NOX PERPETUA DEVELOPPEMENTS 02
COLLIGNON
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DÉVELOPPEMENTS
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Je
suis dans une taverne typique et coloriée (jaune-rouge-vert) de la
Terre de Feu. Une carte
au
mur en montre une partie, ainsi qu'une petite île, dans
l'Atlantique, que l'on me désigne. Un Argentin truculent, à collier
de barbe, nous parle dans un mélange d'espagnol et de français. Il
possède un grand prestige, au point de faire mettre à la porte par
le patron une grande partie des assistants, qui ont trop bu et mènent
grand tapage. Il ne veut plus parler qu'à moi, à qui il évoque ses
femmes successives, plus viragos et caricaturales les unes que les
autres. Nous arrêtons de parler de cela au milieu des éclats de
rire.
Il
recherche mon amitié.
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Les
vidéos sont nulles, prises à travers la vitre, de magnifiques
oiseaux se retrouvent pris dans un cadre de portière. Arielle
n'aurait pas aimé cela. Parvenir en Patagonie pour
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Mais
le voyage n'est pas terminé. Ce qu'il y a d'étrange et
d'avantageux, c'est que chaque point de chute en évoque un autre :
il avait parcouru, sur sa vieille Stiga Monark, les côtes
atlantiques de la Terre de Feu. Les
tavernes
là-bas sont souvent bariolées de jaune, rouge, vert. Sur les murs
sont épinglées des cartes, côté Rio Grande ; y figurent des îles
pas plus étendues qu'un rocher... Pourtant, que je sache, il
n'existe pas de telles îles dans
ce
secteur. Un grand Argentin truculent à collier de barbe s'adresse à
la cantonade, dans ce mélange atroce de français et d'espagnol que
les grammairiens là-bas appellent le
franyol
;
quelque
chose d'analogue au franglais...
L'assistance
lui témoigne une grande considération, mais notre personnage
devient soupçonneux : tous ces sourires ne cachent-ils pas un vaste
foutage de gueule ? "Virez-moi tout ça !" Et sous mes yeux
ébahis, le patron et ses
aides
flanquent à la porte les trois quarts des clients, d'ailleurs
parfaitement souls et bruyants : "On ne s'entend plus ici ! du
balai !" Ma foi je reste seul à peu près. Tout cela nous a
bien épuisés. Juste une petite tasse de maté.
L'homme
au collier entreprend son catalogue de femmes : "toutes celles
que j'ai eues voire épousées" - me prend-il pour son
Sganarelle ? Pourtant cette cohorte féminine se compose non pas de
victimes palpitantes mais bien
d'accortes
viragos, caricaturales à l'extrême : "Ce ne seraient pas
plutôt elles qui t'ont viré, gros lard ?" s'exclame le patron
en lui tapant sur le ventre.
-
Possible, répond l'homme ; seulement, je les ai chevauchées,
d'abord." Naguère on l'appelait encore "el rey de la
jineteada", "le roi de la monte", ce qui est
proprement le rodéo argentin, "a la fiesta de la Doma".
Nous devenons
amis
de bistrot, il suffit pour cela d'un peu de flatterie, et de quelques
verres d'alcool de céréales...
Et
si Chubuque, "Tchoubouqué", rejoignait une bonne fois sa
femme ? Les voici encore séparés, une fois de plus recollés, c'est
proprement insupportable. Il monte en titubant l'escalier, accentuant
son ivresse. Deux étages, tout
de
même : il faut tenir, accrocher la rampe, dodeliner de la tête et
des épaules. Il frappe du pied sur chaque marche, trébuche et jure.
Cela s'entend de la rue. Au premier, le bijoutier tient son atelier :
c'est plus sûr. Il passe la tête
par
la fenêtre, le lorgnon sur le
nez
: "Pas bientôt fini ce bordel ?" Monsieur le bijoutier,
vous manquez de logique : c'est vers la cage d'escalier qu'il faut
gueuler, non pas au-dessus du trottoir. La femme de Chubuque
(prononcer à l'espagnole) passe aussi la
tête
au-dessus de l'artiste, se met à l'engueuler d'un étage à l'autre.
De sa voix ibérique et précipitée elle défend son ivrogne avec
acidité, puis les deux têtes se retirent à la façon des automates
d'horloge : le repenti a regagné son
second
étage, et le joaillier l'atelier. Un dernier vacarme de descente
cette fois témoigne que l'intempérant a gagné sa paix au prix
d'une bonne liste de courses à faire. Chubuque ressort en traînant
un Caddie, toujours planqué
dans
un réduit du rez-de-chaussée, à côté des poubelles. Un Caddie
déjà plein de cartons d'emballage.
Chubuque
pousse son chariot sur le trottoir en terre. C'est difficile, ça
regimbe de partout. C'est alors qu'une voiture s'arrête à son
niveau : Pedro Gonza, son complice en beuverie : "Tu ne veux pas
me charrier ce Caddie de
merde
? Tu l'emportes, tu le vides derrière chez toi, dans le terrain
vague, et tu me le rapportes ici." Pour le convaincre, il
précise que sous les cartons se trouvent des packs de bière encore
intacts : "Je ne peux tout de même pas
entrer
comme ça au Supercoto, et rajouter de la marchandise par là-dessus,
ils vont me le refaire payer, ils vont me demander de tout rendre, la
bière, le chariot..." Pedro Gonza donne son accord.
Il
descend, et les voilà tous deux s'escrimant à faire coïncider le
Caddie récalcitrant avec le volume du coffre. Pedro repart chez lui,
Chubuque se laisse tomber sur le rebord du trottoir. Et le Pedro, à
quelques rues de là, se dit
qu'il
peut toujours s'en jeter un ou deux au Calafate. L'établissement se
trouve en plein recueillement : un gaucho projette à même le mur
des vidéos. Ce sont de magnifiques nocturnes surpris en plein envol,
de nuit par
projecteurs,
de jour par vacarmes de casseroles, jeu absurde ; le conducteur d'une
voiture stationne au pied d'un arbre, fait ronfler le moteur,
klaxonne, frappe sur une marmite en aluminium, l'oiseau s'envole, le
chaufffeur exulte
comme
un con.
profiter
d'un tel spectacle est un comble d'ironie. Le projectionniste range
son matériel, et c'est un grand jeune homme, dégingandé comme le
Septimus de Virginia Woolf, qui veut attirer son attention :
"Regardez ! le sol se
soulève
!" - en effet : le plancher se craquelle, et par-dessous, c'est
une espèce de pavé qui pousse, un champignon de pierre, tout noir,
basaltique : "Regarde, cinéaste de merde ! tu vas mourir sur la
route ! ceci en est le signe !
tu
vas mourir sur la route !" Ce sera son châtiment, pour ses
sacrilèges : on n'éveille pas impunément la Déesse de la nuit.
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De
quoi en vérité l'entraîner sans trop de protestations à
l'intérieur du bâtiment, grande, rose et bien en chair, pour
l'embrasser sur la bouche; même, je conduis ses doigts
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Je
dois vous faire part d'une étrange aventure. Parfois en pleins
champs, les ploucs et les Parisiens organisent une grande "frairie"
ou fête de village. En plein Poitou, l'on dispose un parking, sur
l'herbe, où des locaux vous
guident
ingénieusement, vers telle ou telle place libre. Ce jour-là, sans
savoir ce que l'on fête, je suis l'un d'eux. Par petits gestes des
mains je fais reculer tel ou tel, sur l'herbe coupée, sur l'andain
disait-on. Mais celui-ci, souillé
des
pneus, ne pourra se récolter. La troisième voiture est conduite par
un jeune chasseur, très aimable. Mais, travail oblige, nous ne
ferons pas plus ample connaissance. D'autres fonctions m'appellent à
Toulouse, à plusieurs
heures
de route. C'est un pari que je me suis fait, une sorte de voeu,
absurde et dangereux : faire le tour de la ville, à pied, par la
rocade. C'est de quoi se faire tuer, surtout dans cette brume
particulièrement tenace. Nous
commencerons
par le flanc ouest : la Cépière, la Faourette. Le côté est
(Croix-Daurade, Aucamville...) - sera pour une autre fois; et même,
soyons fous, je pousserai jusqu'à Montastruc-la-Conseillère : rien
de plus beau que
l'église
de Montastruc-la-Conseillère. Et pourquoi pas plonger plein sud,
vers St-Girons. Après tout, les nationales ne sont pas si
dangereuses.
A
cette heure-ci, je peux même emprunter les pistes cyclables. La
brume se lève. Des formes humaines marchent à ma rencontre : un
jeune père, une jeune mère et l'enfant, qui vont d'oùm je viens,
expulsés, sur la route, ou la
piste
cyclable, c'est tout un. Ce sont eux, les monuments remarquables. Ils
ne figurent sur aucun dépliant touristique. Et peut-être
pourrais-COLLIGNON NOX PERPETUA
je
fouiller le fond de mes poches, y retrouver un vieux chéquier blotti
là, et nous payer à tous les quatre une chambre de location, à
St-Girons, Cintegabelle. Et puis je descendrais seul, en secret, de
nuit, au rez-de-chaussée. Elle
ne
dirait pas non, nous resterions discret, car l'enfant a le sommeil
léger.
