L'horreur économique

Disons, si j'ai bien compris, que Viviane Forrester nous invite à ne plus nous en sentir déshonorés. Mais alors, il faudrait que nous ayons une allocation de subsistance, disons d'existence : tout être humain vivant aurait de ce fait droit à une pension, je dirais même d'indemnité, car ce n'est pas marrant d'être vivant puisqu'on doit crever.
Elle nous invite en somme à une reconversion des esprits, analogue à l'esprit soixante-huitard - nous y revoilà : on l'accuse aussi de cela, le "soixante-huitardisme dépassé" - qu'est-ce que c'est que ces idées qu'on dit "dépassées", mais qui n'en finissent pas de remonter à la surface ?
Moi je ne m'y connais pas en affaires, mais en éducation nationale. Or il se trouve que j'ai perçu avec un grand grincement de dents, et de façon bien plus palpable, les contradictions de Viviane Forrester au sujet de cette noble institution.
En effet, elle déplore à la fois qu'une partie importantissime de la populatin dite scolaire refuse les bienfaits de la culture bourgeoise embrigadante et amie de l'ordre - c'est un peu vrai - et aussi qu'il ne soit plus possible de transmettre les valeurs et l'héritage de notre culture classique par exemple.
 Mais il faudrait savoir : ou bien on transforme les cours en initiation au karaoké ou au VTT comme nous y incitera bientôt notre suave ex-ministre M. Allègre, ou bien ou réaxe l'école sur la transmission de ce que j'appelle les savoirs réels, c'est-à-dire Mozart, Corneille et Léon Blum - parfaitement. Mais on ne peut pas vouloir les deux à la fois. Et là, j'ai grincé : parce que de toute façon -c'est devenu une habitude - les profs ont tort : s'ils transmettent Molière, ils sont bourgeois et dégoutent les jeunes beurs en planche à roulettes ; et s'il font du karaoké, ils balancent la culture ancestrale. Ils ont tort, vous dis-je, ils ont tort.  Et sans doute les hommes d'affaires ont-ils eux aussi tiqué puissamment devant des élucubrations de raisonnement aussi absurdes dans leur matière.
Cependant, on ne peut nier que Viviane Forrester n'ait mis le doigt sur des mensonges flagrants, colportés encore par Chirac et toute la clique : premièrement, aller dire que la France va à sa ruine m'a semblé une inexactitude calomnieuse:ce sont les patrons qui s'appauvriraient éventuellement, pas la France. Parce que si la France et ruinée, tas de cagots, qu'en sera-t-il donc de l'Albanie, je vous le demande ? et les deux Congos ?
Deuxième affirmation qui me ferait boyauter si j'avais encore envie de rire : "Les entreprises créent des emplois" ! Où est-ce que tu as vu cela, Chichi ? ¨Parfois je me désole de passer à la Clef des Ondes, où je m'adresse à des convaincus en un seul mot, et j'aimerais être l'éditorialiste du Figaro, pour faire roter les bourgeoises de travers, ça leur remettrait le stérilet en place.
Les entreprises font des bénéfices, engrangent les subventions à tant par camion, n'est-ce pas Nicole ? Notat, pour les attardés. Et plus elles font de bénéfices, plus elles licencient, afin d'augmenter leurs bénéfices ! Tout le monde sait cela maintenant ! Je vais même vous en dire une bien bonne : faisons comme à Athènes au Vè s. avant J.C. ; supprimons les salaires. Ca ira beaucoup mieux. Viviane Forrester nous le suggèrerait bien.
En effet : qu'est-ce que c'est que ces ouvriers qui se plaignent de gagner insuffisamment ? Quoi ! les ingrats ! on leur donne une dignité, le travail ; une dimension humaine, une raison de vivre, et ils voudraient en plus un salaire ? Alors que les deux tiers du monde crèvent de misère ? Salopards, va! Les salaires, c'est pour ceux qui travaillent, qui prennent des risques, les "forces vives de la nation", qui s'empressent de faire travailler le burnous ou le gnaquoué à l'autre bout de la planète ou de planquer son argent en Suisse.
