Comme nous refaisons le monde
Après
lecture de Diderot, lettres à Sophie Volland. Car je suis un homme
sans personnalité, du moins sans maturité selon les critères
officiels et unilatéraux, et mieux vaut se revendiquer de ces
fameuses insuiffisance dont les braves gens se gaussent, juisque dans
leurs représentants littéraires non moins autoproclamés. Tiens,
moi aussi, je m'autoproclame, et j'écris ce qui suit :
Arielle
ne me quitte jamais. Je l'accompagne jusque dans les supermarchés,
jusque dans les hypermarchés. Un jour en Charente une jeune femme
avait demandé à me nettoyer mes fraises. Devant sa mère : pas
de risques. C'est à nous, les hommes, de faire les brutes et les
avances. Ici, simplement mon épouse souhaitait que je rinçasse, un
par un, de gros radis rouges. Elle avait aussi acheté des bananes.
Que faire de symboles si parlants ? La caissière, d'autre part,
me sourit : je n'aide donc pas ma femme, qui dépose tout sur le
tapis roulant ? Se pourrait-il que je fusse dispponible ?
Mon Dieu, je plais aux caissières à présent ! Nul doute que
je ne sois redevenu jeune
.
Les deux époux que nous sommes ressortent donc chargés de
victuailles. Les sypermarchés sont des temples de la consommation,
chacun l'a déjà observé. Celui-ci présente un porche digne d'une
cathédrale plate. Et comme à l'église, un clochard se trouve là,
ce que l'on appelait autrefois « un mendiant », et qui
s'attend visiblement à l'aumône qui lui est due. Chose
extraordinaire, étant donné le peu de propension de ma moitié aux
générosités à l'égard d'inconnus : c'est elle qui reste en
arrière, fouillant de toute part sur son corps afin de trouver une
petite pièce. Je ne peux tout de même pas lui dire, à elle, que je
viens justement sans qu'elle s'en soit aperçue de donner justement
un euro à ce même pauvre homme.
Abondance
d'aumônes ne nuit pas. Mais tout de même, j'ai bien dû me
retourner pour le lui signifier. Autrement, pourquoi le clochard me
flanque-t-il une grande claque furieuse sur l'épaule ? au point
que je la ressens à travers mon sommeil. Lequel se poursuit ;
j'y rédige mon rêve précédent, celui-ci, par conséquent. J'écris
donc sur un petit bureau, chez des amis, qui m'ont invité ; or,
ils portent précisément le même nom de famille que notre mendiant
humilié : que va-t-il se passer ? Va-t-il surgir au lever,
devant la cheminée, cousin enrichi ? Ne serait-il pas un
rejeton de cette famille, inconnu de moi, et menant une vie de
clochard et d'errance parce que cela lui convient ?
Il
est arrivé que la police retrouve mort, au fond d'un fossé, tel
notaire disparu, bourré de thune, et subissant de son plein gré les
saisons et leurs intempéries ; c'était dans le Calvados. Ici,
tout le monde est riche, sans complexe. Le mendiant lui-même n'était
pas trop mal vêtu, pour un homme de sa condition. Quel mystère !
Et quelle époque merveilleuse que ces années soixante-dix, malgré
l'absence d'euros ! Comme nous refaisons le monde ! Comme
il a régressé !
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