Puis
je rejoindrais la chambre, minuscule, sous le toit, prenant le jour
par une tabatière coulissante, un vélum de plastique. Et dans cette
femme fugitive, s'inscriraient les traits d'Arielle, laissée si loin
vers le nord
(Mamers,Sarthe)
ou de Véra, coincée dans une location perdue de Lozère : tout un
rassemblement d'errances humaines, de petites habitudes,
d'abonnements aux douches municipales. L'enfant serait une fille,
Lucinda, qui
tenterait
avec application de lire toutes mes notes, dans un petit carnet rouge
de voyage qui ne me quitterait pas, où je note mes trajets, les
citations de mes lectures, et je me réjouirais de ses efforts :
"Bientôt, tu sauras lire
couramment
!" Nous serions heureux dans ce lieu indécis, parce que tous
nous changerions de visages, progressivement, sans cesse, comme
autant de nuages...
C'était
un musicien, presque aveugle, au regard tordu. Il s'habillait avec
soin, sous sa barbe volontaire. Il avait emménagé dans ce logement
de la rue de Pessac, avec un ami, en tout bien tout honneur. "Comment
vous
rejoindre
?" Un troisième homme les recherchait... Mon musicien vivait
avec la belle et conne Charlotte : c'est surtout elle que j'avais
envie de rejoindre. Mais il faut soigneusement cacher cela ! Donc me
voici, sur indications
de
ce troisième homme, fourré dans une voiture en stationnement, au
sommet d'une colline en pleine ville, en bordure d'un immense
carrefour : directions "Jaurès", "Péguy", que
sais-je... et démerdez-vous !
Le
démarreur émet des bruits d'agonie, l'échappement de grosses
fumées, une pétarade, et le véhicule s'ébranle. Vétuste, mais
miraculeusement pourvu d'un système GPS qui me mène sur des rails
jusqu'à destination. C'est une
ville
vaste et sauvage, tout m'y est inconnu. Tant on a construit, tant on
a détruit : dans notre jeunesse il n'était pas question de
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cette
profonde trouée, progressivement élargie entre les immeubles. Tout
est méconnaissable. Pourtant c'est bien Bordeaux, où je me suis
malgré moi incrusté comme une huître. Et l'adresse, dont "le
troisième homme" et moi
nous
souvenions, n'est plus la bonne de puis longtemps : l'employé d'une
agence immobilière où je me renseigne en désespoir de cause me
reçoit les bras croisés avec aplomb :
"Comment
?" me déclare cet individu, exact sosie d'Alain Delon : "Vous
ne saviez donc pas que c'est moi, et non pas un autre, qui lui ai
vendu le domicile où il réside actuellement ?" - ma foi nom,
comment l'aurais-je
appris
? mais c'est qu'il se foutrait de moi, ce suffisant ! ...gonflé
comme un crapaud qui fume ! Et bien installé : son bureau, garni de
baies vitrées sur quatre côtés, domine tout le quartier de cette
ville devenue décidément bien
montueuse,
et tout en me parlant, il fait négligemment tourner du bout des
doigts un vaste globe à l'ancienne digne du
Dictateur
de
Chaplin. Il est ma foi impossible que Bordeaux, bien plate, soit
devenue à ce point accidentée,
au
point que les rues ne font que monter et redescendre.
La
seule explication serait que par la trouée d'immeubles de tout à
l'heure je sois parvenu, par "une faille dans l'espace-temps"
selon la formule consacrée, dans une ville telle que Liège, ou
Bruxelles, "peu propice au flâneur"
disait
déjà Charles Baudelaire...
Après
tout je me fous bien de ce musicien, de sa femme et de son
colocataire : toute cette engeance doit bien avoir vieilli autant que
moi. Qu'importe aussi la ville où je me retrouve. A présent je m'y
sens à mon aise. J'y ai
retrouvé
sans peine le studio d'où tous les vendredis je suis autorisé à
émettre une émission radiophonique. Alors, comme c'est aujourd'hui
vendredi, que tout est soigneusement préparé, là, dans ma petite
mallette, je fais mon
émission,
tout seul, comme d'habitude. Redescendu de mon studio, je tombe sur
une admiratrice inconnue - quel beau métier ! - qui me félicite,
non seulement pour cette émission, mais pour celles qui l'ont
précédée !
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Il
se mouvait en rêve dans une grande villa, très claire et sans
mouches, en Afrique du Nord : la combinaison des sons instrumentaux
reproduisait, en syllabes allongées, le mot
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glacés
par l'ouverture de ma chemise pour les réchauffer sur mes côtes
elles-mêmes couvertes de gras. Second baiser, exaltation montante,
cela
faisait longtemps que je n'avais pas vu un homme -
apparemment,
les deux
assistantes
qui ouvrent soudain la porte sur nous deux non plus, car elles nous
fusillent du regard... et ma grosse conquête les suis illico dans le
couloir, me laissant là comme un navet sur une table. J'ai tout de
même l'immense
compensation
auditive de l'entendre commenter à voix forte ma capacité de
séduction, comme pour justifier sa chaleur subite à l'endroit de ma
personne.
C'est
bien s'exciter pour une simple pelle ; je referme ma braguette
prématurément ouverte... Rabattons-nous sur une femme connue de
longue date, une amie de ma femme, avec laquelle je n'aie jamais
songé à la tromper,
car
tout arrive. Sortie de ville et campagne profonde, village d'enfance
: j'avais six ans, Dieu sait jusqu'où m'entraîneront tant de
prestigieuses non-aventures.
Buzancy.
Je
peux bien en dire le nom. Même là, notre époque a
frappé
: étrange, tout de même, de voir s'inviter chez soi, lorsqu'on a
six ans d'âge, l'amie personnelle de sa future épouse. En ce
temps-là, l'oeil noyé d'entropine, j'introduisais dans de petites
maisons en carton, soigneusement
confectionnées
par moi, des mouches, qui agonisaient sous mes yeux, empoisonnées
par les parois.
Que
venait faire ici cette visiteuse du futur ? Ce jour-là, j'avais
renoncé aux mouches, mais devant moi la table présentait un "tapis
de souris" ; et dans l'épaisseur de cette espèce de mousse
lisse, des fentes parallèles
permettaient
le déplacement de curseurs métalliques, comme sur une table de
mixage. Cela produisait une musique envoûtante. Quel bonheur pour un
enfant de se croire, d'emblée, compositeur de talent. Le petit
Christophe
savait
qu'un jour, il serait Beethoven ; il serait bien puni plus tard de
cette innocente vanité, quand il soufflerait (maximum de son talent)
dans un pipeau de plastique
troupieaux,
troupieaux...
Pour
l'instant, l'enfant enchanté
s'écoutait
produire des ondes Martenot, phrase courte et mécanique
mélodieusement répétée.
magique
d'AL-GE-RIE. Autour du jeune Christophe la famille, et les amis,
s'étaient réunis, respectueux, dans la musique et la lumière. Mais
assez vite, le tapis de souris s'assécha. La force magnétique du
liquide perdit son
efficacité.
Les curseurs et leurs longues fentes s'effacèrent, et l'enfant se
retrouva seul, devant un tapis de mousse sèche, inutile.
Mon
père avait quitté la pièce. Je savais qu'il s'occupait d'enfants
comme Jean-Christophe et moi. Il suffisait de cinq élèves de quinze
ans, insolents tous les cinq, pour transformer le cours en véritable
enfer. Mon père
l'instituteur
s'y connaissait : il savait prendre les choses avec diplomatie,
laissait la fille Brebsi défiler ses sottises, et prenait avec
humour ses réflexions humiliante. Il s'en montrait, même, amusé.
S'il eût été précepteur, au XVI
e
siècle,
d'une noble et conne pucelle, il se fût retrouvé tout en pourpoint
et fraise précipité dans les douves boueuses d'un château.
Il
aurait eu pied, mais tout son habit de précepteur se fût
irrémédiablement gâté. Alors il appelait à l'aide, mon père, au
comble de l'humiliation, et bien mal récompensé de sa patience. Les
petits nobles, se risquant sur la berge
raide...
lui tendirent des mains, des bras, des branches et des chapeaux. Ils
le tirèrent de là non sans mal, obtinrent le remplacement des
habits souillés, se montrèrent ensuite avec lui d'une parfaite
déférence, sans que mon père
eût
jamais su s'ils s'étaient repentis d'eux-mêmes ou si leurs parents
les avaient préalablement bien morigénés...
Les
temps avaient apparemment bien changés. La Révolution française
était passée par là. Il suffisait à présent de tenir une classe
de rejetons nuls, agitée, fatigante. Le cours pouvait avoir fait son
effet, mais quel est "l'effet"
d'un
cours ? Peut-il se mesurer ? Quelle note aurait eue Socrate ? Avant
ou après enculage ? Si c'est votre propre père qui vous inspecte,
quelle note vous accorde-t-il ? Si votre père est plus jeune, plus
entreprenant, plus
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dynamique,
alors que vous ramez dans vos habits trop larges d'éternel débutant,
comment réagirez-vous ? "C'est bien", lui dites-vous.
C'est vous-même, l'inspecté, qui attribuez une note, une
appréciation, à l'examen de votre
père.
Mais
cela signifie, en réalité, "assez ; n'insiste plus ; suffit"
- les inspections précédentes se sont prolongées au-delà du
supportable : "nul ne peut contenter tout le monde et son père".
Et puis, se fait-on encore inspecter à
quelques
mois de la retraite !
ravalement...
Ravalant justement son indignation, l'enseignant, avec son très
vieux père se dirigèrent par un couloir vers une cantine,
l'éternelle cantine qui ne connaît que quatre goûts : salé,
sucré, amer, et fade ; chaud, froid,
tiède,
ce qui fait douze nuances. Et les serveuses, celles qui balancent
leurs louches dans les assiettes de plastique, manquent de la plus
élémentaire amabilité - elles se font tellement chier...
