la victoire -fais en sorte », poursuit Jupiter, qui a bien du souffle depuis le vers 123 ce qui en fait 213, « que les Huns, dont la fuite a naguère ébranlé notre puissance, servent cette fois mes intérêts en subissant une seconde défaite ». L'habileté oratoire implique ici de bien opposer la défaite des Huns auxiliaires, en 439 devant Toulouse, et la défaite à venir des Autres Huns, les Mauvais Huns, ceux qui ne se sont pas enrôlés dans l'armée « romaine ». ...C'est ainsi que les Huns repousseront les Huns… mauvais calcul ? Non : Aétius repoussera les hordes (c'est ainsi qu'on les appelle) d'Attila, en 451. Et sur cette prophétique allusion, Jupiter se tait. Et comme Avitus, beau-père pourtant chrétien, donne à l'ancienne divinité une « réponse favorable », les « vœux » divins devinrent «  une espérance » humaine. Regonflé, Avitus « part comme l'éclair », ce que confirme Jordanès : c'estAvitus qui « excite au combat la furie de nos nouveaux serviteurs » - preuve s'il en était besoin que Rome sait parfaitement apprivoiser et discipliner, ingérer (funeste illusion !) les éléments barbares les ZOHAR SIDONIENSIS 139 plus hétérogènes. Mieux encore  le Hun et surtout le Goth, marchant « derrière les trompettes «romaines » « accourt à l'appel de son nom » : le Barbare est en rang, il est enrôlé, en ordre – simplement, on tolère à ses escadrons de cavalerie, « romains », d'être « vêtus de peaux ». R. 143 VII 351 / 361 Voici que ces mercenaires s’attellent au patriotisme : ils serviraient même s’ils n’étaient pas payés - quel triomphe ! Avitus avant même d’être empereur incarne l’espoir du monde » - Sidoine invoquant le Phénix, « oiseau de Phébus », qui renaît de ses cendres. Toujours est-il qu’Attila se pousse de l’épaule au portillon, de plus en plus près, lui… (Majorien, futur successeur d’Avitus, se trouve pour sa part bien éloigné des champs de bataille). Rome voit donc plonger du ciel le vautour de la fin des temps . Le cycle des vautours, 12, un par siècle depuis la fondation de Rome, s’achevait… VII, 351 / 361 R.144 « ...et les Goths de s’imaginer qu’ils ont déjà pris Rome et que la terre entière va céder à leur frénésie ». Sur ces Goths, ancêtres des Gueux, avaient régné Théodoric Ier, puis Thorismond, assassiné par Théodoric II son petit frère affectueux. Mais nos Gueux vont éprouver l’intelligence exceptionnelle de leur grand Thierry/Théodoric II. Ce ne sera pas sans une longue périphrase appelée « comparaison homérique » : en avant donc pour la chasse aux loups, « Infecte digression mille fois rebattue » : d’abord nous voyons bien les loups saliver devant « les lourds effluves », les pets parfums des brebis des deux sexes : « leur appétit en est stimulé, aiguisé », ils portent sur leurs visages, les loups, la réalisation de leur rapine de loups, trompant le jeûne de leur rictus tombant, ce qui veut dire leurs sales mâchoires large ouvertes. (v. VII, 362/367) R. 145 mot 12, praeda v 368/387 Entendez craquer dans l’imagination prématurée des méchants loups la proie contre le palais : et passez sans transition aux vaisseaux de guerre des pirates, « fendant sur un esquif ZOHAR SIDONIENSIS 140 cousu la mer verte ». VII 369 371 ; ainsi qu’au Boche, l’Alaman, qui, chose curieuse, de guerrier conquérant sur la rive droite, devient citoyen sur la gauche (...de même, lors de la Guerre Sociale (de - 90 à - 88) les villes italiennes avaient obtenu le droit de cité, sauf celles qui s’étaient révoltées pour l’avoir - fallait demander poliment… Cinq siècles plus tard, au contraire, les grandes gueules l’obtiennent. Voici nos Alamans citoyens de Rome. Cela rappelle d’une part « si on te frappe la joue droite, tends la joue gauche » (la plus belle claque de ma vie), et d’autre part le fameux « il a voulu me casser la gueule, mais t’as vu comment j’ai paré avec le nez ? » « Avitus, maître de la milice » claironne le titre en marge : et même, « Maître de l’Infanterie et de la Cavalerie », comme on disait avant Constantin : « c’était le seul remède à la situation ». Hors de question de rater un cliché: Avitus (après tant d’autres) se voit affublé d’une pioche (un « hoyau ») et d’une « courbe charrue », et revoici Cincinnatus, le Bouclé, pourvu de « ses riches domaines » et n’ayant pas plus touché un mancheron que Jeanne d’Arc n’a gardé de moutons. Nous aurions aimé en connaître un peu plus sur ces mutations effectuées de part et d’autre du Rhin, apprendre ce que pensait Sidoine de cette mascarade, plutôt que de récapituler cette éternelle et fausse image du « pauvre laboureur » « aux « portes d’osier », passant directement de la condition paysanne la plus misérable à la seconde magistrature de l’Empire : surpris, le pauvre, en plein chargement de grain sur l’épaule… VII, 368/387 R. 146 VII 388/400 Avitus, pas encore empereur, mais « investi d’une lourde charge », obtient la soumission des Alamans « Les attaques du Saxon faiblissent, et l‘Elbe contient le C(h)atte prisonnier de ses eaux marécageuses ». La question est de savoir si la seule nomination d’Avitus a provoqué cette prétendue obtempération des Barbares… Le coq s’imagine faire lever le soleil - « Ils ont depuis longtemps disparu de la carte ». Loyen souligne qu’ « Avitus n’a pu remporter jusqu’ici que des succès diplomatiques ». Avitus a seulement « renouvelé le contrat de fédération », il a confirmé les « conquêtes » des ZOHAR SIDONIENSIS 141 Germains, le tout en trois « pleines lunes », trois petits mois, et « dirige ses pas vers les peuples et les campagnes tenues par le Goth farouche ». Mais cette fois-ci, c’est vers un peuple ami qu’il marche - quel homme ! Les Goths occupaient alors la Gironde. Et Sidoine rapporte ici ce phénomène aquatique appelé « mascaret », où surferont un jour les amateurs d’eau sale : « L’Océan, poussé par la marée, fait refluer la Garonne et la répand à travers champs » - pas de digues à l’époque. Les Romains considéraient avec l’effroi de l’ignorance cet impressionnant phénomène. Certains s’imaginaient de gigantesques cavernes engloutissant ou rejetant les eaux. « La mer envahit le fleuve ; le flot amer escalade les eaux douces, et, jetée avec force dans le lit de la rivière, l’onde salée vogue sur des profondeurs qui lui sont étrangères ». Sidoine reviendra sur ce phénomène hydrologique dans un autre poème. Et de même que la mer couvrait la Gironde, de même les Germains recouvraient les peuples et les terres. Mais Avitus est arrivé ! Quels exploits diplomatiques devons-nous encore attendre ? empêcher une guerre : - Avitus n’a pas même eu le temps d’arriver : par appréhension, les Vèses (ce sont les mêmes) « répriment leur courroux » ! VII 388-400 R. 147, VII 401/413 Et de quoi sont-ils « courroucés », les méchants « Vèses Goths » ? ...de ne pas pouvoir repousser les Burgondes ? Revêtu des pouvoirs d’ambassadeur notre héros vous dénoue ce vilain nœud gordien à lui tout seul. Il nous étonnerait beaucoup que l’assemblée « scythe » - !!! - restât paralysée, suffoquant de crainte ! ...qu’on ne lui refusât la paix et l’alliance ! Nous aimerions savoir qui fut le plus arrogant, du conquérant ou du conquis. S’il y eut respect mutuel et simple technicité. En même temps fantasmagorie mythologique (Phaéton fut précipité de son char : il s’égarait, ce fils du Soleil) – jamais on ne vit de panégyrique sans divinités… Les Scythes, ou pour mieux dire les Wisigoths de Théodoric II, auraient donc suffoqué « dans le fond de la mer changé en poussière » : que va dire Avitus, immense fondé de pouvoir de Rome ? Mais Soleil-Phébus, « dans sa clémence », « éteint l’étrange embrasement » de Phaeton - Avitus va parler ! Rome dicte sa loi ! Rome qui branle dans le manche ! Voyez l’inversion , le déni de réalité. Rien n’a plus de sens. Sidoine chante. Avitus beau-père va ZOHAR SIDONIENSIS 142 donc se diriger vers Toulouse, capitale wisigothique, avec escorte et faste, alors que ce serait aux invasifs d’implorer leur grâce à à l’Empereur. «Le hasard voulut qu’un Goth d’une certaine importance, après avoir reforgé sa faux » en « l’aiguisant avec un silex » (variante barbare de Cincinnatus derrière ses bœufs, « prompt à s ‘échauffer aux éclats de la trompette », ne rêve que plaies et bosses » : mais R. 148 voici le chef - je voulais dit le Goth - reprendre le combat, mais pour moi, pour les Goths ! « Finie la guerre, rendez-nous nos charrues ! » Nous avons déjà fait la paix de 439 à 451 ! (il ne compte pas les années comme nous) - « si je me rappelle la période d’inaction qui a suivi l’ancien traité de paix, « ce n’est pas la première fois que celui-là » - Avitus ! - « m’arracha mon épée » des mains ! ignobles négociateurs qui font tout capoter ! C’est assez bien vu : ce soldat n’est pas le chef en chef. Il éprouve de la « honte », « ô dieux ! » - une fois de plus le glaive cède à la toge ! « quand ton amitié à mon égard s’exerce à mes dépens ! » Au lieu d’agrandir sa part, le peuple des Goths se soumet à son roi, qui se soumet à Rome ! ô Avitus en grande pompe qui s’entend avec notre roi dans notre dos ! Ne t’en fais pas, brave Wisigoth, en démocratie, tout se passe de la même façon, mais voici - « qui l’aurait jamais cru ? « ...que les rois goths veulent obéir » - la note de Loyen indique une résignation pleine de rancune… « Il est moins glorieux de régner » ! Ici intervient une articulation, un revirement : « Je ne peux même pas dire que si tu refuses le combat, c’est pour masquer ta lâcheté »- dommage, je te trancherais bien la gueule. « Avitus est en train d’apaiser le conflit » : ce grand Gallo-Romain représente plus que lui-même, il est impressionnant, son ami Messianus vient avec une armée beaucoup moins aimable. Vraiment très intimidant : « une fois de plus nous déposons les armes ». Mais c’est bien parce que c’est toi, fils de pute. « Que te reste-t-il à désirer ? Que nous ne soyons pas ennemis ? » Et c’est ainsi, parce qu’il le faut bien, parce que l’ennemi romain avec son armée germaine brandit l’estime qu’on lui porte et accessoirement la menace : « Je serai ton auxiliaire », cit le Goth. « Ainsi me sera-t-il permis de combattre » - tant que tu es vainqueur, même vainqueur de nous - mais à la première défaillance, fin de l’alliance : façons germaniques...
À présent donc Rome régnera sur ses fidèles grognards… « Tandis que le Wisigoth (Vesus) roulait ces pensées en son cœur insensible » - du moins jusqu’alors, car là, bruni, il se montre réfléchissant - « l’entrevue avait eu lieu ». Il ne s’agissait que de renouveler le traité d’alliance, et nullement de refuser à l’envahisseur quoi que ce fût ; mais priorité à la flagornerie : « Le roi et le généralissime s’étaient arrêtés l’un près de l’autre » - Avitus et Théodoric II, assassin de son frère Thorismond. Place à l’enflure. Nous ne saurons jamais ce qu’il en fut. VII , 415 - 434 R. 149 La mode actuelle est de bien dénigrer la notion d’invasion : « tout cela » nous dit-on « est bien relatif ». L’Histoire est donc si malléable ? Des ouvrages paraissent sans cesse à propos de la Chute de l’Empire, l’Invasion ne s’est-elle pas réduite, n’est-ce pas, à une succession d’escarmouches ? ...ces braves gens n’étaient que des peuplades mourant de faim, qui venaient un peu brutalement de mander à manger aux frontières – toutes ressemblances, etc. - « (Avitus) portant haut la tête » (et le Goth) « rougissant de joie » : nous enfonçons les barricades du ridicule. Le petit Paul chez la Ségur, digne représentant de la race blanche ! toise le sachem avec la tête à claques d’un morveux