Férocité

1¾ 5 juillet 2045 Si seulement tout pouvait s'accélérer. Voilà qu'Astrid se découvre, par examen médical interposé, des risques d'oncogénèse. En bon français, de cancer, de l'utérus pour être plus précis. Cela ne veut pas dire, contrairement à ce que j'essaie de me faire croire, que je souhaite sa mort dans un délai de cinq ans (survie maximale), mais que je souhaite dans sa tête une évolution rapide, afin de me virer.
Si seulement c'était vrai qu'elle voulait revendre cette cahute qui nous sert de maison (je suis relégué dans une espèce de cabane en bois construite à grands frais), afin d'acquérir deux studios... L'un à S. et l'autre près de sa chère Nadia - mais où foutrait-elle ses innombrables bibelots et saloperies en plastique ? L'héritage de mon père, ce n'est plus que cette maison biscornue avec au fond la vieille "qui n'en finit pas de crever" comme dit Jacques Brel. Ratzing crevait d'un cancer du médiastin. Puis ce fut Barbara, qui n'a jamais voulu me recontacter. Evidemment, je dis la vérité, moi. Et la plus noire possible. Je dis par exemple à Astrid qu'un décès sur trois est dû au cancer, l'autre aux maladies cardio-vasculaires, et le dernier à d'autres causes. C'est la vérité. Cela ne veut pas dire que "c'est normal [qu'elle] crève", comme elle le croit. De toute façon tout va s'accentuer maitenant, de sa lenteur devenue étouffante (elle voulait encore que je vérifie les niveaux avant un trajet de 70 km alors que nous avions perdu un temps phénoménal avec des vieilles dames prenant un interminable café) jusqu'à cette propension à trouver tout ce queje peux dire ou faire "vexant". Les femmes que j'ai rencontrées sont comme ça : tu ouvres la bouche, tu as tort ; tu te tais, tu as tort. Knesset, Sylvette, même farine, même tonneau. Il faut toujours que les femmes que j'ai connues aient quelque chose où se raccrocher, que l'homme, ait toujours nécessairement tort. Il va falloir jouer serré. Faire la vaisselle, par exemple, quand elle est dans les murs. Elel voudrait que je l'accompagne à l'hôpital pour l'aider à subir un frottis du col. Malheureusement à cette heure-là, je dois être au Lycée PCB à Verdun, pour une commission de consultation sur le bac. Il y a une chose qui nous a toujours séparés, Astrid : c'est que moi j'ai toujours travaillé, et toi pratiquement jamais. Alors tu crois qu'un travail, ça s'interrompt comme ça, sur un coup de fil, "Ma femme ne se sent pas bien", et hop, on se soustrait à une obligation de fonctionnaire, de serviteur de l'Etat. Ca tu ne peux pas comprendre, que le travail a une valeur contraignante. Ca ne t'est jamais venu à l'esprit, parce que le travail, étant donné que tu as toujours mené peu ou prou l'existence d'une femme entretenue, c'est toujours quelque chose pour toi qu'on peut choisir de faire ou de ne pas faire. Moi je n'ai jamais eu le choix : c'était gagner ma paye ou gagner zéro franc. Tu m'as toujours reproché de ne pas t'avoir "aidée" lors de ton accouchement - mais en février, pendant les congés légaux scolaires, nous nous sommes autant engueulés que d'habitude, ma présence ne t' "aidait" pas davantage, il est vrai qu'en ce temps-là les deux belles-doches s'étaient entendues pour t'emmerder, et que tu n'avais pas voulu quitter la maison de ta chère Môman. C'en est au point que tu ne l'as jamais su, mais que je m'étais payé un onze ou douze février 73 un de ces bordels sordides de première où j'avais particulièrement joui sans retenue au point que la pute m'avait dit "Mais qu'est-ce que tu as ? " tant mon visage était décomposé. C'est en sortant de ces bâtiments désormais démolis que j'avais surpris une vieille pute à une fontaine discutant avec une plus jeune de la jouissance qu'il y avait à se "faire ramoner" (je cite) par un gros nègre avec une grosse queue, alors