L'inspecté
rentre chez lui, le cauchemar est terminé. C'est une villa
d'Algérie, du moins à la mode algérienne, claire sous le haut
plafond. Ambiance bruyante, vu la circulation extérieure, et le peu
de meubles encore installés :
une
résonance de pièce vide. Personne. L'épouse et la fille sont
encore en courses. Elles ne sauraient tarder, quoiqu'elles ne
connaissent pas très bien encore cette ville nouvelle. En attendant,
il fait défiler des photos sur un écran
:
voici Te-Anaa, magnifique Maorie, amante et amie de toujours,
souriante, épanouie. Pourvu que sa femme ne s'en aperçoive pas ! Il
ne peut se résoudre à l'effacer, non plus qu'à jeter la cassette
entière…
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Un
ange le transporta au sommet d'une montagne, et il n'eut pas de
crainte, car un encadrement de vitre le séparait du vide. Quant à
lui, il se trouvait à l'intérieur d'une excavation maçonnée, bien
à l'abri, bien que la fenêtre fût ouverte sur l'abîme. Aucun
vent, il se penche : c'est une forte pente, juste au-dessous du
rebord, un ravin de prairies pelées striées de roches descendantes.
Parmi ces formes vert et brun se déplacent des brumes capricieuses,
esprits effilochés, dans l'attente d'une traîtrise, orage ou
brouillard. Et dans son dos l'homme transporté entend une voix qui
le convainc de planer au-dessus des abîmes, sans danger, muni de
tous les pouvoirs qu'il faut ; l'homme recule, renâcle, refuse.
Il secoue les épaules.
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Vite
vers la plaine, et les villes civilisées. Par exemple et contraste
absolu, Paris. Métropole des manifestations, petit baril corseté
près d'exploser. Toujours. Cette fois-ci tout le monde crie, les
flics tapent ou voudraient taper, les ordres sont peu nets. Le grand
tatou de la police est que tous les manifestants, selon leurs
étiquettes, se sont séparés par de lourdes barrières métalliques.
Les services d'ordre les transportent, syndicats, municipalités,
simples associations, de plus en plus floues. Sur le trottoir, même
confusion faussement surorganisée. Qui pourrait avoir l'idée de
distinguer manifestants et spectateurs, sympathisants et militants ?
A gauche de Jojdh le Fier-Cloporte, une délégation porte à bout de
bras le fac-simile au
vingtième d'un portail orné d'un écusson : celui de l'Ecole
Normale. On dit à présent
« un logo » : deux silhouettes drapées adossées
aux montants d'une fenêtre ouverte. Eux aussi manifestent. Ou bien
ce sont des promeneurs. C'est ce qu'ils prétendent. Seraient-ils
lâches ? Provocateurs ? c'était la seule instance en
laquelle on eût pour croire, et si quelqu'un leur demande leurs
revendications, ce sera de pouvoir se promener impunément ? Ô
déception, ô mauvaise foi. Boulogne n'est -il pas désert
aujourd'hui ? De part et d'autre de cette grille en carton-pâte,
la foule est aussi dense…
Soudain
les Normaliens accélèrent sur leur trottoir, doublent les
manifestants et descendent sur la chaussée, prenant la tête du
cortège face à l'Ordre : bien joué ! Jojdh marche au
premier rang ! À côté de lui un petit étudiant compte ses
pas à haute voix, s'arrête, reprend à zéro puis repart. Un tic.
Une manie, un vœu ; à
ce rythme il se fait
distancer : peut-être ce qu'il souhaitait. Jojdh
est envahi par l'idée inverse : devancer la manifestation. Pour
cela, profiter sans honte d'une autre manifestation, destinée à
rejoindre la première, à tel carrefour, comme une rivière dans un
fleuve (like a river into another one). Ce
sont les employés du zoo de Vincennes, qui mènent en laisse en tête
d'un autre cortège une tigresse passablement droguée, dont Jojdh
s'empare.
Le
voilà seul, menant sa
panthera tigris, aussi
douce qu'un agneau, non sans fierté. Des flâneurs le rejoignent, à
distance prudente. Les immeubles, jusqu'ici de six à huit étages à
l'ancienne, sombres,
sinistres, s'abaissent
progressivement. Il semble que l'on passe au quartier pavillonnaire :
étrange, en plein Paris. La chose existe, assurément, mais
protégée, munie de barrières et de laisser-passer. Rien
de tel, mais un ciel dégagé, une petite brise qui éveille la bête,
encore d'humeur confiante ; elle
tire sur sa laisse, docile et sympathique, mais le canular montre ses
limites. Jojdh et les badauds
se retournent : personne pour les suivre, même de loin, et les
policiers n'ont pas le temps de surveiller les casseurs, plus un
tigre.
Derrière
les Courtisans du Tigre le sol peu à peu se dégrade : le
terre-plein central se délite, sa plate-bande d'herbe semble se
diluer dans l'eau, comme si la Seine remontait des profondeurs pour
dissoudre les travaux des hommes. Le groupe alors se répartit sur
les bas-côtés, mais c'est le tigre qui s'échappe, fuyant comme un
chat le sol humidifié, dont le revêtement se fond peu à peu. Les
voici tous coupés du monde, du tigre et de la manifestation dont les
premier rangs, apparus dans le lointain, se font tabasser par la
police. Nous avons marché
des heures. Le sol s'est asséché, consolidé de grosses pierres
anciennes, et c'est un quai qui nous supportent, une Seine trop vaste
ou plutôt la Gironde, à quoi tout revient désormais. Tout
revient au même. La scène est
vaste ouverte ; le
régisseur Edouard
Fraisse est là, tenant avec
d'autres une banderole au
vent, longue, bariolée, où figurent les spectacles à venir, mais
rien sur mon théâtre,ajoute
Fraisse (« Au Pavé »,
36 rue Pavée).
Les
quais sont déserts. C'est un beau matin d'été. Nous aidons à bien
tendre et maintenir la banderole, afin que chacun puisse voir et
lire. Mais un long bandeau de tissu s'avère moins docile qu'un tigre
endormi. Tout s'entortille et
s'effondre, malgré mes indications par gestes et par cris, nul ne
peut la retendre sur ces tréteaux par exemple, abandonnés là par
le « Marché des Quais » de la veille. Laissons tomber
ces incapables et ces supports instables. Advienne que pourra :
marcher encore, trouver de quoi manger. Voilà.
C'est ici que le festin doit se dérouler. Tous ces gens mangeront et
chieront : il faut des toilettes impeccables, mission accomplie,
et même à vêpres. A un détail près : pas de papier.
Heureusement,
nous avons tous le réflexe de vérifier s'il y en a ; malheur
et honte à qui s'en serait avisé trop tard. Les cabines voisines
bruissent de présences : on s'y agite, on y parle à voix
basse, sur un rythme plus ou moins précipité. Pour
moi, c'est trop tard : j'ai laissé s'activer mes sphincters, et
ne trouve pour tout secours dans mes poches qu'un petit morceau de
papier soie. Le couper en deux, en quatre, en huit. C'est
confettique. Une journée pourtant si bien commencée. Dieu m'accorde
cependant la grâce de ne conserver aucune trace ni odeur aux
extrémités de mes doigts. Seigneur vous m'avez bien humilié, sans
que personne d'autre ne s'en aperçoive. Merci mon Dieu.
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Les
rêves d'un impuissant ou passif présentent à la fois consolation
et amertume : comme seuls instants de la vie où la possibilité
d'agir et d'assister à des évènements se libèrent. JOJDH CHERCHE
CARLA ( OU CHARLENE) – tel est l'écriteau que je devrais brandir,
porter devant moi, tandis que les gens me déchiffreraient le
panneau. Les haricots crient et puent. « Pas vu Charlène, ou
Charline ? Elle était vendeuse, ici même. Rayon conserves,
parfaitement. Ou bien bijouterie. Voyez en face. Où
avais-je la tête, un rayon bijouterie dans ce magasin, tss tss. En
face, passé le sas, on ne la connaît pas non plus. Jamais
eu de présentatrice de ce nom. Jojdh
est regardé de haut. Le personnel est grand et brun, les femmes
vous dépassent d'une tête et portent des talons. L'une
d'elle cependant, après s'être bien assurée que tout le monde
s'est détourné, lui montre dans un coin la moitié d'ancienne
photo. A sa grande surprise, il y reconnait trois vendeurs , dont il
cite aussitôt les noms.Au tour de l'hôtesse d'être surprise , elle
dit à mi-voix que Charlène ou Charline figurait sur l'autre moitié,
la déchirée. Cela montre
que le personnel ment. Jojdh ressort de là tout heureux qu'on ne
l'ait pas menotté pour raison de pauvreté : « Quentin !
Que fais-tu là ? - J'admire la vitrine, et toi derrière. Que
fais-tu là aussi ? - Je cherche Charlène ? »
Quentin répond de laisser tomber. « Peut-être une piste.
Suis-moi. » Quentin a fait Verdun, les Magasins, avec Jojdh.
Tous
deux connaissent les heures non payées, les journées prolongées
indûment, horaires élastiques en temps de chauffe, moqueries sur
son teint rouquin. Il n'a rien à faire. Ça tombe bien,
j'ai rien à foutre. Pourquoi ne
pas t'aider dans tes recherches ? » Mais il faut marcher.