blanc appelé à régner. L’Amérindien ne survivra pas aux massacres, mais ici, Petit-Paul Avitus veut péter plus haut que son cul d’Auvergnat. Et, de ce tableau de concordance totale, Sidoine tire une préfiguration inepte : cette jonction des mains diplomatique « rappelle » que les Sabines, jadis, se sont précipitées à poil entre les soldats qui s’entretuaient pour elles. Dieux merci, le Grand Avitus et le tout petit Théodoric n’étaient pas dénudés ; et tout cela pour justifier que Toulouse et le Palatin se targuaient d’être «de Pallas », selon Martial, selon Ausone... Le chant VII se poursuit : "Le Vandale, profitant de la surprise, par une attaque brusquée, s'empare de toi, [ô Rome] » (deuxième, en 455) - n'était-ce pas Eudoxie qui les avait appelés, pour épouser le roi Genséric, ce gnome ? n'était-ce pas le moine Boniface qui, avant celà, déjà leur avait ouvert les portes de l'Afrique du Nord ? Cette seconde prise de Rome fut ressentie moins scandaleusement que la première - "...et un Burgonde » (habitant de Rome parfaitement inconnu), « par ses perfides excitations, te fout une telle rogne que tu trucides ZOHAR SIDONIENSIS 144 ton empereur" Trepidas iras, ce sont des colères qui trépignent, et non pas les "accès de fureur" ! VII, 443. ...qui fut donc ce Burgonde, ou plutôt ce Burgondion ? quel intérêt aurait-il eu à soulever ainsi la lie du peuple ? nous ne le saurons jamais. Quant à l'empereur du moment, ce trouillard, ce Petronius Maximus, qui n'a pas suffisamment anticipé la défense de Rome, il fut massacré : « Petronius Maximus fut lapidé par la populace », elle-même « affolée par l’approche des Vandales », donc avant la prise de l’Urbs – se suicider avant la mort étant de loin la meilleure façon de s’en débarrasser. VII 434/443 R. 150 Lapidation donc de Petronius (31 mai), pillage méticuleux du 2 au 16 juin 455, plus encore que par les Goths quarante-cinq ans plus tôt - poste impérial ô combien exposé ! "lamentable forfait" ! et c'est à ce couard qu’Avitus doit succéder ? ...à ce gnôme de Genséric, victorieux, surgi de Carthage, lieu maudit depuis des siècles ? Sonnez, « perfides trompettes » ! VII 445. "Ô destins, quelles calamités nourrissiez-vous !" VII 446 – à ces rappels archaïques, combien l’Historien n’eût-il pas préféré ces détails de batailles, sublimes soubresauts de l’honneur ! Ici, les Romains, contraints et forcés, restituent la rançon des anciens Carthaginois vaincus. Les Goths, de loin, apprennent prudemment "l'exil du Sénat, les malheurs du peuple, le meurtre de l'empereur, la captivité de l'Empire" (plus encore que les détails d’un improbable combat, c’est le retentissement de la seconde catastrophe qui fracasse la muse de Sidoine, jusqu’auprès des Wisigoths). Si jadis les échos des victoires emplissaient de respect les voisins de l’ancienne Rome, ce sont maintenant ses défaites qui aiguisent les convoitises. Il faudra donc que ce soit un Arverne, téléguidé par « le sénat wisigoth » et « la coutume des Goths », qui vienne de Beaucaire, afin de succéder au Romain mou Pétronius, juste capable de se faire massacrer. À Beaucaire donc se tient une assemblée wisigothe sale, grumeleuse du dos, mais vigoureuse, régénérescente : « les tissus ternis se graissent sur les maigres échines » (belle traduction), bel exotisme, péronés de cheval, genoux nus, verdoyants vieillards VII 444-457 ZOHAR SIDONIENSIS 145 R. 151 VII 458/488 Ainsi donc le sénat wisigoth se tient. Il est pauvre, celui-là. Respectable. Ce peuple barbare, sujet d’un roi, s’honore d’une sorte de sénat consultatif. Le roi wisigoth prend la parole : : « Je préférerais, je l’avoue, goûter encore dans la tranquillité du domaine paternel (patriis in arvis) un repos bien gagné » - après une carrière qu’il se complaît à récapituler : « trois commandements militaires » et quatre fois préfet ; choses vérifiables – mais c’est plutôt le général Litorius qui agissait, Avitus jouant les mouches du coche diplomatique – chut, chut ! Silence gêné aussi sur Petronius, lapidé par la populace, qui appela le beau-père de Sidoine « du prétoire à l’armée » - le prétoire des Gaules s’entend : Sidoine élargit le rôle de son beau-père, qui fut mandé, mandaté, adoubé pourtant à Rome par Pétronius, empereur de dix semaines (mars-mai 455). Mais celui dont Avitus était l’homme lige, c’était Théodoric Ier le Wisigoth - le « noble vieillard », « l’ami » - Sidoine glissant aisément de l’histoire réinterprétée au mielleux étincelant  : «Je vous demande de respecter l’ancien traité » - qui stipulait que ledit Théodoric ou Thierry ne franchirait pas les limites de la Narbonnaise. Bref, Avitus le Sauveur tient le premier rôle dans le discours. Il traitait, n’en doutons pas, « les affaires des Goths »VII 471, c’était un brave homme désireux d’honneurs modérés, décernés (pourquoi non) par un Barbare à peu près savonnetté. Discret, avisé, Avitus ! « toute mon influence » dit-il à Théodoric « s’en est allée avec ton père »- mais non, mais non… 65 11 12 VII, 475. Avitus s’adresse à son faiseur d’empereur, Théodoric des Wisigoths ; il rappelle que le père de Théodoric avait assiégé Narbonne, dont les habitants criaient famine ; mais rien ne sert de régner sur un tas de ruines et de mourants. Alors, prétend Avitus, l’orateur, « ses conseils » à lui ont fait leur effet : le siège fut levé - voit-on qu’un Avitus , même  respecté ! même précepteur de son fils ! - puisse déstabiliser un souverain wisigoth ? notre Loyen lui-même parle dans sa glose de  la part, minime sans doute, d’Avitus dans (la) délivrance de Narbonne ». Avitus, ici, agite les arguments larmoyants, le geste de la nourrice à qui l’enfant Théodoric II le préférait lui-même, malgré son sein sec. Des larmes coulent.Me voici moi, Avitus, ton papa nourricier, ton biberon adjoint, et je vais t’aider encore. Et comme je suis ton tuteur pendant que ton papa s’en va-t-en guerre, tu dois obéir au défunt et ZOHAR SIDONIENSIS 146 me placer sur un trône. Sinon, c’est que tu « restes insensible à ma prière et refuse(s) la paix ». Applause, please, la foule réprouve les combats ». Très très émouvant. VII, 488 Et comme de tout temps nos braves historiens Ont aimé les discours qui ne servent-à-rien, voici la belle Réponse de Thierry II des Wisigoths : R. 152 VII 489-512 « Ahem, Brrem : « Tu demandes la paix comme si j’étais mon père. Ça fait trop longtemps que ça dure, mais puisque c’est toi, on va te la donner, ta paix, afin que les paysans puissent cuisiner leurs légumes. Mais c’est toi le plus fort, toi le Romain dont on voit souvent le dos. Donc, c’est nous qui demandons à te suivre. « Tu vois, Maître, j’adore t’obéir». Mais il est désagréable de voir ainsi le poète subvertir, inverser les mots et les circonstances, et transformer Théodoric II en solliciteur : « C’est grâce à tes lois que nous avançons, bref tu es notre pion poussé sur l’échiquier mais nous t’obéirons comme des Barbares. « et si tes désirs se trouvent contrariés, c’est que les Goths l’ignoraient ». « Car c’est de toi, que j’ai appris « les antiques propos de Virgile », la jurisprudence et la poésie. Ainsi s’amollit ma rudesse scythique, et tu m’apprends que tu veux la paix ». Et Théodoric II, en bon flatteur, évoque son « obéissance », l’ancêtre commun aux deux peuples (il s’agit du dieu Mars). Autre train de louanges : « en dépit des siècles écoulés, le monde ne possède rien de meilleur que toi », passe encore, « et rien de meilleur que ton sénat » VII 503 - le sénat romain n’est plus rien, depuis des siècles. Il règle les affaires courantes et pérore dans le vide. Le Wisigoth, quant à lui, ne prétend à rien de moins qu’effacer la prise de Rome en 410 par son aïeul