Amours

R. 66
 Djanem craint de se retrouver seule : mais il la séquestre à tel point que, même flattée, elle sera soulagée de se voir enfin quitter. Plutôt vivre isolée que soumise à un tel espionnage. Il la serre au cul sitôt qu'elle s'approche de l'ordinateur, où Dieu merci nous avons ménagé une petite niche. Mais elle a joué la carte de la réconciliation conjugale, dès qu'elle a parfaitement compris que je ne dévierais pas plus qu'elle-même de ma fidélité.  A présent plus moyen de revenir en arrière, de refaire de grands serments. Je suis allé trouver cet homme.  C'est moins de moi qu'il est jaloux que d'elle : plus encore - possessif. Plus fin dans ses déductions que je n'aurais cru.
Ce couple s'entend bien, car il s'entretient de sa propre  santé dans ses conversations : «Vous devez faire parfois le point sur l'état de vos relations, de vos évolutions. » Cela figure dans les conseils aux couples en difficulté». J'ai donc affaire à forte partie. « Je n'ai plus l'intention dit-elle de lui faire à nouveau traverser un tel enfer. » Il en avait dépéri, non d'actes sexuels, mais du simple fait qu'elle « serait amoureuse » d'un autre.     

                            X    
    La fille Ernandez, treize ans, n'avait su que me pincer cruellement à chaque tentavive. Les couples au bord de l'Isle s'éloignaient dans les buissons : « On va aux fraises », disaient-ils en se levant. Et nul ne les dérangeait. J'appris ensuite que sans passer à l'acte, ils se contentaient de se serrer fortement, de se doigter, de se branler, le secret ne m'en fut dévoilé que bien tard, comme à un enfant de onze ans qui apprend les mystères de la génitalité. « Oh non, juste avec les doigts tu sais ». Et le garçon laissait entendre qu'il « avait eu » telle ou telle. De ses propres phalanges. Mœurs bizarres des tribus occidentales, année 64. Des tribus des Autres. Des Gens Normaux. C'était donc ainsi qu'ils faisaient, qu'ils observaient leurs Rites.
R. 67 :
Comme c'était étrange. Si proche de moi, et si caché. Si évident, si voilé. Les premières étreintes Place M. : « Tu te rends compte du caractère sacré des paroles que nous avons échangées, là ? » C'était plus fort que moi. Un torrent de mots d'amour, tout ce que je n'avais pu dire, ni osé dire, à une jeune fille que j'aurais aimée, à toutes celles dont j'aurais aimé recevoir les caresses, inlassablement et non pas volagerie, c'est-à-dire toutes, dont j'étais, au premier regard, amoureux, éperdûment, et, d'office, sans espoir. Ces torrents infinis servent désormais d'argument de part et d'autre : “Comment veux-tu qu'ayant proféré de tels discours nous puissions désormais les profaner par un abandon ?” Il se peut, Djanem.
    Mais tu aurais du mal à retrouver ce chien abandonné à tes caresses offrant son ventre d'un flanc sur l'autre, après les flèches maladroites et parano dont tu m'as abreuvé par courriel, sur à peu près tout : mon inaction, alors que tu m'interdis d'intervenir en quoi que ce soit ; ma prétendue lâcheté,ma profession d'enseignant, jusqu'à mon appartenance au sexe masculin. Tu me dis que ce ne sont là que des épanchements, des rafales de doutes ; tu émets librement, comme je fais, tes vains griefs. Sans les penser véritablement. Je dois décrypter. Mon double jeu vraiment, Djanem ? Et je dois t'écouter patiemment, transposer, thérapeute, panseur d'âme ? sans faire état de rien pour moi ? Tu as été blessée, au-delà de ce que j'ai pu souffrir, je n'ai pas avorté.
    Je suis patient, j'écoute. Mais j'ai mis bien du temps à transposer en mots d'amour tes avalanches de reproches. ...Que dire alors des affabulations ? de ce mari ivrogne, que l'on doit transporter sur son lit ; de ce suicide au tube de Lexomil ; cette découverte  au volant par un voisin en camionnette, qui veut flirter avec elle depuis des années ? de ce transport dans un hôpital dont elle ne sait plus le nom ? Oublie-t-on le nom d'un hôpital où l'on a dû vous transporter d'urgence ? À moins que l'on ne veuille empêcher toute vérification ? Premier temps, sauce pitié, second temps, sauce repoussoir : passé novembre, plus moyen de s'aimer dans un lit. Lazarus lui dit quelque chose de très juste : que je lui semble beaucoup plus attaché à elle qu'à la précédente.
- Te-Anaa ? - Il t'a parlé de Te-Anaa ? » De quoi ne lui ai-je pas parlé... De Te-Anaa, oui, ce qui fut une grossière erreur.  Je fais croire aussi que je pars à pied pour Jérusalem, pour “faire mon alya” - il semble que ce soit mon « alya » personnelle, vers quelque obscur fossé de clochard où je connaîtrais enfin le bonheur, au sein de la détresse la plus  absolue. C'est cela que je veux. Il faut savoir ce que l'on veut et tout mettre en œuvre pour y parvenir. 
CE TABLEAU, "L'HOMME DE JOIE", EST D'ANNE JALEVSKI, ignorante des réseaux d'intégration.


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