Même grimper, Une maison se dresse au sommet d'une pente, une
horrible pente où se
succèdent les terrains
vagues. Surprenant d'ailleurs
dans une ville renommée pour sa platitude. Lorsqu'ils y
parviennent, trempés de soleil et de sueur, l'accueil
est chaleureux, comme si la maitresse de maison leur avait observé
la progression en bout de jumelles. La
femme a cinquante ans : « Mon mari ne peut vous recevoir.
C'est bien lui, sur la photo des bijoutiers, mais il est bourré de
neuroleptiques. Oui, c'est bien lui sur la photo. Mais il y a bien
longtemps. Il a perdu de son éloquence, On n'entendait que lui.
Voyez sur la photo quelle élégance excentrique. Et encore, pour la
circonstance, il s'est soigné. » Jojdh préférerait partir.
Quentin,
non. Il se sent quelque avantage devant la belle quinquagénaire, et
voudrait le pousser. Pas questions de convenances. Jojdh est déjà
venu en ces lieux : il en parierait. Pour compléter la
conversation, il invoque la rénovation de ce conduit de cheminée,
en saillie sur le mur
extérieur,
s'élargissant du haut en bas
jusqu'au sol. Mais nous ne perdons pas l'espoir de retrouver Carla,
dite Charlène.
52
01 15
Poursuivons
notre quête, comme une queue autour du chien qui vire ;
exécutons un voyage touristique avec notre Arielle, aux jupes
flottantes. Nous arriverions dans un village étrangement placé
entre hier et to-day.
Les touristes y seraient logés au Bois Clair, gîte d'étape où les
couchettes, rapprochées comme celles d'Auschwitz et tout aussi
étroites, seraient peuplées de visages souriants et frais, dès
l'aube. Tout serait propre, eau de Javel, planches et piliers blonds
bien rabotés bien lisses. A se frotter les yeux. Les clients
s'extirpent dans l'ordre, reposés, se réunissent autour d'une table
et mangent de copieux petits-déjeuners. Nous y passerons la nuit qui
vient, après avoir exploré les environs : rien. Vivement ce
soir : il ne reste plus que deux emplacements libres, et la
mixité est de mise. Charlène désormais s'éloigne, Jojdhie
Fier-Cloporte le lendemain matin se réveille avec sa trique sur les
fesses d'une grosse, en
manque, chaleureuse mais habillée comme elle a passé la nuit, et
sur les siennes la queue de Caprio, acteur connu-mais qui est-ce ?
s'interroge le Jojdh ; qui est-ce ?
-
Monsieur, Monsieur, supplie Léonardo di Tchi, aller me chercher à
boire et à manger, car ces porcs de la nuit n'ont rien laissé pour
moi – pour nous – sur la longue table. Nous prendrions ensemble
le café, puisque la grosse dame est partie. - Je préfère les
femmes, dit Jojdh à voix basse. Ich ziehe Frauen vor. »
Que ce gringalet geignard et enjôleur aille exercer ailleurs son
autorité de faible ; la
« grosse dame » était là, juste derrière lui. Elle est
écœurée, mortifiée, etc. Et Jojdh n'ira pas « chercher le
pain », ni le lait. « Voici ma femme ». Di Caprio
tourne le dos sans derrière-pensée, Arielle sort d'une autre pièce,
semblablement peuplée de figures de cartes, coincées joyeusement
entre deux châlits.
Ici,
tout est en bois clair. Tout
ce monde est à présent loin derrière. XXX 63 09
25 XXX
52
02 13
Jojdh
et Arielle se retrouvent sur un petit quai de gare, Charlène
a rejoint l'Arlésienne dans ses gazes. Moi, Jojdh, Fier-Cloporte, me
trouve dans un cercle de brillants universitaires qui cette fois
choisissent de parler ensemble. Je ne suis pas au centre de ce
cercle, ni en limite de circonférence, mais j'aime bien d'un
grognement ou hochement de tête montrer que je suis, qui je suis, un
parmi les autres. Et lorsque le train arrive, vapeur en tête !
rien ne me surprend. Même sa forme ronde de vache grosse ne me cause
pas le moindre émoi. La grosse dame y prend place Où
partez-vous ? - Ligne
frontalière » répond-elle, et avant que moi, Jojdh, j'aie
pu reprendre la discussion de mes voisins sur Homère ou les moules,
voici tout le groupe bien vêtu qui m'entraîne à l'intérieur du
wagon sans cesser de papoter,
trop tard pour réclamer ma valise archaïque au beau milieu du quai,
toute seule et risible.
Me
voici sans plus rien à lire, tout était là. La compagnie se rend à
Borte-Folle, bourgade au bord d'un lac boueux, qui déborde. La
poitrine déborde aussi de la grosse universitaire, qui prend cela
comme un accès de gaieté dans le discours de Chubre,
maître de conférence : « Ici se trouverait l'un des
nombreux emplacements sacrés où Jean-Jacques
Rousseau rencontra Mme de Warens. » Mais
c'est faux. Archi-faux. La balustrade plaquée or qui empêche de
fouler l'herbe indique un lieu inexact. Ce fut le long du bâtiment,
sous un petit appentis. Un appentis sorcier. Chubre explique mal,
d'une voix blanchie par le Lexomil. Chacun patauge consciencieusement
dans les prairies honorées
par les pas des
deux tourtereaux qui jouaient à l'inceste, et qui jouissaient à
l'époque d'un terrain sec, car pour nous, la boue monte à
mi-mollet. C'est
décidé, je quitte ces lieux crottés, me concentre à fond, dans la
claire conscience de rêver – miracle ! Ma valise revient
entre mes mains, le terrain se dessèche sainement, et me voici dans
« une situation la plus agréable du monde », sicut
fabulis dicitur, car
une jeune femme bonde, mince et distinguée, se presse sur mon cul en
se frottant à la petite cuillère, me retourne, me met sa langue en
bouche au comble de la reconnaissance et me rappelle qu'une femme
peut parfaitement se ruer sur un homme pour en tirer du plaisir.
Je
reprends mon souffle et présente mes excuses, comme si j'avais été
vulgaire, mais elle me sourit, heureuse. Mon plus grand regret de la
vie, à l'instant de mourir, sera de ne presque pas avoir connu les
femmes, de ne leur jamais avoir fait suffisamment confiance, non plus
qu'à moi, d'avoir si rarement lu le plaisir dans leurs yeux ou sur
leurs paupières. Même
en moi, tu as peur des femmes.
Et
pas seulement de toi, mais de toutes.
Et
le 52 05 10, le voyage se poursuivit comme ceci : j'étais avec
ma chère fille et ma chère femme dans un hôtel, cette dernière
faisant chambre à part. Avec ma fille, lit séparé, mais ce n'est
pas très confortable. Toujours est-il que mon épouse, à travers la
porte ouverte, me gratifiait de ses plaintes sur son eau trop chaude
(pas de douches en ce temps-là !), des
chuintements grésillants de transistor à piles (mélodies à deux
balles).
Nous
étions en retard. Vous savez que dans les hôtels, il faut avoir
déguerpi à 11h ! dans les petits, ceux d'autrefois, ceux qui
n'avaient jamais entendu parler de normes européennes, aux temps
bénis où l'on pouvait voyager, à 136F
(25€
)
la
nuit. Où
les vieux robinets à pas de vis pouvaient goutter sans provoquer
l'inspection générale des installations sanitaires… En
Bavière, c'étaient déjà des prix effarants, à tant non pas la
chambre mais à tant le touriste, alors qu'il est sans exemple qu'un
couple coûte plus de dépense qu'une personne seule au requin
d'hôtelier. Mais les Bavarois sont des gens riches. Et nous étions,
en famille, à Munich cette fois. Ma fille et ma femme étaient la
même personne, oscillant de l'une à l'autre, ce qui n'étonnera que
les ignares, vous savez, ces analphabètes qui vont beuglant que
les rêves, c'est que des conneries.
Le
train s'arrête à Munich et ne repart plus. Nous n'avons plus un
centime, l'auberge où nous sommes descendus nous fait crédit, tout
le personnel parle un français impeccable. C'est l'heure du cinéma,
l'employé me demande si je la préfère à l'ancienne, sur écran
devant moi, ou bien, juste dans mon dos, sur écran vidéo : je
n'aurais qu'à tourner mon siège. Devant ou derrière moi, de toute
façon, trois
rangées de grosses têtes me bouchent un bon tiers de la vue. Que
faire ? Ce que l'on fait en cas d'incertitude : on se rend
en grande pompe aux Toilettes.
Les
chats indécis se passent la patte sur l'oreille ; certains
humains vont aux chiottes pour s'éclaircir les idées en se vidant
la vessie. Adoncque, voici les toilettes du grand hôtel de Munich :
inutile de la cacher, elles sont honteusement insatisfaisantes. Leur
étroitesse n'a d'égal que leur frusterie : juste un trou à la
turque, avec les fameuses semelles en ciment contre le dérapage.
Très sec en tout cas, très propre. Ni dégoulinade ni suintement.
Et quand j'en ressors, je me dirige vers l'une ou l'autre des aires
de projection, j'entends d'images. Mais j'emporte avec moi un
chef-d'œuvre de technique (« technologie » pour les
pédants) : un clavier, un écran personnel. Cela
me permettra de rédiger « sur la bête » ma propre
critique cinématographique.