Alaric. Ce raid nocturne et victorieux n’avait eu pour motif qu’un retard de tribut. Mais ce qui ternit Alaric, « c’est de t’avoir prise », ô « Rome ». VII 506 « Nous te restituerons [nous autres Wisigoths] les signes, les aigles impériales, mais la Ville, nos ancêtres l’auront prise et pillée en vrai. Tu seras empereur – ce sera l’os que nous jetterons au fantôme de Rome : « Je vais pouvoir expier les ruines ZOHAR SIDONIENSIS 147 d’autrefois [d’Alaric] en te vengeant des ruines présentes » (reprise et repillage par Genséric, roi des Vandales). Et tout est inversé de la façon la plus impudente : c’est donnant-donnant : « Je donne mon alliance ; mais à condition seule que ce soit toi, l’Empereur » Avitus ne sera qu’une image au bout d’un manche. « Si tu refuses, nous attaquons ta grand-mère patrie » ; si tu veux bien jouer le fantoche, nous ne l’attaquerons pas. « Je suis l’ami de Rome, quand tu es généralissime ; si tu es Empereur, je suis son soldat » Tout à fait conforme au droit germanique : on ne s’allie que de chef à chef. C’est substituer le protocole germain au protocole romain. Voilà donc Avitus allié de la tribu wisigothe, bien plus que l’inverse. R. 153 VII 513-519 Il existe un trône vacant. Tu ne seras donc pas, ô Avitus, un usurpateur. Je te suggère, moi Wisigoth, de t’en emparer pour le plus grand bien de la patrie romaine. « Non, ce n’est plus pour moi un but suffisant (non sufficit istud) que d’éviter le mal ». Protège-toi, pauvre Rome. Tes coupoles s’écroulent sur toi - la Gaule et les Wisigoths persuadent fortement le beau-père de sauver « le monde ». La Gaule ? oui, wisigothique. Le monde ? oui, dit « romain ». Alors, le traité d’alliance est renouvelé. Sidoine nous présente un beau-père pensif, réduit à se servir des Wisigoths contre les Vandales. Rome n’est plus qu’un croupion. Comment l’esprit avisé d’Avitus ne se rend-il pas compte du désespoir glacé de toutes ces entraves ? Gaulois d’accourir, et de dresser un tertre d’acclamation et de proclamation. Jusqu’au bout, nous autres humains, nous envisageons une fusion, un « vivre ensemble » entre Gaulois et envahisseurs. Avitus se rend donc aux arguments et aux acclamations : y eut-il une foule aussi enthousiaste ?... R. 154 Sidoine nous montre son beau-père très préoccupé : devra-t-il adhérer à la fable des peuples extérieurs s’emparant du trône impérial pour le relever, fût-ce au prix d’un séparatisme à la Jovin, appuyé par les Burgondes, ou se rendra-t-il compte qu’il n’est plus ZOHAR SIDONIENSIS 148 qu’un pion dans l’expansionnisme wisigothique ? Sidoine témoigne de la prétendue surprise d’Avitus lorsqu’il s’aperçoit que tous les Gaulois (ce qui permet une ample énumération) lui ont préparé une tribune, un « tribunal », pour planter le décor de sa consécration : Avitus, responsable, le front lourd, acceptera le fardeau en pleine conscience de sa mission, sans bien savoir précisément laquelle. R. 155 530 SQQ ; Alors Sidoine évoque un discours récapitulatif, attribuable au préfet du Prétoire des Gaules, Tonantius Ferreolus Rome s’est trouvée sous un Prince Enfant, principe sub puero - Valentinien III : âgé de 7 ans lorsqu’il parvient au trône, il s’est retrouvé à 33 ans face à l’empire fissuré de toute part et s’est même retrouvé assassiné pendant une revue. Les Gaulois « sont dans la plaine », plus ou moins séparatistes, sensibles à toutes « les blessures de la patrie » - non plus Rome, mais notre Gaule… Avitus, au secours - ah !