que la jeune faisait la fine bouche. Et ma fois c'est bien vrai que le plaisir du "ramonage" est bien supérieur à tous les autres, n'est-ce pas Sylvette, qui hurlait jusqu'au rez-de-chaussée tellement tu aimais mac dans ton trouduc, n'ayons pas peur des mots. Nous autres les mecs, avec notre petite tarière qu'il s'agit seulement de tenir droite, on a une jouissance bien mesquine - à moins de s'imaginer en plein viol, mais on nous a dit que c'était vilain, que c'était pas beau... Bref, avec Astrid, c'est toujours le même Cuny, je ne me plains pas, mais cette grosse masse gélatineuse - encore que ça, je m'en fous : je suis féroce, je ne devrais pas m'exprimer comme ça : il y aura des gens qui me liront après ma mort, j'en suis convaincu, c'est bien ainsi que ça se passera. Je n'écris pas pour moi, "écrire pour soi" est une sinistre légende. J'écris, tu as raison Knesset, mais tort de me le reprocher, "pour qu'on vienne me tirer de là", je n'ai pas, je n'ai jamais eu la volonté, moi, de m'en tirer tout seul, je veux que les générations futures qui parleront encore français (si peu!) se disent "Le pauvre, comme il a souffru", et si ce sentiment de ma part est répugnant, parfaitement, c'est mon sentiment, comme ceci est ma jambe, ceci est mon bras, je suis fabriqué comme ça et je vous emmerde. - Mais alors il ne fallait pas te plaindre ! - Merde. Ceux qui donnent des conseils et font des leçons de morale ou de quoi que ce soit sont les premiers à enfreindre tout ce qu'ils disent, au nom du principe puant que "pour eux", n'est-ce pas, "ce n'est pas la même chôôôse !" Connards. Je disais donc que ma femme, encore elle parfaitement, ne fait jamais d'avances au plumard, comme celle de Grondaucy, comme toutes les femmes blanches, moi aussi j'aimerais bien avoir une queue d'acier avec un cul qui remue sans me faire éjaculer précocement. Vous trouvez ça marrant ? N'empêche que je vais avoir besoin des autres si Astrid suit ce chemin-là, et qu'il va falloir que je m'achète un comportement chaleureux, avec l'agonie de ma femme qui menace. Nous n'en sommes pas encore là. Elle n'avait qu'à ne pas me fournir une vie aussi immobile, de cloportes, de loches, sans la moindre espérance d'en sortir. L'épreuve de la maladie et de la mort nous le permettra, puisqu'il n'y a jamais moyen de mettre un pied devant l'autre sans qu'une voix n'aille disant : - Non non, doucement, il ne faut rien brusquer, plus tard, attend, je souffre, j'ai mal, je me presse, je halète - ce n'est pas difficile, à la moindre contrariété elle se forge des difficultés respiratoires et cardiaques. J'aurai bien sûr à sa mort des attendrissements qui me tueront, mais - mais quoi ? écoute, nous n'en sommes pas encore là comme disait Catherine, de longues années s'étendent encore devant nous, on ne meurt pas comme ça. Simplement je souhaite une amélioration de la situation, même pas, une petite, une toute petite modification, au point où nous en sommes parvenus, je voudrais simplement un studio à S. et voir Astrid de moins en moins car c'est une branche morte de ma destinée, elle m'a tout foutu en l'air,ou plus exactement nous nous sommes foutus en l'air ensemble, je lui fais quelquefois de tout petits trucs en douce, mais elle ce furent des trucs énormes, les 50 000 francs donnés à Brougat pour avoir vendu la maison avec des frais de gestion imaginaires comme s'il avait été une agence avec des impôts et tout... La maison d'ici achetée chat en poche, le sous-seing privé signé avant que j'aie pu voir de mes yeux la baraque, de toute façon comment aurais-je pu m'y opposer - on ne profite pas de la lâcheté d'un mec pour tout lui faire, Astrid, ça, c'est de la petitesse d'esprit, c'est dit par Balzac dans "la Physiologie du mariage".

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