D'autres
spectateurs, je devrais dire semi-spectateurs, procèdent comme moi :
ils ont les yeux fixés tantôt sur leur nombril (je
ne sais ce qu'ils dactylographient)
tantôt sur la séance publique, offerte par le Gasthaus. Pourquoi
ne pas adopter le sans-gêne si largement répandu. Mais en voici
pourtant une forte limite : une forte femme, retardataire,
s'assoit à trois places de moi, écrasant de ses cartilages une
mince jeune fille qui se met à protester : elle peut le faire,
tout le monde s'étant enfoncé dans les deux oreilles ses écouteurs.
Je bourre donc les miens bien à fond dans le conduit auditif. Ils
correspondent, ceux-là, au film qui défile sous mes yeux. La
séquence en cours propose un père de famille qui déclare comme ça,
tout de go, son intention d'emmener son fils au cinéma porno :
« Je
repasserai le prendre à la fin de la séance », à condition
peut-être pensai-je à part moi de ne pas le tenir par la main. XXX
63 10 31 XXX
Je
ne dois pas avoir débrouillé toutes les connections de mon bras de
fauteuil, car mon voisin se met à l'interpeller, de sa place à
l'écran, ce qui ne surprendra pas les fanas de La
rose du Caire : « Tu
es sûr » (accent italien prononcé, tou
es sour)
« de ne pas le faire toi-même, le film, col
tuo propio figlio -
avec ton propre fils ? » - l'indignation l'emporte,
la langue italienne refait
surface.
Alors,
sans me gêner non plus, je le traite de tous les noms, dans les
trois langues.
Finalement
nous aurons tous assez d'argent pour revenir de Munich. De même les
Bloy : Danemark- Cologne-Paris. Gauguin mari de Mette. Céline.
Étranges cousinages. Éternelles
bougeottes. Il faut rouler.
Sans
cesse sauter d'un véhicule à l'autre. Ce que nous cherchons, ce que
nous fuyons. Trois voitures vers le Bassin, celui d'Arcachon. Java
est dans la première, mais ne conduit pas. Je conduis la deuxième,
et derrière moi, vite distancée, Arielle. Pour ma part je suis,
tant bien que mal, recru de la fatigue du voyage. Parfois le
véhicule s'écarte, je l'encourage à haute voix, peine perdue :
je suis perdu ; il ne fallait pas prendre cette allée de sable
battu sous les pins, encore, encore, enfonçons-nous ; perdu
pour perdu. Je me souviens très bien de cette grande maison,
transportée sur des vérins, ou reconstruite en un éclair comme
celle du
marquis de Charnacé.
Le
chemin s'arrête là, en éventail semé d'aiguilles de pin, parmi
les fougères humides.
L'océan
est à deux pas, je l'entends respirer. Juliette, c'est Juliette,
amie abandonnée par nos deux vies, avec deux ou trois de ses fils ou
filles, elle en avait sept, qui viennent, qui reviennent, repartent,
laissant des livres, du linge ou des jeux de société. Mais je suis
accueilli comme de la veille, malgré ma nudité des membres
inférieurs, jusqu'à la taille – quelle importance après tant
d'années, nous nous retrouvons avec effusion, les enfants ont
grandi, je me couvrirai, ma chemisette bâille au vent. Quelqu'un
finit par me fourrer sur la bite une sorte de pagne nouée, façon
christique. Nous nous serrons l'un contre l'autre dans la joie de nos
retrouvailles. J'étais son fils aîné, qui venait de temps en
temps, à l'improviste, toujours bien accueilli, pour se plaindre
lucidement de toutes les avanies de sa vie.
Le
nombre de gens qui ont recueilli ces confidences, même sincères,
est considérable. Quel charme possédais-je, quel moyen de pouvoir,
que j'aurais négligé ? Car je parlais des autres en parlant de
moi, et n'étais peut-être pas si insupportable, du moins la
première heure. Juliette me prépare un repas, il n'est pourtant que
onze heures trente. Les femmes préparent souvent des repas, tous
succulents. J'avise alors, sur un banc de bois uni à sa table, un
jeune homme que j'avais feint de ne pas remarquer. Il est en train de
lire, sans même s'être interrompu à l'arrivée de mon importante
personne : tous les hommes sont souverains, moi compris. Si je
m'installe auprès de lui, sur le banc d'en face, il ne bouge pas.
Les
fils aînés sont souvent jaloux de l'amant de leur mère, mais elle
et moi n'avons jamais couché, que je sache. Elle m'a refusé,
je l'ai refusée plus tard, façon ping-pong. Je déplie sous mon nez
une carte touristique : où est ce fameux moignon de phare que
je ne pouvais manquer d'apercevoir sur cette côté à dunes ?
« Le Cap-Ferret », c'est bien cela ? Comment fait-il
pour éclairer, ce ras-du-sol ? Une fille est tombée de sa
rambarde et en est morte, à douze ans, voici douze ans. Le petit
en-cas inhumainement avalé, nous revenons en bus sur nos pas. Où
est la voiture, abandonnée sur un bas-côté ? S'est-elle
déplacée seule ? Tout va si vite, il y a tant de véhicules de
promeneurs sur les tapis d'aiguilles de pins !
Qu'ai-je
fait ! Juliette me parlait de ses petits-enfants, Irina, Océane,
Hermengarde… des filles, sans compter le petit Orénoque. Elle
s'embrouillait un peu. Elle aussi flirtait avec la soixantaine, elle
avait réuni 6 (soixante!) amis ! Comment faisait-elle pour
connaître autant de Monde ? Chacun y va de son prénom baroque,
au vu de la raréfaction des noms de famille… Tiens, Mon Véhicule !
C'est le moment de ranger l'étui d'appareil photo, en plastique,
royalement offert par Juliette. Tant de fois j'ai reçu l'hospitalité
chez elle ! Je rejoins les autres, d'autres gens, d'autres
amitiés de rencontre, qui ne la valent pas. M ais la vie sépare
/ Ceux qui s'aiment / Tout doucement / Sans faire de bruit…
Les
feuilles mortes – Prévert – Kosma
52
05 31
Signora
Iolanda Cristina GIGLIOTTI, dites-moi –
cinquante ans – visage marqué magique – la fin toute proche –
accent macaroni moqué - « Arrêtez. Mes projets sont
abondants. Je ne baisse pas la tête. Posez d'autres questions. -
Quels sont vos rapports avec les plantes ? les fleurs, les
arbres ? » (tout laisser ainsi en plan, à la disposition
fébrile des survivants) – J'ai beaucoup de projets. Ma forme est
excellente. Voyez mon fils, il le confirmera. Il s'appelle le
Cordouan, comme le phare. » Voyons ce fils ! Il habite une
sorte de ruine, genre « loft aménagé », peut-être un
ancien phare mais de terre ferme, et je lui brûle la politesse,
montant le premier. Il me suit. C'est un jeu. L'escalier en
colimaçon monte de meurtrière en meurtrière, de plus en plus
large, où passer la tête. J'ai devancé le Cordouan, peut-être
m'a-t-il dit « Après vous », mais il me poursuit, tente
de m'atteindre à coups de grands mollards qui ne m'atteignent pas
mais retombent en grands parachutes à claires-voies : « Tu
ne peux même pas atteindre les pigeons qui nous séparent ! »
C'est entre lui et moi, le longs des murailles blanches, un mouvement
continu de gros oiseaux à donner le tournis. Les crachats chutent
comme des méduses qui se déchirent. Je suis arrivé avant le fils
chéri, dans un petite pièce au sommet, très bien aménagée,
donnant de partout sur les terres et la mer qu'on aperçoit dans le
lointain. Il arrive à son tour, essoufflé, bien que ce soit sa
propre demeure. À gauche part un couloir obscur en impasse. « À
quoi cela sert-il ? - À rien me répond-il. Nous ne faisons pas
l'amour. Mais dans ce cercle étroit loin de la terre et de l'Océan
nous accomplissons une succession de frôlements précis et de
caresses, inventant à mesure un rite éphémère. Nul n'en saura
jamais rien. Nous promettons de nous écrire, pressentant que jamais
plus nous ne serons ensemble. Ne serait-ce qu'à son air désabusé.
C'est
un grand jeune homme blond pâle, adresse : « Sous le
château d'eau ». Le courrier se dépose en bas, dans une
archère aménagée. Nous sommes redescendus de là, moi second
regardant son dos, pour ne plus jamais rien contempler d’autre :
aussitôt, je prenais un autocar à destination de Vaux-sur-Seine,
puis Conflans. Ces petites villes dans l’éloignement ne sont plus
rien, contaminées par une impitoyable injection de présent. Le
véhicule collectif où j’ai pris place brinquebale et se perdra
peut-être, dans son imprévisible itinéraire des années 50, sur le
plateau, d’où je pourrais rejoindre un moyen de transport plus
direct. Le paysage aligne ses pavillons. Face à moi deux métis
tahitiens s’entretiennent d’un match de je ne sais quel sport ;
de quelle ethnie tirent-ils des mentons si pointus ?
Mes
ignorances me perdent dans un flou sommeillant. Et de façon
inévitable et prévisible, ce jeune homme que j‘avais quitté
reparaît quelques rangs de fauteuils plus loin. Lui aussi a emprunté
le même moyen de transport. Nous nous reconnaissons de loin, nous
descendons à la même station, il s’appelle Lacoubre, « comme
le cap », nous escaladons un nouvel escarpement, creusé de
marches couvertes de lierre, qui s’enfoncent sous le roc en
spirale, ressortent plus haut, repercent la paroi, et se terminent en
cul-de-sac escarpé. Seconde descente, seconde vue de dos sur le
torse et les fesses de mon compagnon, second abandon voulu par le
destin Tintin. Je ne sais ce qu’il est devenu : la foule
donne, la foule reprend.