… Rome nous dédaigne… Ce sont « les funérailles du monde », quel décliniste aura jamais ces accents ? « la vie fut semblable à la mort » : »suivons le char funèbre de l’empire », c’est beau, c’est funèbre, collons au texte, « satisfaits de supporter même les vices d’une maison décrépite » : ce thrène semble sincère. Gaule, redresse-toi : tu fus punie de ton plus ou moins séparatisme - pourquoi Avitus est-il resté fidèle à l’éphémère Petronius Maximus ? parce que ce dernier avait fait tuer Valentinien III, meurtrier d’Aétius ? Quels étaient tes liens avec ce fantoche de onze semaines ? ceux de la stricte légalité ? Toi, mon beau-père, tu aurais fait mieux que lui !! toi, l’ami d’un roi wisigoth qui a trucidé son frère afin de régner... Tu as pu repousser les Huns grâce aux Goths de Théodoric, le fratricide, et aux troupes d’Aétius, mais tu veux virer les Vandales ! « Les plus hautes destinées t’appellent ». Hélas. R. 155 À présent, Rome ressasse : nous ne sommes plus rien. Les défaites nous tiennent lieu de cauchemars. Lorsque tout s’effondre, personne n’est plus là pour « briguer » ni même « postuler », ni même, horreur ! ...«candidater »   : il faut une éternelle paire de burnes cirées ZOHAR SIDONIENSIS 149 de frais pour qu’un gendre les astique. Ô tristesse, ô marasme ! L’Histoire, c’était quelque chose. Comme une crotte momifiée qui ne peut plus tomber. Et d’un coup, de façon saisissante tout de même, Sidoine ou sa Muse passent au présent. Sa lucidité accable : Urbi et orbi. Le monde est, gît dans Rome. VII 557. À sa tête végétait un profiteur, l’empereur du mois, juste capable d’épouser la veuve de Valentinien III – et de rompre les fiançailles de la fille d’icelui avec le fils de Genséric le Vandale - le prétexte est tout trouvé : les Vandales avancent leur flotte. La foule a lynché Petronius Maximus, lâche imperatoricule – le suivant, c’est Avitus – chiffe de bonne volonté. « Montez sur ce tribunal » VII 558 (petit tertre gazonné d’où le chef harangue ses troupes) Douze siècles bien sonnés, douze vautours bien plumés - les représentants gaulois rassemblés dans l’enthousiasme n’auront fait que « ratifier le choix de Théodoric II » , lequel part illico guerroyer en Espagne contre les Suèves : au moins, il avait couvert ses arrières … Avitus n’aurait donc servi qu’à cela ?... « Il nous fera toujours penser à un avocat devenu ministre de la guerre » (Loyen). Et jamais l’empereur d’Orient, Marcien, n’acceptera de transporter ses troupes à travers mer jusqu’aux Vandales, tout là-bas, en Occident... VII 552/564. R. 156, VII, 564/575 Autrefois, bien autrefois ! s’était dressé le général Camillus dit Camille, qui réduisit en cadavres les Gaulois agresseurs - les Romains de jadis sont appelés à la rescousse : aujourd’hui comme avant-avant-chier, le Sénat reste incorruptible : en effet, les dieux (et non le Christ) sauveront le monde grâce à la pauvreté ! « Tu es choisi pauvre » ! VII 568 La Patrie t’ordonne d’ordonner – mieux encore,  le chef barbare ne voudra t’obéir que si tu es loin au-dessus de lui. De même, le valet ne condescendait à servir que si le maître était à la hauteur : « Si tu commandes, je serai libre ! » VII 571 L’argutie est jouable. Misères du discours ! les soldats sont des Wisigoths, et l’assemblée du peuple, des Gaulois. « Le fracas des applaudissements emplit la cité d’Ugernum » - et tous ceux qui défilent en train au large de la Tour de Beaucaire ignorent que là, quelque part sous le sol, Avitus a reçu son diadème impérial. « Assemblée préparatoire », précédée elle-même d’une entrevue à Toulouse, où ZOHAR SIDONIENSIS 150 Théodoric a fait semblant d’apprendre au Beau-Père que Pétrus venait de se faire massacrer, et qu’il pourrait bien être, lui Avitus, le suivant sur le trône en attendant pire. Sitôt dit, sitôt fait. Les Gaulois, enthousiastes, recrutent des gardes du corps R. 157 – VII, 576/ 591 Voici notre beau-père paré du « collier militaire ». À lui seul, il devra soutenir le ciel, comme Atlas - ornement mythologique de rigueur, mais en dépit des meilleures bonnes volontés, il est impossible d’apercevoir la moindre trace de second degré chez Sidoine. Avitus ne porte-t-il pas désormais «les insignes