Effeuillages

Est-il  rien de plus émouvant que d'imaginer deux amies accroupies face à face, s'effleurer les lèvres, se relever tendrement en se remontant le slip. Rien de plus doux que d'évoquer le sexe et l'amour avec des adolescentes, de les chiner doucement, de jouer avec le feu. J'ai choqué une fois, dix fois elles m'auront aimé. A Buseville en 16 (je vais chevauchant les années) le nommé Pellucci, petit con insolent intimidé par l'autorité ; je lui demande, sur les marches extérieures, où est le cahier de textes ; il me répond “Ben là-haut, vous n'avez qu'à aller le chercher”. Ses camarades et moi-même le dévisageons avec stupéfaction. Je vois bien qu'il ne s'est rendu compte de rien ; que son impudence est en quelque sorte instinctive.
    Un autre jour : « Désormais, il y aura deux notes pour les versions, et nous calculerons la moyenne : une donnée par moi, l'autre par vos parents, s'ils sont capables d'aligner deux mots de latin. »  En ce temps-là ça suffisait pour leur fermer le clapet. Le lendemain, à mon entrée en classe, c'était mon Pellucci qui se levait le premier, au garde-à-vous, et intimant aux autres, du geste et de l'attitude, d'en faire autant (le même était tout excité par la ville soviétique de Kuybychef - « Les couilles du chef ! Les couilles du chef ! ») - mon Dieu, mon Dieu... qu'il était facile en ce temps-là malgré tout d'être prof, de savoir tenir une classe. J'ai su que mes élèves ne se parlaient que de moi quand ils se revoyaient.
    Où êtes-vous ? Je voudrais les revoir une dernière fois, qu'ils n'aient pas tous sombré dans le gouffre. Leur faire cours à tous dans l'autre monde. Quelques dernières fois. Pote et maître, indigne et rigolo. Mes cours manquaient d'orthodoxie. Auditoires restreints, mais si fervents... Comment aurais-je pensé à me lancer dans le monde pourri de l'édition ? pourri, je maintiens. Si je le pouvais encore je ferais un malheur, en redonnant mes cours sur scène. Parodiques. Ils étaient tous parodiques. Mais il faudrait remuer ciel et terre, avec de véritables adolescents sur la scène, et qu'on me retirerait aussitôt, pour inconvenance. Pour obscénité. Un véritable cours ne se conçoit que dans un jeu de questions et réponses, et transgression.
 
  Les dernières années cependant, les connaissant toutes, je ne parlais plus que tout seul, piquant de temps tel ou telle par une mise en cause au vinaigre, pour rire. Ils me regardaient. J'étais le point de mire. A présent je ferme ma gueule dans un bureau d'édition. Mon espoir est de tenir. J'écris avec mon sang, ma lymphe. Se souvenir aussi d'Aristide, 18 ans en 3e ! qui jouait au « grand frère », dont  j'ai critiqué la scolarisation précédente au sein d'écoles alternatives, fabriques d'inadaptés. Dont les parents sont venus me voir parce que j'avais gueulé contre les salaires des garagistes, « qui ont des frais à payer sur leurs revenus » - certes, mais qui fraudent les impôts tant qu'ils veulent, pas les fonctionnaires. « D'autre part on  ne critique pas les éducations différentes » -  ben oui.

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