Retour
à la maison. ¡ Vuelta a casa ! Il est plus de
vingt heures ! Quelle est l’épouse qui ne ferait pas la
gueule ? Est-ce qu’il ne faudra pas que je couche à l’hôtel ?
De quoi sommes-nous punis ?
Je
transcris.
53
04 29
Mes
pas sont infatigables. Dans mes sommeils mêmes je dois parcourir
sans trêves routes, tunnels et souterrains. Je chemine
souterrainement, longtemps : ver de terre, hérisson, piéton de
la glaise. Toujours ou souvent me précèdent des hommes, une femme
ou deux femmes, ici, cette nuit, Arielle et son amie si anonyme.
Nous descendons d’innombrables générations néolithiques. Et
remontant de ces vieux puits horizontaux à contre-route, une femme
âgée que précède sa petite-fille. Ce sont les héritières et
propriétaires de ce dédale souterrain. «Admirez » - la
vieille dame se rengorge, tandis que la fillette a détaché du mur
une poupée suspendue « la splendeur de cette créature
humaine, touchez sa chevelure abondante et authentique, estimez sa
valeur, et payez pour emporter le tout ». Mais les autres m’ont
distancé ! Si les deux tentatrices connaissent leur labyrinthe,
il n’en est pas de même pour moi, laissé seul, égaré, cherchant
en vain le chemin du retour. Les caves se succèdent, montrant dans
leurs coins sombres des grilles tendues en hauteurs des étagères de
grands crus classés. Je monte des volées d’escalier, sous les
parcimonieux éclairages de voûtes, écartant des deux mains
d’étranges ferrailles aux aspérités rouillées – devant cette
porte plein-cintre en particulier, que je force d’un coup d’épaule.
La
pièce reçoit d’en haut les lueurs incertaines de soupiraux
d’église : une crypte, c’est une crypte que je hante,
rectangulaire, sous un maître-autel au flanc duquel je suis remonté
sans attirer la moindre attention. Il règne là en effet une foule
affairée en habits du dimanche, qui se disperse posément après
l’office ou la cérémonie. Je la suis, personne ne voit ma tenue
terreuse ; quel est donc leur mérite ? D’avoir écouté
une longue messe, sans autres épreuves qu’une toilette et des
habits à revêtir ? Ne suis- je pas plus méritants
qu’eux-mêmes, puisque j’ai surmonté les détours et les
tentations de l’abîme ? Ils me remarquent enfin. La terre de
mon élection, qui me souille les mains, les vêtements et les
chaussures, n’attirent que leurs sarcasmes et leur goguenardise :
« Je sors du souterrain » leur dis-je, « par le
grand portail laissé derrière moi » - je sais bien que je
mens - « et il ne tient qu’à moi d’y retourner, mais, mon
Dieu, comme c’est dangereux.
Parmi
ceux qui m’entourent, je sens bien que certains m’abandonnent, à
des mouvements de groupe en périphérie. Mais je ne vois nul
Golgotha à proximité. Pas même un jardin Gouggenheim. Peut-être
même ceux que je soupçonne de traîtrise doivent-ils aménager le
couloir d’où je sors : soit pour le rendre plus praticable,
soit pour l’obstruer, en éliminant toute velléité, pour moi d’y
retourner, pour d’autres de l’explorer. Le lieu où je me rouve,
où j’ai débouché, se nomme « le Fieu » (« le
Fils » en charentais, ou chez les Normands) mais les paysage
s’apparente au vallon de la Lémance, aux environs de
Cuzorn:magnifiques paysages, clocher pointu. Sortant alors de mes
poches une carte Michelin, j’essaie de me frayer un chemin vers le
nord-est (« ça peut aller quand on est à pied »), mais
rien ne semble pouvoir éclaircir un réseau de petites routes qui ne
mènent nulle part. L’ironie bonhomme de ceux qui restent affiche
la satisfaction aigre de ceux qui vous retiennent prisonnier - « on
vous l‘avait bien dit ». Un autre sanctuaire, peut-être ?
...un peu plus loin, dans une autre direction ? Sous les regards
sceptiques (« vous ne trouverez pas ailleurs d’église aussi
remarquable que la nôtre ») je redescends leur côte, carte en
main, d’un tournant à l’autre, prenant garde aux plus gros
cailloux.
L’autre
partie du village, en contrebas, c’est déjà autre part, d’autres
gens ; plus ouverts, plus dynamiques. Une jeune femme m’accoste
sans façons, m’invite à visiter son auberge où se tient une
exposition informelle et permanente d’artisanat local. Quand je
suis entré, un groupe de jeunes gens m’a salué en souriant.
(53
04 30
Manque
un rêve, sur papier libre.)
53
05 03
Partout
Arielle m’accompagne. C’en est effrayant. Imaginons que pris
d’une subite envie de chier je fasse mon entrée dans un certain
petit réduit, un soudain brouhaha me fait rebrousser chemin, et que
vois-je ? Arielle vient de tomber de tout son long devant la
porte de la rue, en robe de chambre. Elle sanglote et prétend chier
avant moi. Je l’avais envoyée promener la voici revenue, adieu
distance. Et moi de fuir en descendant la pente aux prairies closes
de barbelés, où mangent les vaches paisibles. J’entends toujours
le peintre Jean disant à tel ou tel ami qu’un troisième homme,
mercenaire de son état, s’était vu délester de tous papiers de
fausse identité en pleine Afrique noire, puis en avait retrouvé
d’autres : « Je m’appelais Binnda », disait-il,
et j’étais revenu, sous ce nom, par Blida et Bougie».
Me
relevant parmi les vaches et très soucieux, tout compte fait, de la
santé d’Arielle, je reviens sur mes pas et me relève en vrai,
gorgé de merde à plein rectum. Et pris d’extase je prenais le
train pour Marseille, où je suis revenu souvent, où j’ai quelque
temps habité, aubas dela gare Saint-Charles. Il y avait en ce
temps-là un petit appartement, un bouge ensoleillé, autout duquel
vivaient une quantité de vieux Marseillais. Ils parlaient dans
l‘accent des films de Pagnol, ils m’apportaient dans mon
deux-pièces du pastis de bienvenue, où je trempais mes lèvres pour
ne pas les désobliger, car alors déjà je ne buvais plus, ou je m’y
efforçais. Ils tournaient partout, commentaient la moindre éraflure
de plâtre, me conseillaient avec la plus vive et la plus indiscrète
amitié. Tandis qu’ils m’étourdissaient de leurs empressements,
je m’inquiétais : comment ma fille et son enfant pourraient-ils
venir ici s’installer, tout était si petit, si vétuste !
Le
soleil par les fenêtres n’effaçait pas la vétusté,
l’éloignement de ma mère et de Bordeaux suffiraient dans un
premier temps, j’étais quinquagénaire et profitais enfin de ma
liberté (mes éphémères compagnons m’avaient soutiré ces
confidences), il me faudrait m’habituer à ces intonations d’un
peuple envahissant, dépenaillé, que je commençais même à imiter
pour lui plaire. Je les observais bien, surtout au niveau de leurs
mains, aucun accroc ou déchirure n’échappait à mes regards
méfiants, car je me suis toujours tenu à l’écart de ces citoyens
frôleurs, crasseux et misérables. C’est ainsi que m’avaient
élevé mes parents, et ceux de mon épouse, malgré leur désaccord,
partageaient ces préjugés sans gloire.
53
05 11
Ce
grand bureau très clair m’aurait fait envie : tout en
verrières, au dernier étage d’un immeuble de Montmartre, tout
Paris sous les yeux. Lazarus, Yssev et moi prenons congé d’une
magnifique stagiaire brune, très consciente de sa beauté. Elle en
joue, elle en use avec une grande distinction, car à ce faîte des
honneurs ou des étages où nous sommes parvenus, nous ne risquons
pas d’esquisser le moindre geste, le moindre propos déplacés. Les
stagiaires par nature ne sont pas destinés à ce qu’on les
recroies dans sa vie ; il se peut aussi qu’ils ou elles se
soient légalement propulsés plus haut que votre grade, et qu’ils
ou elles vous toisent quelque peu. C’est pourquoi ma demande
d’adresse postale, formulée en ce dernier jour, m’a été
refusée avec décision, quoique sans hauteur : nous sommes
toujours dans le cadre admissible du jeu social.
Hélas
le Démon Ridicule attaque
sans sommation ; aussi bien dans les plus habits du dimanche ne
m’a-t-il jamais été possible de passer pour autre chose qu’un
chimpanzé bien soigné de sa personne. Ne voilà-t-il pas que je
perds d’un seul coup ce vernis de
singe civilisé, que le dépit fend ma croûte pseudomondaine ;
je lui déclare tout à trac : « Non seulement nous ne
nous reverrons plus, comme
vous le dites, mais de plus, nous crèverons tous tôt ou tard, vous
comprise. Je ne vois donc plus la nécessité de vous adresser la
parole à présent,ni de faire attention à votre joli cul. »
Autant n’avoir rien dit. Ni elle ni mes deux confrères ne semblent
avoir entendu la moindre incartade, ils se papillonnent tous les
trois dans
le meilleur bon ton de la galanterie, une autre femme se penche vers
moi pour soumettre un document de départ à ma contre-signature.