de la souveraineté » Avitus enfourche sa plus belle haquenée, sur le chemin de Rome. Quel homme. Ne viendra plus désormais, passé cette crête sommitale, qu’une péroraison, ainsi que l’écrit Loyen dans son texte : un dernier ronflement de tambour. Ne s’agissait-il pas aussi d’une fierté gauloise, in extremis et one more time confortée dans ses aspirations d’indépendance ? « Le vent du Nord, nous dit Loyen, « apporte au Midi (c’est-à-dire aux Vandales de Tunisie) des nouvelles peu rassurantes pour eux ». Certes, une négociation a remis sous l’autorité romaine les Pannonies, autant dire Vienne et la Hongrie d’aujourd’hui. Mais l’Afrique est un plus gros morceau, bien autrement coriace. Une petite promenade militaire ne suffira pas à repousser Genséric le Gnome, Genséric le Hideux, venu du Rhin à Carthage... VII, 576-591 R 158 Haussez-vous sur vos pourries cothurnes, Muses, évoquez ces aigles entrechoquées, et que les divinités puissent réamorcer la pompe, car la diplomatie d’Avitus ne pouvait rivaliser avec la cavalerie barbare. « Un vol d’oiseaux favorables fit tomber de tes épaules ton manteau de citoyen » : où voit-il des oiseaux, notre bon traducteur ? « Et toi, tout heureuse, laetior, de posséder aujourd’hui un tel prince » «Rome notre mère » (emphase à la Nisard) « relève tes joues » de vieille peau «  et dépose ta honteuse décrépitude… » vii, 592/597 ZOHAR SIDONIENSIS 151 R. 159, VII 597 ad finem Un Arcadius imberbe, olivâtre et vide, peine à soutenir sur ses avant-bras le sceptre et Dieu sait quel autre hochet. Son regard ne reflète qu’une immense lassitude de mioche. Soixante-cinq ans plus tard, Avitus, lui, a l’âge de déposer les armes. Mais il a reçu la bénédiction de Rome, « antique mère des Dieux, c’est tout dire. S’élève alors de l’assemblée proclamative un hurlement de joie, aussi disproportionné que celui d’une fin de meeting rochelais. VII 599 Un petit coup de Parques fileuses ne saurait nuire « pour tes règnes », à grand renfort de « fuseaux volubiles », qui tournent, infatigable rotation de la sphère céleste :« Voici un souverain d’âge mûr qui te rendra la jeunesse quand des empereurs enfants t’ont rendue vieille ». Ô vœux pieux ! VII, 597-602 R. 160, CARMEN VIII vers 1 à 18 Ici s’éteint une grande voix, poussée par le souffle lyrique. Ne subsistent que des braises pieusement recueillies, où palpitent les vers refroidis sur la pelle des siècles. Aux formules et titulatures s’enchaîneront ces commentaires pompeux et précipités : le poète à présent s’adresse à ses vers. Il les traite d’ « essaims », ce que le traducteur ne semble pas avoir compris. Les abeilles sont compagnes des muses. Mais les fastes impériaux ne dureront qu’un petit an et demi : « Restez donc sur place, ô bagatelles ; vers où vous hâtez-vous ? Le dédicataire, Priscus Valérien, nous aime. Amat. VIII 4 Mais Priscus jugera ces vers en éminent professeur : « Tous mes nouveaux titres de gloire », nous confie l’auteur, « ne me servent à rien » : la suite nous éclaire : il s’agit de « mon airain », ma statue de bronze, que je suis modeste de mentionner pour affirmer, en trois vers, que je n’en parle pas. Et versiculets de s’exclamer : « Partons, partons ! tu ne nous retiendras pas » un wagon est là, qui nous tend les bras : partons ! partons ! Mais Priscus, de la belle-famille, «sait apprécier un poème et, s’il est prompt à juger, il est lent à mépriser ». Ô lents effritements de la gloire, ô Bouvard, ô Pécuchet. « Une fois lus, je t’en prie (hoc rogo, livre-les au bûcher (rogo) – le premier rogo a tout l’air de signifier « je t’en prie », mais en lisant le second rogo, qui, lui, signifie vraiment « je t’en prie », nous nous rendons compte que le premier signifiait, en fait, « le bûcher » - ah ! laissez-nous, de grâce, respirer !

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