Voilà des patriotes ! et non pas les ouvriers, d'origine polonaise ou pire. Les patrons, c'et ceux qui se présentent en costume cravate en face des camionneurs en cols roulés. Sans eux, l'entreprise n'existerait pas. C'est donc à eux de toucher le bénéfice. C'est comme le fils du mec cité plus haut : sans son père, il n'existerait pas ! eh bien, je propose qu'on lui limite le salaire à 400 euros, à ce petit salopiaud de 31 ans, tant que son père est encore vivant !
Bien fait pour sa gueule ! c'est le père, c'est le patron, c'est le chef, qui doit gagner l'argent ! Et puis tant qu'on y est, nous dit Viviane Forrester dès les premières pages de son livre, supprimons carrément les pauvres. Pas en faisant une guerre, on n'en est plus là, mais en les réduisant à quia et en les empêchant de se reproduire, comme naguère dans les pays scandinaves. Et là, elle charrie.
Elle charrie, parce qu'elle s'adresse à des gens qui ne peuvent pas la comprendre : en effet, elle fait de la littérature, et c'est là qu'elle est la plus faible. En effet, comment voulez-vous que des décideurs comprennent quoi que ce soit à la littérature ? Ils vont la renvoyer, Viviane, à ses métaphores. Ils ne la liront pas plus loin que les trente premières pages, parce  qu'il y a du style, ça ne fait pas sérieux, ces gens-là ne lisent que des statistiques et des cours de la bourse, alors les paragraphes bien ordonnés, les énumérations, les images... Foutaises ! 59 10 09
D'autre part, comment voulez-vous que les intellectuels -puisque c'est à eux que cet ouvrage s'adresse, et entre parenthèses je suis bien content de voir qu'il y en a plusieurs dizaines de milliers en France - disons que les littéraires comprennent cet ouvrage ? Les affaires, l'économie, les fluctuations de marchés fictifs, ce n'est pas leur job non plus. Not their cup of tea.
Mais il y a une chose à laquelle ils auront été sensibles, avec moi : au-delà des effets de style pas toujours heureux, car répétitifs, engendrant le flou, c'est la générosité. Les cris d'alarme sur l'extinction plus ou moins programmée de la matière humaine et encombrante appartiennent à l'hyperbole littéraire, comem dans le film "Soleil Vert", et ne peuvent pas être prises en considération réelle.
En revanche, les morceaux d'éloquence consacrés à ces patrons sans âme -pléonasme, je maintiens - qui considèrent leurs  employés comme de la mauvais graisse dont il faut "dégraisser" l'entreprise, me sont allés droit au coeur. Je dirais que Viviane Forrester a raison quant à l'atmosphère générale, de dénonciation sans ambage du retour au capitalisme sauvage du XIXè siècle présenté - comment disent-ils, déjà ? - comme "modernes".
Merci Marianne pour le procédé ironique que je viens de mettre en oeuvre. Marianne se fait l'écho cette nouvelle façon de penser, qui renvoie dans leurs choux tous ceux qui en raisonnant prétendent qu'il sont les seuls à détenir la vérité en matière économique et humaine. Mais il faudrait maintenant refaire ce livre, Viviane, ou le faire refaire par un économiste, un vrai, un distingué, pas Jean-Marc Sylvestre avec son nouveau râtelier.
Il expliquerait tout cela avec des tableaux de statistiques, des courbes de variations du commerce extérieur, et il y aurait deux ouvrages, pour chaque sorte de sensibilité : les maîtres de forges d'un côté, et les admirateurs de Victor Hugo de l'autre. Car lui aussi a lutté pour l'amélioration des conditions de travail de l'ouvrier. 
Il est exact, qui le nie ? que depuis que la monnaie a fait son apparition, elle régit tout, que les échanges commerciaux sont la base de toute activité humaine ; soit. Mais il y a quelque chose qui remonte encore plus loin : c'est la merde. La survie de l'espèce humaine dépend encore bien plus du bon fonctionnement de ses intestins. S'il en est ainsi, pourquoi ne pas nous inonder de revues, de magazines, d'émissions radio et télé sur le fonctionnement des boyaux de tous ?