Je
ne l’avais jamais observée, jamais appelé par son prénom, non
plus que l’autre : celle-ci parce qu’elle m’intimidait,
celle-là parce qu’elle m’indifférait. Voyez la sottise.
Celle-ci présente sur la joue une légère tache de lie-de-vin. Mais
jamais elle ne s’est départie de son amabilité. « Pardonnez-moi »
lui dis-je à voix basse « de vous avoir négligée ».
Elle reprend ma signature et le papier, retourne à son travail.
Dois-je comprendre qu’une femme, pour mon Chimpanzé, ne doit être
respectée qu’à proportion de sa disponibilité baisative ?
De
qui s’agit-il, dans nos rêves ? Et pourquoi ne pouvons-nous
abandonner cette première personne si méprisable aux yeux des
bonnes âmes qui se préoccupent d’Amnisty International ?
Pourquoi certains réveils sont-ils plus lumineux que d’autres,
quand nous ouvrons en grand nos volets sur le soleil levant (« du
sommeil au soleil », quelle facilité!) Puis nous refermons la
fenêtre (ou pas), et tournés à nouveau vers les profondeurs à
peine entamées de notre antre, nous nous apercevons avec effroi que
toutes nos lettres, d’affaires conclues ou
d’amours passées, que
nous avions éparpillées sur notre couvre-lit, sont restées là
comme une roue de paon, tandis que nous étions passés des rêveries
à l’endormissement. Mon Dieu ! Arielle revient ce matin,
dissimulons ces messages, parmi lesquels gît encore quelque part
cette enveloppe à poster : relire le courrier des anciennes
maîtresses porte à renouer les liens, bien étourdiment ma foi.
Les
autres pièces sont restées dans l’ombre, celle en particulier où
mourut ma mère l’hiver dernier, chambre à laquelle je n’ai plus
touché, tant j’y sentais planer de menace : les morts
deviennent plus qu’eux-mêmes, se faisant porte-parole d’un
au-delà refusé. Il faut ouvrir cette porte, aérer, démiasmer,
apercevoir le temps de l’entrebâillement deux femmes longues et
maigres côte à côte,qui ne sont pas ma mère mais lui
ressemblent ; surprises de dos à vider les tiroirs de sa
garde-robe, elles tournent
vers moi leurs yeux insolents et se retirent
sans se presser, dérobant au
sens propre de magnifiques tenues de soirée. Les regards hostiles et
secs qu’elles me lancent me dissuadent de les poursuivre ou de les
intercepter.
Tandis
qu’elles se dérobent à leur tour un sec coup de klaxon m’arrache
vers la trivialité la plus immédiate : non, ce n’est pas
Arielle. Cette longue voiture noire qui m’attend sur le sable de la
terrasse ne peut être, n’est autre que celle du Président, celui
que les opposants ne nomment jamais autrement que le Nabot ou
Naboléon. Le temps d’enfiler une tenue décente, et je le rejoins
dans sa Limousine personnelle.
53
05 20
J'ouvre
en grand les volets de notre appartement au premier, le soleil
éclatant y pénètre. Des lettres sont en vrac, j'attends le retour
d'Annie, j'espère qu'elle ne verra pas une lettre à T. que j'ai
oublié de poster, et que je ne retrouve plus. Les pièces encore
noires sont emplies d'une angoisse folle, ma mère morte y est encore
présente de façon menaçante. Ouvrant une pièce, je vois deux
grandes femmes sèches hostiles qui lui ressemblent, en brunes,
partir en dérobant deux magnifiques robes de soirée, avec une
hauteur insolente. Je n'ose les intercepter.
-
Avec Sarkozy dans une voiture à l'arrêt coincée entre deux autres, le côté passager bloqué contre le mur. Il me prend pour confident, les habitants de la ville ont critiqué ses nouvelles enseignes électriques (je les vois ; l'une est : « LU... LU... LU » ; elle est en effet monotone, rouge terni). Une grosse femme en costume arabe passe. J'étouffe dans cette bagnole, je m'ankylose, j'aimerais bien aller me promener. Sarkozy est un maniaque de la bagnole et reste assis là sans s'en rendre compte. Nous attendons ma femme, partie plus loin avec d'autres.
53
06 11
Rien
ne m’empêche de monter dans un autobus par Lazarus, qui par son
crâne pelé apparent sous lamousse gonflée de ses rares cheveux,
ressemble de plus en plus à Nosferatu, mais où est son permis de
conduire ? Il s’émerveille de tout, lorgne le paysage
urbain,tripote une manette après l’autre avec effets divers de
cahots et de rugissements, oui, la ville est magnifique, les rues
étroites, il prend cela aux alentours de 50 à l’heure ce qui est
énorme : un crétin planqué là derrière l’angle
seraitenvoyé au suicide PAF DANS LA GUEULE « interdit aux
piétons » je sais pas lire conno, et voilà. Ce que nous
attendions tous. Se retrouver bloqué parce qu’un insouciant prend
les rues interdites – dans cette cité KOSmopolite un Yougoslave
(il en était encore) blond comme un Slovène monte à bord, vire
Lazarus de son siège en cul de tracteur et nous dégage en marche
arrière.
Et
tous ces passagers qui sont descendus, pétrifiés de trouille et
gestes attentifs, entre tôle et pierre vermiculée ! Ne reste
plus au fond du véhicule, où la faune bêlante étrangère nous a
repoussés dans sa fuite, qu’Arielle, Muriel et Jacques. Lazarus
s’est calmé. Le Balkanique s’est dévoué pour l’affranchir,
il appuie désormais où il faut, les portes cessent d’ouvrir ou
fermer leurs soufflets en soufflant comme un asthmatique. Nous
arrêtons près de la ferme Lenge, près du pont, ni sur la Garonne
ni sur le Rhône. Allez, va pour la « confiture maison ».
Il faut bien que les paysans s’amusent, qu’ils se prennent pour
des créateurs culturels, locaux. La confiture est bonne, le vendeur
qui me l’a tendue précise que c’est un condensateur :
« condensateur » de quoi ?
Je
réponds « c’est un con dans son frère », l’autre
rigole, ce produit local atteint les fonctions du langage et du rire,
peut-être sommes nous tous intoxiqués. Ceux qui ne le sont pas
encore viennent me demander de mon melon d’Espagne en gelée, je
leur en offre à tous du bout de ma cuillère, et même le chien, le
petit chien de l’autocar, blotti en gémissant sous un siège
pendant toute la manœuvre de dégagement du Slovène, ressort de sa
cache et me mendie un peu de ce parfum confituré. Nous le laissons
dans la cour de la ferme, où il part truffe au vent vers la cuve de
confection : il aime la gelée de melon d’Espagne ! Il
avait bien dormi sur ma poitrine, tandis que tous les humains
s’offusquaient d’une conduite aussi branque de grand amateur !
Le
voici délaissé dans cette cour, par l’odeur alléché, flanqué
de grands lion fauves sorti des bâtiment. Les passagers nous ont
suivis de loin, essoufflés sous le soleil. Ils finissent au doigt
mon pot de confiture suspecte, reprennent sans vergogne leurs places,
récupèrent sans honte leurs affaires abandonnées, qui logiquement
devraient revenir aux derniers occupants. Les voici à présent qui
veulent manger dans cet établisssements. Figurez-vous que mon
courage m’a auréolé de quelque autorité : pas question.
« Tant qu’il y a des livres, je ne mange pas ». Ils se
rengouffrent vers la sortie (ces gens-là ne manquent pas de culot),
se commandent un gueuleton de midi, avec du chien, du lion, du
saucisson, et de la confiture en gelée. Ah ben moi non, moi non, je
reste à lire, les rayons occupent tout l’intérieur, et nous tous
qui regardions le paysage, les murs qui défilaient à toute vitesse
à ras des vitres !
Pour
des livres, je manquerais tout ce qui se voit, tout ce qui se mange…
Lire, jouer de l’orgue. 53 06 14 Dégringoler du buffet, à
travers toute une tour d’église – où avaient-ils placé le
buffet, des imbéciles ? Pour arroser toute la ville, comme du
haut d’un minaret ? Et l’organiste criait « Au
secours ! au secours ! Même pas Dieu… Nous allions au
secours, Sylvie et moi, des petits garçons qui couraient des dangers
dans le monde, et même, Bouddha me savonne ! autour de
Katmandou. Bien sûr qu’il y a un lycée français, là-bas !
L’EFIK ! BP 452 ! La classe avait fait un tout, tout
petit voyage éducatif, dans la vallée. Puis, plus rien !
Disparition du petit garçon ! Nous n’étions pas les seuls :
les délégations de l’Inde, de la Chine, du Vatican et même de
l’URSS ! enfin, la Russie… Qu’avait-il donc de si
particulier ? Une puce électronique insérée sous la peau ?
bionique ? Allions-nous, grâce à lui, gratter
aux portes de l’éternité ? ...mais pas d’Américains, ni
de Japonais. L’URSS en ce temps-là colportait de faux bruits. Puis
le petit garçon fut retrouvé. Nous avons appris cela, Sylviane,
juste au moment où nous repartions. La joie qu’aurait dû apporter
cette bonne nouvelle ne pouvait supplanter cette pénétrante
tristesse, qui survivait à nos inquiétudes. Nous marchons lentement
dans un décor neutre, et je l’interrogeais. Nous parlions d’autre
chose : que comporte nécessairement un texte, quel qu’il
soit, même latin, même en vers (je lui en récitais quelques vers),
afin d’en indiquer le sujet ?
