Pendant les combats, la folie continue
A Motché, attaques et contre-attaques se succèdent sans répit. Il
faudrait imprimer un plan de la ville par jour. Georges peine à
retrouver son propre fils : «Ma mission prend une tournure confuse ;
Kréüz m'a dit « Tu n'as rien à perdre » - je ne suis
pas de cet avis. » Georges consulte les Tables de Symboles :
cheval, chien , croix ; la Baleine, le quatre, le cinq; le
Chandelier; le cercle et le
serpent. « Il
me faut un cheval,
pense Georges, pour porter les messages et annoncer les victoires.
Pour fuir. Pour libérer. Fuir et libérer.» Georges lance les dés
: « Voici les parties de mon corps qu'il me faut sacrifier :
la Tête, Moulay Slimane, Gouverneur du pays, assiégé dans son
palais (« Ksar es Soukh », dont le nôtre est la fidèle
réplique ; pourtant cet homme ne règne que sur quatre (4) rues. ) ;
le Bras : Kaleb Yahcine, qui tient l'Est (
le désarmer, ou l'utiliser à son insu) ; la
Main, qui désigne ou donne : El Ahrid. Le Sexe ou Jeanne la
Chrétienne, enclavée de Baroud à Julieh ; elle ne rendra pas les
armes si je ne la séduis.
Le
Coeur battra pour Hécirah, forte de son peuple opprimé : chacun de
ses héros se coud un cœur
sur les guenilles. Tous portent le treillis, et souffrent de la faim.
(Position : le
Sud) ; l'Œil
est celui d'Ishmoun, c'est à lui qu'il en faut référer ; quand à
ma Langue, puisse-t-elle peler de toute mon éloquence. »
X
Je suis ressorti du
Palais déserté. J'ai rencontré une femme qui montait de la Ville,
trois hommes dans son dos lui coupant la retraite. Elle s'appelle
Abinaya, belle et rebelle, sous son voile rouge. « Quelles
sont tes intentions ? » me dit-elle. « Ne libère pas ces
chiens ». Je garde le silence. Croit-elle que j'agisse de mon
propre chef ? « Pour descendre en ville sans risquer ta vie –
fais le détour par Achrati, au large du Moulin d'Haut – et tu
parviendras au dos du cimetière ; là est le centre, Allah te
garde. » Je n'ai rien à foutre d'Allah, je ne reverrai pas
cette femme. Abinaya est la clef ; quand je l'aurai tournée, je ne
m'en souviendrai plus.
Elle examine mon
plan de ville : « Périmé » dit-elle. « Ce
sentier a été goudronné. Tel bâtiment : démoli, telle avenue
percée. Ce sens unique inversé, ce nom de rue modifié. Les
Intègres occupent le Centre,
en étoile. Ici le dépôt de munitions, contre le fleuve une base
Chirès et trois
sous-marins. Prends garde au couvre-feu rue des Anglais.
Sous les arcades ici chaque jour distribution de vivres et de
cartouches. Evite les ponts. Repère les points tant
et tant - depuis
combien de temps n'es-tu plus sorti du Palais ? » ...J'ai mis
mon père en sûreté. Je ne sais plus par où commencer.
Elle
effleure ma joue de ses lèvres – je sais ce qu'il en est des
femmes – je ne bouge pas – l'un de ses hommes (de ses gardiens ?)
n'a rien perdu de nos paroles – de son treillis il tire un jeu de
tarots. Il me propose une partie - « je n'accorde pas de
revanche » di-til. La partie s'engage en plein air, sur une
pierre. Abinaya fait trois plis. Les autres gardes s'amusent, sans
lâcher leurs armes. Fou, Papesse et Mort.
« La papesse » dit l'homme détient tous les secrets ;
ton père renaîtra. Qui peut entrer vivant dans la Ville,
ajoute-t-il, et en ressortir inchangé ? » La partie est
terminée. Nous nous levons, descendant ou redescendant le sentier
rocailleux vers Motché. Mon partenaire au jeu déroule son voile de
tête : il semble détraqué, agite sa Kalachnikov et rejette les
pans de son hadouk. Je le reconnais : nous étions ensemble à Damas,
à la Section Psychiatrique de Sri Hamri, « le Rouge » ;
ce dernier avait emprunté aux Occidentaux (qui le tenaient d'Egypte)
le concept de « soignés-soigneurs ». Qui était fou ?
qui ne l'était pas ? c'était indiscernable.
Moi je l'étais. Qui peut dire au jour de sa mort «Mes mains sont
pures » ?
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