Quelle exaltation !
Passons au feuilletage, parlons des anciens et nouveaux pauvres :
"Notez la férocité de l'indifférence alentour ou, même, la réprobation dirigée contre eux. Et ce n'est là qu'un exemple parmi des multitudes d'aberrations barbares, géographiquement proches, voisines absolument. Etablies au sein même de nos minauderies."
Plus loin, Viviane Forrester me semble-t-il s'exalte un peu facilement, car il n'y a pas de quoi admirer, mais enfin, cela change du mépris :
"Mieux : que l'on devienne sourds, aveugles, inaccessibles aussi à la beauté que produit si souvent, dans cette horreur magique, l'héroïsme de la lutte menée par des humains, non contre lam ort, mais afin de rater avec plus de ferveur l'étrange, l'avare miracle de leur vie. Leur aptitude merveilleuse à s'inventer eux-mêmes, à exploiter le bref intervalle qui leur est imparti. L'indicible beauté issue de leur ambition démente de gérer cette Apocalypse, de repérer, de construire des ensembles ou, mieux, d'élaborer, de ciseler un détail, ou, mieux encore, d'insérer leur propre existence dans la cohue des disparitions."
Voyez-vous, ce sont des passages comme cela qui nuisent au livre, parce qu'à la lettre, il sne veulent rien dire : c'est de la poésie, de la bouillie poétique plus exactement - on s'exalte, on s'exalte, et il n'y a là aucun exemple concret, ras du sol, la grande bourgeoise s'excite le cervelet littéraire devant la beauté des pauvres, et pendant ce temps-là, le littéraire cherche la beauté, je parle du texte, mais plus encore, et plus grave, l'économiste bâille eet se di t: baratin. Dommage.
Passons à plus concret ?
"Un financement de longue haleine, car, pour les licenciés devenus chômeurs de manière si arbitraire, il ne sera pas question de retrouver rapidement de l'emploi dans des secteurs géographiques professionnels ainsi sinistrés, et difficile parfois d'en retrouver jamais.
"Quant aux fuites de capitaux hors de tout circuit fiscal, elles priveront de ressources les structures économiques et sociales de l'Etat escroqué. Peut-être s'agit -il d'une illusion d'optique, mais on a comme la vague impression que les détenteurs de "richesses" évadées ne sont autres que... les admirables "forces vives" de "la nation" lésée !"
Oui : nos décideurs ne voient en effet pas plus loin que les intérêts à courts termes... Terminons par une dénonciation en règle de cette fameuse "pensée unique ":
"Mais partout aussi les mêmes leitmotive qui ponctuent ces discours, affirmant que ce dispositif mondialisé qui installe et fait s'enraciner un système économique autoritaire, indifférent aux habitants de ce monde - mais par nature antagoniste à leur présence à leur présence inutile, déjà proche d'être parasitaire, car désormais non rentable - que ces mesures  manifestement néfastes ont pour but essentiel, cela va sans dire, de "combattre le chômage", de "lutter pour l'emploi".
"Leitmotive formulés avec une nonchalance croissante, de plus en plus mécaniquement, car personne n'est dupe. Chacun semble étrangement complice : et ceux qui ont la bonté de bien vouloir encore se donner le mal d'user de ces périphrases courtoises à l'égard de populations qui n'ont plus d'avis à donner, mais qui leur réclament ces promesses, supportent leurs parjures, et nbe demandent rien, après tout, que d'êtres exploitées ; et ces dernières, qui, tels des enfants réclament sans cesse la même histoire à laquelle ils ne croient pas mais font semblant de croire, car ils ont peur du silence et de ce qui n'est pas dit, qu'ils pressentent et ne veulent pas savoir."
Lisez sans tenir compte des préjugés "L'horreur économique" de Viviane Forrester. Nul n'est parfait, mais ça change de Madelin et d'Encornet, dont la seule préoccupation, le seul programme, est d'être contre le gouvernement, quoi qu'il arrive. Intelligent, non ?

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