La
réponse était « le titre », mais Sylviane, bouleversée,
prise à contre-pied, ne parvenait pas à répondre. Elle se
répandait en flatteries moroses; mes commentaires étaient très
beaux, répétait-elle, très émouvants. Ses larmes coulaient. Nous
avions marché très longtemps... 53 06 15. Nous parvenions à un
hôtel, de grande classe, prévu pour abriter un congrès de
conférenciers, cette chambre vous convient-elle ? ...cette
autre, ou celle-ci ? voyez ce toboggan qui perce le plafond, par
où dévale un flot de pétales lumineux ? notre accueil
n’est-il pas princier ? pétales, particules étincelantes,
phosphènes tactiles aux tourbillons soyeux – prenez garde de ne
pas les frôler, certains sont toxiques – cette autre pièce
peut-être ?
« Voyez
de quelle vaste salle d’eau elle est accompagnée, toilettes
immenses, immaculées, luisantes ? elles vous serviront à
tous : cette chambre au tarif élevé comporte plusieurs lits,
enveloppés deux par deux par une courtine à couronne, comme si les
dormeurs en étaient des dragées, le tissu leurs précieux
emballage ? Oh ! voici les conférenciers ! Chacun se
choisit sa couche et son compagnon de lit jumeau selon ses
affinités. » Nous serons donc bien tous à l’étroit. Une
seule femme est parmi eux. Elle jouira de ma protection, et nul
conférencier allemand – ils sont allemands – ne lorgnera sur
elle d’un air concupiscent. Une femme risque moins avec tant
d’hommes höchst korrekt qu’avec
un seul Français galant. Je fais une grimace à cette femme,
visiblement très
contrariée de la situation. Elle me
répond par une
autre, marquant le plus extrême renfrognement. Le
26 du mois de juin je fus assailli de trois révélations, dont la
deuxième fut la pire : il me semblait perdre un être cher, et
je repoussai cette vision de
toutes mes forces. Mais la première fut telle : un de ces
robots forcenés, invention diabolique, s’avançait dans un de ces
couloirs sans fin de l’hôtel Garcin.
Vous
souvenez du Garcin de Huis-Clos, qui
fait les beaux jours des théâtres en difficulté : il y aura
toujours du monde pour Huis-Clos. Et
je me trouvais là, David
et moi, face à ce monstre mécanique à puissantes mâchoires, qui
mâchait tous les bijoux qu’il trouvait : sur les commodes
allongées, sur les consoles Louis XV, dans un crissement
horriblement horripilant. Et nous voyions tous deux les cristaux, les
diamants se transformer, dans cette bouche cubique et transparente,
en gravier crissant, comme à travers les vitres d’un aquarium
stomacal.
Et le robot bavait son eau
endiamantée, les parois d’aquarium et
les plinthes du corridor suintaient
et cédaient, le couloir s’emplissait, j’appelais mon petit-fils
pour me défendre, ne faisant
ainsi qu’ajouter
une victime à ce monstre
cliquetant.
L’épreuve
suivante abandonna derrière moi tout monstre et toute affection
familiale. Une porte étanche et capitonnée
se refermait sur mon dos. Le café où je me trouvais grouillait de
tables rapprochées abondamment cernées de clientèle, et attiré
par un mauvais aimant irrésistible je découvrais sans résistance
Ariel attablée là , une chaise vide devant elle et visiblement pour
moi seul retenue : « Va, dit-elle, je ne trouve plus rien
à te dire, et c’est à
tout jamais. Il en est de même pour toi » - chacun autour de
nous retenait son souffle, tandis qu’à peine assis je me relevais
profondément bouleversé pour me frayer un chemin : d’autres
personnes attendaient, au fond de la grande salle de consommation,
que s’ouvrît à deux battants un vieux portail de bois pourtant
condamné.
À
mon arrivée les battants s’entrouvrirent, et tout le groupe
s’engouffra dans un vaste magasin d’antiquaire, contigu au
restaurant, chacun s’égaillant dans la direction de ses intérêts
de chineur. Et moi j’étais devant des livres, surannés, reliés à
l’ancienne, puis une table basse transparente harmonieusement
garnie de bijoux. J’ai alors soupesé une très lourde poire
d’onyx, qu’une bijoutière, sentant monter en moi un prurit de
larcin, me reprit vivement pour la reposer sur le verre. Ce magasin
n’avait pas de fin.
Mais
il me faut sans cesse errer, vagabonder, me soumettre aux épreuves,
comme le Juif Errant, sans queue ni trêve, et j’aurai jamais
autant marché, agi, subi, que dans ce pays-ci où j’abats les
travaux de ma destinée. D’en haut sur mon lit je contemple sous
moi sans cesse ni lassitude ces cercles qui se creusent et me
renvoient de l’un à l’autre, comme une boule entourée de
comparses. Qui m’envoie sur ce marché pourri pluvieux décharger
cagettes et cageots sous les ordres d’un râleur portugais ?
Il en décharge aussi mais nos deux véhicules se touchent et la
place manque. Notre resserrement nous fait bientôt déposer
caissettes et bourriches de
part et d’autre, et mon Portugais de Porto m’interrompt :
Para, maldito ! Arrête,
Ducon ! Tu ne vois pas qu’après ça ils vont prendre le goût
de l’asphalte ? ...c’est déjà presque trop tard, è
quase tarde de mais ! Trop
tard pour quoi, prolo ? qu’est-ce que ça peut bien me
foutre ? O que isso pode me fazer
bem? Pendant qu’il rame à
ras du sol avec ses cages à poules, je m’esquive avec sa femme. Il
se trouve dans le quartier de vastes pans de murs à l’abri
desquels règnent d’immenses bâtiments rouges d’une grande
valeur historique. Pourquoi ne pas les visiter, mêlés à des flots
de touristes discrets et respectueux. Partout, des inscriptions en
lettres d’or sur du marbre. Certaines en polonais, d’autres en
cyrilliques russes. Nous sommes apparemment dans une vaste nécropole
princière à ciel ouvert. Ma compagne portugaise s’égare aux
détours des tombeaux, nous nous retrouvons sans encombre, car elle
prie, Arielle de sang mêlé, Pologne et Portugal, à deux genoux,
les mains sur la balustrade, orante de pierre.
...Ces
trésors de Pierre-et-Paul ou
de São
Vincente ne trouvent leur mesure que sous le ciel de Bordeaux ?
vanité
des infinis. Va-et-vient des
marées, tombeaux et bureaux d’agences, Bonjour, nous proposons à
vos services une pièce vide, propre, lumineuse et bien aménagée,
jetez donc un œil,
Madame la Secrétaire, soulevez votre petit cul du fauteuil et
lorgnez, de l’autre côté du palier, la mignonne et confortable
chambrette qu’une étudiante illuminerait de sa présence tout en
irriguant notre douillet budget. Vastes
tombeaux, coquets studios, vanité des équivalences. Ainsi
par ces chaudes journées de juillet nous
trouvions-nous ballottés elle et moi, baudruches à l’hélium dont
les têtes aveugles gonflaient tendrement au soleil, tandis que leurs
ficelles se mêlaient à ras de sol entre les doigts serrés du
marchand des rues.
C’était
à Mérignac, d’aucuns diraient « L’Alcazar de Rodez ».
Plus précisément, nous
voulions rejoindre ce berceau des civilisations,de la Préhistoire à
l’Aéroport, et nous en étions fort loin : ce lieu s’appelait
alors les remblais du Pont de Pierre, inextricable cône de
déversement sans aménagement précis, d’où se dispersaient les
véhicules, qui vers les quais, d’amont ou d’aval, qui vers le
cours Victor-Hugo au-delà de la Porte Bourgogne. Cherchant
à rejoindre Mérignac, j'ai erré à pied sur le remblai sud du Pont
de Pierre, parmi la
boue séchée où sinuaient
des fragments de rails mangés au goudron, où des tracés plus ou
moins concentriques, cabossés
de nids de poules, secouaient
quelques suspensions
automobiles
éparses.
Passe
alors l’autobus « M », qui passe d’abord le pont
avant de revenir à
Mérignac. J’y suis monté, torse nu, portant un énorme carton
vide sur la hanche. J’ai pu m’y frayer une place car de
nombreuses femmes descendaient à cette station,mais d’autres, plus
âgées, occupaient tous les fauteuils. Dieu merci mes aisselles
n’exhalaient aucune odeur suspecte. Et
j’écoutais discrètement les propos de ces dames assises,
poursuivant apparemment ceux des passagères descendues :
il
fallait prendre garde à ce chauffeur de réputation sulfureuse, qui
n’hésitaient pas disaient-elles à
stopper le bus en plein trajet dans les herbages qui suivaient la
route, entraînant quelque roulure ou délurée pour folâtrer dans
la verdure.
Alors
je m’aperçus, comme si soudain ces végétations florissantes
avaient poussé à l’instant même dans ce véhicule, qu’il
existait parmi les sièges et vers le fond certains compartiments de
haies fleuries afin que ces dames, quel que fût leur âge, pussent
s’ébattre avec ledit chauffeur si décrié, entretenant
elles-mêmes ces petites haies propices aux batifolages printaniers.
Ces inconduites faisaient l’objet de molles menaces pour l’honneur,
tandis que je tournais le dos à mon but : à moins de profiter
moi aussi d’une improbable aubaine, en tant que passager, mon sort
véhiculaire était de repartir en sens inverse, quand la navette me
ramènerait à Mérignac où je reverrais ma fille affectionnée.
Ce
qui me réconforta dans cette épreuve.
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